3: L’accompagnement périnatal: point de vue de la sage-femme

Chapitre 3 L’accompagnement périnatal


point de vue de la sage-femme





Cette situation illustre les enjeux du suivi de la grossesse : ce suivi doit-il être purement médical avec pour seul objectif de dépister et/ou traiter des pathologies somatiques ? Ne doit-il pas plutôt articuler une surveillance médicale et un soutien adapté aux besoins de la femme ? La notion d’accompagnement développée depuis les années 1970 par certaines sages-femmes en Europe et dans le continent nord-américain émerge de cette double préoccupation : assurer une qualité de suivi médical dans la période périnatale tout en assumant ce rôle de soutien. Ce concept d’accompagnement n’a trouvé que récemment une légitimité dans les textes officiels (plan périnatalité 2005–2007) et dans le renouveau de la culture professionnelle périnatale. Cette évolution a pour origine la collaboration qui, depuis ces trente dernières années, s’est tissée entre des somaticiens et des psychistes dans un souci d’amélioration de la prévention psychique précoce.


Ainsi, face à une approche centrée uniquement sur le risque obstétrical émerge une vision plus globale de la naissance. Globale dans la temporalité du suivi et globale dans l’abord du processus : en réponse à la discontinuité des soins obstétricaux, il s’agit d’offrir une continuité de présence, de la grossesse aux premiers mois de vie avec l’enfant. En étant attentif à ce qui peut favoriser le bien-être physique et psychique de la mère et du bébé, il s’agit de s’intéresser à la femme, à son histoire, à son couple, sa famille, son environnement. Globale enfin dans la démarche de soin : l’attitude préventive concerne la prévention des troubles somatiques mais en vient peu à peu à s’inscrire dans un souci de prévention psychique précoce.


Pour autant de l’idée au concept, il y a un monde et Y. Knibiehler rend bien compte, dans Accoucher, femmes, sages-femmes et médecins depuis le milieu de xxe siècle (2007), du flou théorique autour de la notion d’accompagnement, des doutes et interrogations qu’elle suscite chez les professionnels.


Le propos de ce chapitre est de situer l’accompagnement par la sage-femme dans le suivi périnatal d’une femme et de son enfant :



Avant d’aborder la question de la prévention, il importe de resituer l’intervention des professionnels au sein de la société. Pourquoi se mêlent-ils aujourd’hui de ce qui pourrait être considéré comme appartenant à la sphère privée de la famille, n’est-on pas avec la meilleure volonté du monde en train d’introduire, sous prétexte de prévention, un contrôle social sur les parents, une ingérence dans ce qui relève purement de l’intime ? Pour légitimes que soient ces questions, elles relèvent d’une vision individualiste des processus liés à la naissance négligeant leur forte inscription culturelle.



Aspects culturels


Le plan périnatalité 2005–2007 en s’intitulant Humanité, proximité, sécurité, qualité donne une reconnaissance aux deux enjeux à l’œuvre dans le soin périnatal : assurer les bonnes conditions du développement somatique (l’hominisation) et assurer les conditions du développement de l’humain (l’humanisation).


L’humanisation du petit de l’homme peut être pensée dans la dimension psychique – la dynamique à l’œuvre dans le processus du lien et du développement – et dans la dimension culturelle – ce qui soutient ou entrave, dans une culture donnée, ces processus. Le désarroi parental, massif dans nos sociétés post-industrielles doit nous amener à interroger l’efficacité culturelle de notre modèle sociétal.


Toute société humaine pense à sa façon la naissance et imagine un ensemble symbolique (récits, rites, coutumes, initiations…) qui prépare et accompagne les femmes et les hommes au devenir parent. Ainsi, H. Stork (1993) conclut son étude sur les rituels de maternage : « On observe dans le monde une grande richesse de traditions de soins infantiles qui ont finalement toutes fait leurs preuves. Parmi celles-ci, on remarque des différences, mais aussi de nombreuses similitudes qui témoignent de l’invariance des besoins de l’être humain tant au niveau psychique que somatique. »17


L’accouchement lui-même est un acte tout autant naturel que culturel, et pour le favoriser l’homme invente des soins qui parlent au corps comme à l’esprit. Dans son texte sur « l’efficacité symbolique », C. Lévi-Strauss (1961) s’intéresse à un chant chamanique des Indiens Cuna, visant à aider la femme en proie à un accouchement difficile. Le chaman est appelé au chevet de la femme par la sage-femme : « [Il] fournit à sa malade un langage, dans lequel peuvent s’exprimer immédiatement des états informulés et autrement informulables. »18 Les épreuves traversées par la femme prennent sens au travers d’un récit mythique. Le chant du chaman permet à la femme de s’inscrire dans un ensemble symbolique cohérent au cours d’un itinéraire et d’un séjour mythiques qui « représentent littéralement le vagin et l’utérus de la femme enceinte, qu’explorent le chaman et les Nuchu, et au plus profond desquels ils livrent leur victorieux combat ».19


La société post-industrielle a interrompu la chaîne des transmissions issues des cultures populaires et familiales (Page, 2004). Elle les a remplacées par une vision productiviste (rapidité, performance, technicité), mécanique (un corps machine, fonctionnel), soumise aux savoirs d’expertise (le scientisme, la gestion, le contrôle). Préoccupée par la maîtrise du risque, elle enferme l’événement naissance dans sa seule dimension médicale. La dimension symbolique est alors saturée de signifiants désubjectivants (dépistage, prévention, prédiction, gestion, contrôle, protocole) et de prise en charge du corps par le soignant (soigner, réparer, compenser, corriger) qui évacuent la dimension psychique et humaine de la naissance. Enfin, la femme se trouve écartelée entre les modèles de performances maternelles, professionnelles, conjugales et relationnelles. L’ adaptation à son nouveau rôle est d’autant plus difficile qu’elle se retrouve souvent isolée avec son nourrisson et dans des tâches non reconnues. Dans sa recherche sur la dépression postnatale, P. Romito (1990) conclut : « [Lors des interviews,] les femmes ne trouvaient pas lourd de s’occuper de leur bébé. Ce qu’elles trouvaient lourd c’était de le faire tout le temps, dans de mauvaises conditions et sans que le travail qu’elles accomplissaient fût véritablement reconnu, ni par leur compagnon, ni par la société dans son ensemble. »20


Notre culture actuelle, autour de la naissance, est en mutation : structurée massivement par l’idéologie de notre monde post-industriel, elle est peu à peu transformée par des pratiques innovantes de parents et de professionnels qui cherchent des issues aux impasses de notre modernité. Les années 1960 à 1990 ont vu se développer des réactions militantes de la part de parents et de professionnels qui ont défendu une vision féministe, libertaire et/ou écologique de la naissance. Des maternités (Les Bluets, Pithiviers, Pertuis…) ont été le théâtre d’expériences novatrices qui ont convergé avec les aspirations de parents souhaitant préserver leur autonomie et responsabilité dans la naissance.


À partir des années 1980, un autre mouvement se met en place, dans des maternités, des unités de néonatologie, des centres médico-psychologiques (CMP et CMPP), dans des unités de néonatologie, de soins psychiatriques pour la mère, dans des centres de protection maternelle infantile (PMI)… Par des pratiques innovantes, interdisciplinaires, théorisées sous l’impulsion de psychanalystes investis dans le soutien périnatal, cette lame de fond témoigne des efforts mis en œuvre pour articuler le somatique et le psychique et développer une prévention psychique précoce. Pour bien des familles, l’intervention de professionnels du périnatal recrée un lien social, offre une transmission des savoirs et parfois aussi un étayage capables, à l’instar des formes de soutien communautaire des sociétés traditionnelles, de favoriser leur processus de parentalisation. Cela exige des professionnels familiers du bébé qui puissent aider les parents à mettre sens et cohérence dans les messages de l’enfant, qui puissent être témoins auprès d’eux de ses compétences, qui les confortent dans leurs réponses au bébé ou soutiennent les ajustements nécessaires.


La pratique du travail en réseau, reconnaissant les compétences et la complémentarité de chaque acteur ainsi que l’appui sur le groupal comme facteur de changement (Anzieu, Martin, 1968), réinvente un tissu social autour des parents. La créativité des professionnels les conduit de plus en plus à inventer des espaces collectifs qui constituent une réponse au besoin de partage autour de la naissance et de la parentalisation : groupes de préparation à la naissance, groupes d’hommes futurs pères, groupes de présentation des bébés, groupes de parents d’enfants porteurs de handicap, lieux d’accueil parents–enfants…


Je proposerai dans le chapitre 11 de montrer, au travers des différents temps de l’accompagnement, comment la sage-femme s’appuie sur le cadre théorique et les dispositifs pratiques de cette nouvelle culture autour de la naissance. Mais il est d’abord nécessaire de préciser en quoi elle joue, au sein du partenariat périnatal, un rôle spécifique, de situer ses frontières d’intervention et ses outils propres. En préalable, nous pouvons exposer ce partenariat au cœur de la démarche préventive.



Suivi périnatal et prévention psychique précoce


Pour les professions de proximité (médecins généralistes, gynécologues, équipes de PMI, sages-femmes, pédiatres, puéricultrices, TISF21…) la prévention psychique précoce (cf. p. 14) doit s’attacher à préserver le potentiel de développement somatique et psychique du bébé et ce dès le temps de la gestation (Soulé et al., 1989). Elle se met en place sous deux modalités :




Dépister les facteurs de risque, penser et organiser le suivi


La possibilité d’une prévention psychique précoce réelle et bientraitante passe par la possibilité pour les professionnels du périnatal, non spécialistes du psychisme, d’acquérir des repères utilisables pour constater l’existence de risques psychiques. Nous ne pouvons pas nous contenter de nous référer uniquement à une liste de facteurs de risque pré-établie.


Ce n’est qu’en couplant la notion de facteurs de vulnérabilité avec celle de signes observés que nous pouvons passer d’une prévention du soupçon (sur le risque présumé) ou d’une prévention à panier percé (les situations non repérées) à une prévention prévenante.


Je développerai dans le chapitre 11 une démarche qui vise à construire ces repères. Nous verrons que la démarche d’accompagnement passe d’abord par la connaissance du cheminement ordinaire de la grossesse. Nous devons nous inquiéter du fait de difficultés inaccoutumées dans ce cheminement : lorsque ces difficultés envahissent le quotidien de la personne ou n’évoluent pas malgré la sollicitude du donneur de soins. L’accompagnement passe par la reconnaissance des enjeux subjectifs pour chaque sujet et donc de la spécificité de chaque situation. Ce sont ces enjeux psychiques qui sont abordés tout au long de cet ouvrage par mes collègues pédopsychiatres, psychologues et psychosomaticiens. Pour les non-psychistes, une sémiologie est à construire : de la même manière que nous avons dans la sémiologie médicale la notion de signes d’appel susceptibles d’évoquer une pathologie sous-jacente, je propose d’introduire pour les professionnels de proximité la notion de signes d’appel psychiques.




Précisons que le signe ne fait pas la pathologie mais nous invite à faire appel à un professionnel du psychisme. Il signale une difficulté ou une souffrance, de la famille ou du professionnel. Dans chaque cas, il y a indication d’un besoin d’aide, celle-ci peut être en direct, auprès de la famille, ou indirecte, auprès du professionnel par un travail de soutien personnel, un travail d’élaboration de la pratique, de supervision ou de reprise. Les sensations de bizarrerie, d’impuissance, d’angoisse liées à la situation, voire de haine ou de terreur, l’envie de fuir, de revenir « à l’air libre, à la vie », l’envie de secouer la personne, l’incapacité à penser la situation, l’ennui dans l’intervention, l’impression d’être inutile, le doute qui persiste au fil de nos visites sur l’intérêt de notre rôle, doivent être considérés comme des signes d’appel.


Ainsi que l’énonce A. Ciccone (2009–2010), « Le professionnel doit se constituer ses propres signes d’appel à partir de l’écoute de ses propres éprouvés et en étant attentif à ce qui se passe à l’intérieur de lui, ce que cette écoute dit de l’autre et ce qu’elle dit de nos propres représentations et difficultés. »


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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 3: L’accompagnement périnatal: point de vue de la sage-femme

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