20 Apoptose
La mort cellulaire programmée fait partie intégrante de la physiologie normale d’un organisme. Au cours des nombreuses mitoses et différenciations cellulaires qui permettent de créer un organisme à partir d’un œuf, il est en permanence nécessaire d’éliminer les cellules inutiles ou potentiellement dangereuses. Ce phénomène d’élimination sélective des cellules est appelé apoptose (faisant référence à la chute programmée des feuilles à l’automne ; apo pour éloignement et ptose pour chute). La notion d’apoptose a été introduite en 1972 par J. Kerr et J. Cormack pour désigner une forme de mort cellulaire totalement différente de la nécrose, tant d’un point de vue morphologique que biochimique.
II Apoptose
Dans la plupart des cas de mort cellulaire programmée observés au cours du développement, les disparitions massives de cellules n’entraînent aucune lésion. Elles ne sont pas dues à une agression d’origine extérieure observée dans la nécrose, mais à une sorte de « suicide » qui met en jeu un ensemble de gènes spécifiques dont l’existence n’a été révélée qu’au cours des années 1980. Il existe en effet dans chaque cellule vivante un programme génétique de mort qui, s’il est mis en œuvre, entraîne la disparition de la cellule dans la plus grande discrétion.
L’apoptose existe chez tous les êtres uni- et multicellulaires. Elle survient naturellement au cours de l’embryogenèse, du renouvellement et du remodelage tissulaires, lors de l’évolution cyclique des tissus soumis à une régulation hormonale (muqueuse utérine, glande mammaire lactante), au cours du vieillissement, et constitue un élément essentiel dans le maintien du bon fonctionnement des organismes (fig. 20.1). L’équilibre et la taille des organes sont étroitement réglés par une balance prolifération/apoptose précisément contrôlée. Des régions entières de notre corps sont le site d’un renouvellement rapide, il en est ainsi de la peau, de la paroi interne de l’intestin et du sang. Les composés issus des cellules mortes sont recyclés pour la construction de nouveaux tissus. Tous les tissus composant notre corps ne sont pas soumis à un renouvellement aussi rapide que le sang, la peau ou la paroi interne de l’intestin. La différenciation cellulaire confère aux cellules spécialisées une durée de vie variable. Les cellules de la peau et celles qui tapissent l’intestin perdent le pouvoir de se diviser. Leur durée de vie est de 3 à 4 jours pour la paroi de l’intestin. Comme celles du sang, elles sont sans cesse renouvelées grâce à l’activité de cellules souches qui restent indifférenciées. Enfin, l’apoptose constitue un mécanisme fondamental du fonctionnement du système immunitaire.
III Mécanismes de l’apoptose
Par opposition à la nécrose, l’apoptose est considérée comme une mort cellulaire « ordonnée » procédant par différentes phases. Les cellules commencent par rompre leurs contacts avec les cellules du voisinage. Le cytoplasme se répartit en petits ballonnets, ou « corps apoptotiques », dont la membrane externe intacte empêche la libération extracellulaire d’enzymes. Les mitochondries subissent de profonds changements au cours du processus d’apoptose. Leur membrane externe devient perméable. Des protéines mitochondriales solubles intermembranaires sont alors libérées dans le cytoplasme comme le cytochrome c ou encore le facteur d’induction de l’apoptose AIF, qui va entraîner l’activation des caspases et des DNases. La fonction mitochondriale est fortement altérée avec réduction du potentiel mitochondrial de la membrane interne, phénomène qui précède souvent la dégradation de l’ADN. Le noyau se condense, et la chromatine est clivée en fragments réguliers d’environ 180 paires de base. La membrane plasmique va bourgeonner et conduire à la formation de corps apoptotiques renfermant une partie du cytoplasme de la cellule. Afin de faciliter la reconnaissance des corps apoptotiques par les phagocytes, la cellule va signaler son état apoptotique à son environnement, notamment grâce au changement de localisation des molécules de phosphatidylsérines qui passent d’une orientation strictement cytoplasmique vers une orientation intra- et extracellulaire. La mort cellulaire programmée est un processus rapide (quelques heures). L’un des points majeurs de l’apoptose est que l’intégrité de la membrane plasmique n’est jamais altérée au cours de ce processus, ce qui permet d’éviter tout déversement du contenu cellulaire et ainsi prévenir tout dommage infligé aux tissus environnants. Toutefois, l’on peut noter que l’inflammation n’est pas totalement absente au cours du processus apoptotique en raison du relargage par exemple des interleukines 1 et 18 dans l’environnement, mais il s’agit d’une « inflammation » régulée.
De nombreux signaux très différents, physiologiques et pathologiques, intra- et extracellulaires ont été identifiés comme pouvant déclencher l’apoptose. Cette dernière peut être induite par carence en facteurs de croissance (NGF pour nerve growth factor, IL-2…), par certains récepteurs membranaires (FasR, TNFR) lorsqu’ils sont liés à leur ligand spécifique, ou par des lésions cellulaires (radiations ionisantes, agents cytotoxiques, choc osmotique, hyperthermie). Ces signaux sont alors intégrés par la cellule qui, en fonction de son degré de différenciation et d’activation, va orienter sa réponse vers la mort ou vers la survie, la prolifération ou la différenciation. Cette intégration moléculaire fait appel à un certain nombre de médiateurs intracellulaires qui sont anti-apoptotiques ou pro-apoptotiques, ou les deux, selon le contexte cellulaire.