22 L’enfant migrant
L’importance des mouvements migratoires qu’imposent les sociétés modernes rend nécessaire l’étude de leurs effets sur l’équilibre familial, l’insertion sociale de ce noyau familial, et le retentissement sur chacun des membres. L’enfant, par sa fragilité même, par sa dépendance envers ses parents, par sa socialisation en cours à travers le processus de la scolarisation, est au centre des problèmes soulevés par ces mouvements migratoires. Si nous abordons ici principalement les difficultés rencontrées par l’enfant étranger, il ne faudrait pas en méconnaître pour autant les migrations « internes » telles que le passage du petit village natal à la banlieue suburbaine, ou le passage de la ferme à l’appartement en HLM. Outre les changements profonds dans les conditions de vie, s’ajoutent aussi une rupture avec une partie de la famille, en particulier la génération des grands-parents, et une rupture avec les condisciples (copains, camarades de classe).
Données démographiques
Toutefois, ces chiffres masquent une réalité souvent très différente sur le terrain. En effet, la répartition sur le territoire national est très inégale avec trois régions principalement concernées : la région parisienne (35 %), Rhône-Alpes (15 %) et la Côte d’Azur (10 %). En outre, un phénomène de regroupement aboutit à amplifier les inégalités de répartition, tant du nombre global d’immigrants que de leur nationalité. Ainsi, dans certaines écoles de la banlieue parisienne, le pourcentage d’enfants étrangers peut atteindre 30 à 40 %. Or, les sociologues reconnaissent qu’au-delà de 12 % environ les phénomènes liés au racisme deviennent difficilement contrôlables.
Biculturalisme et bilinguisme
Biculturalisme
Si l’homme est souvent contraint pour des raisons professionnelles d’adopter, au moins en partie, la culture d’accueil, la femme, surtout lorsqu’elle a des enfants, peut y rester totalement étrangère, et même après de nombreuses années ignorer complètement la langue du pays d’accueil. Ce repliement familial peut d’ailleurs être le symptôme d’une réelle dépression de la mère, incapable d’élaborer la perte de son habituel cadre de vie. Dans ces conditions, le risque de fragmentation culturelle est grand : la vie professionnelle ou scolaire se situe dans la culture nouvelle, la vie domestique dans la culture d’origine.
L’enfant est le vecteur privilégié des risques ainsi dénoncés, ceux du biculturalisme d’abord qui peut aboutir à une véritable fragmentation de la vie sociale, ceux ensuite du médiocre niveau socio-économique avec toutes les carences qu’il implique (cf. chap. 20), enfin ceux des remaniements familiaux secondaires aux nouvelles conditions de vie. Ainsi le père qui a perdu son rôle social traditionnel, physiquement absent par le nombre élevé d’heures de travail accomplies, ne représente plus ni la force, ni la protection, ni la sécurité habituelles. La mère ne semble plus lui faire confiance. L’enfant vite acculturé en apparence, détenteur de la langue nouvelle devient le médiateur, l’intercesseur auprès de la culture d’accueil : il accompagne et traduit le discours parental à la mairie, chez le médecin, à la Sécurité sociale, etc. On assiste ici à une sorte d’inversion des rôles parents–enfants, qui ne sera pas sans poser des problèmes ultérieurs, en particulier à l’adolescent migrant.