22: L’enfant migrant

22 L’enfant migrant


L’importance des mouvements migratoires qu’imposent les sociétés modernes rend nécessaire l’étude de leurs effets sur l’équilibre familial, l’insertion sociale de ce noyau familial, et le retentissement sur chacun des membres. L’enfant, par sa fragilité même, par sa dépendance envers ses parents, par sa socialisation en cours à travers le processus de la scolarisation, est au centre des problèmes soulevés par ces mouvements migratoires. Si nous abordons ici principalement les difficultés rencontrées par l’enfant étranger, il ne faudrait pas en méconnaître pour autant les migrations « internes » telles que le passage du petit village natal à la banlieue suburbaine, ou le passage de la ferme à l’appartement en HLM. Outre les changements profonds dans les conditions de vie, s’ajoutent aussi une rupture avec une partie de la famille, en particulier la génération des grands-parents, et une rupture avec les condisciples (copains, camarades de classe).


Il va sans dire que l’enfant migrant venant d’un pays étranger devra faire face aux mêmes problèmes, avec en outre les changements linguistiques, culturels, climatiques même, dans des conditions socio-économiques le plus souvent médiocres.



Données démographiques


Depuis une dizaine d’années le nombre d’étrangers vivant en France s’est stabilisé. Les grandes communautés étrangères restent les mêmes (pays de l’Europe du Sud, Maghreb). Toutefois certaines communautés ont émigré plus récemment : Turcs, Cambodgiens, Laotiens, Vietnamiens, etc. Le recensement de l’INSEE (1990) a évalué la population étrangère vivant en France à 3,7 millions. En fonction des pays d’origine on observe la répartition suivante : Portugais 17,6 % ; Algériens 16,6 % ; Marocains 15,4 % ; Italiens 6,8 % ; Espagnols 5,8 % ; Tunisiens 5,6 % ; Turcs 5,3 %. Les autres nationalités ou communautés viennent ensuite loin derrière (Belges, Yougoslaves, Africains). Par ailleurs, le nombre de Français nés hors de France ayant acquis la nationalité française est de 1,3 million dont 57 % sont originaires de la Communauté européenne, 14 % du reste de l’Europe, 29 % de l’Asie (Cambodge, Laos, Viêt-nam).


Toutefois, ces chiffres masquent une réalité souvent très différente sur le terrain. En effet, la répartition sur le territoire national est très inégale avec trois régions principalement concernées : la région parisienne (35 %), Rhône-Alpes (15 %) et la Côte d’Azur (10 %). En outre, un phénomène de regroupement aboutit à amplifier les inégalités de répartition, tant du nombre global d’immigrants que de leur nationalité. Ainsi, dans certaines écoles de la banlieue parisienne, le pourcentage d’enfants étrangers peut atteindre 30 à 40 %. Or, les sociologues reconnaissent qu’au-delà de 12 % environ les phénomènes liés au racisme deviennent difficilement contrôlables.


Dans sa majeure partie, l’immigration répond à une recherche de travail, mouvements anciens et traditionnels dans l’Europe elle-même (Italiens, Espagnols, Portugais actuellement et peut-être Yougoslaves demain ?), mais aussi avec les pays francophones (Algérie, Maroc, Afrique noire). Dans l’ensemble, ces familles migrantes sont de niveau socio-économique défavorisé, facteur qui n’est pas sans incidence sur la morbidité de la population infantile. Plus récemment une migration politique est réapparue, Sud-Américains, Asiatiques entre autres. Pour ces derniers, le niveau socio-économique est souvent plus élevé.



Biculturalisme et bilinguisme


Entre les deux termes, biculturalisme et bilinguisme existe souvent une confusion entretenue par le fait que le bilinguisme est en lui-même une illustration des divers conflits intrafamiliaux, scolaires ou sociaux. Si le biculturalisme paraît englober une problématique plus vaste, le bilinguisme représente le premier problème auquel l’enfant de migrant se trouve confronté du fait de la scolarisation.



Biculturalisme


De façon schématique on pourrait dire que les parents vont souffrir de l’écart entre culture d’origine et culture d’accueil, tandis que pour l’enfant les difficultés paraissent se concentrer sur l’écart entre la langue familiale et la langue sociale. En revanche, l’adolescent retrouvera de manière aiguë et exacerbée dans sa quête d’identité, les tensions résultant de la confrontation des deux cultures.


Avant d’aborder les difficultés de l’enfant lui-même, il convient de décrire rapidement son environnement familial, en particulier ce que vivent les parents lors du passage de la frontière : la rupture du mode de vie habituelle, de l’espace socioculturel traditionnel (famille, amis, maison) ravivée des sentiments de perte et de deuil, en même temps que l’insécurité éprouvée dans le pays d’accueil suscitent des craintes que la réalité, hélas, vient souvent confirmer. Le souci d’être « en règle », d’avoir tous ses papiers, représente la caricature de ce besoin d’identité nouvelle. Ces deux mouvements affectifs, sentiments de perte et crainte paranoïde sont habituellement compensés par l’espoir que sous-tend l’exil : espoir financier (la construction de la maison dans le village natal), espoir politique (la gloire de l’exil). Mais le prix à payer s’avère en général plus lourd que celui escompté, avec pour risque d’aboutir alors à un repli défensif sur la cellule familiale, et le refus d’une intégration culturelle, même partielle.


Si l’homme est souvent contraint pour des raisons professionnelles d’adopter, au moins en partie, la culture d’accueil, la femme, surtout lorsqu’elle a des enfants, peut y rester totalement étrangère, et même après de nombreuses années ignorer complètement la langue du pays d’accueil. Ce repliement familial peut d’ailleurs être le symptôme d’une réelle dépression de la mère, incapable d’élaborer la perte de son habituel cadre de vie. Dans ces conditions, le risque de fragmentation culturelle est grand : la vie professionnelle ou scolaire se situe dans la culture nouvelle, la vie domestique dans la culture d’origine.


À toutes ces difficultés s’ajoutent les problèmes liés à des conditions de vie économique très médiocres qui situent un grand nombre de familles migrantes dans ce que les épidémiologistes appellent « les familles à risques ».


L’enfant est le vecteur privilégié des risques ainsi dénoncés, ceux du biculturalisme d’abord qui peut aboutir à une véritable fragmentation de la vie sociale, ceux ensuite du médiocre niveau socio-économique avec toutes les carences qu’il implique (cf. chap. 20), enfin ceux des remaniements familiaux secondaires aux nouvelles conditions de vie. Ainsi le père qui a perdu son rôle social traditionnel, physiquement absent par le nombre élevé d’heures de travail accomplies, ne représente plus ni la force, ni la protection, ni la sécurité habituelles. La mère ne semble plus lui faire confiance. L’enfant vite acculturé en apparence, détenteur de la langue nouvelle devient le médiateur, l’intercesseur auprès de la culture d’accueil : il accompagne et traduit le discours parental à la mairie, chez le médecin, à la Sécurité sociale, etc. On assiste ici à une sorte d’inversion des rôles parents–enfants, qui ne sera pas sans poser des problèmes ultérieurs, en particulier à l’adolescent migrant.

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 22: L’enfant migrant

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