20: Segmentites antérieures à virus de la famille Herpès

Chapitre 20 Segmentites antérieures à virus de la famille Herpès



Parmi les uvéites, l’uvéite antérieure est la forme clinique la plus fréquente. Il s’agit donc d’une préoccupation tout à fait courante en ophtalmologie omnipraticienne. Seule une petite frange d’entre elles est référée en seconde intention dans des centres hospitaliers, essentiellement lorsque l’inflammation n’est pas contrôlée ou que les séquelles nécessitent une prise en charge plus lourde. Les uvéites dites « idiopathiques » — qualificatif qui ne reflète probablement que notre ignorance — sont les plus fréquentes, devant les uvéites liées au HLA-B27 ; viennent ensuite les uvéites virales, qui pourraient représenter 10 % des uvéites antérieures [1,2]. Il est malgré tout primordial de savoir évoquer une étiologie virale devant une uvéite antérieure, car il peut exister une démarche diagnostique et surtout thérapeutique particulière.


Certaines uvéites antérieures virales peuvent avoir une manifestation clinique typique, connue de très longue date, qui fait évoquer sans trop de difficulté une uvéite à herpes simplex virus (HSV) ou une uvéite à virus de la varicelle et du zona (VZV) avec leurs conséquences thérapeutiques évidentes. D’autres manifestations sont moins typiques et nous essayerons de présenter les caractéristiques cliniques qui doivent orienter vers une étiologie spécifique. La description de nouvelles entités cliniques pour ces deux virus est désormais exceptionnelle [3]. L’implication d’HSV dans certains syndromes de Fuchs reste possible, même si les articles les plus récents évoquent le virus de la rubéole [4]. Il en est de même pour certains cas de syndrome de Posner-Schlossman [5], même si, plus récemment là encore, la responsabilité du cytomégalovirus (CMV) dans certaines crises « glaucomato-cyclitiques » récidivantes a également été fortement suggérée, ce qui pourrait à l’avenir influencer notre prise en charge diagnostique et thérapeutique. Le rôle du virus d’Epstein-Bar (EBV) dans de très nombreuses affections ophtalmiques doit en revanche certainement être considéré avec beaucoup de prudence, compte tenu de sa haute séroprévalence ; son implication a été rapportée dans plusieurs cas d’uvéites antérieures atypiques, mais il semble nécessaire de colliger les cas pour mieux définir s’ils constituent une entité à part. Enfin, parmi les derniers membres de la famille des virus Herpès, HHV-6 a été décrit dans une panuvéite unilatérale sévère [6], témoignant de notre constante progression dans la compréhension des uvéites antérieures auparavant classées dans le fourre-tout des uvéites dites idiopathiques.


La famille des virus Herpès (Herpesviridae) compte cent vingt membres, tous virus enveloppés à ADN linéaire de haut poids moléculaire. Parmi eux, seuls huit virus infectent l’homme ; ces herpèsvirus humains (Human Herpesvirus, notés HHV-1 à HHV-8) dérivent probablement d’un ancêtre commun1 :








Le seul réservoir de ces virus est l’homme. Ils ont également en commun de persister dans l’organisme après la phase de primoinfection, sous une forme latente. Les sites de latence bien identifiés diffèrent selon les virus (ganglions sensitifs pour HSV et VZV, lymphocytes pour EBV, monocytes et macrophages pour CMV). Le tableau 20-I résume les principales manifestations non ophtalmiques et ophtalmiques de ces virus chez l’homme.



Pour l’ensemble des virus de la famille Herpès, se pose la difficile question de la prévention des récidives. En pratique, ce sont évidemment celles de HSV et VZV qui sont des préoccupations quotidiennes. Les récidives du CMV relèvent encore du domaine de la recherche fondamentale et clinique.


Les antiviraux modernes — l’aciclovir (1979) puis sa prodrogue le valaciclovir (1993), et le ganciclovir (1982) — ont radicalement changé l’évolution des herpès oculaires depuis quarante ans. Tous sont des agents virostatiques. L’intrication permanente de l’effet cytopathogène propre des virus et de la cytotoxicité des effecteurs de la défense immunitaire dans la pathogénie des lésions tissulaires explique parfaitement la dualité de nos traitements, en particulier dans les segmentites antérieures (c’est-à-dire les tableaux cliniques de kérato-uvéites) : antiviraux et immunosuppresseurs/anti-inflammatoires.


Ce chapitre présente successivement et par ordre de fréquence en pratique clinique, les caractéristiques épidémiologiques, les mécanismes pathogéniques connus ou supposés, les manifestations cliniques fréquentes et celles plus rares, les méthodes diagnostiques disponibles et les traitements spécifiques pour chacun des virus. Est volontairement exclu de ce chapitre tout ce qui est du domaine de la virologie et de l’immunologie fondamentales. Par ailleurs, les atteintes oculaires limitées à la cornée, sans atteinte uvéale, ne sont pas traitées ici.




Uvéites antérieures à virus herpes simplex



PHYSIOPATHOLOGIE DE L’INFECTION OCULAIRE


En l’absence de données spécifiques à la physiopathologie de l’atteinte uvéale antérieure par le virus de l’herpès (herpes simplex virus, HSV), un rappel général de la physiopathologie de l’infection oculaire est présenté. Quatre modes d’infection des tissus oculaires existent [9] :







PRIMO-INFECTION


Par définition, la primo-infection ne peut être affirmée que lors de l’apparition d’une manifestation clinique pathognomonique de l’herpès ou dont l’origine herpétique est prouvée par un test biologique, chez un patient naïf pour le virus (séronégatif). Rappelons cependant d’emblée que le recours aux examens complémentaires est le plus souvent inutile en pratique.


Les deux HSV sont des virus dermoneurotropes. HSV-1 se transmet principalement par voie orale et HSV-2 par voie sexuelle. La contamination se fait par contact direct avec des fluides biologiques contaminés. Il s’agit vraisemblablement le plus souvent de salive ou de larmes de porteurs sains excrétant périodiquement des virus [10]. Des lésions infectées peuvent bien entendues être contaminantes : le prototype est la transmission à partir de l’herpès labial d’un autre sujet. Le tropisme de HSV-1 pour la partie céphalique et d’HSV-2 pour la région génitale est cependant loin d’être absolu : si HSV-2 a pu être identifié dans quelques cas de kératites (nouveau-né) et plusieurs cas de rétinites nécrosantes, HSV-1 est couramment et de plus en plus souvent responsable d’infections génitales [8] (cf. infra « Épidémiologie »).


La sphère oropharyngée est le plus souvent concernée. L’œil et ses annexes ne sont donc pas les principaux sites de contamination. HSV-1 peut néanmoins infecter directement la cornée en cas de traumatisme (épithélial le plus souvent). La contamination peut également s’effectuer par la conjonctive saine [9]. Chez la souris, l’atteinte de la surface oculaire après projection de gouttelettes dépend de l’âge, de la charge virale et du type de souche d’HSV-1. Les animaux jeunes se contaminent plus facilement et une contamination précoce provoque une pathologie oculaire plus sévère [11].


La réplication virale a lieu sur le site d’inoculation puis s’étend localement. Par définition, une primo-infection ne rencontre pas immédiatement d’obstacle immunologique chez le sujet naïf. La réaction immunitaire se développe progressivement jusqu’à stopper la prolifération virale — la situation est radicalement différente dans les réactivations virales où les effecteurs immunitaires jouent un rôle majeur dans les manifestations cliniques, en limitant l’extension de l’infection mais en aggravant parfois considérablement les signes cliniques comme dans les kératites disciformes et probablement aussi dans les segmentites antérieures.


Seul un infime pourcentage des primo-infections oculaires sont symptomatiques. La plupart des primo-infections conjonctivales passent inaperçues, comme simple conjonctivite. Lorsque la symptomatologie est plus bruyante, les lésions de primo-infection du globe oculaire restent plus souvent conjonctivales (conjonctivite exsudative, parfois ulcérée) que cornéennes (kératite ponctuée, stellaire ou dendritique, kératite limbique pathognomonique de primo-infection). Sauf exception, les lésions sont unilatérales mais elles peuvent être multiples : œil, peau et muqueuse buccale de façon concomitante, par exemple [12].


Il n’a pas été décrit de primo-infection herpétique révélée par une segmentite herpétique.


Après une phase de réplication virale initiale, le virus connaît une phase de latence.



LATENCE


La latence est définie par la présence du génome viral (détectable par biologie moléculaire) en l’absence d’infection clinique manifeste (et en absence de production de protéines virales détectable par immunocytochimie).


Le ganglion trigéminé est le principal site de latence de HSV-1 [13] mais de nombreuses autres structures neurologiques connectées directement ou indirectement au tractus optique sont concernées. Ceci a été bien démontré chez la souris [1416]. L’établissement d’une latence dans la partie oculaire du ganglion trigéminé est requis pour l’apparition de récurrences oculaires. Cette infection peut être réalisée même en cas d’inoculation non oculaire [16,17].


Sur le plan moléculaire, la latence est définie par la présence d’ADN viral épisomal (c’est-à-dire non intégré au génome de l’hôte) et de certains transcrits (ARN) ; la très grande majorité de ces ARN sont des transcrits associés à la latence (LAT, pour Latency-Associated Transcripts), dont on a longtemps pensé qu’ils étaient les seuls présents, sans autres transcrits témoignant du cycle de réplication viral [18]. Les LAT sont des formes circulaires d’ARN possédant des mécanismes propres de résistance à la dégradation. Ils possèdent des propriétés antiapoptotiques, anti-interféron et stimulent la survie neuronale. Ils ne codent pas des protéines mais pourraient être des précurseurs de microARN capables d’interagir et de bloquer d’autres transcrits viraux impliqués, eux, dans la réplication [19]. Récemment, d’autres transcrits, en particulier ceux des premières protéines nécessaires à l’amorçage du cycle réplicatif du virus ont été mis en évidence. Il semble qu’une interaction entre les LAT et ces transcrits régulent les alternances entre phase de latence et phase de réactivation [20]. D’autres transcrits nécessaires ultérieurement à la cytotoxicité du virus réactivé ont également été décrits [21]. Toujours chez la souris, la sévérité des récurrences cornéennes a pu être corrélée au niveau d’expression des LAT dans le ganglion trigéminé et non à l’importance de la réplication virale lors de la primo-infection cornéenne [22].


Le débat le plus important de ces vingt dernières années concerne l’existence ou non d’une latence intracornéenne, suggérée par Tullo dès 1985 [23] après analyse de boutons cornéens, prélevés à l’occasion de kératoplasties pour séquelles d’herpès, et mise en culture virale. Il faut supposer que HSV peut être latent dans des cellules non neuronales. La présence de matériel génomique viral d’HSV dans des tissus cornéens exempts de manifestation clinique a été confirmée par d’autres auteurs [24,25]. En 1991, après analyse comparative de boutons cornéens prélevés à l’occasion de kératoplasties pour séquelles d’herpès et prélevés dans d’autres indications, Kaye a mis en évidence, en biologie moléculaire (RT-PCR), des LAT dans certaines cornées sans aucun signe moléculaire de réplication virale [26]. Cependant, les LAT n’ont pas été retrouvés dans une autre série similaire qui utilisait une technique différente (hybridation in situ, HIS) [27]. Il pourrait également exister une latence intracornéenne sans expression de LAT. La présence de LAT n’est d’ailleurs pas indispensable à la latence puis à la réactivation dans le système nerveux central [18,28]. Il semble nécessaire d’obtenir des preuves scientifiques complémentaires, utilisant en particulier les connaissances les plus récentes sur les marqueurs de la latence décrits ci-dessus.


Deux concepts s’opposent donc :


la latence intracornéenne implique que HSV se « cache » dans les cellules épithéliales, les kératocytes, les cellules endothéliales cornéennes ou trabéculaires ou d’autres cellules infiltrant les tissus oculaires, sous forme d’ADN nu à la périphérie du noyau [29]. Chez le lapin, il semble que ni l’épithélium ni les kératocytes du stroma antérieur de greffons lamellaires antérieurs ne puissent transmettre HSV-1 à partir d’animaux infectés de façon latente (sans signes cliniques d’infection) [30], alors que les greffons perforant le peuvent ;


Il n’existe pas de démonstration qu’une réactivation à partir d’un site périphérique (sans réactivation trigéminée) est possible en clinique.



RÉCURRENCES


Ce sont évidemment les récurrences herpétiques qui posent les problèmes les plus nombreux : diagnostiques, thérapeutique curative et préventive. C’est dans cette catégorie de manifestations herpétiques que surviennent les segmentites antérieures.


À partir des sites cérébraux de latence, les récurrences peuvent atteindre toutes les structures oculaires (cornée, iris et rétine) [16]. Le virus se multiplie puis gagne de façon centrifuge les tissus oculaires via les fibres sensitives nerveuses du ganglion trigéminé. Ces réactivations sont soit des manifestations herpétiques symptomatiques soit des excrétions virales asymptomatiques. La réaction immunitaire secondaire (rapide et spécifique, par définition) explique probablement que les manifestions cliniques les plus fréquentes dans l’herpès sont des récurrences.



ÉPIDÉMIOLOGIE


Il n’existe pas de données spécifiques à l’uvéite herpétique compte tenu de la difficulté à réaliser un recueil fiable de données aussi spécifiques. Quelques grandes séries permettent de connaître l’épidémiologie des atteintes oculaires — essentiellement la kératite herpétique — et d’estimer la fréquence des uvéites associées.



DONNÉES GÉNÉRALES


HSV est un virus ubiquitaire, comme tend à le montrer la série autopsique de Liedtke qui a identifié la présence des LAT d’HSV par PCR nichée (nested-PCR) dans le ganglion trigéminé de 100 % des plus de soixante ans (cent neuf cas) [31]. La prévalence de l’infection varie selon les classes d’âge et l’épidémiologie des infections à HSV se modifie dans le temps. En 2001, aux États-Unis, Liesegang notaient, par rapport aux décennies antérieures, une contamination plus tardive mais plus importante, atteignant pour l’herpès génital un adulte sur six. Une tendance à l’augmentation de la sévérité des infections oculaires apparaissait également, ainsi qu’une augmentation des cas d’infection génitale par HSV-1 et des cas de nécrose rétinienne aiguë à HSV-2. De plus en plus de confections par HSV-1 et HSV-2 étaient observées [8]. En 2006, la prévalence de l’atteinte génitale par HSV-2 aux États-Unis a été estimée à 25 % de la population de plus de trente ans. Cette « épidémie » récente fait craindre une augmentation des cas d’herpès néonataux et une augmentation, à plus long terme, des cas de nécrose rétinienne aiguë [32]. Les conditions socio-économiques influencent la chronologie de l’infection par HSV-1 : 70 % à 80 % de la population issue des classes sociales défavorisées sont infectés pendant l’adolescence, alors que la contamination se fait plus tardivement lorsque les conditions socio-économiques sont meilleures [33]. Les primo-infections surviennent donc plus ou moins tôt dans la vie et seulement 6 % d’entre elles sont symptomatiques (gingivostomatite essentiellement). Au début des années 2000, 60 % des enfants âgés de cinq ans sont séropositifs pour HSV-1 [8]. Actuellement, il n’est pas exceptionnel que la primo-infection se fasse à l’âge adulte.



ATTEINTE OCULAIRE


L’œil et ses annexes, en particulier la cornée, sont les tissus le plus souvent atteints par HSV-1 après la sphère buccale. Malgré l’amélioration dans leur prise en charge dans les pays industrialisés, les infections oculaires herpétiques y constituent probablement encore la cause la plus fréquente de cécité monoculaire d’origine infectieuse [8,34,35]. Dans le reste du monde, HSV est évidemment également une cause fréquente d’opacification de la cornée, mais d’autres causes infectieuses prédominent (bactérienne notamment).


HSV-1 reste très largement le virus le plus souvent en cause dans l’atteinte oculaire. Les cas d’atteinte à HSV-2 sont encore anecdotiques (cas d’herpès néonataux, un cas rapporté de kérato-uvéite chez l’enfant [36], une panuvéite [37]), mais l’évolution de l’épidémiologie d’HSV-1 et d’HSV-2 pourrait faire émerger des cas plus nombreux.


L’épidémiologie des kératites herpétiques en France a été étudiée à grande échelle en 2002 par Labetoulle à partir d’un échantillon représentatif d’ophtalmologistes recensant les cas de kératites herpétiques durant trois mois [38]. L’incidence des kératites herpétiques a été estimée à 31,5 pour 100 000 habitants par an. Une uvéite accompagnait 11,8 % des kératites observées — taux légèrement supérieur à celui de l’étude épidémiologique américaine plus ancienne publié en 1989 par Liesegang (8,5 %) [34]. On estime que quatre-vingt-dix mille Français souffrent d’herpès oculaire.





FORMES CLINIQUES


Les manifestations oculaires au cours de la primo-infection sont probablement très rares et elles demeurent difficiles à prouver2. La primo-infection oculaire prototype donne une kératite limbique mais est exceptionnellement reconnue [41]. La très grande majorité des pathologies oculaires herpétiques sont dues à des récurrences virales à partir des sites de latence post-primo-infection [42]. La plus fréquente de toutes les manifestations du segment antérieur dues à HSV est la kératite dendritique. Les uvéites antérieures sont beaucoup plus rares et surviennent probablement uniquement au cours de récurrences ultérieures. Dans l’étude de Liesegang, les premiers épisodes d’atteinte oculaire herpétique — eux-mêmes très certainement des récurrences d’HSV pauciou asymptomatiques auparavant — étaient des uvéites dans seulement 4 % des cas, 12 % au cours des récidives [34]. Cet auteur a proposé en 1999 une classification des formes cliniques d’uvéites antérieures herpétiques [43] :






Les uvéites herpétiques sont très majoritairement unilatérales, comme les autres manifestations oculaires de l’herpès. Les formes bilatérales d’atteinte oculaire existent néanmoins, de l’ordre de 1 % ; l’atopie ou une immunodépression sont alors fréquemment retrouvées [44,45]. Concernant les uvéites antérieures, les cas bilatéraux prouvés (par mise en évidence du virus) rapportés dans la littérature sont encore plus rares [46].


L’uvéite herpétique est rarement isolée et s’accompagne le plus souvent d’une kératite ou d’une endothélite[47]. Dans le cas de la kérato-uvéite où atteintes cornéenne et uvéale coexistent, l’uvéite peut précéder ou suivre la kératite. L’atteinte cornéenne peut être polymorphe : dendritique, géographique, sectorielle, disciforme métaherpétique. L’atteinte cornéenne n’est cependant pas obligatoire : à titre d’exemple, Van der Lelij a retrouvé la présence du génome d’HSV dans l’humeur aqueuse chez vingt-trois patients sur trente et un avec uvéite antérieure unilatérale et atrophie sectorielle sans kératite associée [48]. Inversement, il existe malgré tout de rares kérato-uvéites qui ne sont pas d’origine herpétique (reprises par Baltazis [46] : virus de la varicelle et du zona, cytomégalovirus, virus d’Epstein-Barr, lèpre, syphilis, tuberculose, sarcoïdose, lymphogranulomatose vénérienne, leucémie chronique myélomonocytaire, fièvre récurrente à Borrelia recurrentis).


L’uvéite peut être de gravité variable et présenter plusieurs caractéristiques cliniques qui peuvent orienter vers l’étiologie herpétique (tableau 20-II) [43,49].


Tableau 20-II – Caractéristiques cliniques de l’uvéite antérieure herpétique typique. L’ensemble des critères n’est pas requis pour le diagnostic car certains sont évolutifs au fil des récidives.



























Survient chez des sujets plus jeunes que l’uvéite zostérienne
Douloureuse à très douloureuse
Hypertone (il n’est pas exceptionnel de mesurer 45 à 50 mm Hg à l’aplanation *)
Souvent (mais pas toujours) associée à une kératite (actuelle ou passée)
Hypoesthésie cornéenne possible (si kératite associée, surtout sévère et/ou récidivante)
Précipités rétrocornéens fins, blancs, non granulomateux (dans 80 % des cas)
Atrophie sectorielle de l’iris (pas à la première poussée)
Tyndall modéré à important **
Synéchies rares mais possibles (plutôt avec l’évolution)
Goniosynéchies plus fréquentes que les synéchies iridocristalliniennes
Modification de l’angle entraînant parfois un hyphéma spontané ou provoqué par la ponction de chambre antérieure (signe d’Amsler comme dans le Fuchs)
Récidivante

* HSV peut rester infectant quelques heures sur une surface inerte. Il est sensible aux procédés standards de désinfection et aux lingettes antiseptiques courantes.


** Aucune description spécifique du flare au laser flare-meter n’a été publiée.


La trabéculite est une variante périphérique de l’endothélite. Elle cède facilement sous corticostéroïdes topiques. Un passage à la chronicité pourrait conduire au blocage trabéculaire, responsable d’un glaucome réfractaire [43]. La présence d’antigènes d’HSV a été rapportée sur une pièce de trabéculectomie réalisée pour kératouvéite hypertensive unilatérale [50].


Rappelons que, devant toute uvéite antérieure, il est impératif d’examiner le fond d’œil, tout particulièrement la périphérie rétinienne, à la recherche d’une nécrose rétinienne aiguë. Ceci est évidemment d’autant plus important qu’on s’oriente vers une segmentite antérieure herpétique.


D’autres arguments cliniques orientent vers une atteinte herpétique, mais ils sont finalement rares : éruption cutanée vésiculeuse concomitante ou antérieure [51], antécédent d’herpès labial, épisode fébrile concomitant, ulcère dendritique cornéen apparaissant en cours de corticothérapie. L’efficacité du traitement antiviral est le dernier argument clinique orientant vers l’étiologie herpétique, mais il peut être difficile de faire la part des choses en cas de traitement initial concomitant antiviral et stéroïdien. L’introduction efficace d’un antiherpétique sur une uvéite résistant aux stéroïdes seuls est une situation plus évidente.


Le diagnostic différentiel des atrophies iriennes sectorielles est rappelé tableau 20-III.


Tableau 20-III – Diagnostic différentiel des atrophies iriennes sectorielles.













Uvéite antérieure herpétique
Chirurgie de la cataracte (phacoémulsification, extraction extracapsulaire manuelle)
Syndrome de dispersion pigmentaire, glaucome pigmentaire (atrophie sur 360°, en fuseau)
Séquelles de glaucome aigu par fermeture de l’angle
Syndrome irido-cornéo-endothélial (ICE), atrophie essentielle de l’iris


Segmentite Antérieure Herpétique et Chirurgie Oculaire


Deux situations distinctes doivent être envisagées selon que la chirurgie se complique d’une inflammation aiguë postopératoire suspecte de réactivation herpétique ou bien qu’on aborde le problème de la programmation d’une chirurgie sur un œil ayant des antécédents de segmentites herpétiques. Les deux aspects sont évidemment liés quand il s’agit de kératoplastie pour séquelles de kératite herpétique. Cet encadré est volontairement restreint aux manifestations uvéitiques, en laissant en retrait les kératites herpétiques.



Chirurgie compliquée d’une réactivation herpétique


L’agression tissulaire invariablement provoquée par un geste chirurgical constitue un stimulus classique de réactivation herpétique. Ceci n’est pas propre à la localisation oculaire. La plupart des réactivations prennent la forme d’une kératite (dendritique ou géographique) dont la gravité peut être variable, allant exceptionnellement jusqu’à la kératite nécrosante. L’apparition d’une kérato-uvéite après chirurgie de la cataracte sans incident et sans forcément d’antécédent d’herpès oculaire est fortement évocatrice même si elle reste rare[52,53]. Elle n’a pas de caractéristiques spécifiques mais sa survenue postopératoire retardée de quelques jours est forcément inquiétante. Il faut bien entendu éliminer une endophtalmie aiguë postopératoire par un examen clinique, complété au moindre doute d’une échographie B. L’atteinte cornéenne d’emblée est rarissime dans l’endophtalmie aiguë postopératoire. Le vitré est clair et anéchogène dans la segmentite herpétique. Le traitement antiviral doit rapidement être débuté — par exemple, valaciclovir 1 g trois fois par jour, voire aciclovir en intraveineux 8 mg/kg trois fois par jour en cas de kératite nécrosante. La conduite à tenir diagnostique et thérapeutique n’est pas consensuelle. La réalisation de prélèvements n’est pas obligatoire. Certains les effectuent cependant systématiquement : grattage cornéen en cas d’atteinte épithéliale pour culture virale et/ou PCR, ponction de chambre antérieure pour PCR et coefficient de Goldmann-Witmer (ou rapport de Desmonts). L’obtention d’un diagnostic de certitude d’une réactivation herpétique facilite la prise en charge ultérieure et la justification d’un traitement prophylactique au long cours. La conduite à tenir vis-à-vis de la corticothérapie est variable : pas d’arrêt pour certains, arrêt pour d’autres, fenêtre thérapeutique enfin. Il faut garder en mémoire que la réaction immunitaire est prépondérante dans les lésions tissulaires. Notons, enfin, qu’il n’a pas été décrit de récurrence herpétique plus grave (de type nécrose rétinienne) après chirurgie oculaire.




TRAITEMENT DES UVÉITES ANTÉRIEURES À VIRUS HSV


Bien que la plupart des données disponibles soient fondées sur des études ayant eu pour objectifs principaux le traitement de kératites herpétiques, voire de rétinites virales, une stratégie thérapeutique codifiée peut être proposée pour le traitement des uvéites antérieures herpétiques. Cette stratégie comporte, d’une part, un traitement « curatif » à la phase aiguë de l’uvéite antérieure herpétique, d’autre part une possibilité de traitement « préventif », dont l’objectif est la limitation des récidives d’uvéite [54].



TRAITEMENT DE LA PHASE AIGUË


L’objectif du traitement est d’obtenir le plus rapidement possible le retour à un œil non inflammatoire, normotone, en ayant limité les dégâts structurels liés à la poussée d’uvéite, en particulier la surface d’atrophie irienne. Le valaciclovir, prodrogue de l’aciclovir, est généralement utilisé, permettant une biodisponibilité meilleure que celle de l’aciclovir et un nombre de comprimés quotidiens inférieur à celui de l’aciclovir [55]. La posologie habituelle est de 3 g par jour, répartie en trois prises (deux comprimés à 500 mg de valaciclovir trois fois par jour). La durée de traitement n’est pas codifiée : la posologie d’attaque doit être poursuivie jusqu’au retour à un œil non inflammatoire, habituellement pendant une semaine à dix jours.


Une corticothérapie topique doit très généralement être associée au traitement antiviral pour permettre d’obtenir le retour à un œil non inflammatoire. Cette corticothérapie est nécessaire et peut être prescrite y compris dans les présentations hypertonisantes d’uvéites antérieures herpétiques. Un décalage de vingt-quatre à quarante-huit heures est parfois discuté entre la mise en route du traitement antiviral et celle de la corticothérapie topique ; cependant, en pratique, les deux traitements sont généralement commencés de manière concomitante. La fréquence d’instillation initiale peut être choisie selon le degré d’inflammation, habituellement de trois à six fois par jour initialement, puis avec une réduction progressive.



TRAITEMENT PRÉVENTIF


Celui-ci repose sur la prise au long cours de valaciclovir, habituellement à la posologie de 500 mg matin et soir. La durée de ce traitement préventif peut aller de douze mois à une prévention sans prévision de sevrage. Cette durée est fonction de la sévérité des poussées ayant précédé la mise en route du traitement, de leur fréquence et de l’éventuel délai avant récidive en cas de tentative préalable de sevrage. Pour certains patients, une double dépendance, tant vis-à-vis du traitement antiviral que vis-à-vis d’une corticothérapie topique au long cours, est observée, rendant également nécessaire la prescription au long cours d’une corticothérapie topique à faible fréquence d’instillation (habituellement une fois par jour).



Segmentite Herpétique et Greffe de Cornée



Récurrence herpétique post-greffe

Les séquelles de kératite virale font partie des indications relativement fréquentes de greffe de cornée [56]. De plus, une partie des opacités cornéennes d’étiologie obscure et nécessitant une greffe sont d’authentiques leucomes postherpétiques. Même réalisée en dehors de tout contexte immunologique défavorable — c’est-à-dire au minimum six mois et plus raisonnablement après un an sans récurrence —, la greffe crée un traumatisme cornéen majeur susceptible de réactiver le virus, que ce soit un virus latent du ganglion trigéminé, celui qui se réplique éventuellement de façon lente et asymptomatique dans la cornée receveuse [57] ou celui qui est latent dans la cornée. La fréquence des manifestations herpétiques post-greffe pour herpès reste cependant difficile à estimer d’après la littérature. Elle n’est pas très fréquente (entre 0,07 et 0,12 épisode par œil par année) dans une étude rétrospective brésilienne [58]. Elles survenaient, dans l’étude rétrospective de Sterk, en moyenne à douze mois post-greffe et concernaient 39 % des greffés pour séquelles de kératite herpétique. Dans cette étude, la récurrence herpétique est la première cause d’échec de greffe [59]. Une récurrence herpétique peut être observée à l’occasion d’un traitement stéroïdien intensif pour rejet sévère. L’arrêt de la corticothérapie n’est alors souvent pas possible et le recours à un traitement antiviral intense (valaciclovir 6 g par jour, voire aciclovir parentéral 8 mg/kg toutes les huit heures) permet en général de maintenir la corticothérapie. La corticothérapie locale peut être arrêtée au profit d’une corticothérapie générale.


Par ailleurs, une authentique récurrence herpétique est possible après greffe pour une pathologie non liée à l’herpès (dystrophie bulleuse, kératocône, dystrophie de Fuchs), mais laisse toujours un doute sur une possibilité de transmission du virus par le greffon [60] : ces manifestations sont a priori des kératites et non des segmentites antérieures.


La section sur 360° des nerfs intracornéens dans les greffes perforantes ou les greffes lamellaires antérieures prédescemétiques modifie la clinique des réactivations herpétiques par rapport à la cornée non opérée. La progression des particules virales est probablement ralentie par la section des plexus nerveux, qui ne se reconstituent que partiellement et en plusieurs années après greffe, sans retour à la normal [61,62]. Les manifestions uvéitiques antérieures seraient plus fréquentes que les kératites [12]. Les ulcères dendritiques apparaissent à proximité de l’anneau limitant sur l’épithélium du greffon. La corticothérapie immunosuppressive post-greffe modifie l’expression des kératites en favorisant les formes géographiques. Les atteintes uvéitiques sont alors souvent des atteintes iriennes, localisées ou diffuses.



Transmission virale

Un des enjeux de la compréhension de la latence cornéenne réside dans l’identification du risque de transmission via greffe de cornée. La possibilité d’une transmission d’HSV-1 via greffe de cornée est bien démontrée [6367]. Il s’agit de transmissions exceptionnelles dont la fréquence peut être estimée entre 0,5 % et 1 % [67].


Les atteintes purement cornéennes ne sont pas détaillées ici. Les cas de segmentites herpétiques post-greffe sont encore plus rares. Les manifestations cliniques sont bruyantes. Après les deux ou trois premiers jours postopératoires sans particularité, un œdème massif du greffon apparaît, souvent associé à une désépithélialisation massive ou une absence de cicatrisation épithéliale. Il ne faut pas confondre ces signes avec ceux d’un échec primaire de greffe par incompétence endothéliale initiale — de toute façon pratiquement disparu grâce aux contrôles de qualité endothéliaux drastiques dans les banques de cornée. Les manifestations inflammatoires, précipités endothéliaux diffus, pouvant être granulomateux, et tyndall de chambre antérieure, permettent d’orienter le diagnostic. L’uvéite antérieure peut s’accompagner d’une atteinte irienne massive avec décoloration et atrophie en quelques semaines [66]. Deux principes de prise en charge existent : changement de greffon à chaud ou regreffe à distance de toute inflammation. La littérature ne permet pas de trancher. Dans les deux cas, le traitement antiviral et immunosuppresseur local doit être optimisé. Le valaciclovir 1 g trois fois par jour associé à une corticothérapie locale intensive peut être proposé ; l’aciclovir intraveineux 8 mg/kg trois fois par jour est une alternative pour les premiers jours encadrant une regreffe à chaud.


D’une manière plus générale, la transmission d’HSV via une greffe de cornée constitue un problème rare mais non exceptionnel qui reste non résolu. Il n’existe actuellement aucun moyen de détecter les cornées asymptomatiques potentiellement infectantes. L’analyse de la qualité endothéliale des greffons, systématique dans les banques de cornée, permet d’éliminer certaines cornées contaminées : en effet, certaines cornées infectées par l’HSV présentent en cours de conservation une telle prolifération virale que l’endothélium cornéen nécrose rapidement [68,69] ; la cornée conservée en organoculture à 31 °C réalise dans ces cas l’équivalent d’une coculture virale utilisée dans les laboratoires pour cultiver HSV. Ces cornées sont facilement dépistées par une coloration au bleu trypan qui colore en bleu les noyaux des cellules mortes. Cette coloration est réalisée lors du contrôle endothélial systématique. Cependant, il existe d’authentiques cas de transmission où la cornée ne présentait pas de nécrose endothéliale à l’examen pré-greffe [66]. La recherche du génome d’HSV dans les liquides de conservation n’est pas non plus pertinente à cause de la prévalence importante du génome dans les cornées normales et de l’absence de parallélisme entre présence d’ADN viral et présence de particules virales vivantes et infectantes. La sélection des cornées sur la seule présence d’ADN viral dans le liquide de conservation conduirait à détruire un grand nombre de cornées qui ne présentent aucun danger [70]. Des pistes de recherche orientées soit vers la détection de transcrits spécifiques du virus vivant soit vers la supplémentation en agents antiviraux sont en cours d’exploration.



Uvéites antérieures à virus de la varicelle et du zona


Les atteintes du segment antérieur par le virus de la varicelle et du zona (VZV) partagent beaucoup de caractéristiques avec les infections par herpes simplex virus (HSV). Si le diagnostic d’uvéite zostérienne est facile en présence de l’éruption cutanée du zona ophtalmique [71], il peut être difficile de rattacher au VZV une uvéite survenant en dehors d’une éruption. Néanmoins, lors d’épisodes d’uvéites récidivantes, il est important de connaître les éléments orientant vers le VZV afin d’adapter la stratégie thérapeutique.



PHYSIOPATHOLOGIE DE L’ATTEINTE OCULAIRE



PRIMO-INFECTION


Le virus de la varicelle et du zona est un virus strictement humain, à ADN, enveloppé, difficile à mettre en évidence en culture car relativement fragile dans le milieu extracellulaire ; 40 % des virus « survivent » néanmoins après vingt-quatre heures à température ambiante [72]. Il possède trois particularités : une réplication virale rapide (mais moindre que HSV), une forte capacité de destruction des cellules infectées, un neurotropisme marqué pour les ganglions sensitifs [73]. Comme le virus HSV, VZV est un virus dermoneurotrope, mais la primo-infection par VZV est le plus souvent symptomatique et réalise la varicelle, maladie éruptive très contagieuse, généralisée, à point de départ respiratoire.


La varicelle a une forte saisonnalité (février, mars). En France, six cent mille cas de varicelle de l’enfant surviennent chaque année. Seuls 3 % à 5 % des cas présentent des complications. La contamination s’effectue par inhalation de gouttelettes de salive infectante — il s’agit du seul virus du groupe à avoir une contamination aéroportée. Il n’existe pas de contamination par voie muqueuse, conjonctivale ou cornéenne. Le virus se multiplie au sein de l’arbre respiratoire pour ensuite se disperser par voie hématogène ; la période d’incubation est de quinze jours en moyenne. Le virus infecte les cellules dendritiques immatures (cellules présentatrices d’antigènes) qui vont migrer vers les ganglions lymphatiques. Ces cellules contaminent les lymphocytes avec lesquels elles entrent en contact. L’atteinte des lymphocytes permet la dissémination du virus aux différents organes, notamment la peau [74]. L’éruption vésiculeuse caractérisée par des lésions d’âges différents et accompagnée d’un fébricule constitue le principal signe clinique de l’affection [75].


Il est communément admis que le risque de contamination à partir d’un patient atteint d’un zona est moindre qu’en cas de varicelle, en raison du caractère localisé de l’éruption. Néanmoins, l’ADN du virus — sans certitude sur la présence de virion entier infectant — est retrouvé dans les cellules mononucléées sanguines et le pharynx des patients jusqu’à sept jours après l’éruption, indiquant une possibilité de transmission aéroportée à partir du pharynx. De même, le fait que l’ADN viral soit rapidement retrouvé dans l’environnement du patient ayant un zona, en particulier dans les systèmes de ventilation, est en faveur d’une dissémination aéroportée [76].



LATENCE


Pendant la varicelle, le virus passe des vésicules aux corps des nerfs sensitifs par voie axonale rétrograde, puis le génome viral est incorporé dans les corps cellulaires des neurones des ganglions sensitifs de la moelle épinière, dans le ganglion de Gasser et dans les ganglions du système neurovégétatif. L’accès aux ganglions pourrait également se faire par l’intermédiaire des lymphocytes T infectés lors de la virémie initiale de la varicelle. À la différence de l’HSV, le site d’inoculation (respiratoire) ne prédéfinit donc pas les sites de latence. La virémie importante observée en cas de varicelle explique la distribution du virus dans tous les ganglions sensitifs où il restera latent. Cependant, le ganglion trigéminé est un site prépondérant de latence par rapport aux ganglions thoraciques [77]. Les stratégies moléculaires de la latence sont moins élucidées que celles du virus HSV (cf. supra). Il semble qu’à la différence du virus HSV, la latence de VZV ne fasse pas intervenir les transcrits LAT. Une accumulation de protéines spécifiques3 dans le cytoplasme est observée pendant cette phase ; certaines pourraient jouer un rôle crucial par leur propriété antiapoptotique, permettant aux neurones infectés de survivre [73,78]. Le VZV reste latent dans les cellules neuronales mais aussi dans les cellules satellites non neuronales [79,80]. Sur le plan immunologique, une perte de contrôle de l’état de latence est observée en cas d’affaiblissement de l’immunité spécifique cellulaire anti-VZV, induisant ainsi une récurrence [81]. Sur le plan immunologique, l’immunité cellulaire spécifique permet de « contenir » le virus en phase de latence. Cette immunité est réactivée par des épisodes de rappel endogène, où le virus latent se réactive de façon clinique (zona) ou infraclinique, et par des épisodes de rappel exogène où le patient est exposé au VZV provenant de la population générale (varicelle).



PERSISTANCE


Il existe également une possibilité d’infection persistante à bas bruit, avec inflammation chronique a minima pendant parfois de nombreuses années dans de nombreuses structures intraoculaires (cornée, uvée, tissus neurologiques, vaisseaux). L’ADN du VZV a pu être retrouvé dans la cornée jusqu’à cinquante et un ans après l’épisode initial de zona ophtalmique [71], dans des cas de kératouvéite chronique ou de kératite stromale [82,83]. L’ADN du VZV a également pu être retrouvé dans des boutons cornéens pathologiques analysés au moment d’une greffe. Dans certains cas, le diagnostic de l’affection cornéenne initiale était celui d’une kératite herpétique ou une affection cornéenne non étiquetée [84]. L’ADN du VZV peut également côtoyer celui d’HSV [27,84]. La persistance du virus dans l’iris n’est pas prouvée.



RÉCURRENCES


Comme pour les autres virus du groupe Herpès, il existe des réactivations périodiques asymptomatiques, mais celles-ci seraient moins nombreuses que pour les autres virus du groupe [73].


À la différence de HSV, le nombre de récurrences symptomatiques est très faible, puisqu’on ne fait en général qu’un seul zona dans sa vie. Les facteurs de risque de zona sont l’âge, les traumatismes et l’immunodépression cellulaire [85]. Le virus se réactive, migre du ganglion sensitif vers l’extrémité du nerf par transport axonal antérograde et provoque l’éruption cutanée caractéristique du zona. Dans le zona ophtalmique, les structures anatomiques impliquées sont le ganglion de Gasser et le nerf ophtalmique de Willis, branche du trijumeau (V1) [71]. Le nerf ophtalmique se divise lui-même en trois branches : nasociliaire, frontale et lacrymale. Le nerf frontal est le plus souvent impliqué dans le zona ophtalmique, mais les atteintes oculaires sont alors rares. La branche nasociliaire innerve le sinus ethmoïdal, la peau des deux paupières, le nez, la conjonctive, la sclère, la cornée, l’iris et la choroïde.


Le zona non compliqué est une infection locale caractérisée par une névralgie et une éruption vésiculeuse strictement limitée au dermatome innervé par le ganglion de latence. Chez le grand immunodéprimé, l’infection peut néanmoins diffuser à plusieurs métamères, voire être multiviscérale.


Au cours du zona ophtalmique, toutes les structures oculaires peuvent être touchées. La physiopathologie des lésions comporte l’effet cytopathogène direct du virus, les réactions inflammatoires et immunitaires, la neuropathie et, de façon plus indirecte encore, l’ischémie post-vascularite [86]. L’atteinte endothéliale vasculaire paraît en effet prédominante dans le zona ophtalmique. Des protéines virales ont été mises en évidence dans les cellules du stroma irien et surtout dans l’endothélium vasculaire sur un fragment d’iris prélevé à l’occasion de la chirurgie d’un glaucome secondaire six semaines après une uvéite antérieure d’un zona ophtalmique [87]. Des complexes immuns pourraient être à l’origine de cette vascularite et périvascularite. L’association de tous ces mécanismes complémentaires explique que les antiviraux n’apportent qu’un bénéfice limité dans le zona.



ÉPIDÉMIOLOGIE


Dans les pays tempérés, 95 % de la population adulte est séropositive pour le VZV4. Dans la série autopsique de Liedtke (n = 109), l’ADN viral est retrouvé en PCR nichée (nested-PCR) dans le ganglion trigéminé de 82 % des vingt et un à trente ans, 50 % des quarante à cinquante ans et de nouveau 89 % des soixante et onze à quatre-vingts ans [31]. L’incidence de la varicelle est de mille deux cent soixante-huit cas pour 100 000 habitants en 2007 en France ; elle touche surtout les enfants de moins de quatorze ans (plus de 90 % des sujets infectés) (sources : réseau Sentinelles). D’après une étude française récente, 90 % des enfants de huit ans sont immunisés naturellement contre le VZV [88].


Après l’âge de quatre-vingts ans, plus de 50 % des patients ayant eu la varicelle développeront un zona [89]. Dans le monde, 20 % de la population présente à un moment ou un autre de sa vie au moins un épisode de zona. En France, l’incidence du zona est d’un à trois cas pour mille, soit dix mille cas par an (cinq à dix cas pour mille chez les plus de soixante ans) ; 7 % à 25 % d’entre eux sont des zonas ophtalmiques [90] et 50 % à 70 % des zonas ophtalmiques ont une atteinte oculaire [49,71,75,91]. Dans une série américaine déjà ancienne de la Mayo Clinic, Womack retrouvait une atteinte cornéenne dans 55 % des cas et une uvéite antérieure aiguë dans 43 % des cas de zona ophtalmique [92]. Dans l’étude de Colin, plus récente, sous traitement antiviral à dose efficace, les uvéites antérieures sont plus rares, entre 13 % et 17 % (respectivement sous valacyclovir et acyclovir, différence non significative) [55]. Le risque d’atteinte oculaire (uvéite et anesthésie cornéenne) est d’autant plus grand qu’il existe une éruption sur le nez (pointe, aile ou arête), correspondant à l’atteinte de la branche nasale externe du nerf ophtalmique (signe de Hutchinson décrit en 1865). L’ADN du virus est d’ailleurs beaucoup plus souvent retrouvé dans la conjonctive en cas d’atteinte nasale [93].


L’exposition au virus des adultes porteurs d’une infection latente, via l’exposition répétée à des enfants ayant une varicelle, diminuerait le risque de réactivation en restimulant l’immunité. Le corollaire est qu’une diminution de l’incidence de la varicelle par la vaccination pourrait augmenter l’incidence du zona chez la personne âgée (cf. infra) [94].


Jun 13, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 20: Segmentites antérieures à virus de la famille Herpès

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