Chapitre 7 Contexte social et culturel
L’adolescente enceinte
La grossesse chez l’adolescente a suscité un grand intérêt ces quinze dernières années chez les professionnels (obstétriciens et sages-femmes, puis psychologues), les pouvoirs publics, les médias de toutes sortes, et même le cinéma, qui ont efficacement relayé la prise de conscience et l’inquiétude des premiers au grand public.
Cette fascination, très nettement teintée de méfiance chez les soignants, s’explique d’après S. Missonnier (2009d) par :
• l’existence de deux êtres virtuels – le fœtus/bébé et l’adolescent tous deux virtuels car en pleine mutation créatrice – réunis en un seul corps. Voilà pour la fascination ;
• un sentiment de rivalité et d’envie induit, chez les soignants en périnatalité – qui plus est ce sont des soignantes –, par cette renaissance narcissique que procure la grossesse, alors que la conception est et devrait rester une prérogative de l’adulte. Voilà pour la méfiance, la résistance des soignants, entravant trop souvent le nécessaire accompagnement empathique et contenant de l’adolescente enceinte.
Les travaux ont été nombreux (Alvin, Marcelli, 2005 ; Courtecuisse, 1994 ; Deschamps, 1997 ; Nisand, 2004 ; Missonnier, 2008). Je citerai, pour y avoir participé, le rapport du professeur M. Uzan en 1998 sur La prévention et la prise en charge des grossesses chez les adolescentes qui fait un état des lieux et propose des pistes de solution pour chaque problème soulevé, pistes dont certaines ont été suivies par le gouvernement.
Aspect épidémiologique
Pour y comprendre quelque chose, il faut d’emblée distinguer :
• le taux de naissances vivantes : rapport du nombre de naissances chez les adolescentes au nombre global des naissances tous âges confondus ;
• le taux de grossesses : il comprend les grossesses qui vont donner une naissance, et les grossesses qui vont se terminer en IVG ;
• le taux de fécondité : rapport du nombre de naissances vivantes chez les adolescentes au nombre total de jeunes femmes de cette tranche d’âge.
Taux de fécondité
Il est de 20 pour 1000 en Europe (c’est-à-dire qu’il y a 20 naissances vivantes de mères adolescentes pour 1000 adolescentes), très inférieur à celui des États-Unis qui est de 50 pour 1000. Au sein même de la Communauté européenne, les variations du pourcentage d’adolescentes enceintes sont notables : entre 32 pour 1000 au Royaume-Uni et 4 pour 1000 aux Pays-Bas. En France, le dernier chiffre est de 6 pour 1000 (Bitouzé, 2000).
Taux de grossesse
Ces dernières années en France, on observe chez les adolescentes une tendance à la baisse du nombre de grossesses, par l’utilisation de la contraception, ainsi que des naissances par le recours à l’IVG qui concerne trois grossesses adolescentes sur cinq. Les IVG chez les moins de 18 ans représentent 6,5 % de l’ensemble des IVG, le pourcentage le plus élevé se situant parmi les plus jeunes.62
Il est à noter que 40 à 60 % de ces grossesses d’adolescentes sont subies dans la violence intra- ou extrafamiliale (Bitouzé, 2000).
Pourquoi un suivi médical tardif ?
En moyenne, les grossesses chez les adolescentes sont suivies à partir de 6 mois ; 5 à 10 % ne se dévoilent qu’à l’accouchement selon A. Debourg. Elles représentent 12 % de l’ensemble des déclarations tardives et, comme on l’a vu plus haut, 1,25 % de l’ensemble des grossesses : les mineures déclarent donc tardivement leur grossesse 10 fois plus souvent que la population de femmes enceintes tous âges confondus.
Premier cas de figure, la jeune fille se sait enceinte. Elle est terrorisée – parfois à juste titre, mais en fait le plus souvent à tort – des conséquences de cette révélation à son entourage. Elle vit le début de cette grossesse cachée dans une grande solitude, dans la culpabilité, l’ambivalence, la détresse. Elle peut aller jusqu’à la dissimulation et/ou le recours à la pensée magique à bien distinguer de la (dé)négation et du déni inconscients développés dans le chapitre 5.3. Parfois un viol et/ou un inceste à l’origine de la conception viennent complexifier encore la conflictualité psychique.
Deuxième cas de figure, l’adolescente ne se sait pas enceinte. Son corps en pleine transformation lui est encore étranger dans son fonctionnement ; ses règles sont encore irrégulières, elle peut avoir de petites pertes de sang qu’elle prend pour des règles ; elle a pris peu de poids et « ça » ne se voit pas ; elle dissocie sexualité et reproduction. Ces éléments vont servir de substrat à un possible déni de grossesse, phénomène inconscient, qui n’est pas l’apanage de l’adolescente, loin de là. S’il n’est pas le plus fréquent, le déni de grossesse existe bel et bien ; et de plus, il est contagieux : la famille ne voit rien, ne veut rien voir ; même chose pour le médecin de famille quand il est consulté, tant il est vrai que les parents ont du mal avec la sexualité de leurs enfants et la société – représentée ici par le médecin de famille – avec la capacité de reproduction des plus jeunes. Le corps joue alors le jeu du déni, comme l’explique si bien I. Nisand dans les médias lors du procès Courjault (Marinopoulos, Nisand, 2011).
• la jeune fille se doutait bien qu’elle était enceinte. Elle avait bien vu une anomalie dans ses règles, des nausées l’avaient alertée ; parfois elle a même effectué un test de grossesse. Mais sa crainte, son sentiment de toute-puissance, son désir d’y échapper par la pensée magique, le « pas vu, pas pris », lui ont fait refouler l’idée activement, jusqu’à ce que la réalité la rattrape : sa mère s’en aperçoit, ou elle finit par consulter, ou encore arrive à se faire aider par une amie… C’est la dénégation ;
• au contraire, dans le déni, on sent à quel point c’est l’annonce de la grossesse par l’extérieur qui a été traumatique : la jeune est « tombée de l’armoire » lorsqu’elle a consulté à 6 mois pour des douleurs abdominales mises sur le compte d’un excès de cerises, ou encore quand elle est venue aux urgences pour suspicion d’occlusion intestinale et s’est retrouvée en salle d’accouchement…
Qui sont ces adolescentes enceintes et pourquoi sont-elles enceintes ?
L’expérience prouve que les cas de figure sont multiples et méritent d’être différenciés.
On note cependant d’emblée l’absence de profil psychopathologique.
La jeune collégienne ou lycéenne vivant chez ses parents et dont la grossesse est accidentelle
Tous les niveaux sociaux sont représentés dans ce cas de figure.
Le plus souvent il n’existe pas de couple, encore moins de projet parental. Si couple il y a, c’est celui de l’adolescente avec sa propre mère (Dadoorian, 2005) dans un désir de régression à la symbiose de la première enfance. M. Bydlowski (1992) voit dans la grossesse adolescente, une réactivation de l’attachement à la mère des premiers soins, un appel à la mère archaïque.
L’adolescente en détresse, en rupture avec sa famille et le système scolaire
Exister, c’est avoir un statut social (Deschamps, 1997), une reconnaissance marquée par des allocations, une valorisation dans une société où la maternité est bien vue, une protection, des regards bienveillants et des égards auxquels elle n’a pas été habituée. C’est « fabriquer quelque chose de beau ». C’est « avoir une occupation ».
La grossesse peut également être envisagée comme la transgression d’un interdit conceptionnel édicté par l’adulte à l’encontre de l’adolescent (Missonnier, 2009d). Les jeunes gens ont accès à la contraception, d’accord, mais faire des bébés, c’est nous ! Ce passage à l’acte transgressif représenté par une grossesse chez l’adolescente, révélerait un conflit vis-à-vis de l’autorité adulte.
Ces futures jeunes mères sont issues de familles nombreuses (80 %), désunies ou dont l’un des parents au moins est décédé, de faible niveau socio-économique et culturel. La plupart sont célibataires (70 %), et parmi celles qui sont en couple, une grosse majorité (75 %) se sépareront du père de leur enfant dans les 5 ans.63
Elles ont arrêté l’école, sont sans emploi, sans occupation, ont souvent été placées à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) dans leur enfance, peuvent l’être encore au moment de leur maternité, sont parfois suivies par un juge pour enfants. Leur vie a été chaotique, ballottées qu’elles ont été entre leur propre famille et des familles d’accueil (avec tous les conflits de loyauté engendrés) ainsi que des institutions ; une vie sans continuité affective, mais aussi sans stratégie de formation, sans fil rouge en quelque sorte. Sans compter qu’elles ont dans leur sac à dos quelques générations d’ancêtres aux difficultés similaires, une mère enceinte au même âge et aussi, souvent, en même temps qu’elles aujourd’hui. Parfois des conduites à risque, des addictions ont émaillé leur parcours et les premiers mois de la grossesse quand celle-ci est découverte tardivement. Par contre, une fois la grossesse diagnostiquée et investie, elles réduisent considérablement leur consommation, semblant, à cet égard, plus raisonnables que leurs aînées enceintes aux prises avec une addiction.