Chapitre 50 Rétinopathies paranéoplasiques
syndromesCancer-Associated Retinopathy(CAR)et Melanoma-Associated Retinopathy(MAR)
Les rétinopathies paranéoplasiques sont très rares et de diagnostic difficile, volontiers retardé. Elles regroupent les manifestations rétiniennes survenant chez des patients atteints de cancer systémique. Ces rétinopathies devront être distinguées des autres rétinopathies autoimmunes non liées à une tumeur (AZOOR, MEWDS, choriorétinopathie de type birdshot, sarcoïdose…) et des autres atteintes rétiniennes liées aux cancers ou à leurs traitements : métastases, infections, ischémie, troubles métaboliques, toxicité médicamenteuse rétinienne directe…
Ces rétinopathies, assimilées aux autres syndromes paranéoplasiques neurologiques, sont liées à un processus autoimmun médié par des anticorps anti-antigènes présents sur la tumeur et le tissu neurologique concerné, nommés antigènes onconeuronaux [1] (tableau 50-I). Il existe d’autres manifestations oculaires paranéoplasiques qui ne sont pas décrites ici : syndrome myasthénique paranéoplasique, ou syndrome de Lambert-Eaton, le plus fréquent, prolifération mélanocytaire uvéale (BDUMP), neuropathies optiques paranéoplasiques, sclérites paranéoplasiques…
CAR (Cancer-Associated Retinopathy) : rétinopathie associée au cancer
Cette rétinopathie autoimmune progressive subaiguë, décrite pour la première fois par Sawyer en 1976 [7], se retrouve autant chez les hommes que chez les femmes. Le cancer le plus souvent en cause est le cancer pulmonaire anaplasique à petites cellules (trente-huit cas sur cinquante rapportés dans une revue de littérature de 2003 [2]), suivi des cancers gynécologiques (endomètre, sein et ovaires), digestifs (côlon, pancréas, rate), puis adénocarcinome pulmonaire, cancers ORL, de la prostate, du thymus, lymphome… (tableau 50-II).
CLINIQUE, CHAMP VISUEL
L’atteinte est bilatérale, indolore, souvent asymétrique au début, parfois séquentielle ; elle précède de quelques semaines ou mois la découverte du cancer. Les symptômes cliniques correspondent à la destruction des cônes et des bâtonnets :
Le fond d’œil est normal au début puis apparaissent en quelques mois des modifications : rétrécissements artériolaires, modifications de l’épithélium pigmentaire parfois très importantes [13,23], pâleur papillaire (fig. 50-2). Plus rarement surviennent des signes inflammatoires : cellules intracamérulaires et intravitréennes, engainements vasculaires (artérioles et veines) [3]. Quelques cas d’atteinte exclusive des cônes ont été rapportés dans la littérature (dysfonction des cônes associée aux cancers) [2].
EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
Le bilan électrophysiologique, souvent normal au début, évolue vers une altération sévère des réponses photopiques et scotopiques à l’électrorétinogramme jusqu’à l’extinction de celui-ci (fig. 50-3).
De nombreux anticorps sont en cause, notamment (tableaux 50-III et 50-IV) :
Anti-recoverine | Anti-énolase | |
---|---|---|
Début | Brutal | Progressif |
Atteinte oculaire | Plus ou moins symétrique | Asymétrique |
Présentation | Baisse d’acuité visuelle sévère, atteinte centrale et périphérique | Très variable, atteinte centrale ou globale |
Évolution | Rapide, jusqu’à la perte de la fonction visuelle | Variable, rarement pire que 20/300 |
ERG | Atteinte sévère des cônes et bâtonnets | Variable, normal jusqu’à l’atteinte sévère des cônes |
ERG multifocal | Très anormal | Modérément anormal |
Réponse aux traitements immunosuppresseurs | Réponse en cas de traitement précoce | Incertaine |
Association à un cancer | Presque 100 % | Environ 40 % |
Diagnostic du cancer | La rétinopathie précède le cancer d’un mois à plus d’un an | La rétinopathie se développe de quelques mois à plusieurs années après le cancer |
(d’après Weleber, 2005 [32]).
D’autres anticorps de différents poids moléculaires pourraient aussi être en cause (anticorps anti-anhydrase carbonique II, 40 kDa, 45 kDa, 60 kDa, PTB-like protéine, protéines de type « neurofilaments »…) [28,56].
Les lymphocytes T activés joueraient également un rôle dans certaines de ces rétinopathies, qui pourraient être liées à un dysfonctionnement thymique et une perte de la tolérance immunitaire normale vis-à-vis des antigènes rétiniens [6,10,34,52].
Dans une publication récente vient d’être rapporté un cas de CAR lié à un thymome avec présence d’anticorps de 145 kDa agissant contre le segment externe des photorécepteurs (anti-IRBP, Interphotoreceptor Retinoid-Binding Protein) compliqué de néovascularisation maculaire traitée par photothérapie dynamique [55].
Certaines rétinopathies dégénératives sans cancer détectable après au moins cinq ans de suivi présentent également des anticorps, notamment des anticorps anti-recoverine ou anti-a-énolase. On parle alors de rétinopathie associée à la recoverine ou l’anti-a-énolase, ou rétinopathie semblable aux CAR (CAR-like retinopathy) [8,9,32,33]. Quant au tableau associant une rétinopathie à une neuropathie autoimmune avec différents anticorps et sans cancer, il est dénommé ARRON (Autoimmune-Related Retinopathy and Optic Neuropathy). Par ailleurs, de nombreuses tumeurs expriment la recoverine de façon aberrante mais ne sont pas associées à une rétinopathie [12]. L’atteinte des cellules de Müller par des anticorps anti-antigène de 35 kDa pourrait expliquer d’autres tableaux de rétinopathie progressive ; cliniquement, l’évolution semble plus lente, volontiers séquentielle, parfois familiale avec atteinte de sujets jeunes. Enfin, certaines formes de CAR liées à des anticorps anti-cellules bipolaires sont très proches du MAR [29,30].