5: Protocole méthodologique



Protocole méthodologique


Dès l’instant où il y a demande de prise en charge rééducative, et ceci quelles que soient l’origine de la demande et la prescription envisagée, il convient d’appliquer une méthode rigoureuse afin de ne pas se perdre dans le grand labyrinthe des atteintes des fonctions supérieures ni d’oublier notre objectif d’indépendance dans les activités de la vie quotidienne, voire d’autonomie. Ce chapitre a pour objet de dégager un protocole de prise en charge thérapeutique des trois troubles neuropsychologiques présentés dans cet ouvrage.


À partir de la synthèse d’une évaluation complète, un plan de traitement est élaboré. Le thérapeute fixe le trouble à rééduquer en priorité si d’aventure plusieurs coexistent, décide du contenu théorique de la thérapie et adapte les moyens tout en respectant les processus de restauration et les stratégies d’apprentissage. L’application de cette rééducation nécessite ensuite évaluation et validation.



5.1


Évaluation préthérapeutique


Le protocole débute par un « examen préthérapeutique [65] ». Ce bilan, composé de nombreux tests, évalue les capacités résiduelles et les impossibilités du patient. Il permet en outre de reconnaître, au milieu des symptômes, le ou les troubles cognitifs de base.


Il prend en compte les plaintes exprimées qui bien souvent révèlent un aspect du ou des symptômes suspectés. Luria [49] stipule que plus l’entretien avec le patient est précis et détaillé, plus l’interprétation de son comportement observable est aisée.


Quel que soit le patient hémiparétique adulte qui nous est confié, l’évaluation commence par le bilan de coordination, puis, après ceux des altérations sensitivo-motrices, par celui de l’apraxie constructive.



Bilan de coordination (cf. « Annexe »)


Objectifs


Le bilan de coordination poursuit quatre objectifs.




Conditions de passation et épreuves


Le bilan de coordination est proposé avant toute allusion thérapeutique, entretien et autres évaluations (dont motrice et sensitive), afin de ne pas sensibiliser le patient sur son côté plégique. L’examinateur respecte en particulier la position adoptée spontanément devant la table de travail sans intervenir sur cette installation. Il se place face au sujet.





a. Le bilan comporte quatre épreuves :



Outre le matériel nécessaire aux épreuves, proposé au fur et à mesure des impératifs de l’évaluation, l’examinateur met à disposition du patient un antidérapant, un poids et, pour la confection du paquet, des morceaux de scotch prédécoupés.


b. On le sollicite de la manière suivante :



 « J’ai besoin de savoir comment vous vous débrouillez. Voulez-vous plier cette feuille en quatre et la mettre dans cette enveloppe ? Si vous le désirez, voilà un poids pour aider à maintenir les éléments et un antidérapant pour éviter que les objets ne glissent sur la table. » Si le patient demande « Comment dois-je le faire ? », on lui répond : « Comme vous voudrez, comme si vous étiez chez vous. » Cette question, fréquente, repose la plupart du temps sur une recherche d’autorisation à n’utiliser que le membre supérieur sain.


 « Voilà des ciseaux et une feuille de bristol où sont dessinés trois traits. Voulez-vous découper sur les lignes ? »


 « Voilà une boîte et une feuille de papier. Je souhaiterais que vous fassiez un paquet. Vous avez à votre disposition quelques morceaux de scotch. » Ces derniers sont collés par moitié sur un support plastifié suffisamment lourd pour permettre leur décollement sans difficulté.


 « Un paquet cadeau est généralement entouré d’une ficelle. Voudriez-vous mettre celle-ci ? » Cette dernière épreuve n’est pas demandée à un sujet qui n’a pas réussi à faire un paquet qui se tienne.


Tout le temps que dure le bilan, le poids et l’antidérapant restent sur la table à portée de main.



Résultats et interprétations


Les résultats portent sur quatre observations : la compréhension des consignes, l’utilisation du membre supérieur plégique, la réalisation des épreuves et l’adaptabilité.




Utilisation du membre supérieur


On note ensuite l’utilisation spontanée du membre supérieur plégique, premier indice de son degré d’intégration au schéma corporel. Les épreuves sont toutes bilatérales, mais réalisables d’une seule main avec un minimum d’adaptation, et de l’ordre du quotidien. On observe les attitudes suivantes :






a. Le patient peut garder son membre supérieur plégique sur les genoux, pendant le long de son corps, posé à côté sur la table, laissé « sous le matériel » d’évaluation… ; il n’intervient jamais dans l’activité proposée. Cette « négligence » se rencontre quelle que soit la récupération motrice.


b. Quelle que soit la position de départ et lorsque aucune motricité volontaire n’existe, le patient peut utiliser son membre supérieur comme appui : la main saine vient chercher le membre supérieur plégique pour le poser sur l’objet à maintenir. Cette situation se rencontre par exemple lorsqu’il cherche à fixer l’enveloppe avec sa main plégique pendant que la saine introduit la feuille de papier. Il peut également l’utiliser comme contre-appui. Dans ce cas, il bloque le cube entre son buste et son avant-bras plégique pendant que la main saine organise le papier d’emballage.


c. En cas de récupération motrice, la participation bimanuelle peut être plus développée.


Si l’on prend soin de ne pas inciter le sujet à utiliser son membre supérieur plégique, si l’on dispose sur le plan de travail poids, ruban adhésif et antidérapant en expliquant leur rôle, on constate, hormis les problèmes moteurs et/ou sensitifs, que seuls les patients dont le membre supérieur n’est pas intégré réalisent ces activités d’une manière unilatérale. Par non-utilisation, doit être entendu aucune participation du membre supérieur de quelque ordre que ce soit. Totale ou partielle, elle soulève les questions suivantes :



Toute tentative d’utilisation doit être prise avec circonspection. Elle peut montrer l’intégration au schéma corporel d’un membre supérieur sans motricité volontaire ou être le reflet d’une attention particulière suscitée par le lieu et les circonstances dans lesquelles le patient se trouve.



Suspicion de troubles neuropsychologiques


On note encore, dans un but de suspicion de troubles des fonctions supérieures, la manière dont le sujet réalise les épreuves puisque, indépendamment de tout déficit moteur, voire de compréhension, il est anormal de ne pas savoir utiliser des ciseaux en fonction de la sinuosité d’une ligne ou de ne pouvoir organiser une feuille de papier autour d’une boîte…






a. Les repérages d’attention, d’appréhension et de reconnaissance visuelles sont sollicités dans toutes les réalisations. Les échecs ou difficultés d’exécution pourront être l’expression d’un déficit de ces fonctions.


b. L’exécution des consignes, bien qu’elles soient réalisées avec un support matériel, correspond à des ordres où la mise en œuvre volontaire d’un projet gestuel est éventuellement nécessaire. Dans cette perspective, une altération des exécutions soulève des questions relatives à la compréhension et/ou à l’aspect praxique.


c. Une mauvaise prise des ciseaux ainsi que leur utilisation défectueuse nous interrogent sur les aspects praxiques et sur la connaissance du corps. Leur mauvaise orientation par rapport aux lignes de découpe dirige notre recherche vers un trouble du schéma corporel ou de l’appréhension visuelle.


d. Un manque d’organisation du papier et de la ficelle autour du cube ainsi qu’une mauvaise réalisation du nœud et de la rosette laissent suspecter une apraxie constructive signe d’une atteinte neuropsychologique.





Évaluation de l’apraxie constructive (cf. « Annexe »)


L’apraxie constructive se définit habituellement comme l’incapacité à manipuler des éléments dans l’espace dans un but de construction, que celle-ci soit en plan ou en perspective sur une feuille de papier ou dans l’espace à l’aide de cubes ou de bâtonnets. Les hémiparétiques réalisent des productions différemment perturbées suivant le siège droit ou gauche de leur lésion cérébrale. Leur réalisation reflète une altération neuropsychologique, l’apraxie gestuelle pouvant néanmoins passer inaperçue (cf. chap. 4).


L’apraxie constructive apparaît comme un symptôme (cf. chap. 1) que l’évaluation met en évidence. Il est de ce fait indispensable de la tester d’emblée puisque les résultats confirment les observations faites dans le test de coordination ou révèlent des difficultés d’ordre praxognosique passées inaperçues. Barbizet [3] suggère que la pertinence des épreuves est à l’origine de l’entité nosologique de ce trouble décrit dès 1900.



Objectif


Ce bilan a pour objectif de déterminer si le patient présente des troubles neuropsychologiques assimilés à une perte du savoir-faire. Toute difficulté rencontrée est l’expression du déficit d’un ou plusieurs traitements cognitifs sous-jacents : praxie gestuelle, reconnaissance visuelle13, appréhension visuo-spatiale et/ou somatognosie. Les patients dont l’altération neuropsychologique ne relève pas uniquement d’un accident vasculaire (traumatisme crânien, par exemple) ne s’intègrent pas dans ce raisonnement.



Épreuves


Les épreuves permettant d’atteindre cet objectif sont de trois ordres : dessins spontanés, copiés et constructions.




Copies de dessins


L’examinateur donne au patient une série de dessins à recopier. Ils sont placés successivement sur la table, dans le plan sagittal du sujet qui les dessine au crayon sans pouvoir gommer. Les déplacements autorisés de la feuille et des modèles sont soigneusement notés.


On présente successivement les dessins d’un sapin, d’un cube et d’une maison présentée en perspective. On dit : « Voulez-vous dessiner ici ce que vous voyez sur cette feuille ? »


On complète cette épreuve de copie par celle d’une figure. Celle de Rey [59] permet entre autres choses d’évaluer les capacités constructives du patient. L’ECPA [88] met cette épreuve validée à la disposition des ergothérapeutes. Les feuilles de dépouillement, dont l’une des deux concerne les adultes, simplifient l’analyse et l’interprétation des résultats. À défaut, on peut utiliser la figure bizarre (fig. 5.2) correspondant à une forme géométrique complexe. Quelle qu’elle soit, elle doit être abstraite, facile à recopier et nécessiter une approche à la fois globale (vue d’ensemble) et analytique (rapports et situation des éléments).



Le protocole de la figure bizarre peut être le même que celui de la figure de Rey dans sa première partie [59]. On place la feuille où se trouve la figure devant le sujet dans un plan sagittal, ce dernier ayant à sa disposition des crayons de couleurs différentes dont l’ordre d’utilisation est soigneusement noté.


On dit : « Je vais vous demander de copier ce dessin en dessous du modèle et de commencer avec ce crayon. » On propose un crayon d’une autre couleur chaque fois que la chronologie dans la copie des éléments nous apparaît illogique. Une adaptation du protocole, plus évidente pour le patient, consiste à faire recopier la figure avec un crayon à mine de plomb et à retranscrire simultanément la stratégie qu’il utilise à l’aide de couleurs ou de chiffres.



Constructions


L’examinateur présente successivement au patient neuf cartes sur lesquelles sont représentées des constructions en cubes de difficultés croissantes. La chronologie est structurale : plus il y a de cubes et de rapports entre eux dans la composition, plus la construction est difficile. Sur ces cartes ne figure aucun repère de couleur ni quadrillage. Les trois premières cartes correspondent à un arrangement sur un niveau, les trois suivantes à un assemblage sur deux niveaux, les trois dernières à un montage sur trois niveaux ou plus (fig. 5.3). Cette épreuve est assimilable au test de Yerkes (cité in [49]).



Il est mis à disposition plus de cubes en bois qu’il n’en faut pour la construction la plus importante. Ils sont placés de part et d’autre du patient de façon à pouvoir observer un éventuel déficit du champ visuel. Chaque carte modèle est posée sur la table, dans le plan sagittal du patient.


On dit au patient : « Voici une carte où figure une construction de cubes ; je souhaite que vous la reproduisiez. » Si la première carte du premier niveau est aisément réussie, on propose la première carte du deuxième niveau. Si, à nouveau, cette étape ne pose pas de difficulté, on propose la première carte du troisième niveau qui est testé en totalité.


Le test de praxie constructive tridimensionnelle proposé par Benton [6] est aujourd’hui disponible pour les ergothérapeutes [88]. Il n’utilise pas des cubes, mais des blocs de bois de dimensions variées que le patient a le loisir de manipuler avant la réalisation des épreuves. Par ailleurs, les modèles proposés sont réels (construits par l’examinateur). Une version expérimentale propose pourtant les modèles sur photographies que l’on présente verticalement au patient. Selon Benton, le modèle photographique (représentation en deux dimensions) est plus difficile que le modèle réel (représentation en trois dimensions), tant pour les sujets normaux que pour les personnes cérébro-lésées. Une observation similaire est apparue avec les hémiparétiques droits et gauches lors de la mise en place de l’épreuve de construction de cubes, d’où le choix des cartes supports pour la passation de cette épreuve.


Le choix de blocs de bois de diverses dimensions et volumes est plus pertinent que celui de cubes. Il permet en effet de constater immédiatement les substitutions (remplacement d’une pièce par une autre de taille ou de forme incorrecte), ce qui est impossible si tous les éléments ont la même forme, et de visualiser plus facilement les déplacements (déviation angulaire lors du placement d’une pièce). Les autres critères de notation restent identiques (cf. « Stratégie de copie et de construction »).


Comme la déontologie le permet, il semble donc possible d’utiliser le test de praxie constructive tridimensionnelle de Benton. À défaut, l’épreuve des cubes est tout à fait pertinente.



Résultats


L’ensemble de ce bilan apporte des informations extrêmement variées dont il faut regrouper les données. Les interprétations proposées ne peuvent être confirmées que par la totalité de l’évaluation. Elles sont proposées à titre indicatif.



Utilisation de la feuille et aspect du dessin


La première observation concerne l’utilisation de la feuille. Elle est généralement retrouvée dans la représentation des dessins spontanés et copiés.






a. Le sujet investit la totalité de la feuille dans la mesure où il centre ses dessins. En parallèle, ses productions sont complètes.


b. Le sujet utilise la moitié droite ou gauche de la feuille. Sur ses productions, la même moitié est négligée. On s’interroge sur la présence d’une négligence visuelle ou corporelle dans l’hémi-espace non investi.


c. Le sujet utilise une moitié de la feuille. Les productions sont correctes. On envisage l’expression d’une hémianopsie latérale homonyme ou d’une héminégligence visuelle. Cette production signe éventuellement un trouble du schéma corporel.


d. Le sujet utilise correctement la feuille, mais ses productions sont incomplètes dans un hémi-espace. Sans pouvoir réfuter un trouble de l’appréhension visuelle, l’interprétation s’oriente volontiers vers un trouble du schéma corporel.



Analyse des dessins spontanés et copiés


La deuxième observation est relative à la production même du patient.






a. Le sujet réussit mieux les dessins spontanés que copiés. Les dessins copiés surchargés montrent une désorganisation des relations spatiales et des défauts de l’orientation dans l’espace. L’apport de repères par l’examinateur aggrave la production. On envisage une bonne représentation corticale et l’aspect perturbateur des repères visuels. On évoque l’existence de déficits spatiaux d’origine visuelle ou corporelle. Il s’agit généralement de sujets cérébro-lésés droits qui utilisent l’analyse et la programmation de l’hémisphère gauche.


b. Le sujet réussit mieux les dessins copiés que spontanés. Tous deux présentent pourtant une réduction des détails, un caractère simplifié et une exécution lente et hésitante. L’apport de repères par l’examinateur améliore les performances. On postule une mauvaise représentation corticale, un défaut de programmation ou un trouble du schéma corporel et l’aspect facilitateur des indices visuels. Les patients sont souvent cérébro-lésés gauches et utilisent l’hémisphère droit dont l’appréhension est plus visuelle et globale.


c. Le sujet ne montre pas de différence tangible entre les dessins copiés et spontanés. L’apport des repères visuels par l’examinateur est par ailleurs susceptible d’améliorer les performances. On imagine alors que ni le déficit d’appréhension visuelle de l’hémiparétique gauche ni le déficit d’analyse et de programmation du droit ne sont prédominants, mais que l’agnosie corporelle est sans doute déterminante.


L’ensemble de ces interprétations ne sont que des hypothèses que le reste de l’évaluation doit confirmer.


Les résultats de la copie de la maison et du cube ont fait l’objet, en particulier chez la personne âgée, d’études diverses et il semble que l’on puisse envisager une chronologie des erreurs. Elle signe l’importance de l’apraxie constructive : divergence des fuyantes, aplatissement de la base, rabattement des côtés, réduction du dessin à la face, closing-in (le patient dessine sur le modèle), incapacité de reproduire le modèle, dessin lacunaire et enfin persévération de certains détails (Mayer-Gross, cité par Hécaen [39]).



Stratégie de copie et de construction


La troisième observation est relative à la stratégie utilisée pour reproduire dessins et constructions.






a. La figure de Rey (ou assimilée) est appréhendée dans son ensemble et le patient commence par reproduire la forme globale (traitement de l’hémisphère droit du droitier) pour y adjoindre les détails localisés (traitement de l’hémisphère gauche du droitier). De même, il peut évaluer le nombre total de cubes dont il a besoin pour la construction et organise sa reproduction avec méthodologie. Par opposition, un hémi-espace et/ou des éléments ont pu être négligés. Puisque le traitement initial est global, on envisage alors, chez le droitier (fig. 5.4), que le travail de copie a été traité préférentiellement par l’hémisphère droit, ce qui laisse supposer un déficit de l’hémisphère gauche.



b. La figure de Rey (ou assimilée), voire la construction de cubes, est élaborée de proche en proche (traitement de l’hémisphère gauche du droitier) sans qu’aucun élément ne serve apparemment d’armature à la représentation. Le résultat final peut être tout à fait satisfaisant si la totalité du modèle a été appréhendée visuellement. Par opposition, un hémi-espace et/ou des éléments ont pu être négligés. On envisage alors, chez le droitier (fig. 5.4), que le travail de copie a été traité préférentiellement par l’hémisphère gauche. Le traitement étant analytique, on peut imaginer un déficit de l’hémisphère droit.


    Ceci étant, qu’elles soient globales ou analytiques, ces deux méthodologies de copie qui permettent une reproduction correcte du modèle ont été retrouvées lors de l’étalonnage de cette figure par les participants.


c. La figure de Rey (ou assimilée) est réduite à un graphisme peu ou pas structuré ; la construction n’est pas conforme au modèle ou non réalisée. On ne reconnaît pas le modèle, bien que certains aspects ou détails de celui-ci puissent être identifiables.


Une absence de stratégie ou une réalisation défectueuse des items oriente immédiatement l’examinateur vers l’existence d’un trouble neuropsychologique. Cette unique observation ne peut pas rendre compte de l’ensemble des éléments qu’apportent ces deux épreuves. Il se peut en effet que seuls des détails signent l’apraxie constructive. Dans ce cas, et pour identifier la richesse et l’exactitude de ces deux épreuves, il est intéressant de reprendre les critères proposés par Osterrieth [59] et par Benton [6], ce qui permet une évaluation chiffrée. La cotation de la figure bizarre adjointe à celle de la construction de cubes permet en cas de réussite, un total de 100 points.



Conclusion


Si le résultat de ce bilan n’est pas rigoureusement parfait dans toutes les épreuves, on doit s’interroger sur l’existence d’un ou plusieurs troubles cognitifs de base. On retiendra que la mise en évidence d’une apraxie constructive n’est surtout pas synonyme de sa rééducation. Selon l’hémisphère lésé et donc la représentation cérébrale, on évalue par contre les gnosies visuelles, l’orientation de l’attention spatiale responsable d’une éventuelle héminégligence, la somatognosie et les praxies gestuelles.


Chez l’hémiparétique droit, il est de notre devoir de tester les apraxies gestuelles même si aucune apraxie constructive n’est décelée. La nature même des épreuves peut permettre l’expression de la dissociation automatico-volontaire et de ce fait masquer ces troubles.



Entretien et observation


L’entretien, permettant de prendre en compte la plainte, les demandes et le projet de vie du patient, fait partie intégrante de l’évaluation préthérapeutique. Trois procédures complémentaires sont mises en place.






a. La première correspond à un entretien traditionnel qui consiste à poser des questions afin d’obtenir des réponses. Le thérapeute bénéficie généralement d’un questionnaire qui facilite le balayage rapide des items. Sont abordés les renseignements généraux (nom, prénom, âge, situation familiale et professionnelle, situation dans le temps et dans l’espace, anamnèse, nom des autres rééducateurs, emploi du temps à l’hôpital ou dans le centre, difficultés rencontrées pour l’indépendance dans la vie quotidienne, occupations en dehors des séances de rééducation…), les doléances du patient, ses demandes, voire son projet de vie. Ces renseignements laissent transparaître une photographie verbalisée à un instant T où le sujet ne dit que ce qu’il veut, mais où le thérapeute recueille des données riches sur le vécu conscient et réfléchi de l’hémiparétique, sur son orientation temporo-spatiale, ses capacités mnésiques et verbales…


b. La seconde procédure consiste à adjoindre à la première des mises en situation. L’entretien s’étend alors dans le temps puisque le thérapeute souhaite obtenir des réactions à partir d’événements vécus. L’expérience montre que les plaintes ne sont plus autant contrôlées, voire conscientes, et apparaissent en fonction des difficultés rencontrées. Parallèlement, la relation qui s’établit progressivement entre l’hémiparétique et le thérapeute favorise un dialogue qui ne peut s’établir d’emblée. Cette relation permet en particulier que soient verbalisées des plaintes qui n’auraient pu être abordées directement. L’examinateur peut alors évaluer l’incidence et le ressenti des déficits dans la vie affective et quotidienne et prendre en compte les données qui le contrarient, même inconsciemment.


c. Si cette seconde procédure met l’accent sur les « dires » de la personne dans le cadre de situations habituelles, elle souligne également que ces situations correspondent à celles de la vie quotidienne. L’ergothérapeute fait alors référence à l’observation du patient en activité, observation qui correspond à l’évaluation dite écologique.


Les ergothérapeutes utilisent ou « construisent » des mises en situation de la vie quotidienne, en lien avec les modèles cognitifs, dans l’objectif de mettre en évidence les caractéristiques comportementales qui signent une ou plusieurs déficiences données. En d’autres termes, ces mises en situation incluent dans l’évaluation le facteur environnemental dont le rôle, facilitateur ou obstacle, est fondamental. Cette évaluation permet de mettre en évidence les situations de handicap, résultats de l’interaction entre la personne, ses habitudes de vie et son environnement. Les résultats obtenus sont approfondis et éclairés par une évaluation analytique qui permet d’éclairer les incapacités par les déficiences. La plupart du temps, les fruits de l’observation correspondent à la plainte du patient et sont l’objectif fonctionnel de l’accompagnement thérapeutique.


Le thérapeute observe les gênes (incapacités), les ressources (capacités) et l’influence de l’environnement sur celles-ci. On entend par gênes les difficultés que la personne rencontre dans son action quotidienne de soins personnels, de productivité et de loisirs. Elles sont liées aux déficiences et s’envisagent en fonction des modèles théoriques qui les expliquent. Les ressources sont les compétences que la personne utilise ou pourrait développer pour surmonter ses difficultés. Elles sont davantage individuelles dans la mesure où elles correspondent aux capacités de la personne à mobiliser des structures disponibles : que peut faire la personne ? Que fait-elle de bien ? Que pourrait-elle faire autrement ? Pourquoi le fait-elle ainsi ? La plupart de temps, l’environnement n’est étranger ni aux gênes ni aux ressources dans la mesure où il facilite, ou à l’inverse fait obstacle, à la réalisation des tâches.


La méthodologie d’observation se réfère à ce que l’on voit, entend, ressent. Elle est le fruit de multiples questions en lien avec les modèles cognitifs qui permettent de comprendre le dysfonctionnement neuropsychologique. Le « comment observer » se recueille dans le vécu quotidien, dans les séances de rééducation… ou dans des situations reconstruites volontairement pour permettre de faire émerger des exemples qui permettront d’affirmer la lecture du résultat. Il est le fruit de toute l’équipe et ne peut être ponctuel. Comme le dit Seron, il s’agit d’« une méthode coûteuse en temps et qui n’est pas toujours facile à pratiquer ». Elle est cependant efficace et peut largement bénéficier d’une auto-évaluation [128].


Les questions que se pose le thérapeute permettent de guider l’observation et de l’orienter vers une déficience particulière. L’évaluation analytique permet de confirmer le diagnostic. Une aide à l’évaluation de la vie quotidienne est proposée en annexe.


Le modèle de Kielhofner [92,121] prend en compte la volition de la personne (intérêt, valeur, motivation) et son habituation (habitudes de vie et rôles). Prendre en compte ces paramètres permet d’orienter favorablement l’observation et le plan de traitement. L’ensemble des renseignements obtenus, qui peuvent être enrichis par le vécu de la famille, sont soigneusement notés : ils participent à l’interprétation des résultats des bilans autant qu’ils servent de cible à la rééducation.



Chronologie des bilans


Le bilan de coordination ouvre toujours l’évaluation quels que soient la prescription et l’hémiparétique adulte qui nous est confié. Afin de tester correctement les fonctions supérieures, il est indispensable de cerner rapidement ce qui peut avoir une incidence sur l’interprétation des résultats. Sont donc mis en évidence les troubles du tonus, de la commande motrice et de la sensibilité, repérées les diminutions du champ visuel (hémianopsie latérale homonyme…) et consultées les conclusions du bilan phasique proposé par l’orthophoniste qui permettent en particulier d’apprécier les difficultés d’évaluation dues aux troubles de la compréhension et/ou de l’expression. En d’autres termes, un bilan neurologique exhaustif est le prérequis indispensable.


On propose alors le bilan de l’apraxie constructive. Dans la suite du suivi thérapeutique, ce bilan sert de « baromètre » pour la pertinence du traitement. En cas de résultats imparfaits, même minimes, le thérapeute est tenu de poursuivre l’évaluation neuropsychologique.


Tout d’abord, les capacités de reconnaissance visuelle devraient être recherchées chez tous les hémiparétiques. En cas de troubles, il y aurait mauvaise performance pour l’ensemble des épreuves puisque les supports sont principalement visuels. La rareté de ce trouble dans l’hémiplégie vasculaire et la relative rapidité du diagnostic expliquent que cette évaluation ne soit pas systématique, mais réponde à une prescription particulière. En cas d’agnosie visuelle, seule l’adjonction du canal tactile aide éventuellement la poursuite de l’évaluation qui perd de sa pertinence, voire de son intérêt.


Chez le patient cérébro-lésé droit, on teste ensuite les capacités d’attention et d’appréhension visuelle, puis de connaissance du corps, alors que chez le gauche on recherche l’existence de troubles praxiques, puis du schéma corporel.


Indépendamment du bilan de coordination, cette chronologie est pourtant très didactique. Afin de raccourcir le temps de passation des épreuves, l’examinateur regroupe la plupart du temps certains tests. Il mêle par exemple les épreuves papier/crayon des bilans de l’apraxie constructive et du schéma corporel, voire d’appréhension visuelle, pour l’hémiparétique gauche. Dans la foulée, il demande dessins spontanés et copiés, dessin du bonhomme et épreuves de barrage… De même, il cumule chez l’hémiparétique droit celles relatives à l’évaluation des praxies gestuelles et des troubles du schéma corporel en proposant mimes (sans ou éventuellement avec objet), puis leurs imitations significatives et non significatives suivies d’autres latéralisées. Cette procédure est courante. Elle est bénéfique pour le patient qui se retrouve dans une chronologie logique et gagne du temps à son insu. Elle est utile au thérapeute qui interprète sur le champ les productions et cible rapidement un canal déficitaire. Elle présente cependant un aspect pervers caractérisé par la confusion des objectifs des différentes épreuves de l’évaluation.


L’examinateur ne peut pourtant pas tirer de conclusions quant à l’altération d’un trouble de base tant qu’il n’a pas éliminé certains paramètres intervenant dans l’évaluation ou pondéré ses constatations. Cette règle repose sur le principe de la double dissociation. Pour autant que soient ciblés les tests, plusieurs fonctions sont généralement impliquées dans leur performance. L’objectif est donc de mettre en évidence le dénominateur commun ayant contribué à l’échec lors des évaluations.


Le système de cotation des différents tests le plus utilisé semble être celui relatif à l’utilisation de couleurs (cf. chap. 2). Le vert (+) correspond aux épreuves maîtrisées, le rouge (−) signifie que l’item n’est pas acquis. Le bleu ou le noir (+/–) permettent d’envisager que la tâche doit être travaillée quant à son mécanisme d’élaboration. On lui préfère cependant les cotations (0), (1) s’orientant vers la normale et (2), (3) signant la pathologie (cf. chap. 2, « Conclusion » de « Évaluation des troubles du schéma corporel »). On peut cependant être partisan du tout (1) ou rien (0) (cf. « Évaluation des apraxies gestuelles » : « Évaluation » et « Résultat », chap. 4). Il est à noter que de plus en plus d’auteurs considèrent que le (0) est la normale, alors que le (1) correspond à l’échec de l’item.


L’examen préthérapeutique permet d’établir ce que beaucoup appellent la « ligne de base [65] ». Ce minimum acquis est le point de départ de la rééducation et la référence des progrès de la prise en charge.


Les divers protocoles d’évaluation proposés dans cet ouvrage sont importants en épreuves et en temps de passation. Dans la réalité des prises en charge thérapeutiques, certains tests sont privilégiés au profit d’autres et l’examinateur effectue un choix préférentiel qu’il approfondit éventuellement lors des bilans intermédiaires. On retiendra qu’une évaluation trop longue gêne les résultats, puisqu’elle ne favorise pas la disponibilité attentionnelle de l’hémiparétique.


Il est regrettable que si peu de tests soient validés et/ou disponibles pour les ergothérapeutes. Un travail d’équipe devrait pourtant permettre le partage des compétences et des outils. En particulier, une collaboration étroite entre les neuropsychologues, orthophonistes et ergothérapeutes apparaît comme fondamentale.



5.2


Construction du plan de traitement


Établir un plan de traitement est une étape fondamentale pour toute rééducation, qu’elle soit ou non neuropsychologique. Il fixe les indications et les contre-indications (encore nommées objectifs et situations à éviter) et envisage des moyens théoriques. Mais l’élaboration du plan de traitement doit également respecter une stratégie et s’accorder à la personnalité du patient.



Contexte


Processus de restauration


Les conceptions actuelles de la restauration des aires associatives reposent schématiquement sur trois principes [43].






a. On assiste à un « phénomène de compensation » lorsqu’un organe sain, participant à l’accomplissement d’une fonction, devient prépondérant après lésion de son homologue. La compensation peut être comparée à l’amélioration d’un système existant et impliqué. L’équilibre, assuré à 80–90 % par le vestibule et 10–20 % par la vision, peut ainsi être restauré après lésion. Des exemples du même ordre sont observés pour la vision.


b. On parle de vicariance lorsqu’une zone cérébrale, non alors impliquée, prend en charge une nouvelle fonction. Bien que fort discuté, ce principe semble retenu chez le petit enfant qui n’est jamais aphasique.


c. La plasticité cérébrale repose sur la capacité de réorganisation et de développement des connexions neuronales qui permet au cerveau de s’adapter aux altérations des structures nerveuses.


Les conceptions actuelles [43] de rétablissement (récupération de la fonction suivant un mode de fonctionnement analogue à celui antérieur) et de réorganisation (récupération de la fonction grâce à une organisation nouvelle permettant la même efficience) reposent sur ces principes et expliquent l’importance des stratégies d’apprentissage et de rééducation.



Stratégies d’apprentissage


L’homme apprend tout ce qu’il sait. On admet aujourd’hui que la répétition, nommée « anti-hasard », stimule de façon identique les mêmes récepteurs périphériques et entraîne le même type de réponse. Ce processus permet l’apprentissage considéré en particulier comme la capacité à adapter son comportement en fonction de l’environnement.


La répétition peut avoir un effet pervers et produire l’habituation. Dans ce cas, il y a diminution de la réponse neuronique face au renouvellement d’une stimulation identique qui perd peu à peu de sa signification. C’est ainsi que l’on s’habitue aux bruits et que progressivement le passage des avions de ligne au-dessus de son domicile cesse d’être un désagrément majeur. Pourtant, le survol d’un avion de tourisme ou l’arrivée à basse altitude d’un avion de ligne suppriment l’un comme l’autre cette inattention sélective. De même, une migraine peut favoriser la pertinence et l’intérêt pour tous les stimuli perturbateurs et permettre au passage des avions de ligne de retrouver leur rôle obsédant. Quel que soit le support anatomique de tels phénomènes, le rééducateur doit retenir deux principes :


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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 5: Protocole méthodologique

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