2: Principales sources théoriques de la pédopsychiatrie clinique

2 Principales sources théoriques de la pédopsychiatrie clinique




Remarques préliminaires sur certains outils de la recherche


Ce rappel nécessairement succinct ne remplace pas la lecture d’ouvrages plus spécialisés. Nous souhaitons juste rappeler dans ce domaine les principes généraux qui président toutes recherches expérimentales et scientifiques, l’usage des modèles animaux et les techniques d’imagerie, en particulier fonctionnelle, qui sont aujourd’hui d’usage de plus en plus courant.



Principes généraux de la recherche scientifique appliqués à la psychologie


La méthode scientifique est une démarche qui implique plusieurs étapes. La première réside dans la formulation d’une question dans un cadre théorique. Celui-ci est consubstantiel d’hypothèses que le chercheur tentera de vérifier par la réalisation d’observations ou d’expériences. L’analyse des résultats permet en retour d’affirmer, voire de modifier, la théorie initiale. La méthode se veut reproductible et le plus souvent quantifiable. Dans le champ de la psychologie qui est devenue la science de l’étude du comportement et des processus mentaux, plusieurs perspectives sont possibles vu la complexité du fonctionnement de la psyché humaine. La perspective biologique interroge comment le corps et le cerveau génèrent des émotions, des souvenirs et des expériences sensorielles. La perspective comportementale interroge comment nous apprenons des conduites ou réponses observables. La perspective cognitive questionne comment nous traitons, mémorisons et récupérons des informations. La perspective développementale s’intéresse à comment se développent les principales fonctions mentales et comment l’enfant acquiert les apprentissages fondamentaux. La perspective socioculturelle interroge comment les conduites et les modes de pensée varient d’un contexte à l’autre. La perspective psychodynamique s’intéresse elle à comment s’articulent la vie fantasmatique et les conduites ou comportements.


Pour autant les méthodes de la psychologie quand elle cherche à s’inscrire dans une démarche scientifique sont de trois ordres. Le premier est descriptif. Il peut s’agir d’étude de cas comme ont pu le faire Freud ou Piaget, ou d’enquête au niveau d’une population. Dans ces cas, l’exhaustivité étant rarement possible, se pose la question de la représentativité de l’échantillon sur lequel est réalisée l’enquête. L’observation peut aussi être naturaliste et non interventionniste. Elle nécessite alors une véritable immersion prolongée dans certains groupes ou contextes d’intérêt. Le second ordre est inférentiel et fondé sur le repérage de corrélats. L’existence de corrélation entre deux traits ne permet pas de conclure à un effet de causalité, mais permet d’en faire l’hypothèse. C’est le troisième ordre dit expérimental qui permet parfois de mieux dégager les liens de cause à effet. La méthode expérimentale implique la manipulation d’un ou plusieurs facteurs (variables indépendantes) pour observer leurs effets sur certaines conduites ou processus mentaux normaux ou pathologiques (variables dépendantes) tout en contrôlant les autres facteurs pertinents en répartissant les sujets au hasard. Dans bien des cas, la manipulation n’est possible éthiquement que chez l’animal. Pour autant, la méthode expérimentale s’accompagne souvent d’une simplification des contextes et impose d’en questionner la validité externe, c’est-à-dire sa transposabilité dans la « vie réelle ».



Intérêts et limites des modèles animaux


Pour des raisons éthiques et scientifiques évidentes, le bénéfice que la recherche et l’étude de l’humain tire des études animales est bien supérieur, aux yeux de beaucoup, aux réserves que peut susciter ce type de recherche. Certes, à partir de constatations effectuées en laboratoire sur des animaux, il convient d’être vigilant sur d’abusives et trop rapides extensions au comportement humain. En effet, l’animal ne peut que partiellement refléter l’humain au plan des comportements, du langage, de l’expression émotionnelle. Quant à la pensée, si certains la considèrent absente, elle est pour les plus optimistes, rudimentaire. Toutefois des dysrégulations comportementales animales sont de nos jours obtenues avec une régularité et une fiabilité suffisantes pour pouvoir décrire les premiers modèles expérimentaux susceptibles, sinon de reproduire, du moins d’approcher certaines dysrégulations comportementales observées en clinique humaine.


Le cerveau de l’homme acquiert sa spécificité grâce au développement considérable du néocortex. Mais il persiste un archéocortex qui reste, dans les espèces animales inférieures, très important. Ce qui justifie aux yeux de nombreux scientifiques le fait que l’étude de certains animaux peut rendre compte en partie de l’humain réside dans les constatations suivantes : rongeurs, chats, chiens et singes ont tous un cerveau constitué de neurones et de cellules gliales ; des neurones avec des dendrites et axones qui communiquent à travers des synapses ; une complexité synaptique rendant compte de différences individuelles ; ils partagent les mêmes neurotransmetteurs ; les neurones reçoivent, produisent et transmettent de l’influx ; leur régulation hormonale est très proche ; leur cerveau est immature à la naissance ; enfin le développement diffère en fonction du sexe dans toutes ces espèces.


La recherche animale autorise aussi, au-delà des aspects descriptifs de certains comportements, de véritables manipulations expérimentales permettant de tester des hypothèses. De ce point de vue les modèles animaux de gènes délétés (knock-out) sont devenus une pratique courante pour étudier les conséquences de l’absence d’un gène sur le développement ou pour la compréhension de la physiopathologie d’une maladie génétique monogénique. Les modèles animaux peuvent aussi permettre de tester l’effet de certains ligands pharmacologiques soit pour le développement de nouveaux traitements, soit pour tester telle ou telle régulation. À titre d’exemple, la dermatose de léchage du chien est une maladie qui présente de grandes analogies avec le trouble obsessionnel compulsif. L’animal présente de véritables rituels de léchage entraînant irritation et chute du pelage, voire lésion cutanée dans les formes les plus sévères. Les propriétés anti-obsessionnelles des molécules sérotoninergiques ont pu être confirmées dans ce modèle animal (Rappoport et Fiske, 1998).



Techniques d’imagerie


Les trente dernières années ont été marquées par l’émergence de nombreuses techniques d’imagerie médicale tant anatomique que fonctionnelle qui ont véritablement révolutionné l’abord du développement cérébral et de la psychopathologie. Le tableau 2.1 résume les principes, les avantages et les limites des principales techniques utilisées tant en clinique qu’en recherche.


Tableau 2.1 L’imagerie cérébrale comme outil de recherche en psychopathologie : intérêts et limites des principales techniques utilisées











































Techniques Principes Intérêts et limites
Tomodensitométrie
Scanner
Rayons X
Utilisation de contrastes possibles
Image anatomique de résolution spatiale limitée
Vascularisation visible quand contraste
Coupes transversales seulement
Imagerie par résonance magnétique (IRM) Résonance magnétique des noyaux d’hydrogène Image anatomique de résolution spatiale supérieure
Bonne différentiation substance blanche/substance grise
Vascularisation visible quand contraste
Images en 2 ou 3 dimensions possibles
Spectroscopie par résonance magnétique (RM) RM d’autres atomes ayant des propriétés particulières, et présents naturellement dans l’organisme Imagerie fonctionnelle qui peut être couplée à l’IRM
Présence et estimation de la concentration de molécules (N-acétyl-aspartate, créatine, choline, etc.)
Single photon emission tomography (SPECT) Introduction de molécules marquées par isotope émettant des photons. La distribution et l’évolution de l’émission seront repérées Imagerie fonctionnelle qui dépend de la molécule marquée
Par exemple : Xe133 permet de suivre le débit sanguin cérébral
Études neuro-psychopharmacologiques possibles si ligands marqués
Médiocre résolution spatiale
Positron emission tomography (PET) Idem que SPECT mais émissions de positrons Idem
Par exemple : O15 permet de suivre la consommation de glucose
Résolution spatiale très supérieure à la SPECT
Équipement très lourd (cyclotron) pour marquer les molécules
Imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf) Résonance magnétique des molécules d’hémoglobine oxygénée qui permet de suivre le débit sanguin cérébral Imagerie fonctionnelle qui peut être couplée à l’IRM anatomique, d’une part et à une infinité de tâches cognitives permettant des explorations de plus en plus fines, d’autre part
Résolutions spatiale et temporelle de plus en plus fines et dépendantes de la puissance de l’aimant
Aucun isotope radioactif n’est utilisé
Spectroscopie dans le proche infra-rouge Absorption différentielle d’une émission lumineuse externe par l’hémoglobine oxygénée ou désoxygénée Imagerie fonctionnelle non invasive permettant de suivre les variations d’oxygénation du tissu cérébral sous-jacent à la diode lumineuse
Influence de l’épaisseur des tissus (os) et de la couleur de peau
Seul le cortex peut être étudié
Pas d’images anatomiques
Électro-encéphalographie (EEG) Enregistrement de l’activation électrique du cerveau Imagerie fonctionnelle qui peut être utilisée au repos ou couplée à de nombreuses tâches cognitives
Permet une analyse temporelle de la progression du traitement de l’information
Mauvaise résolution spatiale
Magnétoencéphalographie Des aimants à très basse température étudient les variations magnétiques engendrées par l’activité électrique du cerveau Utilisée seule ou couplée avec l’EEG, son intérêt réside dans la résolution temporelle et la moindre diffusion du champ magnétique par rapport au champ électrique permettant une localisation plus précise des sources cérébrales actives

L’imagerie morphologique renseigne sur les structures anatomiques du cerveau. Deux techniques principales sont utilisées : la tomodensitométrie ou scanner, et l’imagerie par résonance magnétique ou IRM. En pratique courante, ces examens sont souvent non contributifs (cf. chap. 3) mais ils permettent certains diagnostics différentiels ou étiologiques (par exemple : tumeur cérébrale). L’IRM connaît d’important développement en recherche grâce à de nouveaux procédés d’analyse d’image comme les techniques de parcellation qui permettent de mesurer des volumes plus petits et donc améliorent la résolution spatiale ; des techniques de tractographie qui permettent la visualisation des trajets de fibres de substance blanche ; l’étude spécifique des sillons cérébraux.


Par ailleurs, l’IRM, couplée à la spectroscopie, permet également certains diagnostics rares dans des indications choisies (par exemple : déficit en créatine devant un enfant présentant un retard mental).


Les techniques d’imagerie fonctionnelle sont utilisées presque exclusivement en recherche. Elles sont aussi résumées dans le tableau 2.1. Plusieurs types de protocoles expérimentaux peuvent être réalisés : enregistrement au repos ; enregistrement en situation symptomatique provoquée ou en imaginée ; enregistrement avant et après traitement ; enregistrement pendant une tâche spécifique, objet de l’étude, le plus souvent simple et facile à répéter. Chaque technique a ses propres spécificités et l’on tient compte de la résolution spatiale, de la résolution temporelle, de la possibilité d’étudier tel ou tel ligand, etc. pour penser les protocoles expérimentaux. Nous ne prendrons ici qu’un seul exemple, celui de l’IRM fonctionnelle ou IRMf (figure 2.1). D’utilisation récente, l’IRMf évalue la consommation d’oxygène dans les tissus par la mesure des variations de la desoxyhémoglobine. Il s’agit d’une méthode d’imagerie puissante et incontournable, car les images sont obtenues très rapidement (de l’ordre de la seconde).



De plus, s’agissant d’une méthode non invasive, elle peut être proposée aux sujets jeunes, et répétée chez un même sujet au cours de la vie sans risque d’irradiation.



Problème de la maturation


La rapide évolution des structures et fonctions cérébrales dans la période périnatale explique la variabilité diachronique des signes neurologiques et la difficulté d’isoler des regroupements sémiologiques qui répondraient à une vue synchronique.


Cette maturation neurophysiologique doit être reliée à la maturation progressive des conduites humaines mais par une corrélation dont il convient de préciser la nature. Le grand danger est en effet de considérer le fonctionnement comme le fruit de systèmes neurologiques simplement juxtaposés. Dans l’évolution des fonctions et des conduites il faut étudier :



Dans le processus de maturation qui se réfère au développement morphologique et physiologique de l’homme jusqu’au moment où il arrive à son état de maturité, on doit distinguer l’anatomie, c’est-à-dire la morphologie proprement dite, les fonctions, c’est-à-dire les systèmes potentiels et le fonctionnement, c’est-à-dire l’activation de ces systèmes. Anatomie, fonctions et fonctionnement se situent à des niveaux d’organisation distincts ; ils entretiennent des rapports différents avec l’équipement inné et l’apport environnemental ; ils établissent entre eux des liens de dépendance, mais aussi un degré d’indépendance tel que les caractéristiques de l’un ne peuvent suffire à déterminer totalement les caractéristiques des autres.


En d’autres termes, si la maturation anatomique a ses propres lois d’évolution, et si elle est la condition nécessaire au développement, elle n’est pas la condition suffisante pour expliquer le comportement et son évolution au cours de la croissance du bébé puis de l’enfant.


En outre, l’immaturité est trop souvent assimilée à un manque, à une simplification ou une réduction des propriétés et caractéristiques de la maturité ; l’immaturité ne serait qu’un état simplifié de la maturité. Les travaux les plus récents de neurophysiologie du développement montrent que l’immaturité ne doit pas être définie uniquement en termes de manque : elle comporte ses propres lois de fonctionnement qui doivent être constamment étudiées dans une perspective diachronique. Ainsi J. Scherrer individualise quatre propriétés qui seraient caractéristiques de l’immaturité fonctionnelle d’un système nerveux :



Ces caractéristiques expliqueraient que le système nerveux immature présente une redondance et une fiabilité faibles, ce qui entraînerait à la fois sa plasticité, mais aussi sa vulnérabilité.


Cette immaturité neurophysiologique autorise en outre la « programmation épigénétique du système nerveux central » (Bourguignon, 1981) comme peut en rendre compte, à titre d’exemple, la théorie de la stabilisation sélective des synapses (théorie SSS de Changeux et Danchin, 1976). Cette théorie repose sur la constatation expérimentale chez l’animal que le nombre des synapses va en se réduisant de la naissance à l’âge adulte. Pour J.-P. Changeux et A. Danchin une synapse est soit transitoirement labile, soit définitivement stabilisée, soit dégénérée. Lors de son établissement, chaque synapse entre en compétition avec ses semblables en vue de la réalisation d’une certaine fonction. Par analogie avec la sélection naturelle, la théorie SSS postulerait que seules les synapses les plus actives, les plus stimulées, les plus performantes sont stabilisées tandis que les autres dégénèrent. Les constatations expérimentales des effets de la privation de lumière dans le système visuel du chaton vont dans ce sens : si à une période sensible, les synapses ne reçoivent pas leur activation par stimulation sensorielle, le chaton restera aveugle. En l’absence de la stimulation adéquate, le système synaptique, immature à la naissance, et traversant une phase optimale de sensibilité (chez le chat de la 4e à la 6e semaine) ne s’organise pas ; bien que la structure anatomique et la fonction soient correctement construites, le fonctionnement ne se met pas en place. Toutefois si cette théorie SSS fournit un modèle intéressant et séduisant, jetant un pont entre la structure neurophysiologique et le développement des conduites, elle rend difficilement compte de l’étonnante capacité et aptitude du système nerveux central humain au changement. Selon A. Bourguignon, le « processus d’auto-organisation » conceptualisé par H. Atlan, pourrait en rendre compte en opposant deux sous-systèmes : l’un caractérisé par sa faible redondance et sa stabilité jouerait un rôle en particulier dans les processus de mémorisation ; l’autre, par sa grande redondance serait le siège de cette capacité d’auto-organisation.


Quittant ce plan théorique pour revenir au plan descriptif, les divers auteurs qui se sont penchés sur la croissance ont tenté, par des découpes successives, de fixer momentanément ce processus diachronique continu afin d’isoler des stades, étapes, niveaux synchroniques se prêtant mieux à une étude statique. Ce faisant, et malgré la richesse de ces travaux, la permanence de la croissance risque d’être oubliée au profit de l’étude de ces seules étapes : ce qui est important dans la croissance, ce n’est pas l’étape elle-même, mais le passage d’une étape à une autre.


Or l’essentiel du mouvement maturatif consiste à apprécier le retentissement diachronique mutuel entre le fonctionnement lui-même (les conduites), la fonction mise en jeu et la structure neuro-anatomique impliquée. Si les structures anatomiques dépendent en grande partie de l’équipement inné, les conduites dépendent étroitement de l’environnement dans lequel évolue le bébé. Ceci explique qu’il est difficile de distinguer dans l’organisation fonctionnelle de l’enfant le non-acquis et l’acquis. En réalité, il serait plus utile de concevoir un continuum de comportements allant de ceux qui sont environnementalement stables et relativement peu influencés par les variations de l’environnement, à ceux qui sont environnementalement labiles. Le comportement antérieurement désigné comme « non appris » ou « instinctif » peut être placé vers l’extrémité stable du continuum, sans que cela implique que l’apprentissage soit absent dans le cours de son développement, et le comportement antérieurement désigné comme « appris » à l’extrémité labile du continuum, sans que cela implique que le code génétique en soit totalement absent. Ainsi, dans une telle perspective, face à une conduite particulière, la séparation arbitraire et simpliste entre l’inné et l’acquis relève plus d’un jeu spéculatif que d’une attitude réellement scientifique. Nous présenterons plus loin des exemples d’interactions gène–environnement qui rendent cette dichotommie caduque.



Problème de la localisation cérébrale


Définir les bases neuro-anatomiques du comportement est particulièrement difficile chez l’homme en raison du développement considérable du système nerveux central et de la multiplicité des systèmes d’interactions réglant ce comportement (régulation individuelle, mais aussi familiale, sociale, culturelle, etc.). Les quelques exemples cliniques reposent tous sur la constatation de désordres comportementaux secondaires à des lésions dont l’étendue est toujours énorme comparée à la finesse des structures mises en jeu et dont la répartition anatomique ne respecte pas la répartition du rôle fonctionnel desdites structures. Après la période initiale des descriptions de lésions macroscopiques et de leurs conséquences comportementales (dont le modèle reste les troubles aphasiques dans les atteintes corticales hémisphériques gauches) suivie des études en expérimentation animale envisagées sous le seul angle de l’étude des déficits, l’ère de l’étude des dysfonctionnements des systèmes régulateurs introduit une nouvelle dimension, que complète l’utilisation de l’imagerie fonctionnelle.


L’étude de l’évolution phylogénétique des structures neuro-anatomiques du système nerveux central comparée à l’évolution des comportements à travers diverses espèces permet ainsi d’avancer des hypothèses sur la mise en place phylogénétique des structures et des connexions neuro-anatomiques impliquées dans certains traits de comportement humain. Parmi les diverses unités structurelles ainsi définies la première unité neuro-anatomique décrite a été le « cerveau de l’émotion » ou système limbique. Par ailleurs le système septo-diencéphalo-mésencéphalique comporte des structures centrales (thalamus, hypothalamus, épithalamus, aire septale, formation hippocampique, complexe amygdalien et formation olfactive), des voies afférentes (afférences sensitives et sensorielles venant du tronc cérébral, afférence olfactive, afférence diffuse du néocortex) et des connexions efférentes (faisceau descendant médian du téléencéphale, connexion avec le néocortex).


Au vu des premières expérimentations animales, il a semblé hautement probable que cet ensemble fonctionnel intervienne dans les comportements traduisant les émotions, l’expression de l’agressivité (cf. chap. 10) ou les conduites sexuelles. Ces comportements occupent une place privilégiée dans les conduites de socialisation, ce que les expériences de Karli ont bien mis en évidence. Ainsi la destruction bilatérale de l’amygdale chez le singe entraîne une impossibilité de resocialisation. L’animal devient indifférent, s’isole et ne survit pas longtemps : l’amygdale semble jouer un rôle important dans l’élaboration et le contrôle des réactions émotionnelles liées à la socialisation. De même, l’hippocampe semble impliqué dans les processus mnésiques liés à la reconnaissance des lieux familiers. Le rôle de l’amygdale et de l’hippocampe dans la gestion respective des processus émotionnels et mnésiques a depuis été confirmé dans des études en imagerie chez l’homme (Guile, 2007).


Sans prétendre à l’exhaustivité, le tableau 2.2 recense les principales fonctions et comportements qui ont pu être associés à un lobe cortical particulier.


Tableau 2.2 Cortex cérébral humain et principales fonctions supérieures


















Lobes corticaux Fonction
Lobes frontaux Mouvement volontaire, comportement, motivation, fonction exécutive
Langage (gauche)
Prosodie motrice (droite)
Lobes temporaux Audition, mémoire, émotion
Compréhension du langage (gauche)
Prosodie sensorielle (droite)
Lobes pariétaux Sensibilité tactile
Fonction visuospatiale (droite)
Lecture (gauche), calcul (gauche)
Lobes occipitaux Vision
Perception visuelle

Pour autant, le fonctionnement du cerveau ne peut pas être envisagé uniquement dans une perspective anatomique. D’une part, l’existence de circuits modulateurs dont le rôle semble être de contrôler des circuits effecteurs plus simples est bien établie. Ces systèmes modulateurs reçoivent des informations d’origines multiples, internes, périphériques ou centrales, mais aussi externes environnementales. En fonction de ces informations, ils vont moduler l’activité de divers circuits neurophysiologiques. Les modalités d’activation ou d’inhibition de ces systèmes régulateurs ont l’intérêt de mettre en relief la constante interaction entre la nature de l’environnement et les capacités de réactivation du système lui-même. Ces systèmes modulateurs ont souvent comme substrats physiologiques des neurotransmetteurs monoaminergiques (dopamine, noradrénaline et sérotonine) qui sont les principales cibles des traitements psychotropes. En se gardant de toute extension abusive et simpliste au comportement humain, on peut penser que ces systèmes modulateurs fournissent toutefois des modèles beaucoup plus proches de la clinique des conduites humaines normales ou déviantes que les anciens systèmes lésionnels corticaux.


D’autre part, certaines fonctions n’ont à ce jour pas pu être associées à une quelconque anatomie cérébrale cohérente. C’est le cas de la conscience ou de l’agentivité (soi versus non-soi) qui sont deux propriétés parmi les plus spécifiques de l’humain. Dans la plupart des études en imagerie fonctionnelle, c’est tout un réseau d’activation qui est constaté et les modélisations les plus abouties évoquent un espace de travail sans isolat anatomique porteur de la fonction.



Problème des déterminants génétiques


Depuis la découverte de l’ADN, substratum de la mémoire du patrimoine génétique, la génétique a pris une importance considérable, parfois même un peu totalitaire. Dès qu’une dimension génétique est retrouvée, elle tend trop rapidement à être comprise dans un lien de causalité directe. En psychiatrie, on peut difficilement faire l’économie des facteurs environnementaux. La notion de vulnérabilité vient combler le chaînon manquant pour retrouver un déterminisme génétique linéaire puisque dans ce modèle l’environnement révèle une vulnérabilité génétique. Cette vision simpliste ne peut plus être retenue aujourd’hui comme nous l’avons esquissé plus haut. Dans la figure 2.2, nous avons cherché à schématiser comment peut intervenir en termes de facteur déterminant d’une psychopathologie un gène ou un groupe de gènes. À chaque fois, un exemple est donné à titre d’illustration. Au préalable deux définitions s’imposent. Celle du génotype qui représente le patrimoine génétique d’un sujet ; celle du phénotype qui est l’expression clinique d’un génotype. Bien que corrélée, ces deux notions ne sont jamais superposables. D’autre part, toutes les mutations que présente un gène dans la nature ne sont pas, loin s’en faut, des mutations pathologiques, c’est-à-dire entraînant un trouble chez un sujet porteur. Lorsqu’un gène présente plusieurs variations normales de sa séquence et/ou de sa fonction, on parle de polymorphisme.



Dans une première simplification on peut distinguer trois types de déterminismes différents. Le premier est un déterminisme relativement direct, comme on le retrouve en psychiatrie dans certaines étiologies d’autisme ou de retard mental. Cela dit, la littérature fourmille d’exemples où un enfant, avec la même anomalie génétique causale, présente un phénotype atypique sans trouble autistique et/ou a un retard mental (Cohen et coll., 2005). La deuxième modalité en termes de déterminisme renvoie à la notion d’endophénotype. Le déterminisme génétique porte alors sur une variable intermédiaire appelée endophénotype, elle-même liée à la pathologie. Le modèle de référence le plus classique dans le champ de la santé mentale est l’impulsivité avec l’alcool puisque de très nombreuses études ont montré qu’un polymorphisme du récepteur D2 à la dopamine était lié au niveau d’impulsivité des sujets qui, s’ils étaient exposés à une consommation d’alcool, pouvaient plus fréquemment devenir alcoolo-dépendants ; l’impulsivité jouant le rôle d’un endophénotype comme variable intermédiaire entre la consommation d’alcool et le déterminisme génétique (Limousin et coll., 2003). Dans le champ du trouble des conduites, l’empathie pourrait constituer un bon candidat au statut d’endophénotype, c’est-à-dire de caractéristique intermédiaire. Dans l’étude de Viding et coll. (2005) portant sur 3 600 paires de jumeaux, les auteurs ont étudié l’héritabilité génétique en comparant chez des jumeaux monozygotes et dizygotes l’absence d’empathie en présence ou en l’absence de troubles antisociaux. Si le taux d’héritabilité de l’absence d’empathie s’est avéré tout à fait élevé (67 %), encore plus remarquable est la dissociation des résultats entre sujets antisociaux avec faible empathie pour lesquelles l’héritabilité est de 81 % par rapport aux sujets antisociaux sans trouble de l’empathie, pour lesquels l’héritabilité chute à seulement 30 %. On voit que lorsque le faible développement de l’empathie est associé à des troubles antisociaux, l’influence génétique est forte alors que les influences environnementales apparaissent faibles. Au contraire, lorsque les traits antisociaux sont présents en l’absence de trouble de l’empathie, l’influence génétique est faible alors que l’environnement partagé est fort.


La troisième modalité du déterminisme génétique réside dans la possibilité d’interactions gène–environnement. Ces vingt dernières années, de très nombreux travaux ont investigué cette possible interaction gène–environnement dans le champ de la santé mentale pour des pathologies aussi diverses que la dépression, la schizophrénie, mais également les troubles externalisés (Cohen, 2008). Parmi les très nombreux travaux, nous retiendrons une étude prospective de Caspi et coll. (citée dans Cohen, 2008). Les résultats très impressionnants montrent dans une cohorte néo-zélandaise de 440 garçons, suivis de la naissance à l’âge de 26 ans, que les comportements violents, les troubles des conduites ou la personnalité antisociale étaient associés à des expériences de maltraitance avant l’âge de 11 ans et que cet effet pouvait être modulé par un polymorphisme fonctionnel de la monoamine oxydase A.


La quatrième modalité est plus indirecte, et traduit le fait qu’une modulation génétique peut contribuer à certains effets délétères de l’environnement. Par exemple, la consommation de cigarettes ou d’alcool pendant la grossesse est associée à une plus grande fréquence de troubles externalisés au cours du développement. Cet effet semble modulé par un polymorphisme du transporteur de la dopamine (Cohen, 2008). Enfin, deux points méritent d’être développés quant à la notion de déterminisme génétique et à la notion d’héritabilité. Le premier réside dans le fait que la plupart des modèles animaux de pathologies monogéniques dégénératives montrent que des variations environnementales, comme certains facteurs nutritionnels ou sociaux, peuvent modifier le phénotype de la maladie. Nous développerons plus en détail le second. L’intervention de facteurs de stress et de leur système physiologique de régulation, en particulier au niveau de l’axe hypothalamo-hypophysaire et cortico-surrénalien, est aujourd’hui bien établie en ce qui concerne la santé mentale en général. De très nombreuses pathologies ont été associées à des facteurs de stress (cf. chap. 1). Pourtant, malgré les travaux pionniers de Victor Denenberg dans les années 60–70, le tout génétique des années 80 n’a pas permis d’en comprendre la réelle portée jusqu’aux développements récents et les travaux de l’équipe de Michael Meaney (Francis et coll., 1999). Ces auteurs, à partir de modèles animaux (souris ou rats), ont ainsi démontré que les stress très précoces, les soins maternels et les stress durant la gestation étaient capables d’avoir un impact sur le développement des générations futures à travers l’axe hypothalamo-hypophysaire, mais également à travers des modifications épigénétiques pouvant se transmettre de génération en génération et ce indépendamment du patrimoine génétique des animaux. Sans en faire une revue exhaustive et en ne retenant que les principes généraux démontrés dans ces expériences, on peut lister les points suivants : les expériences précoces ont un effet à long terme sur le comportement et sur les systèmes biologiques, en particulier la séparation mère–bébé ou la qualité des soins maternels ; certaines expériences précoces pourront affecter des générations futures, proposant là un mécanisme de transmission non génomique de traits comportementaux ; l’environnement utérin peut aussi affecter le développement à travers des facteurs environnementaux plutôt que génétiques. Par certains côtés, ces modèles animaux induisent un paradigme véritablement révolutionnaire dans la perspective de prédéterminisme génétique le plus souvent à l’œuvre dans les modèles théoriques. En effet, montrer une transmission trans-générationnelle indépendamment du patrimoine génétique modifie complètement les paradigmes et implique de prendre en compte des interactions non plus seulement unidirectionnelles, mais également bidirectionnelles (Cohen, 2008).



Théories centrées sur le comportement et/ou l’environnement : behaviorisme, éthologie, théories systémiques



Théories behavioristes et néobehavioristes


Watson, psychologue américain (1913), a voulu situer l’étude du comportement en dehors de toute subjectivité. Pour lui tout comportement est le résultat d’un apprentissage secondaire à un conditionnement : l’ensemble du comportement se réduirait selon Watson à une série de réflexes conditionnés sans retentissement réciproque entre le sujet et son environnement. Le conditionnement d’apprentissage est le conditionnement pavlovien simple ou conditionnement répondant (d’où le nom de SR théorie : Stimulus – Réponse).


S’élevant contre un schéma réflexe par trop simpliste, Skinner, dès 1937, propose à partir d’expériences sur le rat, le modèle du conditionnement opérant.


Un rat est placé dans un bac où se trouve un petit levier dont la manœuvre déclenche l’arrivée de nourriture. Après une phase d’exploration le rat finit par hasard par appuyer sur le levier. On observe par la suite que l’animal limite progressivement ses mouvements à cette activité. Les mêmes résultats sont obtenus dans un labyrinthe au centre duquel on a placé de la nourriture ; l’animal gagne le but de plus en plus vite. Ce type de conditionnement est d’autant plus rapide que la motivation est puissante et que la récompense est gratifiante.


Contrairement au conditionnement répondant, le conditionnement opérant est sous la volonté de l’animal ; c’est un véritable programme de réalisation, la conduite s’organisant peu à peu à partir d’essais et d’erreurs pour atteindre un but ; enfin par son comportement l’animal modifie la nature de son environnement. Pour Skinner l’ensemble du comportement humain et de l’apprentissage de l’enfant peut se comprendre en termes de conditionnement opérant. Ultérieurement Wolpe appliquera directement ces théories au comportement humain avec les premières tentatives de thérapies comportementales (cf. chap. 27).


Qu’il s’agisse de behaviorisme ou de néobehaviorisme, pour ces théories SR la personnalité n’est qu’un assemblage de conditionnements de plus en plus complexes ; les problèmes de l’image mentale et de la structuration du psychisme sont considérés comme superflus. L’habitude représente la seule structure de base qui maintient le lien entre le stimulus et la réponse ; la dynamique est représentée par la pulsion dans son sens le plus physiologique. En revanche ces théories se sont peu préoccupées du point de vue développemental, aucun stade évolutif n’est décrit chez l’enfant.


Les applications cliniques de ces théories jouissent actuellement d’une grande faveur. Il est bon d’en connaître le support théorique avec ses limites. On trouvera dans les ouvrages de Eysenck, de Le Ny et de Cottraux l’illustration de ces applications et dans l’article de J. Hochmann une critique rigoureuse de leur abus.



Apprentissage vu par l’école russe


Mieux connus maintenant, les travaux de Vigotsky, Leontiev, Anokhin, Zaporozhets ont tenté de proposer une théorie de l’apprentissage qui, outre le conditionnement réflexe, prend en considération le processus de développement interne de l’acte. Il en est ainsi du concept d’« afférentation en retour ». Celle-ci a un double rôle : d’un côté elle joue le rôle d’un signal pour le passage au chaînon comportemental suivant en cas de succès, et d’un autre côté de signal de répétition comportementale en cas d’échec de la tentative. Vigotsky et ses collaborateurs ont étudié le problème de la transformation des actions extérieures en processus intellectuel interne, c’est-à-dire le problème de l’intériorisation. À titre d’exemple, nous citerons le cas bien étudié par Vigotsky du pointing chez l’enfant (in : L’évolution des praxies idéomotrices, J. Galifret-Granjon) : il s’agit du geste courant de montrer un objet de la main ou même de l’index en le nommant (entre 12 et 30 mois). Pour Vigotsky, le pointing joue un rôle essentiel dans le développement du langage de l’enfant et serait à la base de toutes les formes supérieures de développement psychologique : la base de ce geste serait primitivement un essai infructueux pour prendre, pour saisir un objet vers lequel l’enfant est tout entier orienté, dirigé. De ce geste une nouvelle signification va surgir lorsque l’enfant trop éloigné ne pourra attraper l’objet : sa main reste en l’air, les doigts poursuivant leur tentative de préhension. Au départ ce geste est purement moteur. Cependant un chaînon intermédiaire venant de l’expérience va le transformer : en effet la mère donne à l’enfant l’objet vers lequel il tend la main. Bientôt l’enfant dirige son index vers l’objet, sans aucune recherche de préhension : le geste est devenu un geste pour autrui, c’est-à-dire que le geste ne concerne plus un objet mais une personne. Le mouvement « pointer un doigt » est devenu un moyen de communication.


Pour Vigotsky cette séquence démontre l’importance de la socialisation ; le geste propre de l’enfant, au départ purement moteur, ne prend un sens que par une intervention sociale externe. Le développement psychique apparaît d’abord comme relevant de « catégories intermentales » (c’est-à-dire engendrées par les relations entre individus) avant de s’organiser en « catégories intramentales » (il faut signaler que ce geste de « pointer du doigt » a été ensuite repris par de très nombreux auteurs [Werner et Kaplan, Bruner] mais c’est Vigotsky qui, sans l’avoir décrit réellement le premier, lui a donné toute son importance).


Par la suite Leontiev, élève de Vigotsky, appellera paramètres d’actions les facteurs conduisant à l’intériorisation et à la symbolisation progressive des comportements moteurs (généralisation de l’acte, réduction de l’acte, assimilation, degré d’intériorisation).


Dans leur ensemble ces travaux sont assez proches des théories piagétiennes encore que le passage de l’acte moteur à l’acte symbolique soit dans le cas des auteurs de l’école russe suscité essentiellement par un apport externe ne répondant pas à une structuration interne, ce qui les oppose aux auteurs piagétiens.



Éthologie et ses applications : J. Bowlby


L’éthologie étudie l’animal dans son cadre de vie normal et non en laboratoire comme le font behavioristes et néobehavioristes. On pourrait dire qu’en éthologie, l’animal pose un problème à l’homme tandis qu’en expérimentation pavlovienne l’homme pose un problème à l’animal. Les fondateurs de l’éthologie sont K. Lorenz et N. Tinbergen, mais c’est avec les expériences de Harlow (1958) sur les singes Rhésus et les travaux parallèles de Bowlby sur le bébé humain que l’éthologie a vu s’ouvrir le champ des applications au comportement humain.



Travaux de H. Harlow


Dans une série d’expériences devenues célèbres, Harlow a démontré la nécessité d’un lien d’attachement entre le bébé Rhésus et la mère, ainsi que toutes les implications qu’entraînait ce manque d’attachement.


Des jeunes singes Rhésus sont élevés dans un isolement social plus ou moins complet dès la naissance. Quand l’isolement social est total pendant les trois premiers mois on observe après l’arrêt de l’isolement quelques lacunes dans le développement social, mais un développement satisfaisant des fonctions cognitives. Quand l’isolement social dure plus de 6 à 12 mois, on observe une incapacité à tout développement social (pas de manipulation, ni de jeux sexuels).


Quand on propose aux bébés singes des mères artificielles, les bébés singes préfèrent les mères revêtues de chiffons doux aux mères en fils métalliques. Cette variable ne change pas, même si les « mères métalliques » ont un biberon : pour Harlow ceci signifie que le réconfort du contact ou « l’attachement » constitue une variable majeure dans le lien avec la mère, supérieure même à l’apport de nourriture. Plusieurs variables secondaires ont été étudiées (mère à bascule, mère stable, mère chauffée, mère froide) : les bébés Rhésus préfèrent, parmi les « variables secondaires », les mères à bascules et les mères chauffées, mais ces variables changent avec le temps.


Les bébés Rhésus séparés de leur mère mais élevés ensemble présentent un meilleur comportement social que ceux maintenus en isolement. Les femelles élevées en isolement total ont ultérieurement un comportement très rejetant à l’égard de leur propre bébé.


Ces expériences montrent l’importance du besoin précoce d’attachement et les séquelles durables, voire définitives, qu’une carence précoce d’attachement provoque chez le bébé Rhésus.


Il existe une période sensible au-delà de laquelle la récupération n’est plus possible.



Travaux de J. Bowlby


Dès 1958, Bowlby est conduit à réfuter la théorie de l’étayage de la pulsion libidinale par la satisfaction orale (théorie de Freud) pour reconsidérer à la lumière des travaux d’éthologie la notion d’attachement à la mère. Notons qu’auparavant existait déjà dans l’école hongroise de psychanalyse (P. Hermann) la théorie de l’agrippement primaire. Bowlby considère que l’attachement du bébé à sa mère et de la mère au bébé résulte d’un certain nombre de systèmes de comportement caractéristiques de l’espèce. Ces systèmes s’organisent autour de la mère. Originairement Bowlby a décrit cinq systèmes comportementaux : sucer – s’accrocher – suivre – pleurer – sourire. Ces cinq modules comportementaux définissent la conduite d’attachement. Cette conduite est primaire ; elle a pour but, selon Bowlby, de maintenir l’enfant à proximité de la mère (ou la mère à proximité de l’enfant car certaines conduites sont des conduites de suite, mais d’autres sont des conduites d’appel : pleurer – sourire).


Cette approche réfute en particulier la notion fondamentale dans la théorie freudienne de l’établissement de la relation d’objet libidinal par étayage sur la satisfaction du besoin oral. Elle a été à l’origine de nombreuses controverses entre les psychologues comportementalistes ou de formation éthologique et les psychanalystes. On lira à ce sujet l’intéressante confrontation (in : L’attachement. Paris : PUF ; 1978) entre des points de vue très différents.


Dans le domaine psychopathologique Bowlby a décrit, s’inspirant en partie des travaux de Harlow, les réactions de jeunes enfants à une séparation maternelle. Il a isolé chez des enfants de 13 à 32 mois une série de trois grandes phases consécutives à la disparition de la mère (cf. la description chap. 16, Stade de l’inquiétude, moments dépressifs) :



Pour Bowlby cette réaction à la séparation est à la base des réactions de peur et d’anxiété chez l’homme. Il décrit d’ailleurs chez des enfants qui ont déjà subi des séparations ou qui en ont été menacés la conduite d’attachement anxieux.



Études éthologiques récentes


Des équipes de plus en plus nombreuses effectuent des recherches sur le nourrisson et le jeune enfant en s’inspirant des principes éthologiques. Ces études se centrent en général sur les interactions mère–enfant ou entre enfants du même âge (observations dans les écoles maternelles ou les crèches). L’accent est mis sur les comportements préverbaux de l’enfant, les travaux récents cherchant à « décrypter » un véritable code de communication préverbale. Ainsi Schaal décrit une réaction précoce d’orientation de la tête du bébé en direction d’un coton imprégné de l’odeur maternelle dès le deuxième jour de vie ; les mères, de leur côté, tournent la tête dès le quatrième jour vers un coton imprégné de l’odeur du bébé. Menneson a tenté d’établir une corrélation entre la gestualité de l’enfant face au miroir et le comportement de l’adulte : face au miroir un enfant seul s’y regarde souvent ; mais en présence d’un adulte l’enfant délaisse le miroir si l’adulte ne s’y regarde pas, et s’observe dans le miroir si l’adulte s’y observe.


Montagner étudie les comportements entre enfants et définit diverses séquences comportementales. Il distingue ainsi parmi les interactions entre enfants des séquences comportementales qui ont pour but d’apaiser et de créer des liens (offrande, caresse, baiser, inclinaison latérale de la tête, etc.) et des séquences qui entraînent une rupture de lien, un recul, une fuite ou une agression (ouverture de la bouche avec émission d’une vocalisation aiguë et projection en avant d’un bras ou d’une jambe). En fonction de la fréquence d’occurrence de ces conduites, Montagner décrit divers types comportementaux (leaders, dominants agressifs, dominants fluctuants, dominés craintifs, dominés agressifs, etc.) qui semblent en partie corrélés au type d’attitude de la mère et changer avec l’attitude de cette dernière, du moins jusqu’à 3 ans. Toutefois cet essai de typologie n’est pas admis par certains auteurs.


Ainsi les études éthologiques les plus récentes cherchent à isoler des unités comportementales « signifiantes » en précisant les caractéristiques développementales (âge d’apparition puis de disparition) et environnementales (types de déclencheurs, conséquences sur l’entourage). À titre d’exemple citons les sourires et les rires, l’écarquillement des yeux, l’inclinaison latérale de la tête, le jet de la tête en avant, etc. Dans tous les cas rappelons que, de parti pris pour ces auteurs, il s’agit toujours de comportements observables ; en revanche, les effets intériorisés, les fantaisies et fantasmes, s’ils ne sont pas ignorés, ne sont pas étudiés.



Psychologie du développement et sciences de la cognition



Développement cognitif selon J. Piaget


Parallèlement à ses recherches épistémologiques, Piaget s’est attaché à décrire l’évolution du fonctionnement cognitif de l’enfant à partir de l’observation directe et par l’étude longitudinale de l’évolution des diverses stratégies que celui-ci utilise pour résoudre un problème expérimental.


Pour Piaget la finalité recherchée est l’adaptation de l’individu à son environnement. L’adaptation est une caractéristique de tout être vivant : l’intelligence humaine est comprise comme la forme d’adaptation la plus raffinée qui, grâce à une série d’adaptations successives, permet d’atteindre un état d’équilibration des régulations entre le sujet et le milieu.


Outre la maturation neurologique, deux séries de facteurs interviennent : d’un côté le rôle de l’exercice et de l’expérience acquise dans l’action effectuée sur les objets ; de l’autre les interactions et transmissions sociales. Ces facteurs issus de trois plans différents concourent à une construction progressive « telle que chaque innovation ne devient possible qu’en fonction de la précédente ». Cette construction a pour objectif de parvenir à un état d’équilibration que Piaget décrit comme « une autorégulation, c’est-à-dire une suite de compensations actives du sujet en réponse aux perturbations extérieures et d’un réglage à la fois rétroactif et anticipateur constituant un système permanent de telle compensation ».


Deux concepts permettent de comprendre ce processus d’adaptation puis d’équilibration : il s’agit de l’assimilation et de l’accommodation. L’assimilation caractérise l’incorporation d’éléments du milieu à la structure de l’individu. L’accommodation caractérise les modifications de la structure de l’individu en fonction des modifications du milieu.


« L’adaptation est un équilibre entre l’assimilation et l’accommodation. » L’adaptation cognitive est considérée comme le prolongement de l’adaptation biologique ; elle représente la forme d’équilibration supérieure. Elle n’est achevée que lorsqu’elle aboutit à un système stable, c’est-à-dire lorsqu’il y a un équilibre entre l’assimilation et l’accommodation. Ces systèmes stables définissent plusieurs paliers ou stades dans l’évolution génétique de l’enfant.


La notion de stade en épistémologie développementale est fondamentale. Elle repose sur les principes suivants :



Ces définitions d’un stade sont sensiblement différentes des notions de stade telles qu’on les retrouve dans les théories psychanalytiques (cf. plus loin). En particulier l’accession à un nouveau stade se traduit par une forme radicalement nouvelle d’organisation des processus cognitifs, résolument hétérogène à l’organisation du stade précédent. Quatre grandes périodes sont ainsi distinguées.



Période de l’intelligence sensori-motrice


Piaget subdivise cette période préverbale en six stades (exercice réflexe : 0–1 mois ; premières habitudes : 1–4 mois ; adaptations sensori-motrices intentionnelles : 4–8/9 mois ; coordination des schèmes secondaires et application aux situations nouvelles : 9–11/12 mois ; réaction circulaire tertiaire et découverte de moyens nouveaux par expérimentations actives : 11/12 mois–18 mois ; invention de moyens nouveaux par combinaison mentale : 18–24 mois). Le schème d’action y représente l’équivalent fonctionnel des opérations logiques de pensée. Un schème d’action est ce qui est transposable, généralisable ou différenciable d’une situation à la suivante, autrement dit ce qu’il y a de commun aux diverses répétitions ou applications de la même action (Biologie et Connaissance). Exemples de schème d’action : schème de balancer un objet suspendu, de tirer un véhicule, de viser un objectif, ou de façon plus complexe schème de réunion (tout ce qui unit), schème d’ordre (toute conduite de classement). Ces schèmes d’actions motrices représentent ainsi des unités comportementales élémentaires, non liées directement aux objets ; mais ces schèmes d’actions permettent l’assimilation progressive de nouveaux objets en même temps que ces derniers, par accommodation, provoquent l’apparition de nouveaux schèmes. C’est par l’expérience et l’exercice sensori-moteur que s’organisent progressivement les conduites signifiantes et intentionnelles. C’est aussi à partir de l’expérience motrice que se construit une représentation mentale de l’objet.




Période des opérations concrètes (7 à 11–12 ans)


Cette période marque un grand progrès dans la socialisation et l’objectivation de la pensée. L’enfant devient capable de décentration, il n’est plus limité à son seul point de vue, il peut coordonner plusieurs points de vue et en tirer des conséquences. Il devient capable de se libérer des aspects successifs de ses perceptions pour distinguer à travers le changement ce qui est invariant. La limite opératoire de cette période reste marquée par la nécessité du support concret : l’enfant ne peut pas encore raisonner à partir des seuls énoncés verbaux.


À partir des manipulations concrètes, l’enfant peut saisir à la fois les transformations et les invariants. Il accède à la notion de réversibilité et met en place les premiers groupements opératoires : sériation, classification. La pensée procède par tâtonnements, par aller-retour (opération inverse et réciprocité). Se mettent ainsi en place les notions de conservation de substances (poids, volumes), puis des conservations spatiales et les conservations numériques.


En même temps, dans le champ social l’enfant prend conscience de sa propre pensée, de celle des autres, ce qui prélude à l’enrichissement des échanges sociaux. Il accepte le point de vue des autres, leurs sentiments. Une véritable collaboration et coopération de groupe devient possible entre plusieurs enfants. La complexification des jeux rend compte de ces données.

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 2: Principales sources théoriques de la pédopsychiatrie clinique

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