23: L’enfant et le monde médical

23 L’enfant et le monde médical


La maladie est un épisode normal et inéluctable dans la vie de l’enfant. Les maladies dites « infantiles » en sont d’ailleurs l’illustration. Dans l’esprit de tout enfant, la maladie et son corrélat le médecin occupent une place importante. Le jeu du docteur se retrouve d’ailleurs constamment dans les activités spontanées des enfants. À travers ces jeux ou dessins, l’étude des caractéristiques de l’image du médecin permet de dégager divers axes significatifs : le médecin possède fréquemment les attributs du savoir et de la puissance. Il occupe généralement une position active, contrairement à la position soumise et passive du petit patient. Il n’est pas rare que cette activité se teinte d’agressivité, voire de sadisme (la piqûre). Il existe en outre un contraste entre d’un côté cette attitude de soin et de compréhension, c’est-à-dire une position plutôt maternelle, et d’un autre côté un comportement autoritaire, mais facilement agressif (image à versant plutôt paternel). L’enfant oscille entre ces deux types d’images scindées parfois en fonction de l’apprentissage des stéréotypes culturels en une mère–infirmière, gentille et compréhensive d’un côté, un père–médecin, sévère et craint de l’autre. La fonction sexuelle du médecin est encore renforcée par la « piqûre », symbole de la pénétration agressive et douloureuse.


Au plan de la dynamique familiale, de nombreux dessins d’enfants témoignent d’une nouvelle triangulation entre mère–enfant–médecin : le couple mère–médecin constitue un déplacement œdipien plus ou moins direct. Dans certaines familles, le couple mère–médecin peut devenir le principal pôle d’interaction du groupe, en particulier si une maladie grave ou chronique de l’enfant justifie cette présence médicale. Dans d’autre cas, c’est l’anxiété maternelle qui crée ce nouveau triangle relationnel. Quand il s’agit de maladie somatique grave, l’interposition du médecin entre la mère et son enfant risque d’introduire des perturbations dans les échanges mère–enfant, surtout quand il s’agit d’un petit enfant à une époque où la mère tire une grande partie de ses gratifications de la toute-puissance que celui-ci lui attribue, et qu’elle vient de perdre en faveur du médecin.


Dans ce chapitre, nous reviendrons sur quelques considérations théoriques et développementales concernant la notion de mort chez l’enfant. En effet, la maladie même si elle n’engage pas toujours le pronostic vital, amène l’enfant et ses proches à questionner ce que sont la vie, la mort, l’éternité, la souffrance… Nous étudierons ensuite les maladies aiguës, en particulier les interventions chirurgicales, puis les maladies chroniques et, enfin, les maladies à pronostic vital. Nous nous arrêterons aussi sur les déficits sensoriels (surdité et cécité) du fait des conséquences spécifiques au plan du développement du moi, de ces handicaps chez l’enfant. Le problème des atteintes motrices est traité avec l’infirmité motrice cérébrale (cf. chap. 13). Enfin, nous y rattacherons le problème de la prématurité et de son devenir puisqu’il s’agit d’une situation à risque au plan du développement et que le nouveau-né et ses parents se trouvent plongés d’emblée dans le milieu hospitalier.



Notion de mort chez l’enfant


L’évolution de la notion de mort chez l’enfant englobe de manière indissociable une dimension sociologique et aussi un point de vue développemental concernant l’enfant lui-même.


Au plan sociologique, le rapport de l’enfant à la mort doit s’envisager selon deux optiques : la mort de l’enfant d’une part et la manière dont la mort est présentée à l’enfant d’autre part. Si l’adulte s’entoure de multiples défenses devant la mort, que dire de son attitude devant la disparition d’un enfant ? Le mythe de la totale innocence de l’enfant rend sa mort tout à fait inacceptable. Bien plus, si la mort a particulièrement reculé devant les progrès de la médecine c’est bien chez le jeune enfant. La mort de l’enfant apparaît désormais comme un échec que l’on tait. Autrefois, la mort « grande cérémonie quasi publique que le défunt présidait » (Ph. Ariès) voyait se réunir autour d’elle l’ensemble du groupe social. De nos jours, cette mort s’éloigne de plus en plus et l’enfant en est presque totalement écarté. Même à l’école ce phénomène se remarque aussi : la lecture des manuels scolaires est à cet égard tout à fait révélatrice. Dans les manuels du début du XXe siècle, la mort, qu’il s’agisse d’humains ou d’animaux, intervenait pratiquement à chaque page des livres d’apprentissage de lecture. De nos jours, les manuels scolaires sont totalement aseptisés. Les enfants d’aujourd’hui ne voient plus guère la mort qu’à travers le petit écran de télévision. Mais là, dans les dessins animés, les scènes policières, comme au cours du journal parlé qu’on regarde en mangeant, la mort est devenue un spectacle, une fiction : les morts ce sont les autres. Ainsi un double mouvement apparaît, d’une part l’enfant est de moins en moins confronté à la mort réelle, d’autre part on lui présente de plus en plus une mort fictive dont on peut renaître sans cesse. Comment dans ce contexte l’enfant peut-il acquérir le sens et la notion de la mort ? C’est tout le problème de l’évolution du concept de mort chez l’enfant.


L’évolution de ce concept va s’organiser autour de deux points essentiels : d’une part comment percevoir l’absence et d’autre part comment intégrer la permanence de l’absence ? Dans cette perspective, la mort est conçue comme terme définitif à la vie. Elle sous-entend le vécu d’anéantissement de soi ou de l’autre, l’intégration des réactions à la perte et à la séparation. Le problème pour l’enfant est de savoir comment il peut accéder à une connaissance et à une conscience de ce qui est imperceptible, à la limite impensable, c’est-à-dire introduire à sa place une représentation puis un concept de « non-être ». Les auteurs qui ont essayé d’aborder ce problème chez l’enfant distinguent divers stades dans l’acquisition de ce sens de la mort. Passant sur les divergences, nous pouvons néanmoins résumer leurs travaux en y repérant quatre phases :



image la première serait celle d’une incompréhension totale et d’une complète indifférence. Elle se prolongerait jusqu’à l’âge de deux ans. Les seules réactions seraient celles qui surviennent après une absence ou une séparation. Ces réactions dureraient peu sauf en cas de traumatisme ou de séparations répétées. Il n’y aurait pas de représentation consciente objectivable ;


image la seconde phase abstraite répondrait à une perception mythique de la mort : celle-ci étant appréhendée comme l’envers du réel. Elle devient pure cessation et disparition. Cette mort est d’ailleurs provisoire, temporaire et réversible, à la fois reconnue et plus ou moins déniée dans ses conséquences. Cette étape se prolongerait jusqu’à 4–6 ans. Les deux états : la vie–la mort ne s’opposent pas, ne sont pas contradictoires. Ce sont deux états différents mais ni menaçants ni opposés, chacun étant réversible ;


image de cette phase, l’évolution se ferait ensuite vers une phase concrète qui se prolonge jusque vers 9 ans. C’est la phase du réalisme infantile, de la personnification. Elle correspond d’ailleurs à la maîtrise de la permanence de l’objet et se traduit par des représentations concrètes : cadavre, cimetière, squelette, tombeau. La personne meurt mais reste au début représentable dans le temps et dans l’espace : simplement, elle ne peut ni bouger, ni parler, ni respirer ; elle est absente, partie, malade, pétrifiée dans une autre façon de vivre. Entre 4 et 9 ans cependant, trois modifications de cette notion de mort vont intervenir permettant de diviser cette phase en deux sous-périodes. C’est d’abord le passage d’une référence individuelle, ma mort, la mort de telle personne, à une référence universelle (tous les hommes sont mortels, d’abord les vieux) ; ensuite le passage du temporaire et réversible à l’irréversible et définitif : c’est le problème de l’acceptation réaliste du destin humain sans émotion particulière, mais en même temps crainte éventuelle de la mort de l’objet aimé et non plus de sa simple absence. Enfin, survient la modification du sens moral attaché à la mort. D’une mort envisagée comme punition ou vengeance, elle devient un processus naturel, élément d’un cycle biologique ;


image ainsi l’enfant entre-t-il dans la quatrième phase à nouveau abstraite entre 9 et 11 ans, celle de l’angoisse existentielle qui suppose l’accès à la symbolisation de la mort et à la maîtrise de ce concept, mais aussi la crainte de la perte réelle et de l’issue de son propre destin. Nous sortons ici de la problématique de l’enfance proprement dite pour rejoindre la problématique de l’adolescence avec la reviviscence des angoisses antérieures et l’introduction de la pensée adulte sur la mort, ses corollaires philosophiques, métaphysiques, religieux, psychosociologiques et éthiques.


Toutefois, il ne faudrait pas réduire la notion du concept de mort et le vécu de cette mort à son seul aspect cognitif. D’autres facteurs interviennent, outre les facteurs sociologiques déjà cités : la manière dont ses proches parlent à l’enfant de la mort, l’expérience personnelle qu’il peut en avoir à travers le décès de parents ou une maladie grave, etc. Enfin au plan imaginaire, l’enfant utilise de multiples représentations intermédiaires pour tenter de figurer la mort et ses conséquences. P. Ferrari (1979) évoque le rôle du fantôme « où se côtoient le “déjà mort” et le “encore vivant” » et qui serait une sorte d’objet transitionnel mortel utilisé par l’enfant dans sa relation à la mort. De même, la fascination de l’enfant pour le squelette humain « constituerait une tentative pour maîtriser l’horreur qu’inspire le cadavre (…), une tentative pour arrêter la décomposition ». On sait combien sont fréquentes chez l’enfant les évocations des fantômes ou des squelettes : même quand la société fait tout pour que l’enfant soit le moins possible confronté à la mort, la fantasmagorie de l’enfant garde à la mort et ses représentations une place centrale.



L’enfant malade


L’expérience de la maladie renvoie l’enfant à des mouvements psychoaffectifs divers :



Cependant, la maladie chez un enfant renforce le lien de dépendance et de protection entre l’enfant et les adultes qui l’ont sous leur protection, les parents en premier, les médecins et leurs collaborateurs ensuite. Ce lien de dépendance et de protection est naturel, normal chez l’enfant. D’une certaine façon, la maladie, qu’elle soit aiguë et plus encore chronique, respecte et même amplifie ce lien de dépendance. Sans ignorer pour autant les souffrances (cf. ci-dessous) et/ou les limitations imposées par la maladie, il convient ainsi de reconnaître que chez l’enfant la maladie ne contrarie pas les exigences psychoaffectives caractéristiques de cet âge, contrairement à ce que l’on observe à l’adolescence.


C’est probablement pour cette raison que les enfants malades, surtout malades chroniques, font souvent preuve d’un équilibre psychoaffectif certain, voire d’un réel épanouissement psychologique. Toutefois, il faut distinguer cet équilibre d’une maturité excessive ou trop précoce en particulier quand on exhorte l’enfant à « se prendre en charge » de façon excessive. Cette autonomisation de l’enfant dans ses soins peut recouvrir des vécus affectifs très différents. Incontestablement cela peut traduire une bonne adaptation de l’enfant à sa maladie. Mais cela peut aussi témoigner d’un surcroît d’effort chez l’enfant pour protéger ses parents anxieux ou culpabilisés. Cela peut aussi masquer un sentiment d’abandon, de délaissement ou d’indifférence face à des parents qui se « déchargent » sur leur enfant de la pénibilité des soins. Dans tous ces cas, alors que l’enfant semblait adapté, respectueux et observant des consignes médicales, l’adolescent devient souvent rebelle, refusant les soins, les contraintes, etc. (cf. L’adolescent malade : Marcelli D, Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. 7e éd. Masson ; 2008).


Quoi qu’il en soit, devant un enfant malade, par-delà les divers symptômes propres à chaque maladie, il s’agit d’abord de reconnaître la douleur avant d’aborder le retentissement psychologique éventuel de cette maladie.



La douleur chez l’enfant


Longtemps méconnue, la sémiologie de la douleur chez l’enfant fait l’objet depuis les travaux de Gauvain-Piquard (1990, 1993) d’une description plus précise. Cette sémiologie doit être bien connue, en particulier des psychiatres et psychologues travaillant dans des unités de soins somatiques ou en pédopsychiatrie de liaison. Cette reconnaissance est d’autant plus importante que d’une part la douleur peut par sa présence entraîner des troubles soit moteurs (agitation, agressivité apparente), soit relationnels (opposition) ; d’autre part, la douleur présente des caractéristiques sémiologiques communes avec la dépression, ce qui nécessite un diagnostic différentiel soigneux. Enfin, il n’est pas rare, chez l’enfant malade et douloureux chronique, que douleur et dépression s’ajoutent, les deux devant être reconnues puis faire l’objet d’un traitement spécifique.




Chez le jeune enfant (moins de 6 ans)


Le diagnostic est d’autant plus délicat que l’enfant est jeune ; même quand il dispose du langage l’enfant jeune exprime peu sa douleur de façon verbale. C’est d’abord en observant l’enfant qu’un diagnostic est possible.


Pleurs, cris, agitation, surviennent en cas de douleur aiguë ou de réactivation d’une douleur permanente mais leur intensité n’est pas proportionnelle à la douleur.


Chez l’enfant douloureux chronique, Gauvain-Piquard et coll. ont élaboré l’échelle de douleur enfant de Gustave-Roussy (DEGR) fondée sur l’observation d’enfants douloureux dans un service de cancérologie. Cette échelle repère en particulier les réponses défensives du corps (position antalgique, mouvement de protection, évitement de mobilisation d’un segment du corps, contracture localisée) mais surtout l’atonie psychomotrice (Gauvain-Piquard et Meignier, 1993).


Ainsi l’enfant douloureux « paraît triste, reste immobile au fond de son lit et donne l’impression de ne plus avoir envie de lutter. (…) Il ne montre plus d’intérêt ni pour les choses ni pour les personnes », enfin ses gestes sont lents, ses initiatives motrices sont rares, même en dehors des zones de la douleur ; la tentative de contact peut faire apparaître une hostilité sourde, l’enfant détourne les yeux, ne cherche pas à engager la relation.


On peut constater que certaines conduites peuvent être communes à la dépression, en particulier la dépression dite anaclitique (cf. chap. 16) : visage triste, inerte, manque d’intérêt, lenteur des gestes pouvant prendre l’aspect d’un ralentissement, d’une inertie psychomotrice, refus relatif de contact.


Ces symptômes présents chez un jeune enfant hospitalisé doivent faire envisager et rechercher aussi bien un éventuel état douloureux qu’un état dépressif grave.


Bien évidemment, le contexte est souvent évocateur mais il existe des situations ou les deux états sont associés. Ainsi Steif et Heiligenstein (1989) constatent que parmi une cohorte de 43 enfants souffrant de cancer et adressés au pédopsychiatre, neuf d’entre eux avaient des problèmes importants de douleurs dont trois ayant été adressés pour dépression et trois pour troubles du comportement. Le traitement de la douleur fait en général disparaître rapidement les conduites décrites ci-dessus.



Maladies aiguës – interventions chirurgicales


Dans la grande majorité des cas ces maladies sont de nature relativement bénignes. Elles constituent ce qu’on pourrait appeler de « bonnes maladies » qui permettent à l’enfant de faire l’expérience de la régression, d’une relation de soins et de la dépendance. Puis, dans un délai relativement rapide, il recouvre la santé et le bien-être physique. La réaction de l’enfant dépend de son âge, des attitudes de son entourage, de la nécessité ou non d’une hospitalisation, de la nature plus ou moins agressive des soins exigés. D’une manière générale, les hospitalisations peuvent apporter des perturbations profondes surtout à l’âge sensible (6 à 30 mois), même si elles sont courtes. À cet égard, certains pays ont généralisé la pratique de l’hospitalisation mère–enfant (pour plus de 70 % des services hospitaliers en Angleterre), afin d’éviter la détresse aiguë néfaste tant à l’équilibre psychologique de l’enfant qu’à ses capacités de luttes actives contre la maladie (cf. le problème de l’hospitalisme, chap. 20).


Les opérations chirurgicales peuvent, lorsqu’elles n’ont pas fait l’objet d’une préparation, d’explications, voire de dessins longuement commentés, représenter un facteur traumatique notable. Le cas s’observe surtout quand l’intervention entre en résonance avec les principaux conflits fantasmatiques de l’enfant : certaines opérations heurtent de plein fouet ces conflits (amygdalectomie, appendicectomie). De telles interventions, surtout s’il s’y ajoute un climat de drame ou d’agressivité sadique plus ou moins franche, peuvent constituer un traumatisme psychique qui réactive et/ou réalise les angoisses névrotiques de castration de l’enfant ; elles risquent alors de cristalliser ce conflit.


Par leur incidence directe sur la sexualité, des interventions, banales ou bénignes pour le chirurgien, peuvent, comme nous avons eu l’occasion de le voir plusieurs fois, être le point d’ancrage d’une problématique névrotique durable : il en est ainsi du phimosis ou de l’ectopie testiculaire. Ces interventions bénignes demandent une préparation psychologique beaucoup plus importante et longue que l’acte chirurgical lui-même.


Nous citerons enfin les accidents traumatiques, en particulier les fractures. Si le hasard malheureux est parfois seul responsable, l’étude attentive de la personnalité des enfants, de leurs antécédents, montre que l’accident peut s’inscrire dans une problématique dominée par la culpabilité ou l’angoisse de castration, et témoigner d’une véritable conduite de provocation. Cela est particulièrement vrai en cas de traumatismes ou d’accidents répétitifs : l’étude de cette population d’enfants montre des caractéristiques proches d’une population d’enfants suicidaires (cf. chap. 10).



Maladies graves et chroniques


Nous avons séparé ici les maladies graves où le pronostic vital est en jeu à plus ou moins long terme, et les maladies au long cours plus ou moins invalidantes. Dans le premier cas, la problématique de la mort est au premier plan, dans le second c’est celle de l’intégrité corporelle et narcissique. Mais cette distinction est souvent arbitraire car les deux plans sont toujours étroitement mêlés.


Le problème, devant une maladie grave et chronique, est toujours double : celui de l’investissement par l’enfant d’un corps dont le fonctionnement est défectueux ou menacé, celui de l’investissement par les parents d’un enfant malade.



Données de l’épidémiologie


Sur le plan épidémiologique, le pourcentage d’enfants atteints d’une maladie grave et/ou chronique, varie selon la gravité des atteintes retenues. Toutefois, les études en population générale rapportent que 10 à 20 % des enfants sont atteints de maladies chroniques dont la grande majorité est tout à fait bénigne et sans conséquence majeure pour l’enfant. Seuls environs 10 % de ce groupe d’enfants (c’est-à-dire 1 à 2 % de la population générale) est atteint d’une pathologie chronique sévère (Wallander et Varni, 1998). Dans cette population, l’incidence des troubles psychiatriques semble un peu plus élevée que dans la population générale (15 % contre 6 %), bien que là aussi de grandes variations existent selon les auteurs. Les principaux troubles psychiatriques comorbides appartiennent aux registres anxio-dépressifs ou internalisés. Les rares études longitudinales montrent qu’ils sont rarement stables dans le temps, et qu’il existe une grande variabilité individuelle (Lavigne et Fair-Routman, 1992).


Après de multiples études, on peut maintenant affirmer qu’il n’y a pas de profil de personnalité propre à tel ou tel type de maladie, même si par leur nature et les soins nécessaires certaines affections suscitent des remaniements ou des vécus particuliers (diabète insulino-dépendant, insuffisance rénale chronique). Le niveau intellectuel des enfants est généralement identique à celui de la population générale. Signalons toutefois la fréquence des niveaux faibles chez l’enfant cardiaque (QI < 90 dans 26 à 37 % des cas) et chez l’enfant diabétique, quand le diabète a débuté avant 5 ans : l’importance de l’hypoxie, l’existence de coma diabétique, les hospitalisations prolongées sont tenues pour responsables de cette atteinte cognitive.


À la période initiale du diagnostic, les modifications de l’équilibre familial sont intenses et rapides : on note toujours une période de choc avec parfois des réactions d’accablement ou d’effondrement chez les parents, surtout chez la mère. Apparaît ensuite une période de lutte contre la maladie, qui en fonction des familles s’orientera vers une attitude de déni ou de refus de cette maladie ou vers une collaboration avec le médecin. Enfin, la chronicité des troubles entraîne une réorganisation de l’économie familiale autour de cette maladie. Nous étudierons successivement le modèle théorique de Wallander et Varni – modèle écologique fondé sur les principaux résultats des études en populations cliniques – les réactions de l’enfant puis celles de sa famille et la place du médecin.



Modèle écologique de Wallander et Varni


Quelques auteurs ont tenté de proposer un modèle intégratif écologique pour rendre compte de la complexité des interactions entre facteurs pertinents concernant les conséquences de la maladie chronique d’un enfant dans une famille. Bien que ces modèles n’intègrent pas ou peu les aspects développementaux et psychoaffectifs (cf. plus loin), ils méritent d’être connus car leur point de vue est utile dans une perspective de prévention. Nous ne détaillerons que le modèle de Wallander et Varni (1998), plus abouti selon nous.


Si l’on considère le milieu familial comme une cellule constituée d’individus qui ont une trajectoire propre mais qui sont également en interaction les uns avec les autres selon des déterminants divers (affectifs, sociologiques, culturels, etc.), la maladie chronique d’un enfant va devenir une contrainte durable, tant pour l’enfant que pour ses proches, dont les interférences pourront se mesurer au niveau des performances et des rôles ordinaires de chacun. Pour ce qui concerne la capacité d’un enfant à s’ajuster à cette contrainte, les auteurs isolent des facteurs de risque d’ajustement médiocre ainsi que des facteurs de résilience (ou résistance à un ajustement médiocre) qui sont colligés dans le tableau 23.1. On remarquera que certains facteurs sont importants tant pour l’ajustement de l’enfant que celui de ses proches, et qu’il faut donc compter aussi sur les interactions psychoaffectives enfant–parents si déterminantes au plan du développement.


Tableau 23.1 Facteurs de risque et de protection associés aux capacités d’adaptation lors d’une maladie chronique chez l’enfant

























Facteurs de risque d’un ajustement médiocre
Paramètres liés à la maladie Diagnostic, sévérité des incapacités associées, complications médicales, qualités des rémissions, prédictibilité, atteintes cognitives ou neurologiques associées
Dépendance fonctionnelle dans les activités quotidiennes Aide nécessaire pour les besoins de la vie quotidienne : toilette, déplacement, communication, alimentation, scolarisation, etc.
Stress psychosociaux Événements de vie majeurs concomitants, annonce du diagnostic, stress consécutifs aux handicaps (impossibilité de socialisation et/ou de scolarisation), tracas répétés liés aux soins (aspirations, mobilisations douloureuses, etc.)
Facteurs de résilience ou de protection
Caractéristiques personnelles Tempérament, compétence individuelle et capacité d’adaptation propre, motivation
Facteurs socio-écologiques Qualité de l’environnement psycho-familial, support social, capacité d’adaptation des membres de la famille, résonances pratiques au sein du groupe familial
Facteurs de gestions du stress Capacité d’appréciation des dangers, accessibilité de stratégies cognitives d’adaptation

(d’après Wallander et Varni, 1998)



L’enfant devant la maladie grave et prolongée


Les réactions dépendent d’abord de l’âge et de la compréhension que l’enfant peut avoir de sa maladie. Avant 3–4 ans, la maladie est difficilement perçue comme telle, chaque épisode est vécu pour son propre compte : l’enfant est sensible aux séparations, aux hospitalisations, aux « agressions » subies (interventions chirurgicales, piqûres, perfusions). M. Green (1964) a décrit « le syndrome de l’enfant vulnérable » chez les enfants qui ont, pendant la première année de leur vie, traversé une période critique sur le plan vital. Ce syndrome se caractérise essentiellement, selon l’auteur, par une intense et durable fixation passive à la mère.


Entre 4 et 10 ans, la maladie est d’abord, comme tout épisode aigu, l’occasion d’une régression plus ou moins profonde et durable. Devant la persistance de la maladie l’enfant aménage des défenses qu’on peut grossièrement répartir selon trois registres.





Sublimation et collaboration


Ce sont les mécanismes défensifs de dégagement pulsionnel les plus positifs. Il peut s’agir d’une identification positive à un parent atteint de la même affection. La possibilité de donner à l’enfant la meilleure autonomie possible avec une prise en charge de son traitement va dans le sens de ces défenses. Il en est ainsi du diabète juvénile insulino-dépendant quand l’enfant peut lui-même faire ses injections ou de l’insuffisance rénale quand il participe activement à la préparation et à la mise en place de la séance de dialyse.


Quels que soient ces aménagements défensifs, la vie pulsionnelle et fantasmatique des enfants atteints de maladie grave et chronique risque de s’organiser autour de la réalité traumatique surtout si l’entourage familial, par son angoisse, sa sollicitude excessive ou ses interdits répétés, vient renforcer les limitations existantes. Dans les tests de personnalité, les épreuves projectives montrent la fréquence des thèmes relationnels de persécution et d’abandon, des images d’un corps mutilé, morcelé ou menacé d’annihilation. La maladie renvoie toujours l’enfant aux deux couples suivants : faute–culpabilité et agression–punition.


La maladie chronique risque de focaliser et de figer l’expression fantasmatique lorsque l’organisation psychopathologique prédispose l’enfant. À propos du diabète juvénile, Cramer et coll. (1979) remarquent : « Un certain nombre d’angoisses comme le sentiment de manque, d’impuissance ou de castration sont déplacés sur les craintes réelles liées aux conséquences du diabète : la maladie et les circonstances qui lui ont été associées sont employées comme mode d’expression de ces fantasmes de base. » De même pour Raimbault (1976) : « L’enfant construit de façon plus ou moins élaborée une interprétation de sa maladie, comme pour donner un sens à cet ensemble insensé et destructeur, et ceci, le plus souvent en termes de fauteculpabilité et punition. »



La famille face à l’enfant malade


La grande majorité des études s’accorde à reconnaître l’extrême importance des réactions de la famille dans l’équilibre ultérieur de l’enfant malade.


Les réactions d’angoisse, de désarroi extrême, voire de panique ou de colère sont habituelles lors de l’annonce de la maladie. D’emblée, à une phase où le médecin n’a pas encore tous les éléments de réponse, les familles se préoccupent du diagnostic, des complications éventuelles. L’atteinte fréquente du narcissisme parental se focalise autour de la question de l’étiologie et de l’hérédité : des théories étiologiques, parfois très fantaisistes, sont élaborées par les parents pour dénier toute charge héréditaire, ou au contraire pour assumer tout le poids de la transmission de la « tare » par l’un des deux. Les réactions défensives constituent la première illustration de la culpabilité constante des familles : celle-ci exacerbe les réactions d’ambivalence envers le petit malade et rend compte en partie des attitudes décrites dans toutes les maladies chroniques : hyperprotection anxieuse, rejet, déni omnipotent de la maladie ou du rôle des médecins. La famille passe en général par ces divers registres avant d’aboutir dans les meilleurs cas à l’acceptation tolérante et réaliste de la maladie (Cramer et coll., 1979).


Au long cours, le risque majeur est de transformer la maladie chronique en système explicatif permanent et total de toute conduite, de toute pensée ou de tout affect survenant chez l’enfant. La maladie devient alors un système rationalisant faisant écran à tout autre mode d’approche.




Maladies à pronostic vital


Les progrès de la médecine permettent désormais d’obtenir une rémission et/ou une guérison dans le cas de maladies qui, il y a peu d’années encore, étaient presque toujours fatales. Cependant, si les progrès sont considérables, la guérison n’est pas acquise dans tous les cas et même si les évolutions favorables sont statistiquement majoritaires, l’annonce du diagnostic éveille immédiatement des angoisses de mort dans la famille et chez l’enfant. Nous ne détaillerons pas les particularités de ces pathologies (leucoses aiguës, tumeurs cancéreuses de l’enfant, etc.) renvoyant le lecteur aux ouvrages spécialisés et abordant exclusivement la réaction psychologique à l’annonce du diagnostic.



Comment faire face à la mort possible d’un enfant ?


 



L’enfant


Si à l’évidence il peut difficilement « penser sa mort » quand il est très jeune, les entretiens cliniques avec l’enfant confronté à une maladie à pronostic vital (N. et J.M. Alby ; Raimbault, 1976) montrent qu’il a parfois une conscience beaucoup plus développée de l’enjeu vital que ne le croient les adultes.


L’enfant paraît capable, même très jeune, de pressentir sa mort, parfois sur un mode difficilement formulable : dans quelques cas l’enfant se met à refuser des soins acceptés jusque-là sans opposition, demande à rentrer chez lui. Dans d’autres cas, l’enfant peut verbaliser ses craintes ou son interrogation surtout s’il a le sentiment que l’entourage adulte peut accepter ses questions. En effet, sans avoir conscience de sa mort prochaine (mais quel adulte en a pleinement conscience ?) l’enfant peut en revanche percevoir avec acuité le malaise soudain des adultes qui l’entourent.


Au début de la maladie, le problème de la vérité ou du secret se pose. Les études récentes ont montré que le silence, le secret gardé en maintenant l’enfant dans l’ignorance ne sont plus de mise car on sait de nos jours que l’enfant perçoit avec acuité la gravité du pronostic. En revanche, l’exposé froid et rationalisé de ce pronostic relève plus souvent d’une position défensive de la part du médecin. La seule attitude valable pour le pédiatre, comme pour le psychologue ou le psychiatre, est de se laisser porter par les questions de l’enfant, de ne pas les éluder, d’y donner des réponses simples et directes : « quand l’enfant a la possibilité de s’exprimer librement avec un adulte, il aborde sans gêne le sujet de la mort » nous dit G. Raimbault.


Dans la majorité des cas, passé le stade des manifestations anxieuses initiales et des craintes de souffrances liées aux actes médicaux (hospitalisation, piqûre, cathéter, intervention chirurgicale, etc.), si la douleur est médicalement contrôlée (cf. plus haut), l’enfant réagit souvent par une période de régression puis d’adaptation apparente. La capacité des soignants à être à l’écoute de l’enfant, l’accompagnement par un « psy » (psychiatre, psychologue), la présence des parents constituent les facteurs essentiels de la capacité à faire face.

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 23: L’enfant et le monde médical

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access