Chapitre 8 Prise en charge cœlioscopique des masses annexielles au cours de la grossesse
– près de une grossesse sur cent sera opérée pour une raison non obstétricale ;
– même si la cœlioscopie est devenue le gold standard de nombreuses pathologies gynécologiques elle reste malheureusement controversée chez la femme enceinte ;
– elle comporte des risques spécifiques à la fois pour la mère et le fœtus ;
– le plus gros risque reste le retard du recours à la chirurgie ;
– une technique simple et adaptée permet une prise en charge sûre et reproductible.
Classiquement, entre une patiente sur 500 et une patiente sur 635 seront opérées au cours de leur grossesse pour une raison non obstétricale [7–9]. Ces chiffres sont en fait basés sur des études réalisées il y a maintenant plus de 15 ans et ont certainement augmenté avec le développement de l’imagerie prénatale et les performances de l’imagerie dans le dépistage des masses annexielles et des autres pathologies extra-obstétricales [16]. Kuczkowski et al. estiment que le taux de chirurgie oscille maintenant entre 1 et 2 % des grossesses [9] avec pour principales indications l’appendicite, la cholécystite, la torsion d’annexe, la présence d’une masse annexielle symptomatique ou suspecte. Même si la cœlioscopie est devenue le gold standard dans de nombreuses pathologies gynécologiques, son utilisation reste contestée durant la grossesse et elle ne réduit pas le risque chirurgical. Toute chirurgie durant la grossesse nécessité l’évaluation du rapport bénéfice/risque car elle associe les risques classiques de toute chirurgie (hémorragie, infection…) et ceux spécifiquement associés à la grossesse (pertes fœtales, accouchement prématuré, rupture prématurée des membranes, mort fœtale in utero, souffrance fœtale…). De plus, le risque anesthésique existe à la fois pour la mère (œdème pulmonaire, difficulté d’intubation, risque d’hypotension, risque thrombo-embolique…) et pour le fœtus (tératogénicité potentielle des agents anesthésiques et analgésiques, hypoperfusion fœtale, hypoxémie fœtale…). Durant la grossesse, les changements physiologiques et anatomiques nécessitent une adaptation des procédures chirurgicales et anesthésiques à la grossesse (accès, techniques, dispositifs, énergie…). De plus, la grossesse est une condition variable : l’accès à la cavité péritonéale doit s’adapter au terme de cette grossesse. Pourtant ces risques, même s’ils existent et doivent être connus, sont prévenus par une technique adaptée et codifiée. Le risque majeur reste le retard au recours à la chirurgie [5] car le retard à la fois diagnostique et thérapeutique est beaucoup plus préjudiciable en cas de grossesse que dans des conditions physiologiques normales [2, 11, 15].
Épidémiologie
Plusieurs séries concernant l’incidence des masses annexielles pendant la grossesse ont été rapportées dans la littérature. Trois ont inclus un nombre important de patientes, la première publiée en 1999 concerne 170 577 accouchements [19], la deuxième publiée en 2003, 127 777 accouchements [16], la troisième publiée en 2006, 4 846 505 grossesses [10] ; elles retrouvent un recours nécessaire à la chirurgie entre 0,05 à 0,2 % des grossesses. Ces chiffres sous-évaluent probablement le nombre de masses annexielles dépistées au cours de la grossesse car les performances des appareils échographiques ont largement progressé depuis les années 1990 et le recours au dépistage systématique des anomalies fœtales et annexielles au cours de la grossesse s’est largement répandu. Le problème est plutôt de savoir combien de ces masses sont des cancers qu’il faut absolument traiter et, parmi celles qui ne sont pas cancéreuses, combien se compliqueront durant la grossesse entraînant un risque majeur pour la mère et le fœtus, risque qui aurait pu être diminué par une prise en charge programmée à froid [5]. Leiserowitz et al., parmi pratiquement 5 millions de grossesses, retrouvent 9 375 masses annexielles (0,19 %) dont 87 étaient des cancers de l’ovaire (0,93 % de toutes les masses annexielles), ce qui correspond à 0,0179 cancer de l’ovaire pour 1 000 accouchements. La majorité des kystes opérés sont des dermoïdes dans 40 à 50 % des cas, des kystes fonctionnels dans 10 à 15 % des cas, des cystadénomes dans 15 à 20 % des cas et des cancers ou des tumeurs borderline dans 9 à 13 % des cas [16, 17]. Ce dernier chiffre est loin d’être négligeable et justifie l’indication chirurgicale en sélectionnant parfaitement celles qui doivent être prises en charge. Des taux de complications élevés ont été rapportés pour ces masses durant la grossesse, ils sont probablement surestimés avec des taux comparables à ceux retrouvés en dehors de la grossesse dans les études plus récentes. La torsion, l’hémorragie et la rupture sont les principales associées à l’obstacle prævia, complication rare et bien sûr spécifique de la grossesse. Ces complications sont en fait surtout décrites pour les kystes de plus de 5 à 6 cm de diamètre.
Indications : qui opérer ?
Dans le deuxième cas, s’il s’agit d’une masse franchement suspecte (paroi épaisse, végétations intrakystiques, partie solide), une IRM sera réalisée et une prise en charge chirurgicale sera réalisée au plus tôt. Un chirurgien oncologue doit être disponible. Les règles de la chirurgie carcinologique cœlioscopique doivent être strictement appliquées (protection par un sac endoscopique du geste chirurgical et de l’extraction, réalisation d’une cytologie péritonéale…). La patiente doit être prévenue du risque de perte fœtale et du risque de laparo-conversion [4]. Le taux de CA 125 n’est ni spécifique ni sensible au cours de la grossesse où il est physiologiquement augmenté et donc difficilement interprétable. S’il s’agit d’une masse non franchement suspecte supérieure à 3–4 cm, celle-ci doit être recontrôlée entre 14 et 15 SA. Après 15 SA, il existe trois cas de figure :
• la masse était connue et étiquetée avant le début de la grossesse (endométriome, hydrosalpynx, kyste paratubaire, kyste péritonéal), une surveillance échographique simple suffit ;
• la masse a un aspect bénin quasi certain : kyste anéchogène pur de moins de 6 cm de diamètre, sans végétation, à paroi fine. Une surveillance échographique simple suffit en dehors de symptômes liés à la masse. Pour les tératomes matures confirmés par IRM de moins de 5–6 cm, ils peuvent être surveillés ou une chirurgie peut être proposée [3] ;
• l’origine histologique de la masse est incertaine. L’exploration chirurgicale est nécessaire. Le bilan préopératoire associe examen clinique, examen échographique, voire IRM pelvienne. Le bilan échographique associe celui du fœtus : échographie du premier trimestre complète associée aux marqueurs de la trisomie 21 du premier trimestre et celui de la masse : taille, aspect, vascularisation, localisation par rapport à l’utérus, localisation intra-abdominale… Une échographie de contrôle du kyste et de la vitalité fœtale doit impérativement être réalisée en préopératoire (nous réalisons cette échographie la veille de l’intervention).