Chapitre 20 Atteintes oculaires dans les cancers systémiques
Tumeurs secondaires de l’œil
Carcinome métastatique
Depuis la première description en 1872 d’une tumeur métastatique dans l’œil d’un patient présentant un carcinome, de nombreuses études ont déterminé que la tumeur intraoculaire ou orbitaire la plus commune chez l’adulte est métastatique. Il existe plusieurs études exhaustives sur les tumeurs métastatiques oculaires : certaines ont signalé l’incidence des métastases tumorales dans des séries consécutives lors d’autopsies ; certaines ont porté sur l’incidence des tumeurs chez les patients atteints de cancer généralisé ; et d’autres ont utilisé une approche clinicopathologique. La survie à long terme en présence des tumeurs systémiques primaires continue d’augmenter, et l’ophtalmologiste sera donc confronté à une incidence croissante de métastases intraoculaires et orbitaires nécessitant une reconnaissance rapide et une prise en charge diagnostique et thérapeutique appropriée.
Des métastases à l’œil sont diagnostiquées avec une fréquence croissante pour diverses raisons :
• une incidence croissante de certains types de tumeur qui métastasent dans l’œil (par exemple du sein, du poumon) ;
• une survie prolongée des patients atteints de certains types de cancer (par exemple cancer du sein) ;
• une sensibilisation plus grande de la part des oncologues médicaux et des ophtalmologistes aux modes de dissémination intraoculaire des métastases.
Site des tumeurs primaires
La grande majorité des tumeurs solides métastatiques à l’œil sont des carcinomes issus de divers organes. Le mélanome cutané métastase rarement à l’œil. Le tableau 20-1 énumère les tumeurs primaires les plus fréquentes qui métastasent à la choroïde.
Hommes (n = 137) | Femmes (n = 287) |
---|---|
Poumon 40 % | Sein 70 % |
Inconnue 30 % | Poumon 10 % |
Gastro-intestinal 10 % | Inconnue 10 % |
Rein 5 % | Autres < 5 % |
Prostate 5 % | Gastro-intestinal < 5 % |
Peau < 5 % | Peau 1 % |
Autres < 5 % | Rein < 1 % |
Sein 1 % |
Modifié à partir de Shields CL, Shields JA, Gross NE, et al. Survey of 520 eyes with uveal metastases. Ophthalmology. 1997 ; 104 : 1265–1276.
Évaluation clinique
Les caractéristiques cliniques des métastases intraoculaires dépendent du site de dissémination. Les métastases du corps ciliaire et de l’iris se manifestent habituellement par des nodules gélatineux blancs ou gris-blanc (fig. 20-1, fig. 20-2 et fig. 20-3). Les caractéristiques cliniques des métastases vers l’uvée antérieure peuvent inclure :
Figure 20-3 Métastase d’un mélanome cutané à l’iris. Noter la présence des deux lésions en périphérie.
Les patients atteints d’une tumeur au pôle postérieur se plaignent le plus souvent d’une perte de la vision. Des douleurs et de la photopsie peuvent être des symptômes concomitants. À l’ophtalmoscopie binoculaire indirecte, on peut souvent observer un décollement non rhegmatogène (c’est-à-dire exsudatif) de la rétine, associé à une masse tumorale amélanotique en plaques (fig. 20-4, 20-5, 20-6). Dans près de 25 % des cas, des lésions multiples ou bilatérales peuvent être présentes. Il est donc important de toujours évaluer et suivre l’œil controlatéral. Ces lésions ont en général peu de relief, sont mal définies, et ont souvent une coloration gris-jaune ou jaune-blanc ; des altérations secondaires au niveau de l’épithélium pigmentaire rétinien (EPR) sont souvent présentes donnant à l’EPR un aspect en peau de léopard (amas dispersés de pigment brun ; fig. 20-7).
Figure 20-4 Lésions métastatiques multiples au niveau de la choroïde. Noter la coloration jaune pâle et la forme aplatie.
Figure 20-5 A. Une lésion métastatique en inférieur de la choroïde, associée à un décollement bulleux de la rétine (astérisques). B. Subtiles lésions métastatiques de la choroïde (flèches), près de la fovéa, associées à un épanchement séreux.
Figure 20-6 A. Un carcinome métastatique à la choroïde. La vision est réduite à compte les doigts en raison de l’atteinte maculaire. Noter la pigmentation irrégulière à la surface de la métastase. B. Même œil, 1 mois après la radiothérapie. L’acuité visuelle s’est améliorée à 20/20. Noter l’augmentation de la pigmentation, caractéristique des effets de l’irradiation.
Figure 20-7 Apparence clinique des métastases du sein. Noter l’infiltrat tumoral pauvre en pigment au niveau de la choroïde, associé à des altérations secondaires de l’épithélium pigmentaire rétinien situé au-dessus de la lésion, entraînant cette apparence caractéristique dite en « peau de léopard ».
(Remerciements au Dr Matthew W. Wilson.)
La configuration en champignons fréquemment observée dans le cas du mélanome choroïdien primaire est rarement présente dans les métastases de l’uvée. La rétine recouvrant les métastases peut apparaître opaque et se détacher. Une croissance rapide de la tumeur associée à une nécrose et une inflammation oculaire sont parfois observées. Les vaisseaux épibulbaires dilatés situés dans le quadrant recouvrant la métastase peuvent être engorgés. Pour un diagnostic différentiel d’une métastase choroïdienne, voir le tableau 20-2.
Nævus achromique Mélanome achromique Hémangiome choroïdien Ostéome choroïdien Décollement choroïdien Sclérite postérieure | Syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada Rétinopathie séreuse centrale Lésions infectées Hémorragie sous-rétinienne organisée Membrane néovasculaire étendue Décollement de la rétine rhegmatogène |
Tests complémentaires
Bien que l’angiographie à la fluorescéine puisse être utile dans la définition des marges d’une tumeur métastatique, elle est généralement moins utile pour différencier une métastase d’une tumeur intraoculaire primaire. Le motif de double circulation commençant par un remplissage rapide de la choroïde, que l’on observe fréquemment dans les mélanomes choroïdiens, n’est que rarement retrouvé dans des tumeurs métastatiques.
L’échographie est utile pour établir le diagnostic. Le mode B montre une masse choroïdienne échogène aux contours mal définis, parfois lobulés. Un décollement secondaire de la rétine est souvent détecté dans ces cas au-dessus de la lésion. Le mode B révèle une réflectivité interne modérée à intense.
La biopsie-aspiration à l’aiguille fine peut être utile dans de rares cas où le diagnostic ne peut être établi par des approches non invasives. Bien que les tumeurs métastatiques puissent reprendre l’histologie de la tumeur primaire, elles sont souvent moins différenciées. Des colorations histochimiques spéciales et l’immunohistochimie peuvent aider à diagnostiquer des tumeurs métastatiques.
Les métastases vers la rétine sont très rares. Elles se présentent comme des lésions non cohésives blanches, souvent distribuées de façon périvasculaire et pouvant prendre l’aspect de nodules cotonneux (fig. 20-8). En raison de l’ensemencement secondaire du vitré par des cellules tumorales, ces métastases peuvent parfois davantage ressembler à une rétinite qu’à une infiltration tumorale. Une biopsie du vitré permettant une analyse cytologique peut confirmer le diagnostic.
Figure 20-8 A. Un carcinome du poumon métastatique à la rétine, impliquant la macula. La vision est réduite à compte les doigts. B. Même œil, montrant la distribution périvasculaire caractéristique des métastases. C. Aspirât du vitré du même œil, montrant un agrégat de cellules tumorales, caractéristique de l’adénocarcinome du poumon.