27 Les traitements psychothérapeutiques et rééducatifs
Les choix thérapeutiques en pédopsychiatrie sont apparemment complexes si l’on considère la multiplicité des techniques thérapeutiques proposées, des cadres institutionnels existants, des théories étiopathogéniques sous-jacentes. En réalité, les divers choix possibles reposent avant tout sur de grandes options thérapeutiques qu’il est essentiel d’avoir présentes à l’esprit : maintien ou non des relations habituelles de l’enfant, abord centré sur le symptôme ou sur le sujet dans une perspective intégrative.
quand le choix thérapeutique porte sur l’enfant, ce choix s’oriente alors autour de deux axes trop souvent présentés comme une alternative incompatible et inconciliable :
le choix thérapeutique peut aussi se centrer sur les interactions et/ou la dynamique familiale de façon exclusive ou complémentaire de l’abord thérapeutique de l’enfant.
Établissement d’un nouveau cadre de vie. Thérapie institutionnelle diverse, internat, placement familial spécialisé, foyer d’adolescent, etc. (cf. chap. 25).
Nous ne prétendons pas ici être exhaustifs dans la mesure où dans les chapitres cliniques nous avons rapporté les principales études d’evidence-based medecine qui permettent aujourd’hui d’affirmer que dans la majorité des troubles psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent, un travail de nature psychothérapique, quelle qu’en soit la technique, est le traitement de première intention (Kazdin, 2004 ; Weisz et coll., 2004). Ici, nous nous limiterons aux principales indications des thérapeutiques non médicamenteuses. De même pour ce qui concerne la technique propre à chaque thérapeutique, nous renvoyons le lecteur aux ouvrages spécialisés sur tel ou tel type de technique.
Rééducations et remédiations
Rééducations orthophoniques
Rééducation des troubles du langage parlé, depuis le simple trouble articulatoire jusqu’aux retards massifs du langage confinant à l’audimutité, rééducation de la lecture et/ou de l’orthographe, le but de ces diverses techniques est de lier le système de communication défaillant avec un système de représentation substitutif temporaire gestuel ou sensoriel : geste, perception tactile, association phonémique, etc. L’approche thérapeutique des divers troubles du langage a été succinctement évoquée dans le chapitre consacré à la psychopathologie du langage.
D’autres troubles du développement cognitif sont accessibles à des techniques de remédiation orthophonique : dyscalculie et trouble de l’apprentissage des mathématiques, trouble attentionnel et/ou de la mémoire de travail, difficultés visuospatiales (Cohen et coll., 2004).
Rééducations psychomotrices
Quelle que soit la technique, l’utilisation de divers rythmes vise à intégrer la nécessaire séquence temporelle inhérente à toute gestualité de même que la référence explicite au schéma corporel vise à intégrer la nécessaire séquence spatiale inhérente au même geste (André et coll., 1995).
Ces techniques psychomotrices sont largement utilisées chez le jeune enfant, en particulier avant l’apparition du langage. Les indications sont assez larges et ne répondent pas aux codifications plus rigoureuses des rééducations orthophoniques. Elles sont indiquées dans les troubles psychomoteurs (dyspraxies, troubles de la coordination motrice, tics) mais aussi dans l’instabilité émotionnelle et hyperactivité, les crampes, les tremblements émotionnels, le bégaiement, certains strabismes (Xavier et coll., 2006). On utilise parfois les rééducations psychomotrices couplées à des rééducations orthophoniques dans le retard de langage, en particulier quand s’y associent des troubles de l’organisation temporospatiale. Enfin, elles se prêtent bien à une possibilité de rééducation en petit groupe (trois à quatre enfants), surtout avec les enfants jeunes (jusqu’à 4–5 ans).
Rééducations psychopédagogiques
La qualité de la relation établie par le psychopédagogue, un apprentissage qui ne repose plus sur une exigence d’allure surmoïque ni sur la sanction, une pédagogie fondée sur l’échange (jeu à tour de rôle) et sur les succès, des techniques attrayantes avec un large support concret (image, jeton, jeux de société divers) tels sont les ressorts principaux de ces techniques rééducatives. Elles trouvent leurs indications dans les échecs scolaires spécifiques ou non, et sont parfois utilement associées à une psychothérapie quand la composante névrotique de l’échec est importante, mais quand cet échec a par lui-même un rôle pathogène.
Psychothérapies individuelles psychodynamiques
Derrière ces interrogations se profile le rôle des parents avec leur fonction éducative. La névrose chez l’enfant est beaucoup moins fréquente que la névrose chez l’adulte, la « névrose infantile » fonctionnant plus comme un modèle de la psychopathologie adulte que comme une réalité de la clinique de l’enfant. Le transfert d’un enfant sur son thérapeute est tout entier contenu dans le temps présent et se nourrit sans cesse de l’actualité et de la réalité de ses parents, sans que le refoulement, puis l’après-coup de la scène traumatique permettent la réélaboration des images parentales internes et l’éventuelle constitution d’un nœud névrotique (cf. à ce sujet la discussion théorique sur la névrose infantile et la névrose chez l’enfant, chap. 15).
Toutefois, sur le plan théorique, la psychanalyse ou les méthodes qui s’en rapprochent (psychothérapie psychanalytique, psychodrame analytique) ont pour but d’amener à la conscience l’origine des conflits et des conduites symptomatiques, à mesure qu’ils apparaissent et se reproduisent dans le cours des séances, puis de donner à l’enfant les moyens de mieux élaborer, surmonter et/ou tolérer ses conflits. Par rapport à l’adulte, la psychanalyse de l’enfant pose un problème théorique, celui du transfert, et un problème de technique, celui du mode de communication entre l’adulte et l’enfant.
Transfert chez l’enfant
La nature des interventions et interprétations sur le transfert diffère selon les thérapeutes. Certains, suivant les recommandations de M. Klein, interviennent très vite sur le sens inconscient des productions de l’enfant (jeu ou dessin), d’autres suivant A. Freud, préfèrent se limiter à l’interprétation du seul sens préconscient de ses productions à mesure que leur signification transférentielle se fait plus évidente, en respectant à rebours l’évolution développementale (allant du préconscient à l’inconscient, du niveau œdipien au niveau archaïque, du génital ou prégénital, etc.). D’autres enfin se gardent de toute intervention directe sur le matériel apporté par l’enfant, estimant que la seule acceptation par le thérapeute du conflit de l’enfant, ses réponses au niveau du jeu qui montrent sa compréhension, son commentaire sur les dessins faits pendant la séance, suffisent sinon à dévoiler le sens inconscient du conflit, du moins à le réintroduire dans le Moi de l’enfant et à autoriser la reprise du développement.
Modalités de communication
Très rapidement la technique des associations libres est apparue inadaptée aux enfants. L’aptitude à communiquer est un obstacle supplémentaire car la communication véritable entre l’enfant et l’adulte ne passe pas par le seul langage, ce d’autant plus qu’il est jeune. Le thérapeute doit donc connaître les paliers maturatifs, les moyens d’expression privilégiés en fonction de l’âge ; il devra être familiarisé avec le « monde de l’enfant », ses tournures de langage, le niveau de compréhension, etc. Établir une communication ne résume certes pas le processus psychothérapique lui-même. Néanmoins l’établissement d’un cadre adéquat où l’enfant puisse communiquer véritablement avec l’adulte représente le temps premier de toute démarche thérapeutique.
Sur le plan pratique les aménagements sont multiples : l’essentiel nous paraît être de laisser à l’enfant le choix de son mode de communication privilégié, mais d’éviter des jeux trop sophistiqués ou réalistes qui l’enfermeraient dans une répétition stérile du monde de la réalité. En matière de psychothérapie la surabondance des jeux et jouets est aussi néfaste que l’absence de tout matériel. Pour notre part nous essayons de disposer du matériel cité dans le tableau 27.1. Cette liste donnée à simple titre d’exemple n’est ni exclusive ni limitative. Fréquemment il s’avère qu’après les premières séances l’enfant adopte un type de matériel et le conserve pendant toute la thérapie.
Feuilles blanches, crayons noirs et de couleurs, feutres de couleurs. Une règle, une gomme. Une paire de ciseaux, une pelote de ficelle, un pot de colle, un rouleau de Scotch. Pâte à modeler. Quelques petites autos, quelques poupées pas trop grosses et/ou des petites figurines. Quelques éléments de dînette, un biberon. Quelques animaux sauvages et de ferme, les plus connus. Des cubes en bois. Quatre ou cinq marionnettes. |
Une attention toute particulière doit être portée aux changements brusques des modes de communication de l’enfant : passage soudain du dessin au jeu, interruption d’un dessin et nouvelle production au verso de la feuille, changement de thème inopiné. Ces ruptures, analogues aux brusques arrêts de la chaîne associative du discours de l’analysant adulte, traduisent toujours une émergence fantasmatique ou un conflit inconscient et offrent au thérapeute l’occasion, par son interprétation, d’un travail de liaison dans les productions de l’enfant.
Indications et contre-indications des thérapies analytiques
Les indications sont larges, elles ne reposent pas sur les conduites symptomatiques, mais sur la dynamique conflictuelle sous-jacente. Les indications premières concernaient les enfants confrontés à des conflits de niveau œdipien. Ce sont encore les cas les plus favorables. Par la suite on a assisté à une spectaculaire extension des indications si bien qu’il n’y a guère de symptômes ou surtout de structure psychopathologique pour lesquels on ait proposé une approche analytique. En termes d’études cliniques avec des aménagements de durée et de protocole permettant la conduite d’études contrôlées, seules les pathologies non psychotiques ont pu être validées comme dans les troubles anxieux (Muratori et coll., 2003) et la dépression (Mufson et coll., 2003 ; 2006. Elles semblent également particulièrement intéressantes dans les pathologies dysharmoniques ou multiplexes (cf. chap. 18). Il est évident que tout enfant peut, en théorie, bénéficier d’une thérapie analytique et que par conséquent les indications et contre-indications ne siègent pas au niveau de l’enfant lui-même. En revanche, il est tout aussi évident que d’importantes limites sont tracées à la fois en raison des contraintes pratiques et des conditions d’environnement nécessaires au bon déroulement d’une cure d’une part, et des attentes thérapeutiques, d’autre part, puisque certaines difficultés développementales ne sont pas accessibles au traitement psychanalytique en tant que tel.
Limitations et contre-indications dues à l’environnement
Parfois les parents interdisent à l’enfant de communiquer au thérapeute un secret familial (membre de la fratrie malade ou situation sociale inhabituelle, etc.). Dans tous les cas l’interdiction d’exprimer librement ces conflits ou d’en donner librement une interprétation rend le processus analytique vide de sens et d’effet, aboutit à une parodie plus néfaste qu’utile. Si dans le premier cas le thérapeute connaît dès le début les conditions défavorables, il peut en revanche rester ignorant d’un interdit de parole pesant sur l’enfant : la thérapie s’engage alors dans une impasse. Il importe de la repérer aussi vite que possible.
Autres psychothérapies individuelles
Relaxation et psychothérapie à médiation corporelle
Les thérapies à médiation corporelle proposent à l’enfant ou à l’adolescent un média thérapeutique privilégiant l’éprouvé corporel statique ou cinétique, dans une perspective psychothérapique. De très nombreuses techniques ont été développées. On peut les regrouper en quatre grandes classes : les techniques de relaxation ; les techniques de contact sensoriel ; les techniques d’expression ; les techniques à médiation physique ou sportive (André et coll., 1995). D’une manière générale, les thérapeutes psychomotriciens tentent de modifier une organisation pathologique en utilisant les expériences corporelles, motrices et perceptives. Ils permettent à l’enfant de mettre en acte sa souffrance psychique puis l’aident à décrypter et mettre en mots sa problématique à partir du jeu et de l’engagement corporel. Cinq axes organisent les prises en charge à médiation corporelle : favoriser l’éveil de l’imaginaire et du perceptif avec comme prétexte la médiation corporelle ; à travers la mise en acte permettre la prise de conscience des conflits internes ; rétablir le lien entre les manifestations corporelles et la psyché et permettre à l’enfant de mieux habiter son corps ; aider l’enfant à mettre des mots sur l’agir corporel ; enfin, remédier certains troubles psychomoteurs liés à la maladresse motrice, à une organisation du schéma corporel précaire, même si ce dernier axe renvoie plus aux techniques de rééducation (Xavier et coll., 2006).
La technique de médiation la plus utilisée est la relaxation qui vise à une modification de l’état tonique, à travers une relation médiatisée par le corps et ses représentations psychiques : la phase de relâchement tonique, toujours essentielle, s’obtient par mobilisation passive (méthode de Wintrebert) ou par simple palpation, associée à l’évocation de représentation mentale suggérée à l’aide de mot lié au segment du corps concerné (méthode de Schultz). Les relaxations visent à réduire les attitudes de fond qui entravent souvent la réalisation praxique ou qui se surajoutent à toute émergence d’affect. Elles observent fréquemment une suite logique fondée sur l’exploration des divers segments du corps, des masses musculaires et des articulations, avec une prise de conscience progressive des états toniques propres à chaque segment. La verbalisation est volontairement limitée au cours de chaque séance, afin d’éviter toute intellectualisation défensive en fin de séance. Au contraire, dans certains dispositifs techniques avec les plus grands surtout (thérapie psychanalytique de relaxation), dans le temps de plus grand relâchement, le patient peut être invité à associer librement ou en fin de séance à dessiner ou à modeler (André et coll., 1995). Les cures de relaxation durent en moyenne cinq à six mois : elles peuvent être isolées ou associées à d’autres modalités thérapeutiques. Les diverses techniques de relaxation ont été reprises et adaptées à l’enfant par Berges et Bounes (1979).
Thérapies comportementales
Leur utilité ne doit pas être négligée dans l’abord thérapeutique de l’enfant. Elles reposent sur les lois du conditionnement et de l’apprentissage et ont pour objectif de modifier les comportements inadaptés. Les habitudes inadaptées sont affaiblies et éliminées (Wolpe, 1975). Cette définition correspond non seulement au conditionnement pavlovien classique (conditionnement répondant), mais aussi au conditionnement opérant de Skinner. Ces thérapies comportementales se fondent sur les théories de l’apprentissage qui considèrent que les comportements sont acquis par différentes modalités de conditionnement. Elles délaissent les notions de structure psychopathologique, de fixation, de régression, en un mot l’ensemble du fonctionnement psychique interne pour ne s’intéresser qu’au versant extérieur. Les techniques thérapeutiques sont variées : inhibition réciproque, provocation d’anxiété, conditionnement opérant, aversion, etc.
Depuis longtemps certaines approches thérapeutiques utilisaient des techniques de conditionnement sans l’avoir clairement explicité : citons à cet égard le traitement de l’énurésie avec l’appareil sonore où la stimulation électrique entre les deux faces du drap (conduction due à l’urine) déclenche un signal sonore ou une légère décharge électrique : l’enfant se réveille dès le début de la miction, puis, après quelques nuits, avant même la miction. Il s’agit là d’une méthode typique de conditionnement aversif. De même, la méthode du cahier (cf. chap. 8) peut être assimilée à un conditionnement opérant.
La méthode TEACCH (cf. chap. 14), largement utilisée dans les pays anglo-saxons, commence à être utilisée par quelques équipes de soins en France ; elle appartient aussi à ce champ des thérapies éducatives et comportementales des troubles envahissants du développement. Néanmoins, elle intègre beaucoup mieux les spécificités individuelles de l’enfant, intègre les parents comme co-thérapeutes et s’inscrit dans une perspective développementale (Schoppler, 1997).
Enfin, des programmes comportementaux ont aussi été développés à destination de certains jeunes adolescents marginaux présentant un trouble des conduites avec ou sans toxicomanie, le plus souvent dans des abords dits multisystémiques car intégrant une prise en charge intensive du milieu à domicile (Kazdin, 2000 ; Périsse et coll., 2006). Si l’utilisation de techniques de conditionnement opérant à base de récompense ne pose pas d’autre problème que théorique, il n’en va pas de même des thérapeutiques aversives qui posent et doivent poser à leurs utilisateurs des problèmes éthiques où la finalité ne doit pas systématiquement justifier les moyens. On entend par « thérapeutique comportementale aversive » la recherche de la disparition ou de l’extinction d’une conduite au moyen d’une sanction. La différence théorique d’avec la punition provient du fait que la sanction est dénuée de caractère moral et de valeur relationnelle. Elle prétend se présenter simplement comme une conséquence « logique » d’un comportement déviant, d’où l’intérêt de codifier le plus possible le catalogue des comportements qui feront l’objet d’un conditionnement aversif.