7: Contexte social et culturel

Chapitre 7 Contexte social et culturel




L’adolescente enceinte


La grossesse chez l’adolescente a suscité un grand intérêt ces quinze dernières années chez les professionnels (obstétriciens et sages-femmes, puis psychologues), les pouvoirs publics, les médias de toutes sortes, et même le cinéma, qui ont efficacement relayé la prise de conscience et l’inquiétude des premiers au grand public.


Il ne se passait pas un mois sans une émission aux heures de grande écoute, avec témoignages de très jeunes femmes, de dénouement heureux le plus souvent ; le film Juno (sorti en France en 2008), traitant à la manière américaine, à la fois grave et légère, du problème de grossesse chez l’adolescente encore plus préoccupant là-bas que chez nous, et de celui de l’adoption du bébé était très bien servi par sa musique, ce qui lui a valu une bonne audience chez les jeunes.


Cette fascination, très nettement teintée de méfiance chez les soignants, s’explique d’après S. Missonnier (2009d) par :



Les travaux ont été nombreux (Alvin, Marcelli, 2005 ; Courtecuisse, 1994 ; Deschamps, 1997 ; Nisand, 2004 ; Missonnier, 2008). Je citerai, pour y avoir participé, le rapport du professeur M. Uzan en 1998 sur La prévention et la prise en charge des grossesses chez les adolescentes qui fait un état des lieux et propose des pistes de solution pour chaque problème soulevé, pistes dont certaines ont été suivies par le gouvernement.


Globalement, on aboutit désormais peu ou prou à un consensus sur le sujet, même si on ne sait plus à qui on doit telle ou telle formule.



Aspect épidémiologique


L’OMS définit l’adolescence comme une étape qui va de 10 à 19 ans, mais dans le langage courant, on parle de grossesses adolescentes chez les mineures.


Notons que l’âge moyen de la puberté est passé de 17 à 13 ans au cours du siècle dernier, alors même que, contrairement aux idées reçues, l’âge moyen au premier rapport a peu varié depuis les années 1970. Il était de 17,6 ans chez les filles, et de 17,2 ans chez les garçons en 2007 (enquêtes Inserm et Ined).


Pour y comprendre quelque chose, il faut d’emblée distinguer :







Risque psychosocial de la grossesse « chez l’adolescente »


La grossesse de l’adolescente n’est pas à risque médical mais à risque psychosocial. P. Alvin expliquait que ce sont les facteurs sociaux défavorables qui peuvent entraîner des risques médicaux.


En ce qui concerne le risque médical en France, je ne ferai même pas la distinction, pour ma part, entre la grossesse chez les moins de 15 ans et chez les plus de 15 ans comme il est fait dans certaines publications. En effet, j’ai remarqué que notre mère Nature ne permettait tout simplement pas de grossesse chez les toutes jeunes filles dont le corps ne pouvait porter un fœtus. La jeune fille/jeune femme (notre trouble apparaît déjà dans le vocabulaire : on ne sait pas comment les appeler) enceinte la plus jeune que j’aie connue avait 12 ans. Venue des Antilles, accompagnée de sa mère, elle allait accoucher dans l’anonymat. Elle mesurait 1,70 m, de constitution robuste, on ne pouvait imaginer, à la voir, qu’elle n’avait que 12 ans ; son psychisme, par contre, était bien en rapport avec son âge civil, ainsi que son âge scolaire puisque nous lui avons fait donner des cours de 5e.


La grossesse n’a donc aucune raison de mal se passer d’autant que ces jeunes femmes sont en bonne santé et que leur jeune âge les protège de certaines pathologies au contraire de leurs consœurs autour de la quarantaine. De même, l’accouchement se fait majoritairement par voie basse avec un taux particulièrement faible de césariennes ; le poids des nouveau-nés est sensiblement le même que dans la population générale, les chiffres s’inscrivant ici en faux contre la croyance qui voudrait que ces utérus soient trop petits pour laisser se développer un fœtus de poids normal.


Par contre, le taux d’accouchement prématuré (avant 37 SA) est de 11 % versus 5,9 % dans la population générale (rapport de M. Uzan) ; or, ce taux de prématurité de 11 % est proche de celui de la population socialement défavorisée qui se situe aux abords des 13 %. Les adolescentes enceintes sont aussi plus anémiées et leurs nouveau-nés plus souvent admis en néonatalogie. Tous ces signes sont les conséquences du suivi médical tardif voire absent de la grossesse, de l’isolement parfois extrême dans laquelle cette grossesse est le plus souvent vécue, voire du déni ou de la dénégation qui sont à l’œuvre, enfin, de la précarité sociale des familles de ces toutes jeunes.


Je vais revenir sur tous ces facteurs de vulnérabilité médicale de la grossesse chez l’adolescente, qui sont aussi des facteurs de vulnérabilité du lien mère–enfant et de vulnérabilité psychique pour cette jeune qui passe en quelques mois de l’enfance à l’âge adulte, sans avoir le temps de maturer le processus de bouleversement psychique propre à l’adolescence auquel se superpose, ou se substitue, le processus de bouleversement psychique propre à la grossesse. On parle d’adolescence avortée.


De plus, l’adolescente enceinte perd sa référence au groupe du même âge dont on sait l’importance de l’esprit grégaire, ne serait-ce que par l’aspect vestimentaire. Cette perte de référence au groupe accroît encore l’isolement et la marginalisation. En bref, la grossesse chez l’adolescente n’est pas une maladie, mais elle peut le devenir si on n’y prend pas garde.



Pourquoi un suivi médical tardif ?


En moyenne, les grossesses chez les adolescentes sont suivies à partir de 6 mois ; 5 à 10 % ne se dévoilent qu’à l’accouchement selon A. Debourg. Elles représentent 12 % de l’ensemble des déclarations tardives et, comme on l’a vu plus haut, 1,25 % de l’ensemble des grossesses : les mineures déclarent donc tardivement leur grossesse 10 fois plus souvent que la population de femmes enceintes tous âges confondus.


Premier cas de figure, la jeune fille se sait enceinte. Elle est terrorisée – parfois à juste titre, mais en fait le plus souvent à tort – des conséquences de cette révélation à son entourage. Elle vit le début de cette grossesse cachée dans une grande solitude, dans la culpabilité, l’ambivalence, la détresse. Elle peut aller jusqu’à la dissimulation et/ou le recours à la pensée magique à bien distinguer de la (dé)négation et du déni inconscients développés dans le chapitre 5.3. Parfois un viol et/ou un inceste à l’origine de la conception viennent complexifier encore la conflictualité psychique.


Deuxième cas de figure, l’adolescente ne se sait pas enceinte. Son corps en pleine transformation lui est encore étranger dans son fonctionnement ; ses règles sont encore irrégulières, elle peut avoir de petites pertes de sang qu’elle prend pour des règles ; elle a pris peu de poids et « ça » ne se voit pas ; elle dissocie sexualité et reproduction. Ces éléments vont servir de substrat à un possible déni de grossesse, phénomène inconscient, qui n’est pas l’apanage de l’adolescente, loin de là. S’il n’est pas le plus fréquent, le déni de grossesse existe bel et bien ; et de plus, il est contagieux : la famille ne voit rien, ne veut rien voir ; même chose pour le médecin de famille quand il est consulté, tant il est vrai que les parents ont du mal avec la sexualité de leurs enfants et la société – représentée ici par le médecin de famille – avec la capacité de reproduction des plus jeunes. Le corps joue alors le jeu du déni, comme l’explique si bien I. Nisand dans les médias lors du procès Courjault (Marinopoulos, Nisand, 2011).


Le déni est là aussi avantageux en cas de grossesse conçue dans la violence. Il est très frappant de voir que certaines grossesses issues d’un viol, pour lequel une plainte a été déposée et qui sont de découverte tardive, ont une date de début variable jusqu’à parfois un mois : le diagnostic tardif de grossesse empêche une datation précise par l’échographie. On imaginerait que la femme se souvienne de la date de son viol, mais il est englobé dans son déni ; ou plutôt la grossesse conséquente est englobée dans le déni du traumatisme.


Il n’est pas toujours aisé de faire la différence entre déni et dénégation, d’autant que les deux peuvent cohabiter alternativement. Lors de l’interrogatoire précédant tout examen médical, on peut schématiquement distinguer deux situations, chacune à une extrémité du curseur :



Il me semble rencontrer des dénis de grossesse à tous les âges de maternité, alors que la dénégation paraît plus spécifique de l’adolescence.



Qui sont ces adolescentes enceintes et pourquoi sont-elles enceintes ?


L’expérience prouve que les cas de figure sont multiples et méritent d’être différenciés.


On note cependant d’emblée l’absence de profil psychopathologique.




La jeune collégienne ou lycéenne vivant chez ses parents et dont la grossesse est accidentelle


Erreur ou retard à la contraception, la grossesse est annoncée tôt ou tard aux parents. Selon l’histoire, le milieu, les difficultés, la culture, l’éducation, les antécédents et les résonances propres que vient provoquer cette grossesse inattendue, la réaction est singulière à chaque famille, allant de la prise en charge pour une IVG en France, ou à l’étranger quand le délai est dépassé, au rejet avec renvoi du domicile familial en passant par l’accompagnement ou la pression pour un accouchement anonyme, ou encore l’accueil du nouveau-né dans la famille.


Tous les niveaux sociaux sont représentés dans ce cas de figure.


Plus de la moitié de ces grossesses seront avortées, d’autant plus que la fille est plus jeune et qu’elle appartient à un niveau social élevé.


Il s’agit vraisemblablement pour elle de tester sa capacité à procréer lors d’une première grossesse, ou d’être à nouveau enceinte après une IVG mal métabolisée.


Le plus souvent il n’existe pas de couple, encore moins de projet parental. Si couple il y a, c’est celui de l’adolescente avec sa propre mère (Dadoorian, 2005) dans un désir de régression à la symbiose de la première enfance. M. Bydlowski (1992) voit dans la grossesse adolescente, une réactivation de l’attachement à la mère des premiers soins, un appel à la mère archaïque.


La difficulté, alors, est de bien veiller à donner à l’adolescente les moyens (par des consultations obstétricales ou entretiens « psy » individuels et rapprochés) de faire son propre choix et pas celui de sa famille, car dans ce dernier cas, on risque une nouvelle grossesse peu de temps après une IVG ou un abandon, ou encore un bébé « rapté » par la grand-mère. En effet, cette grossesse permet à la GMM (grand-mère maternelle) de vivre encore une fois son désir de plénitude narcissique, de réparation de ses propres carences affectives lorsqu’elle n’est pas elle-même enceinte au même moment.


Le plus souvent, la figure masculine est ici absente.



L’adolescente en détresse, en rupture avec sa famille et le système scolaire


Parfois la grossesse a été désirée, sous forme d’un passage à l’acte, mais le cas le plus fréquent est la grossesse dite accidentelle, ce qui revient au même, finalement. En effet, l’absence ou l’erreur de contraception n’est qu’un prétexte ; comme D. Dadoorian, je pense que le lien de cause à effet entre les grossesses adolescentes et le manque d’information est réducteur d’un phénomène bien plus complexe. D. Dadoorian explique comment la mise en acte est un mécanisme très fréquent à l’adolescence, lorsque les conflits internes ne peuvent être élaborés ; la grossesse peut servir à combler un vide relationnel et affectif.


Par contre, dans ce cas, la grossesse est conservée avec âpreté contre l’avis, voire la pression, du petit copain et des parents. On sent qu’il s’agit là, pour cette jeune fille/femme, d’une forme de revendication pour exister.


Exister, c’est avoir un statut social (Deschamps, 1997), une reconnaissance marquée par des allocations, une valorisation dans une société où la maternité est bien vue, une protection, des regards bienveillants et des égards auxquels elle n’a pas été habituée. C’est « fabriquer quelque chose de beau ». C’est « avoir une occupation ».


Nombre d’entre elles paraissent trouver une identité sexuelle grâce à la maternité, comme s’il y avait là un rite initiatique pour accéder à la femme adulte et autonome avec, en même temps, des mouvements régressifs d’identification à leur propre mère. Loin des discours féministes, elles passeraient par la maternité pour gagner leur identité féminine.


Ou bien, comme le propose V. Bitouzé, au contraire, la grossesse serait un acte non sexué qui mettrait l’adolescente à l’abri de toute approche sexuelle ; être mère pour éviter d’être femme ?


C’est aussi exister aux yeux de sa famille et se sentir davantage aimée : « Ça y est ! Je suis enfin devenue quelqu’un pour eux ! Depuis que j’ai accouché. Je le vois dans leur regard… » me disait une accouchée de 16 ans à la visite dernièrement. La déconvenue est rapide, malheureusement, car c’est le bébé qui va monopoliser l’intérêt (dans tous les sens du terme) de la famille et non la reconnaissance et l’acceptation de leur moi adulte. La jeune mère sera à nouveau évincée dans une quête affective éperdue ; le risque est alors grand qu’elle n’entre en rivalité avec son enfant.


La grossesse peut également être envisagée comme la transgression d’un interdit conceptionnel édicté par l’adulte à l’encontre de l’adolescent (Missonnier, 2009d). Les jeunes gens ont accès à la contraception, d’accord, mais faire des bébés, c’est nous ! Ce passage à l’acte transgressif représenté par une grossesse chez l’adolescente, révélerait un conflit vis-à-vis de l’autorité adulte.


Enfin, il se peut que, pour celle qui n’espère plus grand-chose de son entourage, elle mise fermement sur ce futur bébé pour se constituer sa famille à elle, puisqu’elle n’a jamais eu ce qui s’appelle une famille, dans un idéal qui ressemble plus à « quelqu’un qui va m’aimer » que quelqu’un à aimer. J’avoue avoir pensé rêveusement, en les voyant enroulées autour de leur ventre, caressant leur fœtus au travers de leur utérus en serrant une peluche de l’autre bras, ou en suçant leur pouce, qu’un petit animal domestique, chien ou chat, qu’elles auraient choyé pendant leur enfance aurait efficacement et avantageusement fait l’affaire… Je m’explique : je fais l’hypothèse que grandir avec un animal confident qui vous aime indéfectiblement, gratuitement et qui est aimé en retour éviterait bien des grossesses prématurées et bien des désillusions, car si l’animal domestique a pour vocation de rester dans la maison – parfois même après le départ de l’adolescent devenu adulte –, le bébé est un animal indomptable qui va n’avoir de cesse de grandir pour être autonome et partir !


Ces futures jeunes mères sont issues de familles nombreuses (80 %), désunies ou dont l’un des parents au moins est décédé, de faible niveau socio-économique et culturel. La plupart sont célibataires (70 %), et parmi celles qui sont en couple, une grosse majorité (75 %) se sépareront du père de leur enfant dans les 5 ans.63


Elles ont arrêté l’école, sont sans emploi, sans occupation, ont souvent été placées à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) dans leur enfance, peuvent l’être encore au moment de leur maternité, sont parfois suivies par un juge pour enfants. Leur vie a été chaotique, ballottées qu’elles ont été entre leur propre famille et des familles d’accueil (avec tous les conflits de loyauté engendrés) ainsi que des institutions ; une vie sans continuité affective, mais aussi sans stratégie de formation, sans fil rouge en quelque sorte. Sans compter qu’elles ont dans leur sac à dos quelques générations d’ancêtres aux difficultés similaires, une mère enceinte au même âge et aussi, souvent, en même temps qu’elles aujourd’hui. Parfois des conduites à risque, des addictions ont émaillé leur parcours et les premiers mois de la grossesse quand celle-ci est découverte tardivement. Par contre, une fois la grossesse diagnostiquée et investie, elles réduisent considérablement leur consommation, semblant, à cet égard, plus raisonnables que leurs aînées enceintes aux prises avec une addiction.

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 7: Contexte social et culturel

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