Chapitre 4 Chirurgie esthétique des paupières
Blépharoplasties chirurgicales conventionnelles
Introduction
Si le terme de blépharoplastie fut reconnu en Arabie depuis le premier millénaire [1], il fallut attendre Dupuytren en 1893 pour assister à la première publication de la technique d’exérèse cutanée dans les blépharoplasties [2], puis Bourguet en 1928 pour la description de l’ablation des logettes graisseuses par voie conjonctivale dans les blépharoplasties inférieures [3].
À la suite des travaux d’Ilouz en 1977 [4], Coleman fut le premier dans les années 1980 à introduire le concept d’apport tissulaire par injection de graisse autologue dans le traitement des paupières creuses [5].
C’est ainsi que la reconnaissance des nombreuses formes anatomocliniques des différents types de disgrâces palpébrales pouvant être rencontrées (et qui ne sont pas toujours reconnues par le patient) doit être réalisée de manière précise, permettant, après un examen clinique correctement conduit, de poser une indication adaptée à la demande du patient et à son état anatomique [6].
Indications et classification des blépharoplasties
Paupières supérieures
Dans l’ensemble, en paupières supérieures, les principales disgrâces palpébrales rencontrées sont les suivantes [6] :
• l’excès cutanéo-orbiculaire isolé : il s’agit du classique dermatochalasis sans lipoptose associée ;
• la lipoptose isolée ou prépondérante affectant en règle générale la loge graisseuse interne ;
• l’excès cutanéo-orbiculaire associé à une lipoptose, cas le plus fréquemment rencontré à partir de la quarantaine ;
• les problèmes de pathologie du pli de la paupière supérieure avec possibilité d’absence de pli de manière uni- ou bilatérale, d’asymétrie du pli palpébral, de double pli, ou encore de malposition du pli ;
• les paupières creuses, qu’elles soient d’origines constitutionnelles ou plus souvent postopératoires, survenant après des blépharoplasties esthétiques avec excès de résection graisseuse ;
• enfin, des cas particuliers : la ptose de la glande lacrymale, l’insuffisance de résection graisseuse postopératoire source de lipoptose résiduelle, les poches dites « symptômes » que l’on peut voir dans le cadre des orbitopathies dysthyroïdiennes ou, plus rarement, au cours de certaines tumeurs orbitaires responsables de protrusion graisseuse – ces différentes formes sortant du cadre de ce texte [7].
Paupières inférieures
En paupières inférieures, schématiquement, il est possible de classifier les principales indications de blépharoplasties en plusieurs groupes [6] :
• l’excès cutané pur, localisé à la paupière inférieure sans lipoptose, ou trouble de la statique palpébrale, associée ;
• les troubles de la trophicité cutanée de la paupière inférieure (paupières froissées et/ou fripées) sans lipoptose associée ou excès de peau caractérisé. Ces formes cliniques particulières relèveront plus d’un traitement par peeling cutané ou par resurfacing au laser à l’Erbium ou au laser CO2 fractionné que d’un traitement chirurgical ;
• l’excès musculaire isolé sans excès cutané ou lipoptose associée, dont le traitement peut faire appel à une résection isolée et ciblée d’une partie du muscle orbiculaire ;
• la lipoptose isolée sans excès cutané ni trouble de la statique palpébrale, dont la forme clinique typique est représentée par la lipoptose juvénile ;
• l’excès cutanéo-orbiculaire associé à une lipoptose sans trouble de la statique palpébrale ;
• la lipoptose associée à un excès cutanéo-orbiculaire et à des troubles de la statique palpébrale par distension de la sangle tarsotendineuse ;
• les problèmes de lymphœdèmes et de poches malaires, caractérisés par la présence d’un excès tissulaire situé au niveau du rebord infraorbitaire ;
• les paupières creuses, qu’elles soient d’origines constitutionnelles ou plus souvent postopératoires, secondaires à un excès de résection graisseuse après blépharoplastie esthétique antérieure ;
• enfin, des cas particuliers : les poches « symptômes », témoins d’une pathologie générale sous-jacente (orbitopathie dysthyroïdienne, tumeurs) ; les lipoptoses d’origine post-traumatique, pouvant survenir après certaines contusions orbitaires ; les poches résiduelles séquellaires de blépharoplasties esthétiques précédemment réalisées [7].
Examen clinique
L’examen clinique doit être précédé d’un interrogatoire minutieux qui va permettre de dépister d’éventuels facteurs de risque et/ou des contre-indications opératoires. Cet interrogatoire précise les antécédents généraux, qu’ils soient psychologiques, médicaux ou chirurgicaux, ainsi que les antécédents ophtalmologiques médicaux et chirurgicaux [6].
Antécédents généraux
Examen clinique
Méthodique, bilatéral, comparatif, l’examen clinique est d’abord statique puis dynamique [6].
Examen palpébral
En paupières inférieures, l’examen va permettre d’apprécier d’avant en arrière [6] :
• l’état cutané, dans son aspect quantitatif (recherche d’un excès cutané en position primaire et dans le regard vers le haut) et qualitatif (recherche de paupières froissées par la présence de fines ridules superficielles tégumentaires) ; l’existence d’un lymphœdème (qui n’est pas modifié par la pression sur le globe oculaire à la différence de la lipoptose), de troubles de la coloration tégumentaire (cernes, xanthélasmas), ainsi que des rides d’expression au niveau du sillon sous-palpébral et au niveau de la patte d’oie ;
• l’état de l’orbiculaire, parfois siège d’une hypertrophie de sa portion prétarsale, pouvant être mise en évidence lors du sourire et dans le regard vers le haut, ou d’une hypoaction révélée lors de l’occlusion forcée ;
• l’excès de graisse orbitaire en position primaire et dans le regard en haut au niveau de chaque loge graisseuse ;
• la région préseptale inférieure et de l’arcus marginalis pour dépister une éventuelle paupière creuse ;
• la tonicité de la sangle tarsotendineuse avec réalisation systématique des tests de traction antéropostérieure, nasale et temporale afin de dépister toute laxité qui pourra éventuellement être traitée dans le même temps chirurgical que celui de la blépharoplastie esthétique ;
• enfin, l’existence de « poches symptômes » (orbitopathie dysthyroïdienne, lésion tumorale, atteinte osseuse, etc.) ; celles-ci doivent être diagnostiquées car leur traitement est celui de la pathologie causale.
Techniques chirurgicales
Les techniques chirurgicales des blépharoplasties se décomposent dans l’ensemble en deux grands groupes qui sont fonction de l’indication opératoire. En effet, nous avons vu que les différents types de formes anatomocliniques des blépharoplasties se différenciaient schématiquement entre les excès et les déficits de tissus intrapalpébraux.
Techniques de résection tissulaire (techniques conventionnelles)
Les techniques de blépharoplasties dites conventionnelles (résections tissulaires) sont très nombreuses [8]. Schématiquement, elles ne diffèrent que par le type de voie d’abord pour la paupière inférieure (antérieure ou cutanée, postérieure ou conjonctivale) et par le matériel utilisé (bistouri électrique traditionnel, bistouri à radiofréquence, laser CO2, etc.).
Blépharoplasties supérieures
Quelles que soient les indications des blépharoplasties esthétiques supérieures conventionnelles, la voie d’abord est toujours antérieure (cutanée). Par ailleurs, hormis quelques rares techniques spécifiques, telles que la chirurgie des paupières orientales, la prise en charge des malpositions du pli palpébral ou les blépharoplasties associées à une malposition minime du bord libre palpébral (ptosis ou rétraction), les blépharoplasties conventionnelles consistent en la résection d’un excès tissulaire, qu’il soit cutanéo-orbiculaire pur ou associé à une lipectomie.
Lorsque ce type de blépharoplastie est réalisé de manière isolée (c’est-à-dire en dehors de tout acte associé de chirurgie esthétique localisé sur la face), plusieurs éléments sont à prendre en considération afin d’obtenir un résultat optimal. Il est bien entendu nécessaire de posséder une très bonne connaissance de l’anatomie chirurgicale des paupières, de disposer d’un matériel adapté à la chirurgie plastique ophtalmologique, d’être rigoureux sur la qualité de l’hémostase, et surtout d’intervenir sur de bonnes bases, d’où l’importance du dessin [9].
Dessin
Le dessin doit être réalisé avec un trait fin au crayon dermographique spécifique sur une peau nettoyée et désinfectée avec un produit antiseptique ne modifiant pas la souplesse cutanée (fig. 4.1).
Il comporte un trait inférieur et un trait supérieur réunis par deux angles. Il doit être réalisé de manière bilatérale et symétrique (fig. 4.1).
Enfin, il est nécessaire le plus souvent de garder une distance constante d’environ 1 cm entre le trait supérieur et la partie inférieure du sourcil (fig. 4.1).
Techniques chirurgicales des blépharoplasties supérieures
Excès cutanéo-orbiculaire isolé (fig. 4.2A,B)
L’incision est réalisée soit à la lame Parker (n° 15), soit au bistouri monopolaire muni d’une pointe Colorado, soit au bistouri à radiofréquence, soit encore au laser CO2.
L’incision est franche, cutanéo-orbiculaire d’emblée, un peu plus profonde au niveau du trait supérieur qu’au niveau du trait inférieur, afin de ne pas risquer de traumatiser les éléments sous-jacents à ce niveau (fig. 4.3).
L’excision tissulaire est cutanéo-orbiculaire. Elle est réalisée largement au niveau du segment nasal de la paupière supérieure (enlevant en bloc peau et orbiculaire préseptal), de manière plus contrôlée au niveau du segment central (afin de respecter les éléments anatomiques fragiles sous-jacents, en particulier l’insertion tarsale de l’aponévrose du muscle releveur), et enfin de manière incomplète au niveau du segment latéral de la paupière supérieure, où la majorité des auteurs préfèrent garder à cet endroit une certaine quantité de muscle orbiculaire, afin de limiter l’apparition d’un lymphœdème possible en postopératoire) [10] (fig. 4.4).
La fermeture de l’incision peut être réalisée soit par des points séparés de monofil 6.0, soit par un surjet intraorbiculaire de monofil 5 ou 6/0 (fig. 4.5A,B).
La qualité de la future cicatrice est certes conditionnée par la netteté de l’incision, mais également par le type de fermeture réalisée. En effet, la plupart des auteurs s’accordent à dire que la mise en place d’un surjet intraorbiculaire, s’il est techniquement plus difficile que l’établissement de points séparés, permet d’obtenir la rançon cicatricielle la plus discrète possible [11].
Il est parfois possible d’utiliser un fil résorbable (Vicryl 7/0) en surjet passé (encore appelé surjet cutanéo-orbiculaire) (fig. 4.6), ou en surjet sous-cutané intraorbiculaire dans certains cas particuliers (patients pusillanimes, éloignement géographique, habitudes du chirurgien, etc.). Il faut alors prévenir le patient du développement d’une rançon cicatricielle potentiellement moins bonne, et l’application sur la plaie en postopératoire d’une pommade cortisonée est ici recommandée.