Chapitre 21 Nystagmus
L’objectif de la chirurgie des nystagmus a été parfaitement défini par von Noorden [1] et Spielmann [2]. Il est de :
stabiliser les yeux, ou tout au moins de réduire l’instabilité oculaire ;
et/ou déplacer la zone de moindre mouvement (ou relative stabilité) vers la région centrale du regard, autour de la position primaire en vision de loin et de la position de lecture en vision de près ;
éliminer en même temps le torticolis, s’il y a lieu ;
redresser, le cas échéant, les axes visuels, dans un but fonctionnel et de surcroît esthétique.
La correction chirurgicale est une étape essentielle, mais une étape seulement, du traitement du nystagmus congénital (ou syndrome du nystagmus précoce1). Celui-ci débute toujours par le port de la correction optique totale de l’amétropie. L’étape suivante consiste à :
• s’assurer, en l’absence de strabisme surajouté, que le sujet continue d’utiliser sa vision binoculaire normale, malgré le nystagmus (et souvent une différence apparente d’acuité visuelle entre les deux yeux en raison d’une différence d’intensité du nystagmus en vision monoculaire) ;
• dans tous les cas, dépister et traiter, si nécessaire, une amblyopie anisométropique et/ou strabique.
Le nystagmus, et le torticolis en particulier, peut gêner les étapes du traitement préopératoire ; il convient alors de passer à l’étape chirurgicale sans plus attendre (cf.chapitre 3 ; pour la physiopathologie des nystagmus, se reporter aux références [3], [4], [5] et [6]).
Bilan préopératoire
Examen clinique
Comme pour tout trouble oculomoteur, l’examen clinique est l’étape primordiale du bilan préopératoire, suivant le plan exposé au chapitre 5 (figure 21.1) ; il doit, de façon générale, être répété : une longue période d’observation est souvent nécessaire, avant qu’une stratégie opératoire puisse être arrêtée. On s’attache en particulier à :
• pratiquer une mesure objective de la réfraction sous cycloplégie et ordonner le port de la correction optique totale ;
• observer le comportement spontané du sujet en vision corrigée de loin et de près ;
• observer le mouvement nystagmique, les variations de la direction, l’amplitude et la fréquence du battement, selon la direction du regard et dans le temps, en vision monoculaire et binoculaire ;
• rechercher les mécanismes de compensation, c’est-à-dire un torticolis, ses variations selon l’œil fixateur, en vision monoculaire et binoculaire, de loin et de près, et selon l’intensité de l’effort visuel [2, 7–9], et/ou d’une atténuation du nystagmus en convergence (le torticolis de compensation ne doit pas être confondu avec le blocage mécanique en version extrême) ;
• mesurer l’acuité visuelle avec la correction optique totale, en vision monoculaire droite et gauche et en vision binoculaire en position de torticolis de loin et en position de lecture de près, en position primaire et à l’opposé du torticolis ;
• étudier la binocularité, c’est-à-dire la vision simultanée aux verres striés de Bagolini et la vision stéréoscopique aux tests à point aléatoires.
Examen oculographique
L’examen électro-oculographique cinétique ou photo-oculographique est d’un apport indiscuté dans les nystagmus, pour autant que l’on dispose de l’équipement approprié et que l’âge du sujet permette de réaliser un enregistrement interprétable. Grâce à la trace écrite, il objective et précise, mais aussi complète ce qui a été constaté, parfois avec difficulté, à l’examen clinique, c’est-à-dire les caractères du mouvement nystagmique, le sens et la vitesse de sa phase lente et de sa phase rapide, ses variations selon l’œil fixateur, en vision monoculaire et binoculaire et selon la direction du regard [7, 10–12]. Il confirme l’existence ou l’absence de mécanismes de compensation se traduisant par une ou plusieurs zones de moindre mouvement ou d’arrêt, et permet de localiser celles-ci dans le champ du regard.
Test prismatique préopératoire
Toutes les fois qu’il est possible de mettre une zone de moindre mouvement excentrée en évidence et d’envisager une intervention pour transférer celle-ci en position primaire et/ou pour l’élargir, il convient de confirmer l’apport présupposé de l’intervention projetée par un test prismatique préopératoire. En plus de la correction exacte de l’amétropie, on fait ainsi porter :
• des prismes dont la base est placée des deux côtés dans la direction du torticolis, en cas de torticolis simple2 ; ces prismes sont en principe de puissance égale ; ils peuvent être de puissance différente en cas de déséquilibre oculomoteur normosensoriel surajouté ;
• des prismes à base temporale, lorsque le nystagmus s’atténue en convergence, qu’il y ait ou non un torticolis double ; selon la position optimale du regard, la puissance de ces prismes est répartie de façon égale ou asymétrique entre les deux yeux.
Nystagmus congénitaux à binocularité normale
Stratégies opératoires
La chirurgie des nystagmus congénitaux fait appel à trois principes stratégiques distincts selon l’existence ou non de mécanismes de compensation ; ils ont, chacun, leurs indications spécifiques :
• le déplacement conjugué des yeux, pour éliminer le torticolis, en déplaçant la zone de moindre mouvement ou zone neutre vers la position primaire ;
• la mise en exophorie, c’est-à-dire de déplacement non conjugué des yeux, pour élargir la zone de moindre mouvement ;
• l’immobilisation des yeux par freinage musculaire, pour atténuer le nystagmus.
Âge opératoire
L’âge de l’intervention pour nystagmus dépend essentiellement du tableau clinique :
• s’il existe un torticolis et qu’il est très marqué, à plus forte raison s’il gêne la correction d’une amétropie majeure [2], l’intervention doit être précoce ; elle peut se faire avant l’âge de 2 ans [13] ; si au contraire, le torticolis est modéré, il est préférable de différer l’intervention jusqu’à un âge plus avancé, de 3 ou 4 ans ou davantage ;
• pour la mise en exophorie, il est raisonnable d’attendre que l’enfant ait atteint l’âge de 6 ans au moins, c’est-à-dire un âge où la vision binoculaire normale est suffisamment enracinée [14] ;
• les opérations de freinage musculaire s’effectuent surtout après l’âge de 8 à 10 ans, c’est-à-dire à un âge où il n’est plus possible de compter sur une atténuation spontanée du nystagmus.
Nystagmus avec torticolis simple : le déplacement conjugué des yeux
Lorsque le torticolis est simple, horizontal, vertical ou oblique et/ou torsionnel, en rapport avec une zone de moindre mouvement excentrée, l’opération consiste à effectuer un déplacement conjugué des yeux en direction du torticolis, c’est-à-dire à l’opposé de la zone de moindre mouvement.
Corriger un torticolis horizontal
Pour ce faire, deux procédés différents, aujourd’hui classiques, ont été proposés la même année, en 1953, pour corriger les torticolis horizontaux : l’opération d’Anderson et celle de Kestenbaum.
L’opération d’Anderson consiste à affaiblir par de grands reculs les muscles synergiques du mouvement en direction de la zone de moindre mouvement [15] (tableau 21.1).
Les reculs des droits horizontaux concernés doivent être importants, de 6 mm au moins ; ils peuvent dépasser 10 mm en cas de torticolis important ; ces reculs « non seulement déplacent le globe, mais ont un effet freinateur bénéfique » [2]. Goto a proposé, en 1954 [12], de renforcer les muscles synergiques du mouvement de rappel, mais n’a guère été suivi.
L’opération de Kestenbaum associe un affaiblissement des muscles synergiques du mouvement en direction de la zone de moindre mouvement et un renforcement, par plissement ou résection, de leurs antagonistes [16] (tableau 21.2).
• le dosage doit être égal de 5, 6 ou 7 mm sur les quatre muscles selon l’importance du torticolis pour Kestenbaum [16] ;
• il doit être échelonné pour la plupart des auteurs : la règle des 5, 6, 7, 8 mm de Parks, la plus connue (5 mm de recul du droit médial, 6 mm de résection du droit médial opposé, 7 mm de recul du droit latéral et 8 mm de résection du droit latéral opposé [17]), veut tenir compte de l’efficacité différente du recul et du renforcement musculaire effectué sur le droit latéral et sur le droit médial ; elle convient pour un torticolis ne dépassant pas 30° [1] ; il est à noter que dans tous les cas la somme des dosages effectués sur chaque œil est identique, répartie différemment entre le droit latéral et le droit médial ;
• lorsque le torticolis dépasse 30° certains auteurs ont proposé de majorer les dosages indiqués par Parks de 30, 40 ou 60 % selon l’importance du torticolis, en espérant éviter ainsi d’avoir à réintervenir pour un résultat insuffisant ; von Noorden augmente le dosage de 1 ou 2 mm pour chaque muscle [1].
Ledosage de ces opérations doit être proportionné à « la déviation nystagmique [mesurée] en stimulant les mécanismes de compensation par un effort visuel intense », lors de la mesure de l’acuité visuelle de loin ou de la lecture [2], c’est-à-dire qu’il doit être proportionné au torticolis à éliminer. Il est calculé en fonction de l’angle de torticolis, globalement pour le droit latéral et le droit médial (efficacité de 1,5°/mm) de chaque œil, comme pour une opération combinée unilatérale usuelle (cf. p. 122) ; il est ensuite réparti entre les deux muscles et ajusté en fonction des données peropératoires (cf. p. 142).
Pour un torticolis de plus de 30°, il est possible d’ajouter une myopexie postérieure aux reculs, plutôt que d’augmenter ceux-ci en proportion ; placée à la distance de 13 à 14 mm de l’insertion sclérale primitive du droit médial et de 15 à 16 mm de celle du droit latéral (cf.chapitre 10), la myopexie accroît l’efficacité des reculs de 50 %.
Corriger un torticolis vertical
Les opérations d’Anderson et de Kestenbaum s’appliquent de la même manière aux torticolis verticaux lorsque la zone de moindre mouvement est excentrée vers le haut ou vers le bas et entraîne un torticolis vertical [18].
• L’opération verticale d’Anderson de recul de 4 à 5 mm des deux droits supérieurs (pour un torticolis tête fléchie) ou inférieurs (pour un torticolis tête relevée) peut suffire pour compenser un torticolis inférieur à 25° [2] (cf. tableau 21.1).
• Pour un torticolis égal ou supérieur à 25°, l’opération verticale de Kestenbaum est préférable, afin de ne pas perturber la statique palpébrale ; son dosage se calcule comme précédemment à partir de l’angle de torticolis ; il est réparti de façon égale entre le droit supérieur et le droit inférieur (cf. tableau 21.2). Une myopexie postérieure peut être associée aux reculs lorsque le torticolis dépasse 30°. Une mise en exophorie peut être envisagée dans un deuxième temps.