26. Troubles de la déglutition et leur rééducation

Chapitre 26. Troubles de la déglutition et leur rééducation

Gauthier Desuter and Laurent Pitance





Physiologie


La plupart des auteurs s’accordent à scinder l’acte de déglutir en trois phases successives parfaitement coordonnées entre elles, de manière séquentielle.

La première phase est nommée temps buccal. Toutes actions réalisées durant cette phase sont sous contrôle cortical volontaire. Son rôle essentiel consiste en une préparation adéquate du bolus alimentaire. Celui-ci, une fois conditionné, sera « transmis », de façon parfaitement coordonnée, au deuxième temps de la déglutition.

Ce deuxième temps est nommé temps pharyngien. Il s’agit d’un temps extrêmement court (± 1s), sous contrôle essentiellement bulbaire, durant lequel le bolus est transmis à l’œsophage en mettant en œuvre tous les mécanismes propulseurs et protecteurs nécessaires afin d’éviter toute fausse route.

Enfin le troisième temps, appelé temps œsophagien, assure le transfert du bolus du sphincter œsophagien jusqu’au cardia sous contrôle nerveux autonomique.


Les trois temps de la déglutition



Temps buccal



Temps préparatoire


Durant ce temps, plusieurs fonctions coexistent et collaborent afin d’aboutir à un seul et unique résultat : un bolus alimentaire apte à passer sans encombre les deux phases suivantes.

Ces fonctions sont les suivantes :




préhension buccale : l’ouverture des lèvres est assurée par les muscles releveurs de la lèvre supérieure, zygomatiques et risorius pour la lèvre supérieure, par les muscles abaisseurs de la lèvre inférieure et mentonnier pour la lèvre inférieure. L’innervation motrice de ces muscles est assurée par les nerfs faciaux ;


contention antérieure : réalisée par les lèvres, mues par le muscle orbiculaire de la bouche et les muscles abaisseurs de l’angle de la bouche innervés par des branches terminales des nerfs faciaux ;


mastication (uniquement pour les aliments solides et semi-solides) : il s’agit d’un mouvement complexe des lèvres, des joues, de la langue et de la mandibule s’opérant dans les trois plans. L’efficacité de cette fonction dépend en grande partie de l’état dentaire du patient. Les mouvements synchrones et coordonnés de la mandibule et de la langue n’auront de cesse de « présenter » le bolus aux dents, ou à défaut, au palais dur et aux crêtes gingivales.

Le tableau 26.1 résume les différents muscles impliqués dans ce processus ainsi que leurs innervations [1].






































Tableau 26.1 Muscles et nerfs impliqués dans la mastication
*muscle impair ; V3 : branche inférieure du nerf trijumeau ; VII : nerf facial ; XII : nerf grand hypoglosse.
Groupes fonctionnels de la mastication Muscles Innervation motrice
Muscles abaisseurs de la mandibule


– m. géniohyoïdiens


– m. mylohyoïdiens


– ventres antérieurs des m. digastriques
XII
Muscles élévateurs de la mandibule


– m. temporal


– m. masséters


– m. ptérygoïdiens internes (action bilaterale)
V3
Muscles diducteurs (action unilatérale)


– m. ptérygoïdiens médiaux


– m. ptérygoïdiens latéraux
V3
Muscles linguaux Intrinsèques


– m. longitudinaux inférieurs


– m. longitudinal supérieur*


– m.transverse de la langue*


– m. vertical de la langue*
XII

Extrinsèques


– m. génioglosses


– m. hyoglosses


– m. styloglosses


– m. palatoglosses


– m. chondroglosses
Muscle jugal – m. buccinateurs VII




Temps buccal proprement dit


Ce temps correspond à la rétropulsion du bolus alimentaire correctement conditionné vers l’oropharynx avant l’initialisation du temps pharyngo-œsophagien.

Cela se traduit par une activité musculaire volontaire intense qui peut se schématiser chronologiquement de la façon suivante :




– fermeture de la mandibule sous l’action des muscles temporaux, masséters et ptérygoïdiens médiaux ;


– rassemblement du bolus alimentaire au niveau de la voûte palatine par l’action des muscles génioglosses ;


– pression caudocraniale et antéropostérieure de la langue mobile sur le bolus alimentaire sous l’action coordonnée des muscles extrinsèques, styloglosses, palatoglosses et pharyngoglosses, et intrinsèques, vertical, longitudinaux et transverse, le tout donnant un aspect de propulsion ondulatoire quasi péristaltique [3] ;


– fermeture du rhinopharynx par élévation du voile du palais sous l’action des muscles élévateurs du voile innervés par le plexus pharyngien (X et IX) ;


– abaissement de la base de langue par contraction du muscle hyoglosse [4].

La fin de ce temps buccal est caractérisée par l’arrivée au niveau du pilier antérieur de la loge palatine (muscle palatoglosse) du complexe « langue mobile – bolus ». Le temps réflexe pharyngo-œsophagien entre alors en action.


Temps pharyngien


Il s’agit du temps le plus fascinant de cette physiologie. En effet, c’est le temps qui voit le bolus franchir en une seconde le carrefour aérodigestif, sans fausse route, pour rejoindre la lumière œsophagienne. La bonne coordination dans le temps des différents événements musculaires constitue la pierre angulaire de toute cette phase.

La première question à se poser est donc la suivante : quel est le temps zéro de ce temps ? Autrement dit, sur quel temps T initial les autres actions devront-elles se baser pour initier leur mouvement ?

Nous tâcherons d’y répondre même si aucune réponse formelle n’existe à ce jour.

Il est bien évident que la transition entre la première et la seconde phase de la déglutition se fait sur le mode « fondu enchaîné ».

Cependant, d’un point de vue pathologique, il est parfois important de déterminer la limite entre le premier temps volontaire et le second temps réflexe, de façon à pouvoir déterminer, par exemple, une latence d’initialisation du temps réflexe.

On a cru longtemps que la rétropulsion linguale, ou plus exactement, le franchissement du plan frontal constitué par les muscles palatoglosses (piliers antérieurs de la loge amygdalienne) constituait le temps initial du temps réflexe. Il s’agirait plutôt de la fin du temps buccal, au vu de la littérature récente.

Les données vidéofluoroscopiques ont permis par la suite d’observer un départ d’ascension laryngée plus précoce de quelques centièmes de seconde. L’ascension laryngée a donc été évoquée comme mouvement initial du temps réflexe.


La latence entre la rétropulsion linguale et la médialisation aryténoïdienne est donc importante à observer en pratique courante. Une latence trop longue, autrement dit, un réflexe trop retardé, provoque inévitablement une fausse route primaire par non-activation des mécanismes propulseurs et protecteurs.

En effet, le temps pharyngo-œsophagien de la déglutition peut se comprendre comme un ensemble de processus que l’on peut catégoriser en mécanismes propulseurs et protecteurs. Ces processus agissent de manière séquentielle ou simultanée mais toujours de manière coordonnée.

Cette intégration des processus est assurée par les centres bulbaire et suprabulbaire de la déglutition.


Mécanismes propulseurs


Deux types de pressions vont être appliqués sur le bolus alimentaire :




– la première pression est exercée par la base de langue grâce à la contraction des muscles styloglosses et palatoglosses innervés par le nerf grand hypoglosse. Cette pression est habituellement nommée : le piston lingual ;


– la deuxième pression est assurée par le raccourcissement longitudinal et horizontal des muscles constricteurs du pharynx réalisant une véritable vague de péristaltisme craniocaudal. Cette onde péristaltique se propage à la vitesse de 12 à 25cm/s. Son initialisation correspond au déclenchement du piston lingual.

Fort logiquement, les muscles constricteurs se contractent de manière séquentielle en débutant par la contraction du muscle constricteur supérieur dès le nasopharynx, suivie de la contraction du muscle constricteur moyen pour terminer par la contraction du muscle constricteur inférieur.

Toutes ces actions sont réalisées sous contrôle nerveux du plexus pharyngien, rassemblant des fibres des nerfs glossopharyngien (IX), vague (X) et accessoire (XI).

Ce péristaltisme s’opère simultanément à l’action d’autres muscles notamment le salpingopharyngien innervé par le plexus pharyngien (IX, X, XI) mais surtout les stylopharyngiens innervés par le nerf glossopharyngien (IX) opérant un raccourcissement craniocaudal de la filière pharyngée.

Contrairement au péristaltisme œsophagien, la gravité ne joue aucun rôle « propulseur » au niveau du carrefour aérodigestif.


Mécanismes protecteurs des voies aériennes



Inhibition des centres respiratoires

La respiration est sous contrôle du système nerveux central. Plus exactement la respiration volontaire est sous contrôle du cortex cérébral et la respiration autonomique sous contrôle des centres respiratoires bulbaires. Ces centres respiratoires guident leurs actions en fonctions d’afférences très diverses.

Les plus connus sont les chémorécepteurs périphériques (corpuscules carotidiens) ou centraux (médullaires) réagissant aux variations de pression partielle en oxygène et les mécanorécepteurs de Hering-Breuer réagissant aux distensions du tissu pulmonaire.

D’autres afférences interviennent bien évidemment dont celles liées à la déglutition.

On pourrait schématiser celles-ci comme suit.

Un certain nombre de connections inhibitrices partent des centres bulbaires de la déglutition vers leurs centres homologues respiratoires au moment même où l’ordre de déglutition est transmis aux muscles effecteurs. La respiration s’interrompt donc à la fin du temps buccal durant un peu plus d’une seconde. Cette apnée est immédiatement suivie d’une expiration dont le rôle semble être protecteur également [7].

Plusieurs auteurs ont émis l’hypothèse d’une prolongation de cette apnée induite par le centre bulbaire de la déglutition en réponse à une stimulation sensitive excessive du nerf laryngé supérieur, chez les enfants souffrant d’une immaturité nerveuse centrale, notamment chez les enfants prématurés.

D’après Nishino et al. [8], le nerf laryngé supérieur occuperait une place prépondérante dans la régulation de cette inhibition. En effet, chez l’animal, la stimulation du nerf laryngé supérieur occasionne une apnée ainsi qu’une déglutition complète.


Enfin, toujours selon Nishino, le volume courant au cours du cycle respiratoire suivant une déglutition est augmenté, ce qui expliquerait les épisodes de désaturation des patients souffrant d’une bronchopneumopathie chronique obstructive durant les repas.


Occlusion glottique

On l’a vu, l’occlusion glottique semble bien être la première action musculaire de la phase réflexe pharyngoœsophagienne. Son initialisation représente l’actionétalon sur laquelle toutes les autres actions musculaires se coordonnent dans le temps.

Cette occlusion est réalisée par les muscles adducteurs des cordes vocales, crico-aryténoïdiens latéraux, thyroaryténoïdiens et interaryténoïdiens sous contrôle nerveux du nerf récurrent (branche du nerf vague X), et par les muscles tenseurs des cordes vocales, cricothyroïdiens sous contrôle nerveux du nerf laryngé supérieur (branche du nerf vague X).


Ascension laryngée

Combinée à la rétropulsion linguale terminant le temps buccal, elle représente un des mécanismes protecteurs les plus efficaces. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer l’importance des troubles de la déglutition présentés par les patients trachéotomisés sans autre étiologie de dysphagie, la trachéotomie ancrant le larynx aux structures cutanéo-musculaires superficielles.

Cette ascension laryngée est conditionnée par la contraction d’un groupe musculaire que l’on peut qualifier de sus-hyoïdien (les ventres antérieurs des muscles digastriques, les muscles mylo-hyoïdiens innervés par le nerf trijumeaux, les muscles génio-hyoïdiens innervés par le nerf grand hypoglosse, les muscles stylo-hyoïdiens innervés par les nerfs faciaux et glossopharyngiens), et d’un groupe musculaire que l’on peut qualifier de sous-hyoïdien (les muscles thyro-hyoïdiens innervés par les nerfs grands-hypoglosses et les muscles pharyngostaphylins innervés par les nerfs vagues).

L’action de ces muscles sera rendue possible par la fermeture mandibulaire assurée par l’action des muscles élévateurs de la mandibule. L’ascension laryngée est, en effet, quasi irréalisable bouche ouverte.

L’action de toute cette musculature est grandement influencée par la posture cervicocéphalique du patient. Celle-ci évite le décubitus dorsal et tout mouvement de flexion ou de torsion de l’axe cervicocéphalique.


Bascule de l’épiglotte sur les cartilages aryténoïdes

L’épiglotte, sorte de « pétale de rose » cartilagineux, se voit cisaillée entre d’une part la rétropulsion basilinguale et d’autre part le mouvement cranio-antérieur du « boîtier cartilagineux » laryngé. Ce mouvement de cisaillement est appréciable en vidéofluoroscopie. L’action des muscles ary-épiglottiques innervés par le nerf récurrent ainsi que la pression du bolus alimentaire ont pour effet de faire basculer l’épiglotte sur le vestibule laryngé et plus particulièrement la face craniale des cartilages aryténoïdes.


De même, la pexie linguolaryngée dont bénéficient la plupart du temps les patients opérés de laryngectomie horizontale supraglottique leur assure un recouvrement satisfaisant de leur fonction déglutatoire dans un délai tout à fait acceptable [10, 11].

Si le rôle de l’épiglotte semble peu important, il n’en va pas de même des cartilages aryténoïdes. Leur présence anatomique, bien plus encore que la fonctionnalité de leur articulation crico-aryténoïdienne, s’avère déterminante à la protection des voies aériennes durant la déglutition.

Le relief aryténoïdien constitue une barrière anatomique importante aux fausses déglutitions tant primaires que secondaires. En cas de résection d’un cartilage aryténoïdien, le sinus pyriforme hétérolatéral sera bien souvent privilégié.

L’intégrité du cartilage aryténoïdien est également une condition sine qua non de la compétence glottique.


Ouverture du sphincter supérieur de l’œsophage encore appelé Bouche de Killian

Le sphincter supérieur de l’œsophage est en fait constitué de plusieurs contingents de fibres musculaires appartenant à différents muscles : les faisceaux cricopharyngiens du muscle constricteur inférieur du pharynx, le muscle crico-haryngien et les premières fibres longitudinales de l’œsophage cervical.

Deux phénomènes distincts interviennent dans le mécanisme d’ouverture du sphincter supérieur de l’œsophage, d’une part sa relaxation, conditionnée par l’innervation du nerf vague, et d’autre part sa distension passive, conditionnée par l’élévation laryngée et la pression du bolus [12].

Le sphincter supérieur de l’œsophage est une zone de haute pression, longue de 2,5 à 4,5cm centrée sur le muscle cricopharyngien. Le tonus musculaire sous contrôle du nerf vague permet d’y maintenir une pression endoluminale moyenne de 35mmHg. C’est ce tonus qui permet d’éviter l’intromission d’air dans l’œsophage en dehors des repas.

Ce tonus est naturellement réduit dès le début du péristaltisme pharyngé et précède l’ouverture proprement dite du sphincter par distension. Cette distension est exercée par traction antérieure du chaton cricoïdien lors de l’élévation laryngée. Le sphincter s’ouvre 150ms après l’élévation du larynx et reste ouvert environ pendant 500ms [13].


Temps œsophagien


Au moment de la déglutition, à la fin de la contraction du pharynx, le sphincter pharyngo-œsophagien se relâche durant une demi-seconde.

Ensuite, une onde péristaltique parcourt l’œsophage de haut en bas à la vitesse de 2 à 4cm/s. Moins de 2s après la relaxation du sphincter supérieur, le sphincter gastroœsophagien se relâche. Cette relaxation dure 5 à 10s. Elle se termine par une contraction qui prolonge l’onde péristaltique et se maintient pendant une dizaine de secondes. Ensuite, le tonus de base se rétablit.

L’onde péristaltique induite par la déglutition est appelée onde péristaltique primaire.

Sous le nom de péristaltisme secondaire, on désigne l’onde de propulsion déclenchée par la distension de la paroi œsophagienne [14].


Contrôle nerveux de la déglutition


Le contrôle nerveux de la déglutition (figure 26.1) peut conceptuellement se subdiviser en trois éléments distincts :








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Figure 26.1
Le contrôle nerveux de la déglutition





– le processeur central médullaire (PCM) ;


– les afférences sensorielles périphériques et corticales ;


– les efférences motrices.


Processeur central médullaire


Véritable centre organisateur des différents mouvements musculaires nécessaires à l’accomplissement d’une déglutition, il déclenche, module et séquence cette dernière.

Il se situe au niveau médullaire et se compose de deux groupes dorsaux situés au niveau des noyaux solitaires et de deux groupes ventraux situés en avant des noyaux ambigus. Il existe des connexions nerveuses étroites d’une part entre les groupes dorsaux et ventraux et, d’autre part, de part et d’autre de la ligne médiane. L’ensemble de ce dispositif constitue le PCM, siège des afférences à la fois périphériques et corticales [15].

Des études expérimentales récentes soulignent le rôle de déclencheur et de modulateur des groupes dorsaux (noyaux solitaires), les groupes ventraux (noyaux ambigus) intervenant dans un second temps, sous l’impulsion des groupes dorsaux, en tant que déclencheur « prémotoneuronal » des différents noyaux centraux des nerfs crâniens tout proches (V, VII, IX, X, XII).

Une inhibition rostrocaudale, entre les groupes dorsaux et ventraux, expliquant la « pseudo-péristaltique » de l’oropharynx à l’œsophage, a par ailleurs été évoquée par certains auteurs [15].


Afférentations



Afférentations sensitives périphériques


Les afférences sensitives, générées au niveau de récepteurs muqueux oropharyngés et de mécanorécepteurs palatopharyngés, sont transmises via le V, IX et le X au PCM, ainsi qu’au cortex. Le volume ainsi que la texture du bolus ingéré entraînent une modification du « pattern déglutatoire » par les groupes dorsaux du PCM, soit directement, soit indirectement, sous l’action d’afférentations corticales.


Afférentations corticales


Il est possible de déglutir en l’absence d’action corticale. Des déglutitions ont en effet été objectivées chez le fœtus anencéphale. Il s’agit alors d’un arc réflexe simple sensitivomoteur rendu possible par la présence du PCM.

On a longtemps évoqué deux types bien distincts de contrôle nerveux de la déglutition :




– l’un, involontaire, arc réflexe pur, sans afférentations corticales ;


– l’autre, volontaire, sous commande corticale.

Des études très récentes, basées sur la résonance magnétique nucléaire fonctionnelle (RMNf) liée à la tomographie à émission de positrons (TEP), viennent infirmer cette conception ancienne. En effet, bon nombre de zones corticales sont actives lors de la déglutition dite involontaire. De plus, que ce soit pour la déglutition volontaire ou involontaire, les territoires centraux concernés sont multiples et bilatéraux. D’un point de vue clinique, ceci explique la forte incidence de dysphagie lors d’accidents vasculaires cérébraux dans des territoires cérébraux pourtant divers.

Parmi les territoires impliqués, citons : le gyrus précentral latéral, le cortex pariétal somatosensoriel, le cortex temporal, le cortex cingulaire, l’opercule insulaire et frontal ainsi que le thalamus. En l’état actuel des connaissances, l’hémisphère droit semble être prépondérant.

L’ensemble de ces territoires transmet des afférentations modulatrices (excitatrices et inhibitrices) aux groupes dorsaux des PCM. Ils sont notamment responsables de la commande volontaire de déglutition, le déclenchement de la cascade d’événements musculaires dépendant quant à lui du PCM.


Efférentations


L’impulsion de la commande motrice émane des groupes ventraux (noyau ambigu) du PCM vers les différents noyaux motoneuronaux tout proches. Cette action des noyaux ventraux est subordonnée aux influx des noyaux dorsaux sous l’influence des périphériques et supramédullaires.


Physiopathologie



Introduction


Fred Mc Connel proposa dès la fin des années 1980 une modélisation de l’acte de déglutir appelée « le modèle du piston » [16]. Ce modèle compare le segment pharyngoœsophagien à un piston — la base de langue — évoluant de haut en bas dans un fût — la lumière pharyngée.

Le franchissement sans encombre du pharynx durant le second temps de la déglutition est fonction de la qualité de ce piston. Par qualité, on entend une parfaite maîtrise des mécanismes propulseurs et protecteurs, et ceci en un temps record de l’ordre de la seconde.

Pour que ce piston soit compétent, un certain nombre de conditions devront être réunies :




– un hermétisme du fût pharyngé conditionné par :




• une intégrité anatomique pharyngolinguale,


• une intégrité anatomique vélaire,


• une occlusion étanche du larynx ;


– une absence de résistance en aval conditionnée par :




• une relaxation et une ouverture passive du sphincter supérieur de l’œsophage,


• une absence de compression intrinsèque ou extrinsèque de la lumière pharyngo-œsophagienne ;


– une bonne pression de « chasse » conditionnée par :




• un bon tonus de base et une bonne contractilité des muscles linguaux,


• un bon tonus de base et une bonne contractilité des muscles pharyngés ;


– un mouvement contraire et coordonné du piston (la langue) et de la partie antérieure de son fût (le larynx) conditionné par :




• une bonne physiologie de la musculature sus- et sous-hyoïdienne,


• une absence d’entrave à l’ascension laryngée.

Ce piston agit également de manière coordonnée, exigeant une intégration nerveuse sensitivomotrice parfaite ainsi qu’une coordination fine avec la physiologie respiratoire.


Classement physiopathologique des altérations de la déglutition


Les pathologies sont classées en cinq catégories distinctes (tableau 26.2).



















Tableau 26.2 Classement physiopathologique des altérations de la déglutition
Atteintes de la phase préparatoire de déglutition Xérostomie
Démence
Certains types d’accidents vasculaires cérébraux
Sclérose latérale amyotrophique
Édentation, etc.
Atteintes prépondérantes des mécanismes propulseurs Sclérodermie
Dermatopolymyosite
Sclérose latérale amyotrophique
Myasténie
Dystrophie myotoniques de Steinert
Dystrophie musculaire de Duchenne, etc.
Résection vélaire
Intoxication médicamenteuse
Déficit anatomique lingual, etc.
Atteintes prépondérantes des mécanismes protecteurs Paralysie glottique en abduction
Déficit anatomique laryngé
Atteintes sensitives du pharyngolarynx (AVC)
Trachéotomie, etc.
Atteintes mixtes : Par atteinte mixte on entend une atteinte simultanée des mécanismes propulseurs et des mécanismes protecteurs. Ces présentations sont polymorphes. En voici quelques exemples non exhaustifs :


– les patients atteints de dystrophie myotonique de Steinert cumulent souvent une atteinte simultanée des muscles constricteurs du pharynx (atteinte des mécanismes propulseurs) et des muscles élévateurs et antérogrades du larynx (atteinte des mécanismes protecteurs) ;


– les patients présentant un AVC peuvent présenter des symptomatologies mixtes en fonction du caractère sensitif ou moteur des territoires corticaux atteints ;


– les patients parkinsoniens présentent le plus souvent un retard de réflexe de déclenchement de phase 2 de déglutition (déficit protecteur), couplé à une impotence contractile des constricteurs du pharynx (déficit propulseur).

Les atteintes mixtes sont, par définition, les atteintes dont la prise en charge sera la plus ardue.

Autres mécanismes rares Asynchronismes apnée-déglutition rencontrés dans les Multiple System Atrophy, impactions de corps étrangers, thromboses de veines jugulaires internes, etc.


Bilan


Il comporte un examen ORL complet avec une attention toute particulière portée à l’intégrité des structures anatomiques et des paires crâniennes.

Le bilan clinique est complété par une fibroscopie souple de déglutition où le patient déglutit un bolus coloré de texture variable sous contrôle fibroscopique.

La vidéofluorographie complète parfaitement le bilan en mettant l’accent sur les incidences de profils, les structures osseuses ainsi que la physiologie du corps de l’œsophage.

D’autres techniques plus élaborées telles la vidéofluoromanométrie et l’électromyographie permettent dans certaines circonstances d’affiner le diagnostic.


Rééducation du patient dysphagique



Examen clinique au lit du patient


À l’adresse des rééducateurs, une fois que le diagnostic médical a été posé, il est de bonne pratique de refaire un examen clinique. Dans la pratique, cet examen poursuit plusieurs buts [17] :




– identifier la présence d’aspirations ;


– déterminer la nécessité d’un examen instrumental tel que la vidéofluorographie qui n’aurait pas été réalisé en première intention ;


– donner des recommandations pour l’éventuelle alimentation orale.

En outre, il sert de bilan de début de rééducation et offre de ce fait la possibilité d’une réévaluation fréquente en cours de rééducation.

L’examen clinique inclut l’inspection de la cavité buccale ainsi que l’évaluation de ses capacités motrices et sensitives. Les mouvements du cartilage thyroïde, du larynx ainsi que la synchronisation entre la déglutition et la respiration sont évalués. Il permet de mettre en évidence la présence de fausses routes pour autant qu’il n’y ait pas d’aspirations silencieuses. Il constitue une source de renseignements importante à la fois dans le bilan global du patient et pour la prise en charge thérapeutique.

L’examen clinique comporte un interrogatoire (si la coopération du patient le permet), un examen morphologique, un examen fonctionnel ainsi qu’un examen de la déglutition salivaire dans un premier temps et alimentaire dans un second temps si l’état du patient le permet.

Lors de l’interrogatoire, on s’intéresse à :




– l’anamnèse médicale, réalisée préalablement par l’ORL, comprenant le diagnostic ainsi que l’histoire de la pathologie. L’historique des symptômes de la dysphagie (ancienneté, mode d’apparition, évolution, etc.) ;


– l’évaluation du statut nutritionnel (index de masse corporelle, perte de poids, déshydratation, sélection alimentaire, textures préférentielles, sensation de faim et de soif, etc.) qui aura été réalisée préalablement par le nutritionniste ;


– l’évaluation du statut respiratoire du patient (présence d’une trachéotomie, efficacité de la toux volontaire, présence d’encombrement respiratoire, fréquence des infections respiratoires, etc.).

L’examen morphologique et fonctionnel réalisé par le rééducateur comporte :




– l’évaluation de l’état de souplesse et la mobilité de la colonne cervicale. On évalue les mouvements de rotation, de flexion, d’extension, et d’inclinaison du rachis cervical en termes de mobilité et de douleur ;
































Tableau 26.3 Évaluation sensitive et motrice des paires crâniennes intervenant dans les mécanismes de la déglutition.
Nerfs craniens Évaluation sensitive Évaluation motrice
Nerf trijumeau V Test de la sensibilité endobuccale (palais, joues, langue sensitive non gustative) et exobuccale (lèvres, menton, joues) Évaluation de la mobilité mandibulaire (muscles masticateurs) et de l’ascension laryngée (muscles mylo-hyoïdiens)
Nerf facial VII Test de la sensibilité gustative des deux tiers antérieurs de la langue (corde du tympan) Évaluation de la mobilité des muscles peauciers (symétrie faciale, compétence labiale) et de l’ascension laryngée (muscles ventre postérieur du digastrique et génio-hyoïdiens)
Nerf glossopharyngien IX Test de sensibilité de la base de langue et de piliers (zone de déclenchement du réflexe de déglutition)
Test de sensibilité gustative du tiers postérieur de la langue
Test du réflexe nauséeux
Évaluation de l’ascension laryngée (muscles stylopharyngiens)
Évaluation de l’élévation du voile du palais
Nerf vague X Évaluation du réflexe de déglutition et du réflexe de toux Évaluation du reflux pharyngonasal
Signe du rideau
Nerf spinal XI
Évaluation de la rotation céphalique et de l’élévation de l’épaule
Nerf grand hypoglosse XII
Évaluation des mouvements linguaux
Évaluation de l’élévation laryngée (muscles génio-hyoïdiens)



– l’évaluation de la mobilité laryngée :




• la palpation manuelle évalue dans un premier temps la liberté de mouvements de l’os hyoïde et du cartilage thyroïde,


• l’élévation laryngée est évaluée lors de la déglutition salivaire. Le larynx s’élève de 2cm lors d’une déglutition salivaire normale. La prononciation de sons aigus permet d’évaluer la possibilité d’élévation laryngée ;

Oct 9, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on 26. Troubles de la déglutition et leur rééducation

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