Chapitre 7 Que ressent et qu’éprouve le psychothérapeute ?
Toute psychothérapie réunit deux subjectivités, celle du patient et celle du thérapeute. Le patient peut être considéré comme un autre nous-mêmes dans une phase de détresse. En l’écoutant, en le regardant et en réfléchissant à ses propos naît toute une série de pensées ou d’émotions auxquelles il faut être attentif. Dans un idéal thérapeutique, le psychothérapeute se voudrait neutre, disponible et attentif. Cependant, il peut être soumis à des difficultés personnelles, des soucis de santé, des difficultés conjugales, des problèmes matériels, l’accumulation des tensions d’une fin de journée… autant de faits spécifiques appartenant au thérapeute qui, d’une séance à l’autre, modifient son écoute et sa réflexion. Ces états différents, variables, peuvent donner à l’écoute de chaque séance une spécificité particulière. Même si le patient n’a rien remarqué – mais parfois il le note, voire l’exprime –, il est des entretiens où l’attention du thérapeute est extrême, concentrée, disponible ; il en est d’autres où l’attention semble plus dispersée, distraite, où l’esprit s’évade vers d’autres pensées ou thématiques.
Cette nécessité de réfléchir à ce qu’un patient suscite en nous, aux pensées et aux émotions qu’il mobilise, à la trace mnésique qu’il entraîne, représente une spécificité de la psychothérapie. On peut considérer qu’un thérapeute devient très rapidement, dès la première séance, une aire de projection du monde interne de son patient. Il fonctionne comme une caisse de résonance ou un amplificateur. L’importance d’être attentif à ces mouvements internes découle de la notion que, ce que le patient transmet au thérapeute, il l’a déjà transmis à ses proches et à ses amis. Cela pourra être un facteur important de ses difficultés, être renvoyé ou expliqué et ainsi faire l’objet d’une meilleure compréhension. L’alliance thérapeutique nécessite un accordage de ce que l’on nomme une dyade patient-thérapeute. L’un et l’autre peuvent partager des morceaux d’identité liés à une histoire personnelle ayant des points communs : origine géographique, déracinement, éducation religieuse, engagement politique, similitude d’histoires affectives, ressemblance des milieux d’origine, événements sentimentaux ou amoureux communs. Ces éléments restent le plus souvent infraverbaux, comme autant de signaux implicites. Ils vont de la manière de s’habiller à l’intonation de la voix, du choix des expressions à la décoration de son cabinet. En un mot, il n’existe jamais de vraie neutralité ; ceci est d’autant plus un leurre que le choix du patient pour un thérapeute ou un médecin peut être influencé par cette myriade d’éléments.
L’envie d’aider
Qu’est-ce qui mobilise l’envie d’aider un patient ? On peut être touché par sa peine, sa souffrance ou sa détresse. On se situe dans un mouvement d’identification ; on se dit « si j’étais à sa place, je serais également dans la peine ». Cet élan de compassion peut entraîner différentes réponses. Il peut s’agir d’une écoute attentive, silencieuse et respectueuse, laissant le temps d’exprimer les difficultés. Parfois, des phrases soulignant le vécu de peine peuvent être prononcées : « Cela a vraiment dû être très difficile pour vous… Comme vous avez dû souffrir dans cette situation… Cela a dû être un moment très pénible… » Certaines expressions de mal-être ou d’histoires tragiques mobilisent à ce point l’émotion qu’elles touchent profondément le thérapeute. Les états affectifs des patients bipolaires transmettent au thérapeute aussi bien un sentiment de tristesse que les états maniaques suscitent un état de gaieté, voire des sourires. La compassion peut se manifester par des actes : avancer un médicament, fournir de quoi s’alimenter, prêter un peu d’argent. Elle doit être soigneusement pensée pour se distinguer de la pitié. Pour un patient, savoir qu’il suscite de la pitié ou que le geste du thérapeute est animé par ce sentiment risque d’être intolérable. Toute forme d’aide doit être présentée en détournant son origine ou en l’exprimant de manière neutre : « Nous avons une “caisse noire” dans le service… » Mais il existe des formes plus problématiques de ce désir d’aider.
En effet, certains thérapeutes ont en permanence des mouvements de compassion, l’envie de soutenir et d’apporter une aide. Ils doivent y être attentifs pour pouvoir nuancer, graduer ces mouvements, parfois les différer ou les retarder pour mieux comprendre la personnalité de leurs patients. Dans de rares cas, les patients perçoivent l’émotion de leur thérapeute, le fait d’être au bord des larmes, comme un signe de fragilité de ce dernier. Ils éprouveront un sentiment d’insécurité : « Quand je pleurais, mon thérapeute aussi était bouleversé. »
Le sentiment d’inutilité
Ce sentiment possède lui-même plusieurs facettes.
On peut se sentir inutile parce qu’une situation ou un patient vous laisse à penser qu’il n’y a rien à faire. La situation d’impasse en est l’exemple le plus commun. Une impasse définit un moment existentiel où aucune solution n’est bonne, voire où toute tentative de solution aggrave le problème. Ces situations sont nombreuses.