21 L’enfant et l’école
Généralités
La place qu’occupe l’école dans le champ d’activité du pédopsychiatre ne doit pas être ignorée. Au total, pour environ 70 % des enfants consultants en pédopsychiatrie publique ou privée, un motif scolaire est invoqué. Le mode de consultation privilégié dépend plus du niveau socio-économique des familles que de la nature même des difficultés de l’enfant : ainsi les familles de bon niveau socio-économique ont plutôt tendance à consulter spontanément ou sur simple conseil médical majoritairement en privé, tandis qu’en cas de niveau socio-économique défavorisé, les familles consultent sur la pression de l’école ou des services sociaux en centre médico-psychologique ou psychopédagogique (Schmid, 1975). L’école étant un lieu majeur de la socialisation et de l’investissement narcissique de l’enfant, de très nombreuses situations psychopathologiques peuvent conduire à une difficulté scolaire et, a contrario, toute difficulté scolaire chronique peut entraîner chez l’enfant des troubles psychopathologiques de la série dépressive–narcissique et/ou des troubles du comportement. C’est pour nous le cercle vicieux de la confiance que nous avons résumé dans la figure 21.1, en distinguant le monde interne (ou ressenti de l’enfant) et le monde externe (ou expression des difficultés). Du coup, l’inadéquation scolaire est souvent le premier symptôme mis en avant, même si celui-ci n’est qu’un trompe-l’œil et/ou la manifestation d’une pathologie plus complexe. Dans tous les cas, confronté à l’inadéquation scolaire il faut prendre en considération les trois partenaires que sont l’enfant, sa famille et l’école ; tenter d’évaluer leur interaction réciproque avant d’envisager une aide thérapeutique.;
L’enfant
Chez l’enfant, il faut distinguer entre les possibilités d’apprendre et le désir d’apprendre. L’évaluation des possibilités repose sur l’examen soigneux et complet des capacités physiques (recherche de déficit sensoriel partiel) et psychiques. Nous ne reviendrons pas ici sur les diverses explorations nécessaires en cas de doute, ni sur l’étude des capacités cognitives et de leurs divers stades (cf. chap. 9).
d’origine individuelle, réaction d’amour-propre et de prestance, mais aussi désir de savoir, plaisir à apprendre, rivalité fraternelle ou œdipienne, etc. ;
d’origine familiale : stimulation parentale de toute nature, participation des parents à la vie scolaire de leur enfant ;
d’origine sociale enfin : valorisation de la connaissance, partage des mêmes idéaux que l’institution scolaire, etc.
La famille
Le degré de motivation de la famille est aussi fonction de ce niveau socioculturel, de l’accord avec les buts et/ou moyens de l’école. Certains parents mettent ainsi systématiquement leur enfant en situation d’opposition avec l’école, la dénigre et la dévalorise constamment. Toutefois, l’attitude opposée peut aussi provoquer un blocage chez l’enfant : l’hyperinvestissement par les parents des résultats scolaires, leurs contrôles et leur vigilance incessante du travail de l’enfant dans un climat obsessionnalisé ou perfectionniste peuvent entraîner un renoncement, voire un refus.
L’école
le cycle des apprentissages premiers regroupant la petite et la moyenne section de maternelle ;
le cycle des apprentissages fondamentaux constitué par la grande section de maternelle, le CP et le CE1, permettant d’étaler l’apprentissage de la lecture sur trois années ;
le cycle de la 6e appelé cycle d’observation car il s’agit d’initier les élèves aux méthodes et aux disciplines propres à l’enseignement au collège ;
le cycle de la 5e–4e appelé cycle central ; il s’agit d’approfondir et d’élargir les compétences et les connaissances de l’élève ;
le cycle de la 3e appelé cycle d’orientation car il mène à la fin de la scolarité obligatoire et doit déboucher sur les choix professionnels définitifs : poursuite d’une scolarité longue ou orientation professionnelle.
L’école a subi au cours de ces dernières années de profondes modifications. Elle a dû aussi faire face à une vague démographique importante qui, bien qu’en régression actuellement, continue d’en modifier les structures. L’accès à l’école de l’ensemble des classes sociales, la scolarisation d’un nombre important d’enfants étrangers a posé et pose des problèmes. Face à ces bouleversements, l’école n’a pas toujours su ou pu s’adapter avec la souplesse nécessaire, tant dans son organisation matérielle (problème du rythme scolaire, des vacances, du nombre d’enfants) que dans son contenu même.
Par ailleurs, la relation directe entre le niveau socioculturel et la réussite scolaire ne peut plus être mise en doute : plus le niveau est bas, plus le risque d’échec scolaire est grand (tableau 21.1). Il apparaît que le taux d’échec scolaire est fortement corrélé au niveau de la qualification professionnelle du père et peu avec l’existence ou non d’un travail de la mère ; en revanche, il est corrélé avec le niveau d’études de celle-ci. Les enfants de travailleurs migrants sont une triste illustration de ces corrélations car ils cumulent à la fois le handicap linguistique et les conditions socio-économiques défavorables : ainsi on peut considérer que seuls 20 % des enfants de migrants échappent à l’échec scolaire (cf. chap. 22). Cet échec n’est pas à attribuer au bilinguisme car les enfants étrangers, issus de milieu socio-économique favorisé, ont une réussite scolaire analogue aux enfants autochtones (Rivière, 2000).
Profession du père | Pourcentage d’échec scolaire des enfants de 9 ans |
---|---|
Manœuvres | 27,1 % |
Agriculteurs, employés | 15,1 % |
Ouvriers qualifiés | 13,1 % |
Commerçants | 11,6 % |
Artisans, employés qualifiés | 10,5 % |
Cadres moyens | 6,1 % |
Cadres supérieurs | 4,3 % |
* Schmid : population scolaire du canton de Vaud.
le trop grand nombre d’enfants par classe (les chiffres moyens de l’Éducation nationale masquent en réalité une extrême disparité entre des classes avec peu d’élèves dans des régions en voie de dépeuplement, et des classes surchargées dans les banlieues urbaines où sont précisément les enfants qui cumulent le plus de difficultés) ;
l’évolution du statut de l’enseignant et de ses motivations (dont témoigne la féminisation extrême) et corrélativement l’évolution de la relation; maître–élève (la motivation inconsciente de l’enseignant est hélas plus souvent le plaisir pris à la maîtrise du groupe que le plaisir pris à la progression de chacun) ;
la nature même de la progression scolaire (progression de type frontal qui suppose acquises les notions de l’année précédente et où chaque lacune exerce un effet cumulatif sur l’apprentissage ultérieur, ne permettant pas le rattrapage, mais au contraire aggravant le retard) ;
l’évolution du rôle de l’école primaire (dont l’objectif n’est plus de donner à chaque enfant un acquis concret : lire–écrire–compter, directement utilisable pour accéder à un métier, mais de le préparer à l’enseignement secondaire et supérieur : il suffit pour cela de voir la place de l’enseignement des mathématiques modernes) ;
le non-respect des rythmes propres à l’enfant (durée excessive de la journée scolaire et mauvaise répartition dans l’année) même si ce point reste controversé ;
la compétence de l’enseignant enfin, sujet quasiment tabou, semble déterminer en grande partie le pourcentage moyen de réussite ou d’échec dans une classe particulière. Ravard et Ravard (1982) ont étudié sur cinq années scolaires le pourcentage d’échec en apprentissage de la lecture (6–7 ans : cours préparatoire) dans trois classes dont les autres variables (types de population, niveau socioculturel) sont comparables à l’exception de la personne de l’enseignant ; le pourcentage d’échec moyen peut osciller de 10 à 42 % : la « compétence » de l’enseignant semble être selon les auteurs la variable la plus importante pour expliquer les écarts enregistrés dans les pourcentages d’échec scolaire. Une étude plus récente sur la circonscription d’Issy-les-Moulineaux, contrôlant également les variables socio-économiques, a reproduit les mêmes résultats pour ce qui concerne la variable « enseignant » (Plaza et Touzin, 2002).
Clinique des difficultés scolaires
Les difficultés scolaires comme signe d’appel
Lorsqu’un enfant est adressé par l’école au centre médico-psychopédagogique, ou lorsque les parents consultent spontanément ou sur les conseils de leur médecin, dans tous les cas les difficultés scolaires occupent le devant de la scène. Toutefois, les parents et l’enseignant utilisent une grille symptomatique très variable où se mêlent des valeurs morales (paresseux, turbulent, méchant), des valeurs supposées médicales (instabilité, dyslexie, débilité), des valeurs sociales au sens de la norme (« il n’est pas du niveau »), etc. Ainsi, à titre d’exemple, le tableau 21.2 présente par ordre de fréquence les difficultés alléguées par des enseignants dans un échantillon d’enfants de 6–7 ans et les diagnostics DSM-IV retenus dans un échantillon d’enfants américains consultant un « psy » en milieu scolaire.
Avec l’âge, la nature des difficultés évolue, marquée par l’existence de difficultés dites spécifiques (dyslexie, dyscalculie) puis par l’apparition de l’échec scolaire. En ce qui concerne l’instabilité, l’hyperactivité, les difficultés motrices diverses, nous renvoyons le lecteur aux chapitres 5 et 18. Les difficultés de langage (chap. 6), de niveau intellectuel (chap. 9) ont été étudiées ailleurs de même que l’inhibition (chap. 15).
Nous aborderons ici : les difficultés dites spécifiques ; l’absentéisme scolaire ; l’échec et le retard scolaire ; la phobie scolaire enfin.;
Difficultés spécifiques d’apprentissage
Troubles des apprentissages des mathématiques et dyscalculie
Sur le plan cognitif, un raisonnement mathématique peut faire appel à de très nombreuses aptitudes, en premier, au sens du nombre qui contrairement à la lecture est présent dès le début de la vie. On a montré récemment la présence d’un sens élémentaire des nombres très tôt au cours du développement humain et dans de nombreuses espèces animales (singe, dauphin, oiseaux, rongeurs). Des tests non verbaux ont montré que le nourrisson a des capacités insoupçonnées à discriminer des petites quantités, mais aussi à additionner ou soustraire des petites quantités. Dès l’âge de 6 mois, les nourrissons sont capables de différencier huit objets de seize objets, mais échouent en revanche dans des comparaisons plus précises de huit objets avec douze objets. Plus intéressant encore, les études de la perception numérique chez l’animal et l’homme suggèrent que la représentation mentale des nombres au cours de l’évolution partage des processus élémentaires communs suivant des principes généraux de physiologie sensorielle (Molko et coll., 2004). Au cours du développement, l’enfant devra pouvoir manipuler les trois représentations du nombre que sont la grandeur (ou sens du nombre), le chiffre arabe et la représentation verbale, d’où le modèle du triple code (Dehaene et coll., 2004). Cela étant, les mathématiques ne requièrent pas exclusivement un sens du nombre suffisamment développé, puisque l’apprentissage des mathématiques demande à l’enfant de s’exercer dans trois champs principaux : la fonction numérique, le raisonnement, la géométrie (Van Hout et Meljac, 2001).
Au plan de la classification, on distinguera :
un sous-type lié à un trouble de la pensée logique, mieux dépisté par des épreuves de type piagétienne (par exemple l’UDN-II) ;
un sous-type lié à un trouble du sens du nombre et à qui certains réservent le terme de dyscalculie, mieux dépisté par des épreuves incluant des comparaisons de grandeur et de la numération (par exemple le TEDIMATH) ;
La rééducation des troubles des apprentissages des mathématiques, en dehors des facteurs psychoaffectifs (Brousselle, 1973), passe d’abord par une rééducation orthophonique dite logico-mathématiques où seront travaillés en fonction des difficultés le sens du nombre, d’une part, et le raisonnement, d’autre part. Les exercices peuvent comprendre des comparaisons de grandeurs, des mouvements de comptage, des jeux de l’oie, des manipulations de sériation, de groupement, de correspondance terme à terme à partir d’un matériel concret (jetons, tiges, règles). Certains dispositifs informatisés sont aussi disponibles (Wilson et coll., 2006). À chaque fois qu’un trouble de la motricité fine ou de l’organisation spatiale est associé, une rééducation psychomotrice centrée sur l’organisation du schéma corporel et sur la différenciation des gnosies digitales sera proposée (Hasaert-Van Geertruyden, 1975).
Absentéisme scolaire
Définition
L’absentéisme scolaire est un problème de santé sérieux d’une certaine façon inclassable. Pourtant, il s’agit d’un facteur de risque certain pour des conduites qui surviennent plus souvent à l’adolescence : tentatives de suicide, comportements sexuels à risque, grossesses adolescentes, violence, accidents, consommation de substance et/ou délinquance. On le définit par des absences scolaires justifiées et/ou non justifiées en nombre trop élevé. Trop souvent confondu avec le refus scolaire, même s’il partage certains contours, il s’en distingue. Près de 7 % des enfants, en primaire et en secondaire, manquent au moins cinq jours d’école dans le mois (Kearney, 2008).
Causes
Elles sont multiples et très souvent corrélées entre elles. On distingue les causes organiques, psychiatriques et environnementales-sociales. Nous traiterons des causes psychiatriques (principalement trouble des conduites, trouble oppositionnel, trouble anxieux, dépression), qui n’expliquent que 25 % des absentéismes conséquents (plus de onze jours par mois), avec le refus scolaire puisqu’elles sont les mêmes, l’absentéisme s’inscrivant alors dans un continuum avec le refus scolaire (Eger et coll., 2003). Les causes organiques sont nombreuses et nous en avons listé certaines dans le tableau 21.3. Au premier rang d’entre elles, l’asthme et les problèmes respiratoires. Le nombre de journées d’école ratées suite à un asthme a été estimé en 2002 à plus de 14 millions (Center for Disease Control and Prevention, 2004) ! Outre leur impact propre, l’absentéisme scolaire lié aux pathologies organiques est également aggravé par les facteurs environnementaux–sociaux auxquels la pathologie se surajoute alors. Parmi ceux-ci, on peut retenir : la pauvreté et les difficultés de logement ; les mères adolescentes ; les contextes scolaires violents ; le climat scolaire variable souvent sous-estimé qui importe tant du point de vue collectif que du point de vue de l’enfant lui-même ; l’implication parentale dans la scolarité ; le contexte familial particulier tant d’un point de vue psychopathologique et fonctionnel que d’un point de vue social (maltraitance, séparation, conflit, etc.).;
Pathologies organiques | Raisons invoquées pour quitter l’école prématurément |
---|---|
Asthme et pathologies respiratoires Allergies et rhinites Cancer Maladies chroniques et douloureuses (par exemple : drépanocytose) Épilepsie Céphalées chroniques Pathologies traumatiques mineures Obésité Syndrome du côlon irritable Trouble du sommeil Diabète de type I | Trop de jours d’école ratés (43 %) Échec scolaire et résultats décevants (38 %) N’aime pas l’école (36 %) N’arrive pas à faire face aux devoirs (32 %) Enceinte, pour les filles seulement (27 %) Trouver du travail et/ou soutenir la famille (20–25 %) N’aime pas les professeurs (25 %) Sentiment de n’être pas à sa place à l’école (20 %) N’aime pas les autres élèves (18 %) Renvoyé de l’école (16 %) Sentiment d’insécurité à l’école (10 %) |
(d’après Kearney, 2008)
Abord thérapeutique
Il découle de l’analyse fonctionnelle et psychopathologique de la situation et recoupe le refus scolaire (cf. plus bas) au plan des aspects psychopathologiques. Néanmoins, il ne se recoupe pas complètement comme en témoignent les raisons invoquées par les jeunes de collège ne fréquentant plus le système scolaire (cf. tableau 21.3). Rappelons que seuls 25 % des enfants en situation d’absentéisme scolaire relèvent d’un diagnostic psychiatrique à l’axe I (Eger et coll., 2003).
Retard scolaire et échec scolaire
On distingue classiquement le retard scolaire de l’échec scolaire, ce dernier terme étant réservé aux retards supérieurs à deux années. En réalité, le retard précède toujours l’échec, et y aboutit fréquemment si aucune action préventive n’est mise en place (Chiland et Young, 1990 ; Basquin, 1996).
Nous ne reviendrons pas sur l’importance de ce phénomène, ni sur sa dimension sociale (cf. partie I) qui constitue la toile de fond de l’échec scolaire (Carric, 1977). L’échec scolaire est différent du fléchissement scolaire : dans ce dernier cas, on note une période de scolarité satisfaisante avant que l’échec n’apparaisse. Dans la majorité des cas, le fléchissement scolaire apparaît réactionnel, soit à des difficultés familiales (maladie de la mère, séparation des parents, décès), soit à des conflits actuels propres à l’enfant. Dans quelques cas, un fléchissement scolaire soudain, sans aucune cause apparente, peut être le premier indice d’une désorganisation plus grave ou d’une pathologie débutante.
Déficience intellectuelle
Si une déficience intellectuelle moyenne entrave nécessairement la progression scolaire, en revanche la déficience légère ou limite (cf. chap. 9) n’apparaît pas comme la cause principale de l’échec scolaire, le niveau intellectuel des enfants en situation d’échec étant très variable, même si le sommet de la courbe est décalé vers une moyenne légèrement inférieure. On sait l’importance du facteur socio-économique dans le déterminisme de la déficience mentale limite si bien qu’on observe ici un effet cumulatif entre déficience intellectuelle–limite et échec scolaire, l’un renforçant l’autre, l’enseignant ou l’Éducation nationale se satisfaisant de cette approche explicative simpliste.
Refus scolaire
Il peut prendre un aspect massif et actif. Parfois, il semble provenir de l’enfant qui s’oppose à toute acquisition scolaire. Mais dans d’autre cas, il apparaît comme le témoin de l’hostilité plus ou moins manifeste des parents à l’égard de l’école, en particulier lorsque ceux-ci projettent massivement leurs anciens problèmes sur le vécu scolaire actuel de leur enfant. Ce refus scolaire est de nature différente avec l’âge :
opposition active bruyante, avec des attitudes de bouderie ou des troubles de comportement (colère, instabilité) chez le jeune enfant ;
opposition plus passive d’un enfant effacé et silencieux (dans « la lune », rêveur) ou opposition qui se marque par l’absentéisme du préadolescent ou de l’adolescent.
Inhibition scolaire
Dans sa forme la plus typique, l’inhibition scolaire entraîne une souffrance chez l’enfant incapable de travailler ou de se « concentrer » sur sa tâche malgré son désir. Elle peut se voir en dehors de tout autre type d’inhibition (inhibition des processus cognitifs, inhibition affective ou timidité). Elle traduit généralement une organisation névrotique conflictuelle : le désir épistémophilique reste très culpabilisé et subit un refoulement. Les mécanismes de défense dits névrotiques (déplacement et sublimation) n’ont pas atteint leur plein développement. Dans d’autres cas le savoir paraît investi d’une puissance redoutable qui réactive la rivalité au père et à son image. Ceci représente les mécanismes même de l’organisation névrotique. Nous renvoyons le lecteur au chapitre sur les organisations d’apparence névrotique (cf. chap. 15).
Phobie scolaire et refus scolaire anxieux
En 1941, A. Johnson et coll. utilisent le terme « phobie scolaire » pour décrire « des enfants qui, pour des raisons irrationnelles, refusent d’aller à l’école et résistent avec des réactions d’anxiété très vives ou de panique quand on essaie de les y forcer ».
Quelques années plus tard, Estes et coll. (1956) situent le nœud pathologique non pas dans la peur de l’école mais dans l’angoisse de quitter la mère et introduisent le concept d’angoisse de séparation, le refus scolaire n’en étant qu’une des expressions manifestes. Par la suite l’expression « refus anxieux de l’école » (Last et coll., 1987) tend à prendre le relais, en particulier dans la littérature anglo-saxonne. La classification américaine situe la phobie scolaire ou le refus anxieux de l’école soit du côté du trouble angoisse de séparation, soit comme expression symptomatique d’une phobie sociale, classification qui semble surtout dépendante de l’âge.
L’âge du début de la phobie scolaire présente plusieurs pics, vers 5–7 ans, vers 10–11 ans et à l’adolescence vers 13–15 ans (King et Berstein, 2001) Seules seront abordées ici les phobies scolaires du jeune enfant (pour le grand enfant et l’adolescent : cf. Marcelli D, Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. 7e éd. Masson ; 2008), formes dans lesquelles l’angoisse de séparation semble être l’axe pathologique dominant (cf. chap. 15).
Repères épidémiologiques. Il est difficile d’avoir une idée précise de la fréquence de la phobie scolaire chez l’enfant dans la mesure où la majorité des études inclut l’adolescence, âge où cette pathologie semble être plus fréquente. Globalement sur l’ensemble de la population consultante en psychiatrie (enfants et adolescents) ce trouble représenterait 5 % des cas (Hersov, 1990). Dans une enquête en population générale portant sur les manifestations cliniques d’angoisse de séparation selon les critères du DSM-III-R (en particulier le critère de durée : manifestation pendant deux semaines consécutives sachant que ce critère a été porté à 4 semaines dans la version DSM-IV), nous avons retrouvé une incidence de 1,6 % (± 1) selon les enseignants, 3,9 % (± 1,5) selon les parents, lors de l’entrée à l’école primaire entre 5 ans et demi et 6 ans et demi. Cette incidence est de 4,8 (± 1,7) selon les enseignants et de 7,8 % (± 2,2) selon les parents lors de l’entrée à l’école maternelle entre 2–3 ans (Gorin et coll., 1996).
Étude clinique
Parfois progressif, le début est plus souvent brutal chez l’enfant jeune. Parfois manifeste dès le commencement de l’année scolaire, l’apparition des symptômes cliniques peut être retardée de quelques semaines ou mois en particulier après une interruption scolaire pour des vacances, une maladie ou un événement intercurrent (déménagement, changement d’école, d’enseignant, départ d’un camarade de classe, etc.). Parfois un événement est rendu responsable : réprimande de l’enseignant, conflit avec des camarades, épisode encoprétique. Il ne faut pas méconnaître la possibilité d’une agression ou d’une menace (racket) à laquelle l’enfant tente d’échapper par le refus scolaire.
Le moment phobique
L’enfant phobique scolaire présente une réaction d’angoisse intense très liée aux moments phobiques : lors du départ en classe l’enfant s’agite, manifeste une grande panique. Il pleure, supplie ses parents, promet qu’il ira à l’école le lendemain. Si on le force, la crise prend une tournure dramatique : il s’enferme dans sa chambre, se sauve en pleurant. L’enfant est alors inaccessible à tout raisonnement. Dans quelques cas, la contrainte semble le calmer, il se laisse conduire passivement à l’école, mais très vite il quitte sa classe, s’enfuit irrésistiblement pour rentrer chez lui ou errer malheureux si la porte du domicile est close. Parfois, surtout vers 5–7 ans, il présente des plaintes somatiques (céphalées, maux de ventre), ou même des vomissements. Plus rarement, on note des conduites agressives (bousculade, agitation) qui sont en fait le témoin des réactions de détresse et d’angoisse devant la contrainte.