Chapitre 26 Uvéites liées à l’antigène HLA-B27
L’uvéite antérieure aiguë associée à l’antigène HLA-B27 représente la première cause des uvéites. La localisation de l’inflammation est restreinte au segment antérieur dans 50 % à 90 % des cas, selon que les estimations sont réalisées respectivement parmi des patients vus dans des centres tertiaires spécialisés ou parmi une population de patients « de ville » [1,2]. Dans une étude épidémiologique récente réalisée en Europe dans un centre de prise en charge spécialisée, l’association d’une uvéite antérieure à l’antigène HLA-B27 représentait 7,1 % de toutes les uvéites et 52,1 % des uvéites antérieures [3]. L’association uvéite et antigène HLA-B27 a été décrite dès 1973, de manière concomitante à l’association à la spondylarthrite ankylosante [4–6]. Parmi les populations caucasiennes, la prévalence de l’antigène HLA-B27 est de 7 % à 8 % et atteint environ 50 % parmi des patients présentant une uvéite antérieure aiguë [7–9]. À l’inverse, le risque de développer une uvéite chez les porteurs de l’antigène HLA-B27 est estimé à environ 1 % et atteint près de 13 % en cas d’antécédents familiaux d’uvéite au premier degré [10].
Physiopathologie
La physiopathologie des affections liées à l’HLA-B27 est multifactorielle, faisant intervenir des facteurs génétiques, des facteurs d’environnement et des modifications de la réponse immunitaire plus ou moins liées à l’antigène HLA-B27. Les études portant sur les familles de patients atteints de spondylarthrite ankylosante laissent suggérer que l’uvéite ainsi que le psoriasis ou les maladies inflammatoires intestinales ne seraient que des variants phénotypiques d’une seule maladie, les spondylarthrites. De ce fait et comme des ségrégations familiales pour l’uvéite n’ont pas été mises en évidence, il y a peu de raisons de penser que la physiopathologie de l’uvéite diffère significativement de celle des spondylarthrites [11–14].
Structure, Fonction des Molécules Hla de Classe I
La fonction principale du système HLA de classe I est la présentation antigénique de peptides de neuf acides aminés (nonamères) aux lymphocytes T cytotoxiques (CD8+). Ces molécules de classe I sont exprimées à la surface de toutes les cellules nucléées et sont un élément essentiel de la reconnaissance du soi en immunologie (cf. chapitre 1). Les molécules de classe I sont constituées de l’association de deux chaînes polypeptidiques : une chaîne lourde polymorphe, c’est-à-dire variable selon le groupe HLA (comprenant une région transmembranaire et trois régions extramembranaires), et une chaîne légère invariable, la β2-microglobuline, codée sur le chromosome 15 (fig. 26-1). On dénombre actuellement plus de quarante sous-types de B27, correspondant à plus de trente protéines différentes. Ces sous-types varient en fonction des origines ethniques et sont plus ou moins associés au risque de développer les maladies liées à B27 (tableau 26-I). Le sous-type HLA-B*2705 est le sous-type dit « ancestral » — dont dérivent par mutation la plupart des autres sous-types — et le plus associé au développement des spondylarthrites et de l’uvéite. Il est présent dans la plupart des populations. Les sous-types HLA-B*2702, HLA-B*2704 (prédominant en Asie) sont ensuite ceux le plus fréquemment associés aux spondylarthrites. Toutefois, parmi une population japonaise, le sous-type HLA-B*2704 a été trouvé moins associé au développement de l’uvéite que le sous-type HLA-B*2705 [15]. Les sous-types HLA-B*2706, courant en Asie du Sud-Est, et HLA-B*2709, limité principalement à la Sardaigne, ne sont que peu ou pas du tout associés au risque de développer des maladies liées à B27 [7] — ces deux formes alléliques ont en commun une mutation de l’acide aminé en position 116 dans la molécule HLA-B, qui pourrait donc jouer un rôle dans la susceptibilité aux spondylarthrites [16]. Enfin, un allèle HLA-B rare, structurellement proche du B27, l’HLA-B* 1403 a été identifié comme associé à la spondylarthrite ankylosante au Togo [17]. Certaines études indiquent également qu’à côté de ces associations bien établies, d’autres allèles HLA-B, comme B60, B35 et B39, pourraient avoir un rôle dans le déterminisme des spondylarthrites dans certaines populations [11,12]. La signification de ces associations reste néanmoins imprécise à ce jour et il n’existe pas actuellement de relevance clinique, tant en termes diagnostiques que pronostiques, à rechercher ces sous-types.
Principales Hypothèses Liées À La Présence de L’antigène Hla-B27
Les sous-types de B27 diffèrent par des substitutions d’un ou de plusieurs acides aminés dans les domaines α1 et α2 de la chaîne lourde de la molécule ; ils influencent ainsi la sélection des peptides présentés aux lymphocytes T. Ces propriétés, ainsi que le grand polymorphisme des molécules HLA-B, sont à l’origine des théories physiopathologiques classiques du peptide « arthritogène » ou « uvéitogène » et du mimétisme moléculaire. De plus, des hypothèses récentes, indépendantes des fonctions de présentation antigénique, mettent en cause les particularités biochimiques de la molécule B27 et leurs conséquences sur la réponse immunitaire (tableau 26-II).
Théorie du Peptide « Arthritogène » Ou « Uvéitogène »
Cette théorie suppose que la molécule HLA-B27 aurait la propriété unique de présenter un (ou plusieurs) peptides provenant d’un antigène exprimé spécifiquement dans les tissus cibles (articulations, œil) des spondylarthrites et d’activer des lymphocytes T CD8+ pathogènes vis-à-vis de ces tissus. Cette hypothèse est confortée par l’analyse des peptides présentés par B27 et lui seul, montrant qu’une grande majorité d’entre eux possède un résidu arginine en position 2 (Arg2) (fig. 26-1). L’hypothèse du mimétisme moléculaire, complémentaire de la précédente, fait intervenir en plus un rôle de l’environnement bactérien. En effet, dans ce cas, l’infection bactérienne provoquerait une réaction immunitaire croisée entre un antigène bactérien et des peptides du soi. Bien que quelques peptides communs aient pu être identifiés (comme le peptide partagé par la molécule B27 et des entérobactéries), le caractère pathogène des réponses immunitaires dans ce contexte n’a jamais pu être formellement démontré.
Particularités Biologiques de La Molécule Hla-B27
Plus récemment, des anomalies biologiques de la molécule HLA-B27 ont été observées, telles que la possibilité pour B27 de former des dimères de chaînes lourdes, sans association à la β2-microglobuline, tout en maintenant sa capacité à s’exprimer à la surface cellulaire [18]. L’appariement des chaînes lourdes d’HLA-B27 est favorisé par l’existence de cystéines en position 67 capables de créer des ponts disulfures (fig. 26-2). Les conséquences immunologiques de ces homodimères de chaînes lourdes sont potentiellement très nombreuses, de la présentation anormale d’autoantigènes aux lymphocytes T CD4+ à des interactions de ces dimères avec les récepteurs de type Natural Killer[18,19]. De plus, des anomalies du repliement de la molécule B27 dans le réticulum endoplasmique sont responsables d’une réponse de stress avec activation de la voie NF-κB et d’une amplification de la réponse inflammatoire (tableau 26-II).
Facteurs Génétiques
L’antigène HLA-B27 peut être considéré comme un marqueur génétique de prédisposition aux spondylarthrites ou à l’uvéite antérieure. Le principal argument de l’implication directe de B27 dans la prédisposition à la maladie est l’existence de modèles animaux transgéniques pour la molécule HLA-B27 qui développent spontanément un tableau proche de celui des spondylarthrites [20,21]. Ainsi, l’hypothèse ancienne d’une association fortuite de B27 avec les spondylarthrites due à l’existence d’un autre gène proche et/ou en déséquilibre de liaison avec B27 paraît peu probable. En revanche, de même que le fonds génétique des animaux transgéniques influence la susceptibilité à la maladie, les études familiales suggèrent l’existence d’autres facteurs génétiques associés à l’antigène HLA-B27.
Épidémiologie Génétique des Spondylarthrites Et de L’uvéite B27
Dans la population française, 80 % à 90 % des patients atteints de spondylarthrites sont porteurs du HLA-B27, contre 7,5 % des individus de la population générale. Pourtant, le rôle du complexe majeur d’histocompatibilité n’explique pas l’ensemble de la prédisposition génétique aux spondylarthrites. En effet, bien que la prévalence de la spondylarthrite ankylosante soit corrélée à la prévalence de B27 et bien que plus de 90 % des patients soient porteurs de l’antigène HLA-B27, moins de 1 % à 5 % des porteurs de l’antigène HLA-B27 dans la population générale développeront une spondylarthrite [9,22]. Au total, l’antigène HLA-B27 n’expliquerait pas plus de 20 % à 30 % du risque génétique total de développer une spondylarthrite ankylosante [23,24].
Dans le cas de la spondylarthrite ankylosante, une méta-analyse des données disponibles a estimé le risque de spondylarthrite ankylosante à 8,2 % chez les frères et sœurs (germains) et à 7,9 % chez les parents de patients [27]. Compte tenu d’une fréquence de la spondylarthrite ankylosante estimée à 0,1 % dans la population générale, le risque de développer une spondylarthrite ankylosante pour un apparenté au premier degré par rapport au risque dans la population générale est d’environ 80 (dit aussi risque relatif de récurrence : λR = 8 %/0,1 %). Dans le cas des spondylarthrites, une seule étude récente réalisée en France a évalué le risque de récurrence chez les apparentés du premier degré à partir de l’étude des fratries de quatre-vingt-trois patients (deux cent soixante-huit individus) [29] et rapporte un risque un peu plus faible, estimé à 40 (λR). Le risque de récurrence dans les familles permet également de quantifier le poids des gènes non-HLA-B27 dans la prédisposition à la maladie. Ce dernier, λRnon-HLA-B27 est le rapport entre la fréquence de la maladie chez les apparentés porteurs du B27 et celle de la maladie chez les porteurs de l’antigène HLA-B27 dans la population générale. Dans le cas de la spondylarthrite ankylosante, la prévalence est estimée entre 1,2 % et 1,3 % chez les porteurs de B27 dans la population générale, pour une fréquence de 15 % à 21 % chez les apparentés au premier degré, ce qui permet d’estimer un λRnon-HLA-B27 entre 12 à 16 [30]. Concernant les spondylarthrites, avec une fréquence de l’antigène HLA-B27 dans la population générale à 7,2 %, la même étude a pu estimer un λRnon-HLA-B27 à 6,5.
De même, le risque de développer une uvéite pour un apparenté de patient ayant présenté une uvéite B27 est de 13 %, contre 1 % pour les porteurs de B27 dans la population générale [10]. Le taux de concordance chez les jumeaux homozygotes est de 40 % contre 7 % chez les jumeaux dizygotes pour l’uvéite, suggérant également que d’autres gènes non-HLA-B27 participent au développement de l’uvéite [28].
Au total et à partir de ces modélisations génétiques, l’antigène HLA-B27 interviendrait pour environ un tiers dans la prédisposition génétique des spondylarthrites dans un modèle comptant de trois à neuf gènes (incluant le HLA-B27) exerçant entre eux des effets multiplicatifs (interaction épistatique) [11].
Rôle Et Identification des Gènes de Susceptibilité En Dehors de L’antigène Hla-B27
Les criblages génomiques portent pour la plupart sur des familles souffrant de spondylarthrite ankylosante. Les études de liaison par criblage génomique consistent à rechercher des facteurs de susceptibilité génétique inconnus transmis avec le phénotype malade. Ces études ont mis en évidence sans surprise une liaison génétique principale dans la région du CMH située sur le bras court du chromosome 6, où se situe l’antigène HLA-B27 [11,31]. Ces études, en accord avec les études d’épidémiologie génétique, ont attribué de 40 % à 50 % de poids de la composante génétique totale à cette région. Si l’antigène HLA-B27 explique la plus grande partie de cette liaison, des données suggèrent que d’autres gènes de cette région pourraient aussi y contribuer. Ainsi, quelques études ont recherché une participation des allèles du CMH de classe II (HLA-DR), des gènes du TNF ou du complément, et des gènes qui participent à la présentation des peptides par les molécules de classe I (gènes TAP et LMP) [32–34]. Seule une étude a pu clairement s’affranchir du déséquilibre de liaison avec B27 et a mis en évidence un effet supplémentaire de l’HLA-DR4 dans la susceptibilité aux spondylarthrites chez des apparentés B27+ de patients [11]. Un rôle de l’HLA-DR8 dans la susceptibilité au développement des uvéites a été mis en évidence dans une étude japonaise comparant des patients atteints de spondylarthrite ankylosante avec et sans uvéite [35].
En dehors de la région du CMH, les criblages génomiques réalisés par différentes équipes ont pu identifier diverses régions chromosomiques de susceptibilité (1p, 2p, 2q, 3p, 9q, 10q, 11p, 16q, et 19q) [22]. Une seule étude de criblage génomique s’est intéressée à l’uvéite isolément et a mis en évidence une région génétique sur le chromosome 9, en 9p21-9p24, associée uniquement au développement de l’uvéite [8,36].
L’approche « gène candidat » consiste à tester des gènes supposés être impliqués dans la physiopathologie de la maladie et, au mieux, situés dans les régions identifiées par les études de liaisons préalablement citées. Il existe de nombreuses études de type gènes candidats pour la spondylarthrite ankylosante, dont la plupart sont restées négatives ou n’ont pu être répliquées. Parmi ces régions, les gènes du cluster de l’interleukine 1 semblent impliqués dans le développement des spondylarthrites et ont été retrouvés par différentes équipes [24]. Concernant l’uvéite, deux gènes candidats, CTLA-4 et PTPN22, n’ont pas montré d’association dans une cohorte de patients ayant présenté au moins un épisode d’uvéite antérieure aiguë [37].
Plus récemment, la possibilité de réaliser des études d’association sur génome entier (Genome-wide association studies) a été proposée dans les maladies multifactorielles. Aucune étude d’association dite à haute densité sur génome entier n’a été effectuée dans le cas de la spondylarthrite ankylosante. Toutefois, le WTCCC (Wellcome Trust Case-Control Consortium Study) a réalisé une étude cas-témoins pour sept maladies communes, incluant mille cas de spondylarthrite ankylosante et mille cinq cents témoins, génotypés pour 14 436 SNP codants et 897 SNP du complexe majeur d’histocompatibilité [38]. Cette étude représente de fait la plus grande étude génétique pour la spondylarthrite ankylosante [39]. Ce travail a permis d’identifier deux gènes majeurs impliqués dans la spondylarthrite ankylosante, ARTS1 et IL23R ; ces résultats ont été confirmés par des études indépendantes [40–42].