9: Psychopathologie des fonctions cognitives

9 Psychopathologie des fonctions cognitives



Généralités


L’expérience clinique montre combien il est artificiel de séparer ce qu’on appelle l’état affectif et les fonctions cognitives, car des perturbations dans un de ces domaines finissent habituellement par retentir sur l’autre : ainsi de graves perturbations affectives s’accompagnent toujours, à la longue, de troubles cognitifs. De même, il est exceptionnel qu’une déficience intellectuelle ou un trouble spécifique ne se compliquent pas de quelques difficultés affectives, d’autant plus importantes que les conséquences scolaires et familiales sont nombreuses. Ainsi, il est non seulement schématique, mais faux d’opposer une fonction intellectuelle et une fonction affective qui se développeraient chacune de façon quasi mécanique dans l’ignorance l’une de l’autre. Leur évolution et maturation ne peuvent être comprises que dans une dialectique d’échanges réciproques.


Néanmoins, la clarté didactique rend nécessaire cette séparation que la réalité clinique justifie en partie : s’il est évident, comme nous venons de le dire, qu’un retentissement réciproque existe entre la lignée cognitive et la lignée affective, il est aussi évident que certains enfants présentent une difficulté cognitive élective. Dans ce chapitre avant d’aborder la clinique de la déficience intellectuelle et celle de la précocité intellectuelle, nous définirons les principales fonctions cognitives, expression que nous préférons au terme d’« intelligence », et présenterons de manière synthétique les techniques d’investigation.


D’un point de vue historique, on peut retenir en France les noms de Binet, promoteur du premier test d’intelligence, de Piaget qui a bien montré qu’on ne pouvait se limiter à une simple étude quantitative de l’intelligence (le niveau des performances évalué par le QI), mais qu’une étude qualitative prenant en compte les modalités du raisonnement était indispensable, de Zazzo ou Misès qui ont souhaité voir intégrer à la notion d’intelligence, non seulement l’efficience scolaire, mais aussi des valeurs telles que la capacité d’intégration sociale ou de compréhension des relations interindividuelles.


Ces différentes approches des fonctions cognitives rendent compte de la multiplicité et de la variété des « tests » propres à en donner une évaluation. Depuis les travaux de Binet, de nombreux auteurs ont ainsi proposé des techniques d’évaluation qu’on peut très schématiquement répartir en deux types :



Enfin, plus récemment grâce au développement de la psychologie cognitive et de la neuropsychologie, de nouvelles épreuves plus focalisées ont été développées.



Évaluation des fonctions cognitives intellectuelles



Tests pour enfants d’âge scolaire



Historique du test de Binet-Simon


À la demande du ministre de l’Instruction publique, et pour élaborer le statut des « arriérés mentaux » au sein d’une scolarité devenue obligatoire, Alfred Binet propose en 1905, une « échelle métrique de l’intelligence » ancêtre de tous les tests d’évaluation ultérieurs. Plusieurs fois complétée, cette échelle qui sera ensuite connue sous le nom de « test de Binet-Simon » introduisait deux nouveautés :



Quelles que soient les critiques ultérieures faites à ce test et à ses suivants, il est incontestable qu’il apportait pour les éducateurs et les pédagogues un instrument fiable de mesure, ce qui en fit son succès avant même qu’on s’interroge sur la nature de ce qui était mesuré. Ultérieurement, divers tests ont été mis au point avec un double souci : pour les uns, il s’agissait dans la même perspective que le test de Binet-Simon d’affiner l’évaluation soit pour une tranche d’âge, soit pour une aptitude particulière ; pour les autres, il s’agissait d’approcher la nature des processus intellectuels (Piaget). Nous retrouvons ici la distinction entre les tests psychométriques et les épreuves cliniques.


Précisons qu’il s’agit dans ce paragraphe d’un bref aperçu des tests où nous donnerons leurs caractéristiques essentielles, leurs champs de validité et leurs limites. Nous n’envisagerons pas le détail de ces tests, ni leur technique de passation qu’on trouvera dans les manuels spécialisés. Le tableau 9.1 propose un aperçu des tests les plus fréquemment utilisés (Mayer et coll., 2007).


Tableau 9.1 Principales épreuves cognitives pour évaluer l’intelligence, les fonctions cognitives générales et le développement des capacités d’adaptation et de sociabilité

















































Nom de l’outil Principales caractéristiques Principales indications
Épreuves proposant un quotient intellectuel
Wechsler intelligence scale for the preschool period ou WPPSI Validée de 2 ans 11 mois à 7 ans 3 mois
Détermine un QI verbal, un QI de performance et un QI total
Déficience intellectuelle (borne inférieure)
Dysharmonie cognitive (profil interne dysharmonieux)
Précocité intellectuelle (borne supérieure)
Wechsler intelligence scale for children ou WISC-IV Validée de 6 à 16 ans 11 mois
Détermine un QI total et quatre indices : compréhension verbale, raisonnement perceptif, mémoire de travail, vitesse de traitement
Déficience intellectuelle (borne inférieure)
Dysharmonie cognitive (profil interne dysharmonieux)
Précocité intellectuelle (borne supérieure)
Nouvelle échelle métrique d’intelligence-2 ou NEMI-2 Validée de 4 ans 6 mois à 12 ans
Détermine un QI selon le rapport entre âge mental et âge réel
Échec scolaire
Épreuves pour enfant d’âge préscolaire
Échelles de Bailey (II) Validées de 1 à 42 mois
Déterminent un score de développement mental et moteur
Déficience intellectuelle
Retard de développement
Échelles de Griffiths Validées de 1 mois à 8 ans
Déterminent six scores de développement pour la motricité, le langage, l’adaptation sociale, la coordination oculo-manuelle, les performances générales, et le raisonnement
Déficience intellectuelle
Retard de développement
Le test de Brunet-Lézine Validé de 6 ans à 16 ans 11 mois
Détermine un âge et un quotient de développement
Déficience intellectuelle
Retard de développement
Épreuves évaluant les comportements adaptatifs
Échelle différentielle d’efficience intellectuelle ou EDEI Validée de 4 ans à 9 ans
Détermine un âge de développement et des niveaux d’efficience selon plusieurs secteurs
Déficiences intellectuelles moyennes, sévères et profondes
Les échelles de Vineland Validées de la première année à 19 ans
Déterminent un âge de développement pour quatre domaines : motricité, adaptation à la vie quotidienne, sociabilité et communication
Déficiences intellectuelles moyennes, sévères et profondes
L’échelle de développement psychosocial ou DPS Validée de 5 ans à 12 ans
Détermine un niveau global de développement psychosocial
Déficiences intellectuelles moyennes, sévères et profondes

La nouvelle échelle métrique d’intelligence (NEMI) de Zazzo est la dernière version française du test de Binet-Simon. Elle regroupe diverses épreuves sans se soucier des fonctions intellectuelles auxquelles elles font appel. La version la plus récente (NEMI-2) a été étalonnée auprès de 837 enfants normaux âgés de 4 ans 6 mois à 12 ans. Elle comprend quatre épreuves obligatoires : connaissances, comparaisons, matrices analogiques et vocabulaires permettant le calcul de l’efficience intellectuelle ; et trois épreuves facultatives : adaptation sociale, répétition de chiffres, copie de figures (< 9 ans) ou comptage de cubes (> 9 ans). Elle permet de calculer un quotient d’intelligence qui est le résultat du rapport entre âge mental (AM) et âge réel (AR) multiplié par 100. Ainsi :



image



Dans ce type de test, le QI est donc un quotient d’âge traduisant le retard ou l’avance du développement intellectuel de chaque enfant par rapport à son groupe d’âge. Par exemple, un enfant de 8 ans aura un âge mental de 8 ans s’il réussit les épreuves normalement réussies par la majorité des enfants de 8 ans. Malgré l’ancienneté de cette échelle, le QI chiffré qu’elle permet d’obtenir continue d’offrir une excellente corrélation avec la réussite scolaire.


Actuellement, les tests d’efficience les plus couramment utilisés avec des enfants portent, comme le test de Binet-Simon, sur une approche globale de l’intelligence, estimée en sommant les performances obtenues dans les diverses situations proposées par le test.



Échelles de mesure de l’intelligence de Wechsler


Les échelles de Wechsler (Wechsler intelligence scale for the preschool period ou WPPSI pour les 4–6 ans et Wechsler intelligence scale for children ou WISC-IV pour les 6–16 ans) sont les plus utilisées, aussi bien en France que dans les pays anglo-saxons. Les scores obtenus à chaque subtest sont convertis en notes standard, grâce à une comparaison des scores de l’enfant avec ceux de la population de référence de même âge (l’étalonnage a été réalisé par tranche de 3 mois). Ces tests sont construits de telle sorte que la notation des résultats obtenus par un enfant donne la dispersion en écart type qui sépare cet enfant de la moyenne de son âge. L’âge de référence n’est donc pas diachronique (dispersion par rapport à l’âge de développement), mais synchronique (dispersion par rapport à une moyenne relative dans un groupe d’âge).


Ces notes sont ensuite additionnées pour calculer un quotient intellectuel. Le QI se répartit selon une courbe de Gauss où la moyenne est de 100 et l’écart type de 15. À plus deux écarts types (QI > 130), on considère que le sujet a une intelligence supérieure, alors qu’à moins deux écarts types (QI < 70) on parle de déficience intellectuelle, les variations de la normale se situant entre ces deux notes.


Les échelles de Wechsler proposent des épreuves composites qui permettent non seulement d’évaluer le fonctionnement intellectuel total (QIT) mais aussi et surtout d’analyser finement la fluidité du raisonnement. Si l’on prend l’exemple du WISC-IV, qui est la dernière version révisée de l’échelle d’intelligence de l’enfant de Wechsler, les notes obtenues aux différents subtests permettent non plus de calculer deux QI, Verbal (QIV) et Performance (QIP), comme c’était le cas dans la troisième version de l’échelle (WISC-III), mais d’obtenir quatre indices : l’indice de compréhension verbale (ICV), l’indice de raisonnement perceptif (IRP), l’indice de mémoire de travail (IMT) et l’indice de vitesse de traitement (IVT). L’ICV évalue les aptitudes verbales en faisant appel à trois subtests principaux : Similitudes, Vocabulaire, Compréhension et deux subtests supplémentaires : Information et Raisonnement verbal. L’IRP mesure le raisonnement et l’organisation perceptifs à partir de trois subtests principaux : Cubes, Identification de concepts, Matrices et un subtest supplémentaire : Complément d’images. L’IMT permet d’apprécier les capacités d’attention, de concentration et de mémoire de travail à partir de deux subtests principaux : Mémoire des chiffres et Séquence lettres–chiffres et un subtest supplémentaire : Arithmétique. Enfin, l’IVT évalue la vitesse de traitement de l’information au niveau intellectuel et au niveau grapho-moteur à partir de deux subtests principaux : Codes et Symboles et un subtest supplémentaire : Barrage. L’addition des notes obtenues à chaque indice détermine un QI total. L’intérêt de cette nouvelle version réside dans le fait que les indices permettent de décrire précisément les aptitudes de l’enfant. En effet, ce n’est plus la dichotomie entre le niveau verbal et le niveau performance qui est discriminante mais l’évaluation de différents domaines de compétence qui permet qu’un profil des efficiences, des points forts et des points faibles de l’enfant, puisse se dessiner. La validation française a porté sur 1100 enfants âgés de 6 à 16 ans 11 mois.


En outre, ces échelles offrent une lecture clinique fine en raison de leur grande sensibilité aux variations individuelles et aux différentes organisations psychopathologiques. C’est pourquoi l’évaluation quantitative doit toujours être accompagnée d’une interprétation détaillée des notes aux différents subtests, tenant compte de leur homogénéité ou de leur hétérogénéité relative, en fonction du contexte clinique.



Cas particulier des jeunes enfants préscolaires et des nourrissons


L’absence d’un langage suffisant avant 3–4 ans constitue une limite qui permet de distinguer les tests préverbaux fondés essentiellement sur l’étude du développement psychomoteur, des tests cités plus haut où intervient largement le langage lors de la seconde enfance.




Échelles de développement


Les échelles de Bayley (BSID-III est la version actuelle) sont une série de mesures standardisées développée à l’origine par la psychologue Nancy Bayley pour évaluer le développement moteur (fin et global), langagier (réceptif et expressif), et cognitif des tout-petits puisqu’elles ont été étalonnées de 1 à 42 mois. Elles explorent une centaine d’items et consistent en une série de tâches de développement explorées pendant que l’évaluateur joue avec l’enfant. Elles prennent entre 45 à 60 minutes à administrer. Les scores bruts sont convertis en scores de l’échelle et en sous-scores composites. Ces scores sont utilisés pour déterminer la performance de l’enfant par rapport à ces pairs de même âge (en mois).


Les échelles de Griffiths (Huntley, 1996) ou Griffiths mental development scales from birth sont une série de mesures standardisées réalisées pour évaluer le développement de la naissance à l’âge de 8 ans. Il existe en réalité deux tests différents en fonction de l’âge. Le premier s’adresse aux nourrissons âgés de 0 à 2 ans. Il comprend l’exploration de cinq domaines : motricité, adaptation sociale, langage, coordination oculo-manuelle et performance. Le second s’adresse aux enfants plus âgés (2 à 8 ans) et comprend l’exploration des dimensions précédentes mais aussi du raisonnement.



Tests fondés sur les capacités de socialisation et d’adaptation


De nombreux auteurs se sont préoccupés de faire intervenir, non seulement les capacités intellectuelles en termes de performance individuelle, mais aussi ce qu’on pourrait appeler une « compétence sociale » caractérisée à la fois par la capacité d’autonomie des principales conduites socialisées et par la qualité des facteurs relationnels, sorte de maturité sociale. Ces recherches trouvent leur origine dans la constatation clinique fréquente d’un décalage entre un niveau intellectuel tel qu’on le définit par les tests classiques, et une capacité d’insertion sociale satisfaisante, du moins chez certains enfants déficients. Par ailleurs, dans les déficiences moyennes et sévères, ce sont les capacités d’autonomisation et de socialisation qui seront déterminantes pour apprécier les besoins en termes de soutien institutionnel pour l’insertion du sujet. Cette perspective plus récente a éclos dans les années 60 tant en France, avec Zazzo, Misès, Perron-Borelli, que dans les pays anglo-saxons avec Nihira, Sparrow pour ne citer que les plus connus.






Quelques réflexions sur le quotient intellectuel




Stabilité diachronique du QI


Au début de la psychométrie, ce QI fut compris à tort comme étant le reflet d’une capacité intellectuelle, quasi-mesure physiologique de l’activité cérébrale. Binet lui-même avait émis l’hypothèse d’une constance du QI chez les arriérés ; on en arriva dans les années 20 à considérer que le QI était le témoin d’une capacité intellectuelle congénitale invariable. Depuis, le QI a été ramené à une plus juste évaluation. En effet, le QI d’âge évalue beaucoup plus l’avance ou le retard d’une vitesse de croissance qu’une potentialité absolue. Or la vitesse de croissance est éminemment variable d’un enfant à l’autre, et chez un même enfant d’une période à une autre, sans préjuger nécessairement le but final. Zazzo a très justement fait les remarques suivantes : sur un plan statistique moyen « le QI normal est constant, non par expérience mais par définition ou, ce qui revient au même, par construction ». En revanche, pour un enfant particulier « le QI n’est pas constant par définition, seule l’expérience peut répondre » (Perron-Borelli). Les études catamnestiques ont bien montré cette variabilité relative du QI pour un même enfant. Enfin, pour chaque test, on note une variabilité de la valeur de la déviation standard (DS) en fonction de l’âge, si bien qu’à QI égal, la répartition statistique d’un enfant n’a pas la même signification à deux âges différents (ceci est valable, tant pour les QI d’âge que pour les QI standard).


En conclusion, croire que le QI conserve pour un enfant précis une valeur constante relève d’une mauvaise compréhension et d’une extension abusive du général au particulier. Il est en effet probable que la confusion a été entretenue par une vision statistique pure, dans laquelle par construction même le QI devait être constant d’un âge à l’autre. Ce n’est jamais le cas pour l’individu isolé.



Quotient intellectuel et hérédité


Dans le paragraphe précédent, on a vu qu’il existait une opposition entre le regard du statisticien et celui du clinicien à propos de la constance du QI. Pour un sujet particulier, le QI est en réalité variable avec l’âge, le type de test, la situation du test, etc. La même opposition entre statisticien et clinicien s’observe sur le point de la nature héréditaire ou non du QI. Il va de soi que plus on donne au QI une valeur relative, plus le poids de l’hérédité est lui aussi relatif, et inversement. Ainsi, dans les années 20 et 30, certains estimaient que l’hérédité intervenait pour 80 % dans la valeur du QI. Depuis, de nombreux auteurs ont aussi voulu quantifier le poids respectif de l’hérédité et des facteurs éducatifs au sens le plus large.


Auparavant, il convient de préciser que nous envisagerons dans le chapitre 13 les facteurs héréditaires pathologiques (aberration chromosomique, anomalies métaboliques diverses, etc.). On ne considère ici que l’hérédité chez un sujet supposé biologiquement sain. L’importance des facteurs socioculturels n’est plus à démontrer : les enfants des classes socio-économiques aisées ont statistiquement un QI plus élevé que ceux des classes défavorisées. De nombreuses études ont montré, en particulier chez les enfants adoptés, que le QI de l’enfant variait en fonction des conditions éducatives et socio-économiques du milieu où l’enfant est élevé, illustrant l’importance de l’environnement.


La qualité des relations affectives joue également un rôle considérable. Dans leur grande majorité, les enfants gravement carencés (hospitalisme, enfants battus) ont fréquemment une efficience intellectuelle médiocre. Ainsi dans les études prospectives portant sur les orphelins roumains adoptés en Angleterre (travaux de Rutter) ou aux États-Unis (travaux de Zeanah), la durée de la déprivation, surtout quand elle est supérieure à deux années, est corrélée au QI à l’âge de 12 ans. En outre, c’est dans les déficiences intellectuelles légères qu’on retrouve le plus de situations où aucune cause apparente n’est retrouvée alors les facteurs psychosociaux sont nombreux (cf. chap. 13).


En conclusion, l’intervention de facteurs héréditaires dans la détermination des capacités intellectuelles est évidente comme le montrent diverses études sur les jumeaux hétéro- ou monozygotes. Cependant il s’agit d’une transmission polygénique complexe car aucune loi de transmission héréditaire simple n’a été vérifiée. Il serait d’ailleurs plus exact de parler d’héritabilité plutôt que d’hérédité (Tomkievicz, Duyme), mettant ainsi en évidence un degré variable de capacité à apprendre, plutôt qu’une valeur absolue de l’intelligence. Cette capacité à apprendre donne un rôle majeur aux facteurs de l’environnement comme le montre un nombre sans cesse croissant de travaux. La théorie de l’empreinte et des périodes critiques que l’éthologie a largement répandues illustre clairement le lien entre une certaine aptitude à apprendre génétiquement déterminée et l’apport de l’environnement. Dans cette perspective, il existe un retentissement étroit et constant entre les facteurs génétiques et les facteurs liés à l’environnement, rendant illusoire un partage trop rigoureux entre ces deux lignées.



Évaluation des fonctions cognitives spécifiques


Les tests ou épreuves explorant un domaine spécifique ou une fonction cognitive sont très nombreux. Aussi nous citerons ici uniquement ceux qui sont les plus utilisés en clinique. Leur but est d’explorer un champ plus précis des fonctions cognitives : mémoire, attention, raisonnement, numération… Les principales épreuves sont résumées dans le tableau 9.2 sachant que les épreuves explorant le langage oral ou écrit en général utilisées par les orthophonistes, et celles explorant la motricité généralement utilisées par des psychomotriciens ont été présentées dans les chapitres correspondants.


Tableau 9.2 Principales épreuves cognitives et neuropsychologiques explorant des fonctions spécifiques

























































Nom de l’outil Principales caractéristiques Principales indications
Épreuves évaluant le raisonnement intellectuel, les habiletés mathématiques et la numération
Échelle de pensée logique ou EPL Validée de 6 ans à 16 ans
Permet l’évaluation du stade de raisonnement selon la théorie piagétienne
Dysharmonie cognitive
Difficultés scolaires
Kaufman assessment battery for children ou K-ABC Validée de 2 ans 6 mois à 12 ans 6 mois
Composée de deux échelles d’intelligence, l’une dite séquentielle et l’autre simultanée ; très sensible aux composantes langagières
Déficience intellectuelle
Évaluation de l’intelligence chez l’enfant sourd, dysphasique ou migrant
Troubles de la coordination motrice
Prosopagnosie
Utilisation du nombre ou UDN-II Validée de 4 ans à 11 ans
Composée de 16 épreuves inspirées des théories piagétiennes
Difficultés en mathématiques
Batterie pour l’évaluation du traitement des nombres et du calcul chez l’enfant ou Zareki-R Validée du CP au CM2
Contient 12 épreuves explorant la capacité à utiliser les nombres et à effectuer des calculs élémentaires
Difficultés en mathématiques
Test diagnostique des compétences de base en mathématiques ou TEDI-Math Validée de la grande section de maternelle au CE2
Explore six domaines de compétences numériques
Difficultés en mathématiques
Épreuves évaluant les fonctions attentionnelles et exécutives
Le continuous performance test ou CPT-II Validé de 6 à 20 ans
Épreuve informatisée explorant l’attention visuelle, la vigilance et l’impulsivité
Trouble hyperactif et trouble de l’attention
Le test d’évaluation de l’attention chez l’enfant ou TEA-CH Validé de 6 ans à 12 ans
Utilise des stimuli visuels et auditifs
Explore l’attention soutenue, l’attention sélective et le contrôle attentionnel
Trouble hyperactif et trouble de l’attention
Le test de classement de cartes du Wisconsin ou WCST Validé à partir de 6 ans
Explore les fonctions exécutives (flexibilité mentale, stratégie)
Trouble du développement
Syndrome frontal
Trouble des apprentissages
Autres épreuves spécifiques
Children memory scale ou CMS Validée de 9 ans à 16 ans
Comprend des épreuves de mémoire immédiate et différée et une épreuve d’attention/concentration
Troubles de la mémoire
Troubles développementaux et des apprentissages
Troubles neurologiques
Épreuves neuropsychologiques ou NEPSY Validées de 3 ans à 12 ans
Comprend des épreuves explorant les fonctions attentionnelles et exécutives, le langage, la sensori-motricité, le traitement visuospatial, la mémoire
Troubles spécifiques du langage oral et écrit
Troubles épileptiques ; lésions cérébrales
Troubles de l’attention
Épreuves explorant les fonctions visuospatiales ou visuoconstructives Test de Bender
Figure de Rey
Test de Benton
Exploration des fonctions visuospatiale et visuoconstructive
Dyspraxie
Prématurité


Épreuves évaluant le raisonnement intellectuel, les habiletés mathématiques et la numération



Épreuves explorant le type de raisonnement


Contrairement aux autres tests cités précédemment, l’objectif de ces tests n’est pas de déterminer à quel niveau se situe une performance, mais quelle stratégie le sujet utilise pour y parvenir. Ainsi les épreuves (terme préférable à celui de test) que Piaget et ses continuateurs ont proposées, s’inscrivent dans un contexte clinique différent : une conversation avec l’enfant où s’échangent argumentation et contre-argumentation permet d’appréhender la structure même du raisonnement. Les notions de rendement ou de performance dont témoignent la standardisation la plus rigoureuse possible et la limitation, ou la mesure fréquente du temps de la passation habituelle aux tests psychométriques y sont en revanche, sinon étrangères, du moins secondaires. L’important est de situer le niveau du raisonnement en fonction des divers stades qui représentent autant de structures logiques différentes.


Ces considérations rendent compte de la moindre standardisation de ces épreuves et de la nécessité d’une bonne connaissance des théories piagétiennes pour les utiliser au mieux (cf. chap. 2).


À la période préopératoire, celle de l’intelligence représentative, entre 2 et 7 ans, ces épreuves reposent sur l’analyse de figures géométriques simples (rond, carré, losange) puis complexes (drapeau de Gessel, figure complexe de N. Verda : figure 9.1) et celle d’un personnage humain.



À la période des opérations concrètes, entre 7 et 11 ans, les mécanismes opératoires portent avant tout sur des objets concrets, manipulables. Ils ont été en partie standardisés dans l’échelle de pensée logique (EPL) de Longeot, étalonnée sur un groupe de garçons et filles âgés de 9 à 16 ans, permettant l’évaluation de l’intelligence concrète ou formelle. Comportant cinq séries d’épreuves les résultats permettent de situer le fonctionnement d’un enfant dans l’une des quatre classes : stade concret, intermédiaire, formel A et formel B. Pour Inhelder, le niveau opératoire formel qui caractérise la pensée adulte n’est pas atteint par l’enfant déficient intellectuel. Celui-ci reste fixé au niveau des opérations concrètes.


La période des opérations formelles enfin correspond au développement de la structure de « groupe combinatoire » et débute à partir de 12 ans. Après le stade opératoire concret, l’accession au stade opératoire formel se caractérise par la capacité du jeune adolescent (entre 12 et 16 ans) à raisonner par hypothèse, à envisager l’ensemble des cas possibles et à considérer le réel comme un simple cas particulier. La méthode expérimentale, la nécessité de démontrer des propositions énoncées, la notion de probabilité deviennent accessibles. Sur le plan pratique, la mise en place d’une possibilité de raisonnement hypothético-déductif se traduit par l’accession au groupe des opérations formelles de transformation : l’identique, la négation, la réciproque et la négation de la réciproque, c’est-à-dire la corrélative (INRC). Ainsi, à titre d’exemple, au stade concret, l’enfant comprend que 2/4 est plus grand que 1/4 parce qu’il n’a à comparer que 1 et 2, mais c’est seulement au stade formel qu’il comprend l’égalité 1/3 et 2/6 parce qu’il peut établir un rapport entre la comparaison des numérateurs d’une part et la comparaison des dénominateurs d’autre part : il peut poser ces deux proportions et le rapport entre deux rapports.




Épreuves explorant les habiletés mathématiques et la numération


L’utilisation du nombre ou UDN-II est une épreuve validée de 4 à 11 ans. Elle est composée de 16 épreuves inspirées des théories piagétiennes classées en épreuves de logique élémentaire (classification, inclusion, sériation), de conservation, d’utilisation du nombre, d’origine spatiale (comment, par la logique, transposer et affirmer des identités), et de connaissance et de compréhension des termes et des opérations mathématiques.


Le Zareki-R ou batterie pour l’évaluation du traitement des nombres et du calcul chez l’enfant est une épreuve permettant une évaluation des différentes composantes intervenant dans le traitement des nombres et le calcul chez l’enfant du CP au CM2. Elle contient 12 épreuves inspirées des travaux récents en neuropsychologie, montrant le caractère complexe, multifactoriel, de la capacité à utiliser les nombres et à effectuer des calculs élémentaires. Cette capacité implique notamment : la connaissance de la séquence des nombres, l’aptitude à dénombrer, le passage correct d’un système de représentation des nombres à l’autre (dit triple code qui associe nombre en écriture arabe, nombre présenté oralement, et nombre écrit en toutes lettres), la connaissance de faits numériques (par exemple, tables de multiplication), la connaissance et l’application de procédures pour les opérations élémentaires, enfin la capacité à estimer et à comparer des nombres et des quantités, la compréhension du sens des nombres.


Le test diagnostique des compétences de base en mathématiques ou TEDI-Math est une épreuve fondée sur les acquis de la théorie piagétienne du nombre et les connaissances les plus récentes de psychologie cognitive. Il permet l’exploration des troubles des apprentissages des mathématiques de la fin de la grande section de maternelle à la fin du CE2. Six domaines de compétences numériques sont explorés :


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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 9: Psychopathologie des fonctions cognitives

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