Chapitre 42 Arthrite juvénile idiopathique
L’arthrite juvénile idiopathique désigne des atteintes inflammatoires articulaires [1–3] survenant chez des sujets âgés de moins de seize ans, évoluant depuis au moins six semaines en dehors de toute autre cause d’arthrite [2, 4]. L’arthrite juvénile idiopathique est la plus fréquente des causes d’uvéite chez l’enfant. Le pronostic général, très variable à long terme, peut aboutir à un lourd handicap fonctionnel (retard de croissance, destructions articulaires, amylose) [5, 6]. L’uvéite antérieure en est la complication oculaire la plus fréquente. Cette uvéite chronique rhumatismale de l’enfant pose de véritables problèmes diagnostiques et thérapeutiques. Le pronostic visuel dépend du type d’atteinte articulaire, de la sévérité et de la chronicité de l’inflammation intraoculaire mais aussi de la précocité et de la qualité de la prise en charge, qui doit être multidisciplinaire.
Définitions, classification
Différentes définitions ont été successivement proposées (tableau 42-I). Les arthrites juvéniles idiopathiques constituent un groupe de pathologies non homogènes, réunies par des critères cliniques communs et s’individualisant ensuite selon des particularités cliniques ou biologiques observées au cours des six premiers mois d’évolution. En accord avec les critères de l’International League of Associations for Rheumatology (ILAR), l’arthrite juvénile idiopathique est divisée en sept sous-types après six mois d’évolution (tableau 42-II) [10, 11].
Année | Organisation | Définitions |
---|---|---|
1972 | American College of Rheumatology (ACR) [7, 8] | Arthrite rhumatoïde juvénile (ARJ) |
1977 | Ligue européenne contre le rhumatisme (EULAR) [9] | Arthrite chronique juvénile (ACJ) |
1997 | Conférence de consensus, Durban [10] | Arthrites juvéniles idiopathiques (AJI) |
2001 | Révision à Edmonton [11] | |
2004 | International League of Associations for Rheumatology (ILAR) [11] | Description de sept sous-types d’arthrites juveniles idiopathiques |
Épidémiologie
L’épidémiologie des arthrites chroniques de l’enfant est difficile à estimer compte tenu de la diversité des nomenclatures (tableau 42-III).
Arthrite juvénile idiopathique | Prévalence (Europe) [12] | 0,7 à 4,01 pour 10 000 enfants |
Prévalence (France) [13] | 3 000 à 5 000 enfants de moins de 16 ans | |
Incidence annuelle | 0,08 à 2,26 pour 10 000 enfants | |
Incidence annuelle en Europe du Nord [14, 15] | 20 à 25 pour 10 000 enfants | |
Uvéite avec arthrite juvénile idiopathique | Incidence annuelle en Europe du Nord [14, 15] | 0,2 à 0,4 pour 10 000 enfants |
L’hétérogénéité des formes cliniques et de leur évolution naturelle complique les analyses comparatives des études épidémiologiques publiées. Cependant, l’arthrite juvénile idiopathique constitue la plus fréquente affection systémique auto-immune de l’enfant et de l’adolescent [4, 7, 8, 12, 13].
Dans l’arthrite juvénile idiopathique la plus à risque d’uvéite, la forme oligoarticulaire avec anticorps antinucléaires de survenue précoce, l’incidence d’uvéite peut être de plus de 50 %. Cette incidence est en revanche plus faible dans les populations asiatiques et orientales [16].
Formes cliniques
Leurs principales caractéristiques sont regroupées dans le tableau 42-IV.
FORMES SYSTÉMIQUES : MALADIE DE STILL
La première description d’arthrite chronique de l’enfant fut publiée par Still en 1897. Le terme de « maladie de Still » est réservé à l’atteinte systémique. Elle se caractérise par une arthrite précédée ou accompagnée de fièvre oscillante, vespérale, quotidienne pendant au moins deux semaines associées à des signes généraux intenses. L’atteinte articulaire est inconstante au début de la maladie. Elle est symétrique et atteint principalement les grosses articulations. L’atteinte oculaire est exceptionnelle. Le bilan biologique n’est pas spécifique de l’affection et associe un syndrome inflammatoire, une hyperleucocytose, une thrombocytose et une hypergammaglobulinémie polyclonale. Les complications systémiques et articulaires sont très invalidantes [17–20].
FORMES OLIGOARTICULAIRES
La forme oligoarticulaire est définie par l’atteinte au plus de quatre articulations au cours des six premiers mois de la maladie. Un syndrome inflammatoire non spécifique est fréquemment observé. L’hyperleucocytose est inconstante mais peut être significative (supérieure à 15 000 cellules/mm3). L’élévation de la protéine Créactive accompagne les poussées, mais n’est prédictive ni de la sévérité des poussées, ni de la fréquence de celles-ci. Une élévation de la vitesse de sédimentation prend un caractère prédictif péjoratif lorsqu’elle est supérieure à 100 mm [21].
La présence d’anticorps antinucléaires (AAN), le plus souvent d’aspect moucheté, est à rechercher. Ils n’ont pas de spécificité anti-ADN ou anti-antigène soluble. Il n’existe pas de corrélation entre le titrage des anticorps et l’évolutivité de l’arthrite. La présence du facteur rhumatoïde (FR) renvoie aux limites actuelles de la classification : ces formes oligoarticulaires FR+ semblent proches des formes à début polyarticulaire également positives pour le facteur rhumatoïde [6].
FORMES POLYARTICULAIRES
Définie par l’atteinte d’au moins cinq articulations, la forme polyarticulaire touche toutes les articulations. On distingue les formes d’emblée très inflammatoires et les formes dites « sèches » détruisant les articulations à bas bruit et évoluant vers des raideurs articulaires invalidantes [22]. Elles se répartissent en trois groupes :
L’évolution articulaire est variable, mais le pronostic fonctionnel est souvent sévère.
ENTHÉSITES EN RAPPORT AVEC UNE ARTHRITE
L’uvéite antérieure aiguë y est classiquement symptomatique, caractérisée par un œil rouge, douloureux, avec photophobie, ressemblant à l’uvéite de type HLA-B27 de l’adulte. L’évolution oculaire est habituellement favorable si un traitement local de collyres corticoïdes et mydriatiques est débuté précocement [23].
RHUMATISME PSORIASIQUE
Cette forme concerne environ 5 % des patients psoriasiques et s’associe toujours à des lésions cutanées qui, rarement, peuvent débuter après le rhumatisme. Il s’agit d’un rhumatisme inflammatoire chronique déformant dont on décrit deux formes pouvant s’associer : un rhumatisme axial dont l’aspect est proche de la pelvispondylite rhumatismale, un rhumatisme périphérique atteignant essentiellement les articulations interphalangiennes distales [24].
Diagnostic différentiel
Le diagnostic d’arthrite juvénile idiopathique ne peut être retenu qu’après avoir éliminé toutes les autres causes d’arthrite. Elles sont résumées dans le tableau 42-V (non exhaustif).
Atteinte monoarticulaire | Arthrites infectieuses | Bactérienne : staphylocoque doré, gonocoque, streptocoque, Lyme… (fièvre, douleurs, signes locaux) Forme décapitée Ostéomyélite Mycobactérie : tuberculose Fongique : Candida, cryptocoque… |
Arthrites d’origine immuno-hématologique | Trouble de la crase sanguine Hémopathie maligne Métastase osseuse Drépanocytose Déficits immunitaires congénitaux ou acquis | |
Maladies métaboliques | Hyperuricémie Pseudohypoparathyroïdie Rachitisme, scorbut Diabète | |
Autres | Traumatisme, syndrome de Silvermann Dystrophies synoviales Ostéochondroses Tumeur synoviale | |
Atteinte oligoarticulaire | Arthrites infectieuses | Réactionnelle : mycoplasme, Brucella, Shigella, Yersinia, Chlamydia… Virale : rubéole, hépatite, adénovirus, herpès… |
Arthrites d’origine immuno-hématologique | Hémopathie maligne étastase osseuse Drépanocytose Déficits immunitaires congénitaux ou acquis | |
Autres arthrites inflammatoires avec manifestations systémiques | Rhumatisme articulaire aigu Vascularite Sarcoïdose Maladie périodique Lupus érythémateux disséminé Connectivite Dermatomyosite et polymyosite | |
Maladies métaboliques | Hyperuricémie Pseudohypoparathyroïdie Rachitisme, scorbut Diabète | |
Autres | Syndrome de Silvermann Dysplasies squelettiques héréditaires | |
Arthralgies sans arthrite | Arthrites d’origine immuno-hématologique | Hémopathie maligne Ostéosarcome Métastase |
Tumeurs musculosquelettiques | Bénigne : ostéome ostéoïde Maligne : sarcome ostéogénique, tumeur d’Ewing, fibrosarcome… | |
Autres | Ostéonécrose aseptique Algoneurodystrophie Arthralgies psychogènes, algopathomimie |
Facteurs biologiques
Les enfants atteints d’arthrite juvénile idiopathique présentent de nombreuses anomalies biologiques, en particulier un syndrome inflammatoire ; ce sont cependant principalement deux marqueurs qui sont systématiquement recherchés (tableau 42-VI) : le facteur rhumatoïde (FR) et les anticorps antinucléaires (AAN).
Facteur rhumatoïde (FR) | Rarement positif |
Anticorps antinucléaires (AAN) | 40 % (surtout dans les formes oligoarticulaires) |
La présence d’anticorps antinucléaires — le plus souvent détectés par immunofluorescence et dont le dosage dépend de la méthode utilisée par le laboratoire — concerne un groupe spécifique de malades. Il est montré que leur présence majore le risque de développer une uvéite et influe sur le type d’arthrite [25]. Le mécanisme physiopathologique précis n’est pas encore élucidé puisque la nature de l’antigène responsable de la positivité des anticorps antinucléaires dans l’arthrite juvénile idiopathique n’est pas connue [26].
Certaines études ont trouvé une corrélation entre l’atteinte articulaire et oculaire avec une auto-immunité dirigée contre le collagène de type II, localisé au niveau des articulations et du vitré, alors que d’autres auteurs ont évoqué la possibilité d’autoanticorps croisés contre un antigène rétinien à l’origine de l’uvéite [26, 27].
Facteurs génétiques et environnementaux
Certaines formes familiales et quelques atteintes de jumeaux monozygotes ont été rapportées, suggérant l’implication de facteurs génétiques, sans toutefois de modification de la prise en charge [28–30]. Ainsi, des publications évoquent une association directe entre des formes cliniques d’arthrite juvénile idiopathique et des allèles du HLA, cette association variant également en fonction des ethnies [31, 32]. Il semble que la forme oligoarticulaire à AAN+ soit associée à l’antigène HLA-DR5/DW8 [29].
L’incidence de l’arthrite juvénile idiopathique varie en fonction des études, ce qui suggère l’implication de facteurs environnementaux, une étude anglaise retrouvant notamment un nombre important d’arthrites juvéniles idiopathiques associées à une infection virale de type influenza A [33, 34].
Manifestations oculaires au cours de l’arthrite juvénile idiopathique
L’uvéite antérieure est l’atteinte oculaire la plus fréquente, avec une incidence d’environ 20 %. L’arthrite juvénile idiopathique constitue l’une des principales causes d’uvéite antérieure de l’enfant [35]. Les principaux facteurs de risque sont repris dans les tableaux 42-VII et 42-VIII.
Âge < 6 ans (risque relatif : 2,4) |
Sexe féminin |
AAN+ (risque relatif : 2,77) |
Forme oligoarticulaire |
L’inflammation oculaire apparaît de façon insidieuse. Elle est asymptomatique au début, avec un œil classiquement blanc et une acuité visuelle conservée. L’atteinte oculaire peut se compliquer d’une baisse d’acuité visuelle, qui peut longtemps passer inaperçue chez l’enfant. Un examen ophtalmologique systématique régulier (tableau 42-VIII) des enfants atteints d’arthrite juvénile idiopathique est donc le moyen le plus efficace pour la dépister [36].
D’évolution le plus souvent chronique, l’atteinte oculaire peut aussi être aiguë et évoluer sur un mode récidivant. Rarement, elle revêt la forme d’une panuvéite [36–38]. Il n’existe pas de parallélisme entre la gravité de l’atteinte oculaire et l’importance de l’atteinte articulaire. L’uvéite devient bilatérale au cours des deux premières années et dans environ 75 % des cas [39]. Si l’atteinte est unilatérale, il sera peu probable après un an d’évolution d’observer une atteinte du second œil [40]. L’uvéite survient en moyenne à l’âge de quatre ans, un an après la survenue de l’arthrite et 90 % seront apparues dans les quatre ans. Le risque d’uvéite devient négligeable après sept ans d’évolution d’une arthrite juvénile idiopathique [3, 41].
Le tyndall cellulaire et le tyndall protéique, idéalement mesurés au laser flare-cell meter (en photons par milliseconde), permettent de coter l’intensité et l’évolutivité de l’inflammation intraoculaire. Il apporte des informations pour la surveillance thérapeutique. Dans certains cas de réponse leucocytaire massive, un hypopion sévère et douloureux peut être observé, posant le diagnostic différentiel parfois difficile d’un rétinoblastome endophytique pseudo-uvéitique diffusé au segment antérieur (fig. 42-1) [42]. Le stroma irien peut être inflammatoire et les vaisseaux dilatés, avec parfois une rubéose (fig. 42-2).
Un examen ophtalmologique complet, après dilatation pupillaire si les synéchies le permettent, est indispensable afin de dépister des complications et, surtout, pour éliminer une autre cause d’uvéite. La tomographie en cohérence optique (OCT) a montré une fréquence d’œdème maculaire plus importante que celle habituellement rapportée [43].
Diagnostic différentiel ophtalmologique
Les principaux diagnostics différentiels d’arthrite juvénile idiopathique sont résumés dans le tableau 42-IX.
Uvéite et arthrite de l’enfant | Pseudo-uvéites |
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Sarcoïdose oculaire Rhumatisme articulaire aigu Collagénoses Maladie de Behçet Uvéites d’origine infectieuse : syphilis, maladie de Lyme, parasitoses… Syndrome de Blau | Rétinoblastome (< 5 ans, pseudo-hypopion, hyalite) Xanthogranulome juvenile (< 1 an, hyphéma) Lymphome, leucémie (pseudohypopion, hyphéma) Corps étranger intraoculaire (panuvéite) Décollement de rétine ancient (réaction cellulaire antérieure) |