28 Traitements psychotropes chez l’enfant
Remarques introductives
Paradoxe des autorisations de mise sur le marché
Une remarque s’impose néanmoins. Le tableau 28.1 résume les principales molécules psychotropes ayant reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) pédiatrique en France selon l’Agence française du médicament en juillet 2007. La plupart des indications y sont obsolètes et ne tiennent pas compte des études les plus récentes à la méthodologie beaucoup plus stricte. Elles ne reflètent donc en rien la pratique quotidienne ni en France ni à l’étranger. Ce constat devrait voir des évolutions dans les prochaines années du fait des Pediatric Rules. Suite à la controverse concernant l’augmentation du risque de passage à l’acte suicidaire avec les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS), les agences américaines et européennes ont imposé à l’industrie pharmaceutique de réaliser des études chez l’enfant et l’adolescent pour toutes nouvelles demandes d’AMM. On devrait donc voir plus d’études dans le champ de la psychopharmacologie de l’enfant et de l’adolescent (Cohen, 2007).
Éléments de pharmacolgie générale et pédiatrique
Particularités de la pharmacocinétique de l’enfant
L’enfant et l’adolescent présentent des particularités physiologiques qui influent sur la pharmacocinétique des médicaments en général (Jacqz-Augrain, 2007). Outre le fait d’être en développement, le sujet jeune n’a pas les mêmes caractéristiques que le sujet adulte en termes d’absorption, de distribution et d’élimination des médicaments. Pour ce qui concerne les psychotropes, lorsque la voie d’administration est orale, ce qui est la situation la plus fréquente, l’absorption n’est en général pas modifiée puisque c’est essentiellement chez le nourrisson que les variations sont les plus importantes. La distribution d’un médicament dans l’organisme est influencée par la composition corporelle, les capacités de liaison des protéines, les flux sanguins régionaux entre autres. Elle est surtout très différente chez le nourrisson, alors que chez l’enfant la distribution est assez proche de celle que l’on connaît chez l’adulte. En revanche, le métabolisme des médicaments qui est très fortement lié à leur élimination est très différent. Il varie en fonction de l’âge, du type de molécule (lipo- ou hydro-soluble), de la nature du catabolisme et du lieu d’élimination (hépatique ou rénal essentiellement).
Principes des essais médicamenteux
Nous ne rentrerons pas dans le détail et nous renvoyons le lecteur vers des ouvrages plus spécialisés (Bailly et Mouren, 2007). Néanmoins, nous souhaitons rappeler quelques points incontournables concernant le concept d’evidence-based medecine qui fonde les bonnes pratiques. Le gold standard est l’essai randomisé contre placebo en double aveugle (cf. chap. 1). Pour discuter une molécule dans une indication, on définit un niveau de preuve qui dépendra des données disponibles dans la littérature. Si quelques observations isolées supportent une indication, le niveau de preuve est faible. Si plusieurs essais randomisés contre placebo soutiennent une indication, le niveau de preuve est élevé.
Certains paramètres sont utiles pour rendre compte de l’effet d’une molécule. La taille de l’effet (ou effect size) mesure la différence relative entre la molécule et le placebo. Il peut être minime (< 0,2), modéré (0,2 ≤ ε ≤ 0,4), ou fort (> 0,4). Il peut être exprimé d’une manière plus explicite par le nombre de sujets moyen à traiter pour voir un patient qui a bénéficié de la molécule (number needed to treat). Plus il est faible, plus la molécule a un effet puissant. Enfin, lorsqu’une molécule induit un effet secondaire spécifique, on peut aussi définir un nombre de sujets moyen à traiter pour voir apparaître un événement indésirable (number needed to harm). Plus ce nombre est petit, plus l’effet secondaire est fréquent. Le rapport de ces deux derniers chiffres permet de mieux rendre compte du rapport bénéfice/risque d’une molécule dans une indication (cf. paragraphe Les effets secondaires des antidépresseurs).
Prescription chez l’enfant
Quelques repères de pharmaco-épidémiologie
On dispose de très peu de données françaises. Il semble que de nombreux facteurs influencent les prescriptions de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent, parfois dans un sens contradictoire d’une étude à l’autre. On retiendra : l’âge des populations étudiées (augmentation des prescriptions avec l’âge) ; l’année de publication (tendance récente à l’augmentation des prescriptions de tous les psychotropes) ; l’importance de la publicité faite par l’industrie ; certaines caractéristiques socio-démographiques des populations (origine ethnique, enfants adoptés, absence de protection sociale ou de mutuelle privée) ; région géographique au sein d’un même pays ou entre États (Safer et coll., 2004 ; Acquaviva, 2007). Le tableau 28.2 résume les taux de prévalence des différentes classes de psychotropes dans les différents pays. On note des différences de 1 à 5 dans certains cas.
Classe médicamenteuse | Pays (année) | Taux de prévalence |
---|---|---|
Stimulant | Royaume-Uni (1999) Allemagne (2000) Hollande (2001) États-Unis (2005) France (estimation CANAM) | 0,5 % chez les garçons âgés de 5–14 ans 0,6 % chez les garçons âgés de 5–15 ans 1 % chez les garçons âgés de moins de 18 ans 2,9 % chez les garçons âgés de moins de 19 ans ≤ 0,4 % chez les garçons âgés de 8–10 ans |
Antidépresseur (essentiellement ISRS)* | Royaume-Uni (2004) Allemagne (2003) Hollande (1999) États-Unis (2002) France (estimation CANAM) | 0,6 % chez les moins de 18 ans 0,4 % chez les moins de 20 ans 0,4 % chez les moins de 19 ans 1,8 % chez les moins de 13 ans 3,9 % chez les adolescents âgés de 13–19 ans 0,5 % chez les moins de 14 ans 2 % chez les filles âgées de 17–19 ans |
Antipsychotiques | Royaume-Uni (2000) États-Unis (2002) France (estimation CANAM) | 0,2 % chez les moins de 10 ans 1 % à l’âge de 19 ans 3,8 % chez les enfants âgés de 2–19 ans ≤ 0,3 % chez les moins de 10 ans 0,5 % entre 10–19 ans |
* Les taux de prescriptions d’antidépresseurs ont diminué dans certains pays depuis l’avertissement concernant les risques de passage à l’acte suicidaire (Gibbons et coll., 2007).
(d’après Acquaviva, 2007)
Règles de prescription chez l’enfant
C’est pourquoi sauf exception (urgence, agitation ou agressivité majeure), le traitement médicamenteux ne doit pas être une réponse immédiate à une demande d’un des protagonistes – les parents, les enseignants ou les éducateurs de l’enfant – mais doit s’inscrire dans une appréhension globale des troubles de l’enfant. Il est important : d’observer, sur une période suffisamment longue (deux semaines minimum) la symptomatologie, et d’évaluer la psychopathologie de l’enfant et de sa famille ; d’apprécier la réponse aux premières mesures thérapeutiques (consultations thérapeutiques, voire séparation) ; d’estimer qui fait la demande et pourquoi, le sens de la prescription pour chacun des protagonistes et son but supposé ; enfin, d’expliquer à l’enfant, ainsi qu’à sa famille, les possibles effets secondaires du médicament, ses limites en termes d’effet (temporalité, réponse symptomatique attendue, etc.).
Sens de la prescription chez l’enfant
Avant d’en venir plus précisément au sens que peut prendre pour un enfant une prescription, il importe de rappeler que cette discussion s’avère aussi pertinente pour la famille, voire pour chacun des parents séparément. Sans entrer dans le détail, deux écueils fréquents méritent d’être signalés. Le premier réside dans le fait que pour beaucoup, la prescription d’un médicament est l’incarnation de la maladie et de sa prise de conscience. Elle peut s’accompagner pour les parents d’une blessure narcissique et d’un deuil de l’enfant idéal même lorsqu’un diagnostic grave a déjà été formulé. Le second renvoie au fait que la prescription est l’acte médical par excellence et qu’elle peut conduire les parents à un sentiment de dépossession vis-à-vis de leur enfant, ou signifier qu’ils sont coupables des difficultés de celui-ci. Le prescripteur doit donc accompagner ces mouvements psychologiques, les anticiper et essayer de les prévenir.
Concernant l’enfant, une prescription peut prendre presque tous les registres signifiants. Ceux-ci sont susceptibles de varier au cours du temps. La liste que nous proposons ici n’est donc pas limitative. Le médicament peut être perçu comme un objet intrusif, voire persécutant (« vous voulez que je devienne un zombie avec votre machin ») ou au contraire comme l’incarnation de la relation de dépendance au prescripteur qu’il porte en lui, devenant en cas de transfert positif un véritable objet transitionnel pour l’enfant. D’autres fois, il incarne la dépendance sur un mode plus régressif et passif, ou sur un mode plus culpabilisé en miroir de parents et/ou de soignants impuissants à résoudre ses problèmes. Parfois encore, les médicaments peuvent être disqualifiés afin de ne pas disqualifier directement les parents ou les soignants qui lui donnent ces traitements alors que l’enfant s’est attaché à eux (Basquin, 1998).
Neuroleptiques ou antipsychotiques
Généralités et principales indications des antipsychotiques
Pharmacodynamie, classifications et posologie
La plupart des neuroleptiques ont en commun de bloquer les récepteurs dopaminergiques. La pharmacologie distingue deux classifications principales. La première se réfère aux principales familles de molécules chimiques comme indiqué dans le tableau 28.1. La seconde se fonde sur le profil d’effets cliniques et d’effets secondaires, et distingue les neuroleptiques typiques dits de première génération, et les antipsychotiques atypiques dits de seconde génération. Ces molécules dites antipsychotiques atypiques ont été développées dans le but d’avoir moins d’effets secondaires que les neuroleptiques dits classiques. Il s’agit de l’amisulpride Solian® et des benzamides, de la rispéridone Risperdal®, de la clozapine Lepone®, de l’olanzapine Zyprexa® et de l’aripriprazole Abilify®.
l’effet sédatif et/ou anxiolytique (par exemple avec le Nozinan® ou lévomépromazine) ;
l’effet antipsychotique et antihallucinatoire (par exemple avec l’Haldol® ou halopéridol, le Largactil® ou chlorpromazine, le Risperdal® ou rispéridone, le Solian® ou amisulpride) ;
l’effet désinhibiteur, c’est-à-dire l’effet sur l’inhibition psychotique et l’inertie émotionnelle (par exemple avec le Solian® ou amisulpride à petite dose).
Indications
En matière de démonstration de leur efficacité dans la principale indication, à savoir la schizophrénie à début précoce (même si celle-ci est exceptionnelle chez l’enfant), très peu d’études se sont intéressées aux particularités de la prise en charge de ces jeunes malades et encore moins en matière de prescription. Bien que les antipsychotiques constituent le traitement de choix dans la schizophrénie à début précoce, le choix de la molécule reste peu codifié et cela est d’autant plus problématique que les aspects neuro-développementaux doivent être pris en considération. Entre les antipsychotiques classiques d’une part et les atypiques d’autre part, le choix semble aléatoire même si la plupart des collègues respectent les recommandations formulées dans les conférences de consensus, à savoir préférer un antipsychotique atypique en première intention (Fédération française de psychiatrie, 2003). Une méta-analyse récente s’est intéressée aux différentes études concernant la prescription des neuroleptiques depuis leur apparition dans les années 60. Cette méta-analyse a comparé les molécules classiques versus les atypiques chez de jeunes patients âgés de 5 à 18 ans suivis pour schizophrénie à début précoce (Armenteros et coll., 2006). Les auteurs ont colligé 15 essais seulement. Au total, 205 patients ont reçu un antipsychotique classique contre 85 un antipsychotique atypique. Parmi ces 15 études, sept proposaient un design avec groupe de comparaison et double aveugle, dont seulement deux un bras placebo. Cette méta-analyse montre qu’en termes d’efficacité, les antipsychotiques classiques semblent être plus efficaces que les atypiques puisque les auteurs retrouvent respectivement un taux moyen de réponse de 72 % versus 56 % en faveur des molécules typiques. Cela dit, cette méta-analyse n’a pas pris en compte un essai réalisé dans la schizophrénie à début précoce (SDP) résistante du fait de sa publication toute récente. Financé par le National Institute of Health, cet essai, malgré de petits effectifs (25 sujets au total) suggère que la clozapine tend à être plus efficace que l’olanzapine dans les formes résistantes de la SDP (Shaw et coll., 2006).
En ce qui concerne l’étude de certaines indications chez l’enfant, une exception notable est à souligner : la rispéridone. Cette molécule a fait l’objet de nombreuses études contrôlées randomisées chez l’enfant dans les troubles du comportement associés au retard mental (quatre études) ou aux troubles envahissants du développement (cinq études) ayant conduit à une AMM dans cette indication. Enfin, trois autres études ont été conduites dans le syndrome de Gilles de la Tourette (Jensen et coll., 2007). La rispéridone est du coup l’antipsychotique atypique de première intention chez l’enfant.
Effets secondaires des antipsychotiques
Principaux effets secondaires
Enfin, tout neuroleptique peut entraîner après une prise prolongée des mouvements anormaux tardifs (Charfi et coll., 2004). Les mouvements anormaux dyskinétiques touchent préférentiellement la bouche chez le sujet âgé (dyskinésies bucofaciales) et le tronc chez le sujet jeune (dystonies axiales). Elles sont rares chez l’enfant et l’adolescent mais peuvent se rencontrer en particulier chez le garçon. Elles persistent souvent à l’arrêt du traitement.