Chapitre 4 Principes des cartes topographiques de courbure
Les cartes de courbure ont été les premières cartes disponibles pour les cliniciens. Elles ont été élaborées à partir de l’analyse informatisée de l’image spéculaire (c’est-à-dire de réflexion) d’un disque de Placido sur la surface antérieure de la cornée.
La cornée agit comme un miroir convexe et l’image réfléchie des mires de Placido (qui était visualisée directement avec les techniques de kératoscopie), est alors capturée par une caméra numérique, puis analysée par un logiciel dédié.
Qu’est-ce que la courbure ?
Intuitivement, la courbure s’oppose à la « droiture », ou à la « platitude ». La courbure désigne en effet la quantité dont un objet géométrique dévie d’un plan (objet tridimensionnel) ou d’une ligne droite (courbe bidimensionnelle).
Pour aborder la notion de rayon de courbure, il est plus commode de débuter par le cas simple d’une structure bidimensionnelle (par exemple, une « ligne courbe » tracée dans le plan de cette page ou courbe plane), que par celui d’une structure tridimensionnelle (par exemple, la surface courbe formée par un dos de cuiller).
Courbure d’une ligne courbe (espace à deux dimensions)
La courbure d’une ligne courbe est définie comme celle du cercle qui touche de près la courbe au point d’intérêt. Il s’agit du cercle « tangent » à la courbe plane au point considéré, encore appelé cercle osculateur, du latin osculare, embrasser. Le rayon de courbure d’une courbe en un point donné est simplement le rayon du cercle osculateur au niveau de ce point (Fig. 4.1). La courbure indique la propension locale de la courbe à se comporter comme un cercle de plus ou moins grand rayon.
Courbure d’une surface (espace à trois dimensions)
Par extension avec la courbure d’une courbe (rayon du cercle osculateur), la courbure d’une surface courbe déployée dans un espace tridimensionnel est définie par le rayon de courbure de la sphère osculatrice au point considéré de cette surface (Fig. 4.2). En topographie cornéenne, cette approche n’est pas ou peu utilisée à des fins cliniques, sauf dans le mode dit « courbure moyenne ».
La sphère osculatrice au sommet de la surface bleue est représentée ici en rose. Le rayon de courbure apical est donc celui de la sphère osculatrice au sommet S.
Les modes habituels de représentation en courbure (ex : mode axial, mode tangentiel) correspondent plutôt à la représentation de la courbure locale de courbes engendrées par l’intersection de la surface cornéenne avec un plan de coupe dont la direction est prédéfinie.
La courbure peut varier en fonction de la direction du méridien contenu par le plan perpendiculaire le long duquel elle est mesurée (Fig. 4.3). Ce n’est que dans le cas d’une sphère que le rayon de courbure est égal au rayon d’une sphère en tout point de la surface sphérique, et ce quelle que soit la direction du plan de coupe (Fig. 4.4).
Fig. 4.3 En tout point O d’une surface courbe non sphérique, la courbure varie selon la direction de coupe.
Il existe au point O considéré une infinité de courbures, dont les valeurs sont comprises entre celles des courbures extrêmes. Les deux courbures extrêmes en chaque point sont sur des directions de coupes perpendiculaires. Les directions de coupe extrêmes sont surlignées en bleu et rouge au niveau de leur intersection avec la surface mesurée. Une direction de courbure intermédiaire a été représentée avec son plan de coupe et soulignée en pointillés verts au niveau de l’intersection avec la surface. La courbure correspond à l’inverse du rayon du cercle osculateur situé dans le plan de la direction considérée pour sa mesure (représenté ici pour la courbure explorée dans le plan de coupe souligné en bleu).
Par conséquent, pour déterminer la courbure d’une surface tridimensionnelle qui n’est pas sphérique, comme une cornée, des plans de mesure doivent être choisis. Ces plans coupent la surface au point de mesure ; l’intersection de chaque plan avec la courbe est une courbe : on est alors ramené à l’étude de la courbure d’une ligne courbe. Rappelons qu’une moyenne effectuée entre des mesures de courbure réalisées le long des plans de coupe fournirait une valeur moyenne pour la courbure locale d’une surface. La courbure moyenne en un point d’une surface correspond par exemple à la moyenne (arithmétique ou géométrique) entre les valeurs minimale et maximale mesurées en ce point ; elle se rapproche de la véritable définition mathématique de la courbure d’une surface tridimensionnelle (le rayon moyen est proche de celui de la sphère osculatrice). Cette approche est toutefois peu usitée en clinique ; la courbure de la surface est mesurée le long de directions particulières.
La notion de choix de direction de mesure est importante pour comprendre les différences entre les représentations en modes de courbure dite « axiale (ou sagittale) » et « tangentielle (ou instantanée) », et leurs limites respectives [1]. La Fig. 4.5 montre un exemple de carte en mode tangentiel : un méridien horizontal (choisi arbitrairement) a été souligné en bleu. Les chiffres en mm se rapportent à la valeur du rayon de courbure local, c’est-à-dire à des points mesurés arbitrairement.
Rendu des cartes de courbure
À chaque fois que l’on interprète une carte de courbure (axiale, tangentielle ou moyenne), il faut impérativement garder à l’esprit que l’on regarde en fait des « rayons de courbure ». Les cartes en échelle millimétrique sont ainsi conçues pour et attribuent en général une couleur d’autant plus chaude que les rayons de courbure mesurés sont petits. L’utilisation de cartes en rayon de courbure est naturellement préférée en contactologie, quand il s’agit de guider le choix du rayon d’une lentille d’essai.
Quand l’échelle d’une carte de courbure est en dioptries, il faut bien garder à l’esprit qu’il s’agit de « dioptries de courbures », et non de dioptries de puissance optique. Ces dioptries sont calculées comme l’inverse du rayon de courbure (exprimé en mètres) multiplié par la différence entre l’indice kératométrique (égal à 1,33) et l’indice de l’air (égal à 1). Au voisinage du sommet de la cornée (et seulement à cet endroit), les dioptries de courbure sont égales aux dioptries de puissance optique, à condition de mesurer une cornée « standard », dont on présume que la cornée postérieure à une courbure proportionnelle à la cornée antérieure ; en moyenne, la face postérieure réduit la puissance optique de la cornée antérieure d’environ 10 % (ceci est lié au gradient d’indice de réfraction négatif entre humeur aqueuse et stroma cornéen). L’indice kératométrique est un indice minoré (l’indice de réfraction physique réel du stroma cornéen est proche de 1,376). Ce choix est destiné à compenser l’absence de mesure de la face postérieure de la cornée : en effet, quand on utilise la valeur n = 1,33 au lieu de n = 1,376, on obtient une puissance optique réduite d’environ 10 %.
On peut légitimement s’interroger quant au choix d’un indice minoré, destiné à rendre plus réaliste un calcul de puissance optique, pour le calcul du rendu de cartes de courbure. Cette généralisation remonte à une époque où il n’existait pas de méthode clinique simple pour mesurer la courbure de la face postérieure de la cornée (et donc d’en calculer la puissance optique). Le lecteur est invité à s’accoutumer à ce fait mais à rester attentif à ceci : les cartes axiales ou instantanées légendées en dioptries sont des cartes de courbure, et non de puissance optique. Ce point est développé dans le chapitre 5.
Ainsi, pour une carte de courbure, une zone représentée par des couleurs « chaudes » est simplement une zone où la courbure est plus importante (les rayons de courbure y sont plus petits). Inversement, une zone de couleurs plus froides est une zone où la courbure est moindre (les rayons de courbure sont plus grands).