Chapitre 3 Pathologie tumorale maxillofaciale
La pathologie tumorale maxillofaciale se caractérise aussi bien sur le plan clinique que radiologique ou anatomopathologique par son extraordinaire diversité qui est le reflet de la complexité de son anatomie et de la variété de ses composants. Le massif facial est en effet la seule structure anatomique complexe à associer aussi bien des structures osseuses, cartilagineuses, mésenchymateuses que des structures dentaires à des composants vasculaires, nerveux, cutanéomuqueux… C’est cette diversité jointe à sa fréquence qui en fait toute la difficulté diagnostique mais aussi tout l’intérêt. Elle associe les pathologies bénignes dominées dans leur singularité par les tumeurs odontogéniques où le bilan repose à la fois sur les clichés standards (panoramique dentaire) et le scanner, et les formes tumorales bénignes non odontogéniques ainsi que les tumeurs malignes où le bilan repose alors sur le scanner éventuellement complété dans le cadre du bilan d’extension par l’IRM [1, 2].
Pathologie tumorale et pseudotumorale bénigne dite odontogénique des maxillaire
Tumeurs et pseudotumeurs dérivées de l’appareil odontogénique
Nous aborderons ici les principales lésions par leur présentation radiologique la plus classique, leur classification (sur la base de la classification internationale de 1992) étant regroupée dans les tableaux 3-1 et 3-2 [1–5].
1. Tumeurs odontogéniques épithéliales sans induction de l’ectomésenchyme odontogénique |
Améloblastome |
Tumeur odontogénique épidermoïde (tumeur épithéliale odontogénique bénigne) |
Tumeur épithéliale odontogénique calcifiante (tumeur de Pindborg) |
Tumeur odontogénique adénomatoïde (adéno-améloblastome) |
Tumeur odontogénique à cellules claires |
2. Tumeurs odontogéniques mixtes (épithéliales avec ectomésenchyme odontogénique) avec ou sans formation de matériel dur |
Fibrome améloblastique |
Fibrodentinome (dentinome) et fibro-odontome améloblastiques Odontomes (complexes et composés) |
Odonto-améloblastome |
Kyste épithélial odontogénique calcifié et tumeur odontogénique calcifiée à cellules fantômes |
3. Tumeurs odontogéniques mésenchymateuses et/ou ectomésenchymateuses (avec ou sans inclusion d’épithélium odontogénique) |
Fibrome odontogénique |
Myxome odontogénique, myxofibrome |
Cémentoblastome bénin |
1. Tumeurs radioclaires |
Améloblastome |
Tumeur épithéliale odontogénique calcifiante (tumeur de Pindborg) (stade précoce) |
Fibrome améloblastique |
Kyste épithélial odontogénique calcifié (stade précoce) |
Myxome odontogénique |
Cémentoblastome bénin (exceptionnellement radioclair) |
2. Tumeurs radio-opaques |
Odontome (complexe ou composé) |
Cémentoblastome bénin (stade mature) |
3. Tumeurs mixtes |
Tumeur épithéliale odontogénique calcifiante (tumeur de Pindborg) (stade mature) |
Tumeur odontogénique adénomatoïde |
Fibrodentinome et fibro-odontome améloblastique |
Odonto-améloblastome |
Kyste épithélial odontogénique calcifié |
Myxome odontogénique |
Le bilan repose le plus souvent de première intention sur le panoramique dentaire en raison de la fréquence des atteintes mandibulaires, éventuellement complété par une TDM qui est par contre l’examen réalisé de première intention dans les lésions maxillaires.
Lésions radioclaires
Améloblastome
L’améloblastome est une tumeur odontogénique épithéliale sans induction de l’ectomésenchyme odontogénique (tableau 3-1). Il est la plus fréquente des tumeurs odontogéniques bénignes, représentant 1 % de l’ensemble des kystes et tumeurs et près de 11 % de l’ensemble des tumeurs de la région maxillomandibulaire.
Survenant vers les 3e–4e décennies, il touche avec prédilection la mandibule (plus de 80–90 % des cas), l’atteinte maxillaire étant beaucoup plus rare, avec une prédilection pour la région angulaire prémolo-molaire (fig. 3-1 à 3-3). Classiquement dans sa forme évoluée, il apparaît sur le panoramique dentaire comme une large lésion bien limitée, multigéodique, en « bulles de savon » confluentes.
Fig. 3-3 Améloblastome mandibulaire.
Coupe TDM coronale. Petit processus multigéodique bien limité développé dans la région de 44-45.
Les corticales refoulées sont amincies. Les rhizalyses sont habituelles, évocatrices, ainsi que les déplacements dentaires. Les calcifications sont par contre toujours absentes. On recherchera avec soin de petites lésions géodiques à distance, sources de récidives ultérieures. La TDM, en dehors des érosions osseuses, précise l’extension locorégionale et le contenu lésionnel : formes kystiques à contenu liquidien souvent volumineuses et à la paroi d’épaisseur variable rehaussée par l’injection de produit de contraste, ailleurs associées à une formation tissulaire plus ou moins importante également rehaussée par le contraste correspondant aux formes anatomopathologiques folliculokystiques ou plexiformes [1–3, 6, 7].
Mais l’améloblastome peut aussi simuler d’autres lésions bien limitées d’aspect bénin : kératokyste devant une lésion développée dans l’axe mandibulaire, lésion piriforme s’insinuant entre les racines dentaires, voire kyste odontogénique simulant un kyste dentigère du fait de sa fréquente association avec une dent incluse. Des associations lésionnelles en particulier avec les kystes odontogéniques sont également possibles, parfois sans traduction radiologique ; cependant, le pronostic est alors lié à l’améloblastome soulignant l’importance d’un diagnostic anatomopathologique précoce [1, 2].
Le pronostic de ces améloblastomes est lié à son pouvoir récidivant notable (plus de 20 % des cas, plus élevé dans les formes solides) nécessitant une surveillance étroite et prolongée basée sur les panoramiques dentaires (réapparition d’images radioclaires) au niveau mandibulaire et la TDM au niveau maxillaire. La forme histologique influe sur le pronostic comme en témoigne le taux relativement bas des récidives des formes unikystiques (10-25 %) alors que les rares formes desmoplastiques récidivent dans près de 90 % des cas (du fait d’une infiltration médullaire précoce) [8].
Fibrome améloblastique
Le fibrome améloblastique représente le stade le moins différencié des tumeurs mixtes, c’est-à-dire des tumeurs épithéliales avec ectomésenchyme odontogénique (avec ou sans formation de matériel dentaire dur). Il ne contient aucun élément minéralisé de nature dentaire. Sa nature reste discutée ainsi que son étiopathogénie évoquant ainsi d’une part sa nature tumorale et d’autre part le considérant comme le stade initial le moins différencié d’un développement hamartomateux où le stade totalement minéralisé serait représenté par l’odontome complexe. Prédominant également au niveau mandibulaire postérieur, cette tumeur rare survient précocement, vers la 2e décennie. Elle se traduit par une image purement lytique, sans aucune calcification, parfois soulignée par un liseré dense (fig. 3-4). Si elle est associée à une dent incluse (fréquente), elle simule volontiers un kyste dentigère [1, 2, 9]. La surveillance reste nécessaire à la recherche d’éventuelles récidives.
Tumeurs radio-opaques
Odontome (complexe ou composé)
L’odontome est une lésion odontogénique caractérisée par la présence de tissus dentaires durs, émail et dentine [1–3]. Il peut apparaître sous forme d’un conglomérat de multiples petites dents miniatures ou rudimentaires (odontome composé) ou sous forme d’une lésion dense amorphe (odontome complexe). Il représente la plus fréquente des tumeurs odontogéniques.
L’odontome composé survient souvent plus précocement que l’odontome complexe (2e décennie dans 75 % des cas). Il prédomine dans la région antérieure, volontiers en association avec une canine incluse et s’accompagne souvent d’une inclinaison des dents adjacentes parfois mobiles (fig. 3-5). La présence d’un halo clair périphérique n’est pas rare.
L’odontome complexe survient plutôt au cours des 3e–4e décennies, prédominant dans les régions mandibulaires postérieures. Ovale, rond ou lobulé, il s’associe dans près d’un tiers des cas à une dent incluse, le plus souvent dent permanente, mais parfois aussi dent de lait voire dent surnuméraire (fig. 3-6). Au stade évolué son diagnostic est aisé, mais à un stade plus précoce il peut ne se traduire que par une image beaucoup plus trompeuse (stade non minéralisé), géodique, ailleurs grisée, bien limitée, proche des aspects observés avec soit les fibromes améloblastiques, soit les fibro-odontomes améloblastiques.
Cémentoblastome bénin
Seule « vraie » tumeur d’origine cémentaire issue de l’ectomésenchyme odontogénique, le cémentoblastome bénin est une lésion rare qui prédomine dans 80 % des cas au niveau mandibulaire. Il se traduit par la présence de multiples opacités de tonalité cémentaire, confluentes et appendues de façon arrondie et bien limitée à une racine dentaire (le plus souvent la première molaire), très évocatrices. Un halo périphérique correspond à la présence de tissu non minéralisé [10]. Bien que totalement bénin, la fréquence des récidives nécessite une chirurgie parfois assez agressive et une surveillance à distance.
Tumeurs d’aspect mixte
Si les formes opaques sont donc ainsi souvent évocatrices, la plupart des lésions odontogéniques se traduisent cependant par des aspects mixtes associant sur un fond généralement bien limité radiotransparent des formations denses le plus souvent de nature calcique qu’il importe de reconnaître, leur présence excluant non seulement certaines pathologies tumorales odontogéniques comme l’améloblastome, mais aussi d’autres lésions beaucoup plus fréquentes comme la plupart des kystes des maxillaires, en particulier kératokyste et kyste dentigère. Les difficultés diagnostiques sont de plus augmentées par la prédominance peu spécifique des lésions au niveau mandibulaire postérieur et par la fréquence des associations avec des dents incluses.
Tumeur épithéliale odontogénique calcifiante (tumeur de Pindborg)
La tumeur épithéliale odontogénique calcifiante (ou tumeur de Pindborg) est (comme l’améloblastome) une tumeur odontogénique épithéliale. Beaucoup plus rare que lui (1 %), la tumeur de Pindborg prédomine aussi au niveau mandibulaire postérieur. Initialement lytique et bien limitée, ses limites deviennent plus irrégulières en augmentant de taille, multiloculaires. Une dent incluse est associée dans 60 % des cas (fig. 3-7). Comme l’améloblastome, elle ne s’accompagne pas en TDM d’extension dans les parties molles adjacentes. En revanche, des calcifications sont habituelles, évocatrices, augmentant en taille et en nombre avec l’évolution [1, 11]. Les récidives ne sont pas rares (10-15 % des cas), nécessitant une exérèse chirurgicale complète et une surveillance à distance soigneuse [11].
Fibrodentinome et fibro-odontome améloblastique
Ils se traduisent comme lui par une zone lytique bien limitée mais contiennent de façon variable des opacités de tonalité dentaire (simple semis, spicules ou encore conglomérats denses) (fig. 3-8). Cependant, lorsque la minéralisation est insuffisante, leur détection peut n’être parfois obtenue que par l’histologie [1, 9, 12]. Il s’agit aussi d’une lésion bénigne, traitée par énucléation simple.
Odonto-améloblastome
Appartenant au même groupe des tumeurs mixtes, cette très rare lésion se caractérise par son âge de survenue jeune, sa prédominance masculine et surtout son siège, volontiers antérieur rétrocanin [1]. Son aspect est souvent proche des fibro-odontomes améloblastiques, mais des variantes sont possibles, soit plus proche de l’odontome avec prédominance des opacités, soit au contraire proche de l’améloblastome avec un aspect expansif marqué. Dent incluse et rhizalyses sont habituelles.
Kyste épithélial odontogénique calcifié
Dernière tumeur du groupe des tumeurs odontogéniques mixtes, cette tumeur rare, au siège maxillaire discrètement prédominant, se présente le plus souvent sous forme kystique (98 % des cas) (fig. 3-9), beaucoup plus rarement sous forme solide plus agressive connue sous le terme de tumeur odontogénique à cellules fantômes [1, 13].
Comme les autres tumeurs de ce groupe elle apparaît sous forme d’une image radioclaire, bien limitée, refoulant les corticales avoisinantes. Elle se caractérise par la présence de fines calcifications, souvent périphériques qui peuvent être mieux mises en évidence par la TDM. Parfois, elles ne seront cependant décelées que par l’histologie qui reste encore ici essentielle en mettant en évidence les amas caractéristiques de cellules fantômes, momifiées (ghost cells). Une dent incluse est fréquemment associée (1/3), ainsi que des odontomes [10, 14]. Après énucléation simple, la récidive est rarement observée dans les formes kystiques simples contrairement aux formes solides plus agressives et plus infiltrantes où le taux de récidive est plus proche de celui observé dans les améloblastomes.
Fibrome odontogénique
Le fibrome odontogénique appartient quant à lui au groupe des tumeurs mésenchymateuses et/ou ectomésenchymateuses. Il s’agit aussi d’une lésion rare touchant surtout la portion dentée molaire. Elle se traduit essentiellement par une image radiotransparente monogéodique bien limitée avec un aspect soufflé des corticales amincies. Les rhizalyses sont fréquentes. Des opacités peuvent s’y associer d’aspect variable, opacités mal limitées ou en verre dépoli (fig. 3-10). Le taux de récidive reste faible après énucléation [1–3].
Myxome odontogénique
Le myxome odontogénique qui appartient au même groupe que le fibrome odontogénique s’en différencie par son caractère localement agressif. Il prédomine chez la femme, vers la 3e décennie et touche volontiers la région mandibulaire molaire [1–3]. Il se traduit de façon évocatrice par une lésion radioclaire plutôt multigéodique soufflant les corticales et réalisant par confluence un aspect évocateur de septas disposés en « raquette de tennis » (fig. 3-11). Des calcifications irrégulières sont souvent associées. C’est la TDM qui pourra au mieux mettre en évidence (y compris au niveau mandibulaire) un aspect très habituel de perforation corticale évocatrice (avec prise de contraste fréquemment associée) [15]. Malgré la résection chirurgicale du fait de son caractère infiltrant local, les récidives ne sont pas rares (25 % des cas) nécessitant une surveillance à distance soigneuse.
Tumeurs et pseudotumeurs d’origine osseuse
Dysplasie fibreuse
La dysplasie fibreuse est un processus rare fibroosseux bénin, qui se caractérise par la difformité faciale secondaire, asymétrique qu’elle engendre ainsi que par les éventuelles complications neurologiques dues aux atteintes foraminales et aux compressions nerveuses associées. Elle s’accompagne d’un élargissement des structures touchées, uni- ou pluri-ostotique ; cependant si le terme de monostotique peut être appliqué à des formes touchant exclusivement la mandibule, il en va différemment au niveau facial où elle peut atteindre des os contigus tels que le sphénoïde et le maxillaire réalisant une forme dite craniofaciale [16]. Les lésions peuvent se présenter sous une forme dense, la plus classique en « verre dépoli », ailleurs sous forme mixte lytique et condensante, beaucoup plus rarement sous forme lytique et/ou kystique (fig. 3-12 et 3-13). Comme différentes structures osseuses peuvent être touchées indépendamment avec un niveau de minéralisation différent, la TDM peut montrer une diversité d’aspect au niveau maxillofacial qui n’exclut pas le diagnostic. Surtout, contrairement au fibrome cémento-ossifiant (FCO), les lésions sont mal limitées avec une extension locale possible se traduisant par un franchissement des sutures évocateur. Généralement les dents ne sont pas déplacées (contrairement au FCO), avec une altération associée de la lamina dura et un rétrécissement de l’espace périodontal évocateur [16]. La TDM fera le bilan d’extension lésionnel, maxillaire prédominant dans les formes monostotiques, maxillaire, fronto-orbitaire, ethmoïdal et/ou mandibulaire… dans les formes pluri-ostotiques. Elle s’attachera en particulier au niveau orbitaire, à l’étude des régions fissuraires volontiers rétrécies et source possible de compressions neurogènes, ainsi qu’à la surveillance évolutive de ces lésions qui se stabilisent habituellement à la puberté [1, 17]. Dans ces formes l’IRM peut aussi préciser les compressions foraminales par le processus dysplasique qui présente un rehaussement lésionnel variable et hétérogène après injection de gadolinium (fig. 3-14) [1, 16].