Chapitre 36 Uvéites intermédiaires
Définition
La première description date de 1908, par Fuchs, qui avait nommé cette maladie « cyclite ». Ce terme a été repris en 1942 par Duke Elder. De nombreuses dénominations ont été utilisées par la suite, comme « cyclite périphérique », « cyclite chronique », « vitrite » ou « hyalite ».
En 1987, l’International Uveitis Study Group (IUSG) a proposé de classer les uvéites en quatre catégories : les uvéites antérieures, intermédiaires, postérieures ainsi que les panuvéites [1]. Le terme d’uvéite intermédiaire a été précisé par la suite par le groupe de travail du SUN (Standardization of Uveitis Nomenclature) : ce terme devait être utilisé pour le sous-groupe d’uvéites où le vitré est le site principal de l’inflammation. La présence d’un engainement vasculaire périphérique ou d’un œdème maculaire ne devrait pas changer la classification. Le terme de pars planite devrait être réservé au sous-groupe d’uvéite intermédiaire où il y a « banquise » inférieure (snowbanking) ou formation de condensations vitréennes en « œufs de fourmis » (snowballs) survenant en l’absence d’infection associée ou de maladie systémique (étiologie idiopathique) [2].
Épidémiologie
Selon les séries d’uvéites publiées, les uvéites intermédiaires sont responsables de 7 % à 41,7 % des uvéites de l’enfant [3–12] ou de 10 % à 22,9 % des uvéites tous âges confondus [12–24] (tableau 36-I). L’uvéite intermédiaire survient de préférence chez les enfants et les jeunes adultes entre cinq et trente ans [25]. Au-dessus de soixantecinq ans, il s’agit d’une atteinte relativement rare ; seuls deux patients ont été observés avec une uvéite intermédiaire sur une cohorte de 21 644 patients suivis entre 1991 et 1999, alors que l’incidence d’une uvéite est de trois cent quarante pour 100 000 personnes par année [26]. Malheureusement, les chiffres rapportés dans la littérature reflètent le plus souvent la proportion de chaque type d’uvéite dans une consultation spécialisée en uvéites et non une incidence réelle : ces chiffres peuvent être biaisés en fonction du type de recrutement du centre. L’importance de l’inflammation est très variable. Une hyalite modérée est le plus souvent asymptomatique ; l’incidence de cette atteinte est donc probablement plus élevée dans la population générale que ce qui est classiquement rapporté.
Physiopathogénie
Selon l’éditorial de Gary Holland dans l’American Journal of Ophthalmology en 2006 [27], la pars planite reste une énigme, comme cela avait été évoqué en 1996 par Aarberg [28]. Il ne faut cependant pas oublier que les uvéites intermédiaires, dont les pars planites, sont un groupe très hétérogène de maladies.
Une association avec l’haplotype HLA-DR2 a été retrouvée chez 50 % à 70 % des patients [29]. Une susceptibilité individuelle est également suspectée dans cette atteinte puisque les patients atteints d’uvéite intermédiaire peuvent présenter l’allèle HLA-DR15, l’un des allèles sous-types de HLA-DR2 (odds ratio 2,86-7,5) [30,31]. Une association familiale a également été rapportée chez 15 % des patients. Une augmentation des molécules d’adhérence CD54 (ICAM-1) a été retrouvée dans le sérum de patients atteints d’uvéite intermédiaire, ce qui est un indice d’activation de l’endothélium des vaisseaux sanguins. Une augmentation de la production de certaines interleukines, telles que l’IL-8, a été retrouvée dans l’humeur aqueuse [32,33], tandis que, dans le vitré, il s’agit d’une augmentation principalement de l’IL-6 [34].
Il est également intéressant de noter qu’une association a été établie entre la fumée de cigarette et la survenue d’un œdème maculaire cystoïde, comme cela a pu être démontré lors d’une étude portant sur deux cent huit patients atteints d’uvéite intermédiaire dont 43 % présentaient un œdème maculaire cystoïde lors du diagnostic [24]. Cette étude démontre l’importance de certains cofacteurs, qui pourraient être déterminants pour la mauvaise évolution de certains cas.
Manifestations cliniques
SYMPTÔMES
Les patients atteints d’uvéite intermédiaire se plaignent avant tout d’une diminution de l’acuité visuelle et de myodésopsies, qui sont plus ou moins marquées en fonction de l’importance de la hyalite. La maladie présente le plus souvent un début progressif et insidieux et peut, à ses débuts, passer tout à fait inaperçue. La diminution de l’acuité visuelle est variable, dépendant d’une part de la présence d’opacités vitréennes et, d’autre part, de la présence d’un œdème maculaire cystoïde. La photophobie et la douleur sont généralement absentes. L’atteinte est bilatérale par définition lors de pars planite mais peut être asymétrique.
SIGNES CLINIQUES
La vitrite (hyalite) est le signe cardinal de l’uvéite intermédiaire. Son importance est variable et est liée à la sévérité de la maladie. Dans les formes mineures, seule une discrète inflammation de la pars plana est présente, avec quelques cellules visibles lors de l’examen de la périphérie rétinienne inférieure au biomicroscope et à l’aide de la lentille de 90 dioptries. L’examen à l’ophtalmoscope indirect associé à une indentation sclérale à 4 mm du limbe en regard de la pars plana est l’examen de choix pour détecter la présence de cellules inflammatoires amassées sous la forme d’une « banquise » inférieure (fig. 36-1) ou par des amas classiquement décrits comme des « œufs de fourmis » ou des amas en « boules de neige » (snowballs) (fig. 36-2). Le segment antérieur est en général peu cellulaire avec un effet tyndall modéré. Cette discrète rupture de la barrière hémato-aqueuse a pu être démontrée par la mesure de l’inflammation au laser flare meter[35]. L’examen détaillé de la périphérie rétinienne est nécessaire pour mettre en évidence un engainement vasculaire symptomatique de vascularites (fig. 36-3).
Laboratoire et investigations
Un bilan sommaire est résumé dans le tableau 36-11. Un bilan complet doit exclure en particulier une sarcoïdose systémique. Des maladies rares, telles que la maladie de Whipple [36,37], la maladie de Crohn [38], ou d’autres atteintes infectieuses telles que l’infection par Borrelia hermsii ont également été évoquées comme associations potentielles pouvant provoquer une uvéite intermédiaire [39]. Une relation a également pu être démontrée entre le virus HTLV-1 et la présence d’uvéite intermédiaire [40] (cf. chapitre 22).
Numération-formule sanguine Vitesse de sédimentation Protéine C-réactive | |
Sérologies | Borrelia burgdorferi Borrelia hermsii Bartonella henselae Bartonella quintana Bartonella spp. Toxoplasma gondii VDRL, TPHA Toxocara canis |
T-SPOT.TB ou QuantiFERON-TB Gold | |
Examen des urines | |
Radiographie du thorax de face et de profil | |
Tomodensitométrie thoracique avec coupes fines (facultatif) | |
IRM cérébrale en cas de suspicion de sclérose en plaques |
Une IRM cérébrale est recommandée chez les sujets de plus de vingt-cinq ans présentant une atteinte compatible avec une sclérose en plaques. Dans une petite série de vingt et un patients, des lésions démyélinisantes à l’IRM cérébrale été présentes chez plus de 40 % d’entre eux, particulièrement au-delà de l’âge de vingt-cinq ans [41]. Ces chiffres sont à considérer avec une certaine prudence puisqu’une partie de cette étude a été effectuée de façon rétrospective. Lors d’uvéite intermédiaire, le risque de développement d’une sclérose en plaques est estimé entre 8 % et 16 % [41] (cf. chapitre 31).
MESURE DU TYNDALL AU LASER
Le laser flare meter, ou mesure automatisée du tyndall, est un examen utile pour mesurer la rupture de la barrière hématooculaire en chambre antérieure. Bien que la rupture de la barrière hémato-aqueuse soit en général faible à modérée lors de l’uvéite intermédiaire (tyndall de 19,1 ± 2,9 photons/milliseconde)[35], une corrélation positive a été retrouvée entre le taux de complications observé et la valeur initiale du tyndall mesuré par laser flare meter[42].
TOMOGRAPHIE À COHÉRENCE OPTIQUE (OCT)
La détection précoce et non invasive de l’œdème maculaire est actuellement possible grâce à l’utilisation de l’OCT dont la résolution actuelle est passée de 10 μm à 5 pm. La limite de son utilisation est la présence d’une hyalite importante, provoquant des interférences dans la captation du signal. Il s’agit d’un examen de choix permettant le diagnostic d’un œdème maculaire cystoïde (fig. 36-4). La détection d’une membrane épirétinienne, complication fréquente des uvéites intermédiaires, est également possible.
ANGIOGRAPHIE
L’angiographie fluorescéinique est un examen de choix puisqu’il permet en particulier de détecter et de quantifier l’importance de l’œdème maculaire cystoïde ou des vascularites rétiniennes lors de pars planite (fig. 36-5). L’angiographie au vert d’indocyanine rend possible l’exploration de la choroïde. Cet examen est particulièrement utile pour exclure une pathologie granulomateuse oculaire, telle que la sarcoïdose ou la tuberculose (fig. 36-6). Des lésions caractéristiques hyperfluorescentes focales aux temps tardifs de l’angiographie au vert d’indocyanine apparaissent également lors de la syphilis oculaire, grande imitatrice pouvant, dans certains cas, se présenter comme une uvéite intermédiaire avec vasculite modérée ou sévère [43].