4: Psychopathologie des conduites d’endormissement et du sommeil

4 Psychopathologie des conduites d’endormissement et du sommeil



Généralités


La clinique des troubles du sommeil de l’enfant est, à tous les âges, d’une grande variété, mais il faut d’emblée souligner l’extrême importance des perturbations précoces. Comme toute conduite déviante, la signification d’un trouble du sommeil n’est pas univoque : elle dépend de la nature même de ce trouble, de son intensité, des signes associés, de l’âge de l’enfant, de son évolution. Toutefois l’attention s’est portée ces dernières années sur les troubles graves du sommeil du nourrisson : leur présence est souvent l’indice d’une profonde perturbation soit de l’organisation de la personnalité, soit des interactions précoces.


En outre, avec l’utilisation des enregistrements électroencéphalographiques nocturnes, l’étude des troubles du sommeil est en complet renouveau : elle représente un domaine privilégié de confrontation fructueuse entre chercheurs venus de disciplines différentes, voire traditionnellement divergentes.



Sommeil : aspect électrophysiologique


L’enregistrement prolongé de l’EEG de nuit a mis en évidence à la fois la similarité morphologique des divers stades du sommeil repérés chez l’adulte ou chez l’enfant, mais aussi les différences dans la répartition quantitative de ces stades.


Fait fondamental, les caractéristiques du sommeil évoluent très rapidement lors des premiers mois de la vie. Rappelons brièvement les principales phases du sommeil décrites à partir des enregistrements électriques. Le sommeil se divise en deux grandes phases :



Au cours du sommeil, on observe une alternance périodique de ces diverses phases : le SP succède habituellement à une phase de sommeil lent et profond. La signification de ces deux types de sommeil serait aussi différente, le sommeil lent s’accompagnant d’une reconstitution énergétique ou d’une synthèse protéique (au cours du sommeil lent, l’hormone de croissance présente un pic sécrétoire), tandis que le SP correspondrait à l’expérience du rêve (cf. Sommeil et rêve).



Distinction entre sommeil de l’adulte et sommeil de l’enfant


Par rapport au sommeil de l’adulte, celui de l’enfant se distingue par quatre particularités.







Sommeil et rêve



Corrélation électrophysiologique


Il ne fait plus de doute que le SP correspond à l’activité du rêve : les sujets (enfants ou adultes) réveillés au moment d’une phase de SP se souviennent toujours avec précision d’un rêve, ce qui n’est pas le cas quand on les réveille lors du sommeil profond. On a aussi observé une corrélation entre l’intensité dramatique du rêve et l’intensité des manifestations propres au SP (pauses respiratoires, accélération cardiaque). Enfin l’expérimentation animale montre que la phase de SP s’accompagne d’activités automatiques lorsqu’on lève l’inhibition motrice par destruction des centres inhibiteurs (Jouvet). On note une évolution des phases de SP au cours de la nuit qui sont plus importantes en fin de nuit, avec une activité onirique accrue, et semble-t-il moins anxiogène (Snyder).


La fonction du rêve et du SP reçoit des explications variables :




Abord psychanalytique et psychogénétique


Depuis les travaux de Freud, sommeil et rêve occupent une place de choix dans la théorie psychanalytique. Sans avancer des équivalences simplistes et trop réductrices entre deux champs de recherche très hétérogènes, le domaine électroencéphalographique d’un côté, le domaine psychanalytique et psychogénétique de l’autre, on peut dire que certaines hypothèses émises dans ces domaines se chevauchent, tandis que d’autres paraissent incompatibles, comme nous le verrons.


Pour Freud, le rêve est un compromis entre la « réalisation d’un désir imaginaire inconscient » et l’effet de l’abaissement de la censure devenue plus tolérante grâce au sommeil, associé toutefois au maintien de l’activité préconsciente qui préserve le sommeil. Sans revenir ici sur le travail du rêve, c’est-à-dire les mécanismes mentaux qui préludent à l’élaboration onirique (figuration, condensation, déplacement), le rêve est considéré par Freud comme un phénomène passif de décharge des désirs inconscients et comme le « gardien du sommeil » : il permet la continuité de ce dernier en liant l’énergie instinctuelle qui menace le psychisme d’effraction traumatique. Ce rôle de liaison et de maintien de la continuité est repris par Fain et David dans une perspective légèrement différente de celle de Freud : le rêve serait un instrument au service des mécanismes d’intégration du Moi permettant de lier l’énergie instinctuelle du Ça à des représentations psychiques, donc de créer des schèmes d’interactions unissant un affect à une représentation psychique, schèmes à partir desquels l’activité psychique pourrait être progressivement liée (Houzel, Braconnier).


M. Khan de son côté distingue le « récit du rêve » et l’« expérience du rêve ». Le « bon rêve est un rêve qui grâce à un travail du rêve réussi, incorpore un désir inconscient et peut ainsi, d’une part permettre au sommeil de se poursuivre et d’autre part rester disponible à l’expérience psychique du Moi une fois la personne réveillée ». En revanche, le « récit du rêve » est le résultat d’un échec : le processus physiologique du rêve reste clivé de l’expérience qu’en fait le sujet, et n’a pas de valeur pour l’élaboration des conflits internes. En quelque sorte, le récit du rêve est le résultat d’une introjection, tandis que l’expérience du rêve procède d’une intériorisation (Houzel).


Chez l’enfant, outre l’évolution des besoins quantitatifs en sommeil, la distinction entre récit du rêve et expérience du rêve permet d’aborder le problème de l’apparition de la fonction onirique. L’imagerie du rêve est particulièrement riche, mais ce n’est pas avant 2 ans, 2 ans et demi qu’on peut obtenir un récit de rêve. C’est la raison pour laquelle L.B. Ams considère que le rêve apparaît vers l’âge de 2 ans. En revanche, d’autres auteurs s’attachant non pas au récit, mais à ce qui serait une expérience préverbale, estiment que l’expérience onirique de satisfaction hallucinatoire d’un désir serait beaucoup plus précoce, les divers organisateurs de la vie psychique définis par Spitz servant à en repérer l’évolution (Faim, Kreisler). Il apparaît certain, tant à la lumière des recherches électroencéphalographiques, que de l’observation comportementale de bébés au cours du sommeil, et des acquis de la psychologie du développement, que les préformes du rêve apparaissent dès la première année. La nature des rêves varie : rêve–réalisation de désir, rêve–reviviscence d’événements passés agréables ou non, rêve de punition, rêve d’angoisse ou cauchemars. En fonction du degré de maturation de l’enfant, de ses capacités d’expression, de son vécu propre, le récit du rêve est extrêmement varié. La majorité des études (Foulkes, Zlotowicz, Braconnier) porte sur des enfants entre 6 et 12 ans : ils révèlent d’une part la très étroite relation entre la vie psychique à l’état de veille et l’activité onirique, d’autre part l’évolution de cette activité onirique au cours de la nuit. Les rêves de fin de nuit sont souvent plus agréables, plus riches, tant sur le plan du vocabulaire que sur celui des thèmes rapportés. Les rêves d’angoisse sont particulièrement fréquents, mais certains auteurs pensent que le « bon rêve » subit un refoulement tel qu’il est oublié lors du réveil ; seul le cauchemar serait remémoré, d’où l’apparente fréquence de ceux-ci.


La fonction et la signification du sommeil évoluent elles aussi avec l’âge, expliquant en partie certaines conduites pathologiques. Si au début l’alternance sommeil/veille dépend étroitement de l’alternance satisfaction/besoin, rapidement la dimension du désir, la capacité de régression, la nature de la relation à la mère modifient ce rythme binaire. Avec la maturation psychoaffective, le sommeil et le rêve pourront traduire :



Ainsi, pour s’endormir, l’enfant doit pouvoir se reposer, s’étayer sur une bonne image fusionnelle mère–enfant protectrice, accepter cette régression et l’investir d’une charge libidinale non menaçante. Le rôle de l’entourage est précisément d’aménager l’aire transitionnelle de l’endormissement (Soulé) pour que la régression soit acceptée, voire espérée. La fréquence des perturbations ou des difficultés d’endormissement des enfants est l’illustration a contrario de la fragilité de cette aire intermédiaire d’endormissement.


La confrontation entre les théories psychogénétiques ou psychanalytiques et les données électroencéphalographiques est enrichissante, même s’il convient de se garder de toute équivalence simpliste (Braconnier). Certaines hypothèses émises par Freud paraissent peu compatibles avec les connaissances actuelles sur la physiologie du sommeil : ainsi la régulière récurrence du SP et de l’activité onirique, avec les divers systèmes neurorégulateurs de type inhibiteur qui l’accompagnent va à l’encontre d’un déclenchement passif du rêve. De même, le rôle de gardien du sommeil ne correspond pas aux résultats des expériences de privation de SP : il semble exister un lien étroit entre l’activité psychique vigile et l’activité psychique onirique. En revanche, le rôle de décharge des tensions instinctuelles et surtout la fonction de liaison entre un état affectif de base et une représentation psychique semblent se retrouver en concordance dans les deux champs de recherche.

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 4: Psychopathologie des conduites d’endormissement et du sommeil

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