24: L’enfant à protéger. Protection de l’enfance : structures médico-sociales

24 L’enfant à protéger. Protection de l’enfance


structures médico-sociales


Nous aborderons dans ce chapitre diverses situations : sévices à enfants, abus sexuels, négligences, abandons, qui ont toutes en commun de mettre en péril le bien-être physique et/ou psychique de l’enfant et qui nécessitent des mesures de protection appropriées.


Si les statistiques les plus récentes peuvent, à juste titre, susciter un émoi certain, il ne faudrait cependant pas oublier qu’aux siècles précédents l’enfant fut une victime fréquente, bien plus fréquente qu’actuellement, de mauvais traitements. Outre les infanticides nombreux jusqu’au XIXe siècle, l’abandon était une pratique quasi courante (121 000 enfants recueillis donc abandonnés en 1835 à Paris !) ; les placements nourriciers connaissaient une mortalité effrayante ; enfin les conditions dans lesquelles on faisait travailler les enfants s’apparentaient à une maltraitance quasi institutionnelle ; quant aux punitions et aux sévices corporels, il faut attendre le début du XXe siècle pour qu’on commence à les considérer comme des attitudes blâmables (cf. l’arrêté du ministère de l’École publique du 18.01.1887 modifié le 12.07.1918 pour les punitions à l’école primaire)1.


Les premières publications de Tardieu (1837, 1879) sur les sévices et les attentats aux mœurs établissant la réalité des mauvais traitements et des abus sexuels sur mineurs n’ont eu, à leur époque, aucun écho.


La banalité relative de la maltraitance explique peut-être qu’il ait fallu attendre le milieu du XXe siècle pour véritablement en décrire le tableau clinique.


F.D. Ingraham, neurochirurgien, affirme en 1939 la nature traumatique des hématomes sous-duraux du nourrisson ; F.N. Sylverman, radiologue, décrit les lésions osseuses fracturaires et leur caractère traumatique ; enfin Kempé, pédiatre, publie en 1962 Le syndrome de l’enfant battu en collaboration avec F.N. Sylverman et le pédopsychiatre B.F. Steele. En France, P. Strauss et M. Manciaux publieront leurs premières études en 1972 et 1975.


Quant aux abus sexuels, après une longue période de silence, les multiples campagnes d’information et de prévention en ont permis une approche moins passionnelle. Leur fréquence et ce qui semble être une augmentation régulière posent un véritable problème de société.



L’enfant maltraité


Selon le rapport général de la santé en France (novembre 1994, La Documentation française) « 40 000 enfants sont chaque année signalés et pris en charge par la justice ou l’aide sociale à l’enfance. Les mauvais traitements occasionnent au moins 600 décès par an et un nombre important bien que difficilement chiffrable avec précision d’incapacité physique et plus encore de troubles importants du développement psychoaffectif ».


Violence physique et violence sexuelle vont assez souvent de pair mais pas toujours. Dans son enquête de 1993 auprès d’adolescents de 11 à 19 ans interrogés sur les antécédents de violences physiques et/ou sexuelles subies, M. Choquet donne les chiffres présentés dans le tableau 24.1. Les garçons sont plus souvent que les filles victimes de violences physiques et il est rare quand ils sont victimes de violence sexuelles qu’ils ne soient pas aussi victimes de violences physiques. Les filles sont plus souvent que les garçons victimes de violences sexuelles (trois à quatre filles pour un garçon) mais il y a plus de filles qui subissent des « violences » sexuelles sans violence physique associée (l’inceste « séduction »).



Nous aborderons successivement la maltraitance physique puis l’abus sexuel en sachant donc les associations possibles.


Signalons aussi que, sans faire partie des sévices proprement dits, la « négligence à enfant » est une autre forme de maltraitance nécessitant souvent l’intervention des services de protection judiciaire ou sociaux. Dans la « négligence grave » les facteurs de risque socio-économiques et culturels sont souvent au premier plan ce qui est moins le cas pour les sévices. Cependant 46 % des enfants négligés seraient aussi victimes de sévices (American Human Association, 1984). La « négligence » a été abordée dans le chapitre « carence affective, carence de soin » (cf. chap. 20).


Enfin, il faut aussi évoquer les sévices moraux : bien que moins apparents, ces sévices moraux représentent une autre manière d’exercer la violence à l’encontre d’un enfant, violence plus subtile et peut-être plus dommageable aussi sur le plan psychologique. Le catalogue des sévices moraux dresserait en réalité le tableau des capacités d’invention humaine au service de l’agressivité, c’est dire qu’il n’y a pas de limite depuis les contraintes du corps (bras en l’air, immobilité physique, attitudes diverses imposées, etc.) jusqu’aux contraintes morales. La ligne de partage entre la réprimande ou la menace banale et la violence morale est loin d’être évidente. Pour notre compte il nous semble que la dimension pathologique est atteinte lorsque la jouissance à punir l’emporte sur la stricte nécessité éducative. Nous reviendrons sur ce point.


Nous rejoignons à travers cette énumération la définition de l’enfant maltraité, qui a été donnée par un groupe de travail de l’ODAS (Observatoire national de l’action sociale décentralisé) : « L’enfant maltraité est celui qui est victime de violences physiques, cruauté mentale, abus sexuels, négligences lourdes ayant des conséquences graves sur son développement psychique et psychologique. »



Sévices à enfant



Fréquence


Il est difficile de définir avec rigueur l’incidence de la maltraitance à enfants. D’abord parce que celle-ci dépend de la définition même de la maltraitance : considère-t-on les seuls sévices physiques, la maltraitance sexuelle, les deux, la négligence grave… Ensuite parce qu’il n’y a pratiquement aucune enquête en population générale : la plupart des évaluations représentent des extrapolations à partir de populations cliniques (enfants hospitalisés) ou d’enquêtes très localisées. En France on cite souvent le chiffre de 40 à 50 000 enfants maltraités, chiffre qui est une extrapolation à partir d’une recherche effectuée en 1974 dans la région parisienne. L’enquête hospitalière par autoquestionnaires auprès d’adolescents de 11 à 19 ans, nous apprend qu’environ un garçon sur cinq et une fille sur dix auraient été victimes de violence physique avec ou sans abus sexuel (cf. tableau 24.1 : cumul lignes B + D).


Aux États-Unis, on évoque le chiffre de 170 000 enfants maltraités en 1985 (Krugman). Dans la moitié des cas, il s’agit de négligence grave et les facteurs socio-économiques semblent au premier plan. L’incidence pour les traumatismes serait de 9,19 traumatismes pour 1000 enfants de moins de 5 ans et de 3,28 pour 1000 sur l’ensemble des moins de 18 ans. En Angleterre et au Canada, une incidence comprise entre 1 et 1,5 pour 1000 est souvent avancée. Il semble exister d’importantes disparités selon les pays, l’incidence étant plus faible dans les pays scandinaves.


Plus les enfants sont jeunes, plus ils sont vulnérables mais aussi victimes : 80 % des enfants ont moins de 3 ans et 40 % moins d’un an. La récidive s’observerait dans 50 à 60 % des cas en l’absence de mesures de protection de l’enfant (Strauss et Rouyer, 1982).


Le décès d’enfants à la suite de mauvais traitements, pour être rare, n’est pas exceptionnel.



Description clinique


Nous ne décrirons pas en détail le syndrome clinique qu’on retrouvera aisément dans la majorité des manuels de pédiatrie. En effet, c’est le plus souvent au médecin généraliste ou au pédiatre (du service de PMI, du service hospitalier) qu’incombe le diagnostic de sévices chez l’enfant.


Nous décrirons en revanche les manifestations psychologiques et psychopathologiques en particulier en termes d’interaction déviante.


Nous insisterons également sur le dispositif à mettre en place pour la prévention des rechutes et les soins psychologiques nécessaires tant à l’enfant qu’à la famille.




Troubles du comportement


Ils s’observent à partir de 12–18 mois. Outre le mauvais état général, certains enfants se montrent craintifs à l’excès, guettant du regard l’approbation de l’adulte avant de s’autoriser le moindre geste, paraissant figés. Le moindre mouvement de l’adulte provoque de leur part un geste de protection. On a décrit chez certains enfants un état de « vigilance glacée » (Kempé, 1978), c’est-à-dire une attention anxieuse et immobile portée à l’entourage comme si l’enfant scrutait anxieusement l’environnement pour y déceler un danger potentiel ou pour découvrir et anticiper le désir de l’autre. À l’opposé, certains font preuve d’un manque de réserve étonnant : ils vont trop facilement vers l’étranger, ne paraissent pas s’inquiéter du départ de leurs parents, établissent aussitôt avec les infirmiers une relation trop immédiate ou trop régressive. Cette familiarité, cette absence de crainte de l’étranger révèle la distorsion profonde de la relation avec les parents.


Chez l’enfant plus grand, on observe volontiers deux types de comportement : soit une grande timidité avec repliement craintif, soit à l’opposé une instabilité importante associée à des comportements souvent chaotiques et violents, en particulier avec les enfants de leur âge ou plus petits. Ces enfants sont agités, « hyperactifs », instables et provocateurs, toutes caractéristiques qui pérennisent le risque de mauvais traitements.



Troubles affectifs


Ils sont très fréquents, directement exprimés à travers les peurs, les difficultés de sommeil avec cauchemars ou terreurs nocturnes, perceptibles dans la « vigilance glacée », ou conduisant aux habituelles manifestations réactionnelles : instabilité, agitation, agressivité. Les troubles de la série dépressive commencent à être mieux connus. La dévalorisation, la perte d’estime de soi et plus encore la culpabilité sont fréquentes (cf. chap. 16, la description de la dépression chez l’enfant). À titre d’exemple, dans une population de 56 enfants âgés de 7 à 12 ans victimes de mauvais traitements, J. Kaufman (1991) note que 27 % des enfants présentent un état clinique répondant aux critères du DSM-III-R, soit pour l’épisode dépressif majeur, soit pour la dysthymie. Les enfants victimes de sévices développent souvent le sentiment que si leurs parents les battent, c’est parce qu’ils ont fait des bêtises et qu’ils sont de « méchants enfants ». En clair, ils se sentent coupables des coups qu’ils reçoivent. Il faut noter d’ailleurs que ce sentiment de culpabilité diffus peut conduire ces enfants à des attitudes qui induisent les passages à l’acte parental. Quelle que soit la dynamique interactive, chez les enfants victimes de sévices, le sentiment de culpabilité peut être intense, entraînant un véritable état dépressif, trop souvent méconnu et négligé des cliniciens et des intervenants sociaux. Cet état dépressif ajoute ses propres complications aux conséquences directes des sévices.




Diagnostic


Ce n’est pas tant le diagnostic des lésions, aisé à faire, que la reconnaissance des sévices qui pose problème. Celle-ci repose sur :



Le problème de l’aveu des parents est trop souvent au centre de la démarche quasi policière de l’enquête pédiatrique. À ce niveau tout existe, depuis les parents qui annoncent tantôt dans un contexte de lourde culpabilité, tantôt avec une innocence feinte ou non, les brutalités, jusqu’aux parents niant farouchement tout mauvais traitement, rejetant la faute sur l’enfant (« il est tombé ») ou sur un tiers (« on l’a poussé »), en passant par ceux qui « avouent sans avouer », avec une note perverse évidente du style : « je l’ai laissé tomber » ou « il a dû marcher sur la cigarette ».


L’aveu ou le non-aveu n’entraînent d’ailleurs aucune incidence sur l’évolution ultérieure de l’enfant.


La notion de mauvais traitements connus ou de placements institutionnels ou familiaux dans la fratrie intervient forcément dans la discussion diagnostique. Cependant cette connaissance ne doit ni dispenser d’un examen soigneux de l’enfant ni conduire à des affirmations ne reposant que sur les présomptions issues du passé. Strauss et Manciaux (1978) signalent cependant la fréquence des décès (mort subite, décès inexpliqué) dans la fratrie des enfants maltraités de leur étude (10 %).



Contexte psychologique



Du côté des parents


Le regard s’est d’abord porté de leur côté pour chercher les causes profondes de leur comportement.


Notons d’abord les facteurs de morbidité générale : faible niveau socio-économique (encore que cela soit de moins en moins vrai), promiscuité et exiguïté du logement, fréquence des situations familiales irrégulières (séparations, remariages, monoparentalité).


Les mères sont âgées en moyenne de 26 ans, les pères de 30 ans. L’étude des antécédents des parents est très éclairante. Une grande partie d’entre eux a connu une enfance difficile (solitude, carence de soins ou carence affective, placements multiples). Il n’est pas rare qu’eux-mêmes aient été victimes de mauvais traitements parfaitement intégrés dans leur schéma éducatif et leurs identifications parentales. La mère apparaît fréquemment comme immature, égocentrique et narcissique. Le désir de réparation de sa propre carence représente souvent le facteur motivant essentiel pour avoir un enfant. Dans ce cas, une satisfaction magique, un bien-être, un apaisement du sentiment de carence sont attendus de la part de l’enfant : la mère ne tolère pas les soucis inéluctables que ce dernier suscite. Ainsi, à titre d’exemple, quand son enfant pleure, la mère ne considère pas que ces pleurs témoignent d’un malaise chez l’enfant, quel qu’il soit (faim, besoin de dormir, couches sales, etc.), mais que ces pleurs traduisent la colère de l’enfant à son égard, que le bébé est méchant, qu’il lui en veut. De même quand il salit ses couches, ce n’est pas parce qu’il avait simplement besoin de faire ses selles, c’est parce qu’il avait l’intention délibérée d’ennuyer sa mère ou de lui nuire. Chez ces mères très carencées, aux défaillances narcissiques profondes, toutes les conduites de l’enfant sont ressenties par rapport à leur propre besoin ; chaque manifestation du bébé ou de l’enfant qui témoigne d’un fonctionnement autonome et qui ne comble pas nécessairement ces défaillances parentales est ressentie comme une attaque, un désaveu ou au minimum un reproche. À ce fond de carence s’associe une impulsivité fréquente, les sévices survenant dans un contexte de décharge agressive impulsive. Ainsi certains parents anxieux, eux-mêmes carencés dans leur enfance, sont profondément angoissés par les pleurs de leur bébé, pleurs qui réactivent leurs anciennes frustrations et détresse et qu’ils veulent faire cesser aussitôt en cherchant à satisfaire le bébé : n’y arrivant pas, ils déchargent leur angoisse par le passage à l’acte impulsif mais aussi agressif.


Kempé évoque la notion de « crise familiale » comme facteur déclenchant les sévices, crise expliquée par l’aggravation des conditions affectives et sociales déjà médiocres, à la suite d’une mésentente de couple, d’une nouvelle naissance, d’un déménagement avec isolement social plus important, d’une perte de travail, d’une hospitalisation d’un membre de la famille, etc. En outre, les parents sont souvent isolés de leurs propres familles : ils sont en situation de rupture ou de rejet de la part de leurs propres parents (les grands-parents de l’enfant battu) ou entretiennent avec ceux-ci des relations de dépendance profondément ambivalentes dans lesquelles le passage à l’acte, voire même la violence, domine.


Les deux membres du couple sont habituellement impliqués ensemble. Il est rare que les sévices soient ignorés par l’un des parents. Le plus souvent l’un d’eux est l’acteur, mais l’autre soit accepte tacitement, soit provoque même le passage à l’acte. Il se conduit souvent en complice, en s’arrangeant pour trouver des excuses, dissimuler les sévices ou la négligence. Lorsqu’existe cette connivence active entre parents, le pronostic paraît particulièrement inquiétant. Le déni, la dénégation sont fréquents, souvent associés à des attitudes de séduction, d’apparente « gentillesse » avec l’enfant en présence du consultant ou des intervenants sociaux.


L’existence d’une pathologie psychiatrique manifeste chez l’un ou les parents est diversement évaluée ; Strauss relève un pourcentage élevé d’alcoolisme (30 %) et de débilité (30 %) chez l’un ou les parents. Selon Kempé (1978), la majorité des parents maltraitants ne présente pas une pathologie mentale spécifique ; toutefois pour 10 % d’entre eux la pathologie mentale constitue un signe de mauvais pronostic. Ces 10 % se répartissant de façon à peu près égale en parents souffrant d’une psychose hallucinatoire incluant l’enfant (2 % environ), parents psychopathes très impulsifs (2 à 3 %), parents pervers (1 à 2 %) et parents fanatiques ou idéalistes, type « témoins de Jéhovah » (2 à 3 %). La toxicomanie de l’un ou des deux parents est de plus en plus souvent rencontrée.


Avec le bébé quelques situations épisodiques ponctuelles peuvent être à l’origine de mauvais traitements : psychose puerpérale, dépression du post-partum, surtout lorsque la jeune mère se retrouve seule délaissée par le géniteur et par sa famille.


La majorité des parents présente en réalité des perturbations qui ne s’inscrivent pas dans une catégorie nosographique précise mais qui appartiennent au cadre des troubles de la personnalité dominés par la carence narcissique et l’immaturité.




Approche psychopathologique de l’interaction parent–enfant battu


L’existence d’une interaction agressive et de sévices exercés par l’un des parents sur son enfant risque de perturber durablement l’organisation de la personnalité de ce dernier. Outre les séquelles concernant les lésions traumatiques (en particulier encéphalopathies déficitaires à la suite de traumatismes crâniens parfois répétés, d’hématomes intra- ou extracérébraux, etc.), les « séquelles psychopathologiques » s’observent à divers niveaux. Au plan de la personnalité, sous-jacent aux troubles du comportement déjà décrits (soit sur le versant de l’inhibition, soit sur celui de l’instabilité-agitation), il s’agit toujours d’enfants qui ont des difficultés à développer un sentiment d’identité stable et satisfaisant. Ils doutent toujours d’eux-mêmes, n’ont aucune bonne estime d’eux-mêmes. Ils ont tendance à dévaloriser et mésestimer ce qu’ils font et par conséquent ne s’attachent pas à réussir la moindre tâche : la difficulté, le début de l’échec dans leurs réalisations provoquent aussitôt l’abandon et le retrait. N’attendant rien de bon de l’adulte, ils ne cherchent pas à communiquer avec lui, à exprimer leur vécu interne : les capacités de communication sont en général médiocre comme en témoigne la fréquence du retard de langage.


Ayant besoin de préserver une image pas trop mauvaise de leurs parents, bon nombre d’enfants victimes de sévices pensent que ces sévices sont le juste châtiment de leurs fautes, de leurs médiocres conduites, d’où une image encore plus dévalorisée d’eux-mêmes, accompagnée du développement de conduites masochiques répétées.


L’ensemble de ces éléments explique la fréquente dimension dépressive où se mêlent à la fois un sentiment fréquent d’accablement (il n’y a rien à attendre de l’environnement qui répond toujours par des passages à l’acte agressifs quelles que soient les initiatives prises par l’enfant) et un sentiment de culpabilité (pour préserver une image pas trop négative du parent).


Aux tests projectifs on retrouve habituellement des difficultés à intégrer les images paternelles et maternelles, associées à une vive anxiété, d’où fréquemment des flottements et des incertitudes dans la propre image du corps et dans l’identité sexuée de l’enfant.


Quelle que soit l’organisation de la personnalité ultérieure, deux types de mécanismes de défense semblent fréquents : l’identification à l’agresseur, l’érotisation secondaire des sévices. Un élément paraît fréquent au fur et à mesure que l’enfant grandit : habitué et élevé dans une relation de violence, il en vient peu à peu à la considérer comme quasiment normale, puis dans un second temps, comme le mode d’échange privilégié avec son parent. Sur le plan psychopathologique se situe d’abord un nœud privilégié du fonctionnement mental : l’identification à l’agresseur est, comme l’a bien montré A. Freud, l’un des principaux mécanismes mentaux grâce auquel l’enfant se défend des inévitables envahissements de l’environnement. L’enfant battu est placé dans des conditions « expérimentales » d’identification à l’agresseur d’autant plus qu’ici, l’agresseur est une image naturelle d’identification : l’un des parents. Il peut utiliser ce mode défensif en subissant la relation avec l’adulte puis ultérieurement en agressant le reste de l’entourage, en particulier les autres enfants et en développant une instabilité réactionnelle qui, à son tour, sert de justification ou de renforcement de la conduite agressive de l’adulte.


Le second palier après ce niveau d’identification à l’agresseur est marqué par l’érotisation secondaire de la relation parent–enfant centrée autour de la relation agressive. Arrivé à ce point, se trouve nouée une relation hautement pathologique entre un adulte dont les décharges agressives peuvent être objet direct de jouissance ou source de culpabilité et un enfant qui érotise secondairement sa souffrance, et pour lequel le masochisme tend à devenir une position privilégiée, puis recherchée d’autant que l’enfant peut trouver une satisfaction inconsciente à « posséder » l’adulte en déclenchant le passage à l’acte. Une situation relativement stable où l’enfant induit la décharge agressive de l’adulte risque alors de bloquer toute possibilité évolutive. Un tel type d’interaction peut se mettre en place alors que l’enfant est encore très jeune, dès 2 ans et demi3 ans.


À long terme, l’évaluation psychopathologique de l’enfant ayant subi dans son jeune âge des sévices dépend à l’évidence de la rapidité d’intervention des services appropriés, de la qualité et de la stabilité des thérapeutiques mises en œuvre. L’importance initiale des sévices ne semble pas un élément déterminant du pronostic, sauf quand ces sévices ont provoqué des séquelles neurologiques. En revanche, il est souvent difficile de faire la part entre les sévices eux-mêmes et la carence affective avec des séparations multiples fréquemment associées. Sans pouvoir apporter d’évaluation chiffrée, les diverses études notent l’existence d’enfants profondément perturbés (état psychotique, état déficitaire), assez perturbés (troubles entrant dans le cadre d’une prépsychose ou d’une dysharmonie évolutive) ou légèrement perturbés (symptômes névrotiques obsessionnels ou phobiques). Dans toutes les études, les enfants qui semblent ne présenter à distance, même lointaine, aucune séquelle restent minoritaires et se retrouvent toujours dans les cas où une stabilité du cadre de vie (soit chez les parents avec disparition des sévices, soit dans une famille d’accueil) a pu être préservée.



La réponse première aux sévices


La gravité du pronostic (risque de mortalité et de séquelles physiques ou psychiques), la fréquence des récidives en l’absence de mesures appropriées, montrent la nécessité d’adopter une conduite de prévention.




Services à alerter


La loi du 10 juillet 1989 affirme la responsabilité de l’Aide sociale à l’enfance (cf. Les services de l’aide sociale à l’enfance) en matière de prévention et de protection des mineurs victimes de mauvais traitements sous l’autorité du président du conseil général. Le nouveau Code pénal dans sa loi no 92683 du 22 juillet 1992 (JO du 23 juillet 1992) modifie et précise les conditions de levée du secret professionnel et en définit les circonstances (article 44) : « Lorsqu’un médecin discerne qu’une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection.


S’il s’agit d’un mineur de quinze ans ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique il doit, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives. »


Le nouveau Code de déontologie médicale (décret no 95-1000 du 6 septembre 1995) rappelle l’importance absolue du secret professionnel (article 4) mais précise que « le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que son intérêt et/ou sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage » (article 43).


Pour de plus amples informations ou précisions, nous conseillons la lecture d’ouvrages spécialisés, en particulier : Strauss P, Manciaux M. L’enfant maltraité, 1993 ; Raymond G. Droit de l’enfant et de l’adolescent, 1995 (références en fin de chapitre).


On peut établir une sorte de hiérarchie dans la gravité des signalements :



Il dispose d’un service d’aide éducative en milieu ouvert (AEMO) et peut, s’il y est contraint, imposer un placement institutionnel ou familial lorsque le maintien de l’enfant dans la famille s’avère impossible.



Projet thérapeutique


Après la phase d’évaluation nécessairement pluridisciplinaire, un projet thérapeutique doit être élaboré avec à l’esprit un certain nombre d’impératifs (Girodet, in : L’enfant maltraité, 1993) :



Pour ce qui concerne le pédopsychiatre et à un moindre degré le psychologue, c’est en général pour les cas les plus graves et souvent en fin de parcours qu’il est amené à rencontrer l’enfant victime de sévices et ses parents. Il les voit en effet soit à la demande des services de PMI ou de l’ASE, soit directement comme pédopsychiatre dans une équipe AEMO, soit enfin comme responsable d’une institution ou d’un service de placement familial. De toute façon, il intervient dans les cas les plus difficiles, ceux où les conseils éducatifs, l’aide bienveillante des services sociaux a échoué ou a été refusée.


Un certain nombre de malentendus doivent d’abord être levés : les parents qui battent leur enfant ne le font pas toujours dans un climat de malveillance consciente et manifeste. Généralement, ils sont débordés par leur propre réaction agressive et peuvent éprouver à l’égard de leur enfant un profond attachement. D’autres se sentent dépouillés de leurs fonctions de parents par ces interventions multiples, la violence faisant partie, selon eux, de ces fonctions (soit par identification à leurs propres parents, soit du fait d’un contexte culturel différent du contexte occidental : ils ne comprennent pas le sens de ces interventions). De son côté, l’enfant est souvent profondément attaché à ses parents malgré ce qu’il subit.


Ces remarques sont d’autant plus importantes que l’enfant est grand. À l’évidence, chez le nourrisson, la pathologie parentale est au premier rang, mais très vite chez l’enfant de 3–4 ans peut s’instaurer une interaction pathologique où l’identification à l’agresseur et l’érotisation masochique secondaire de l’enfant vont constituer des incitations à la pathologie parentale avec pour résultat l’établissement d’un cercle vicieux difficile à interrompre conduisant au risque de récidive.


La prise en charge psychothérapeutique de l’enfant et des parents est recommandée mais celle-ci, surtout pour l’enfant, ne doit pas devenir systématique et doit avant d’être entreprise s’assurer de conditions d’environnement stables et favorables. De même les thérapies familiales largement prônées ne peuvent à elles seules garantir la sécurité de l’enfant et doivent s’inscrire dans une collaboration pluridisciplinaire.

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 24: L’enfant à protéger. Protection de l’enfance : structures médico-sociales

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