2 Principales sources théoriques de la pédopsychiatrie clinique
Remarques préliminaires sur certains outils de la recherche
Principes généraux de la recherche scientifique appliqués à la psychologie
La méthode scientifique est une démarche qui implique plusieurs étapes. La première réside dans la formulation d’une question dans un cadre théorique. Celui-ci est consubstantiel d’hypothèses que le chercheur tentera de vérifier par la réalisation d’observations ou d’expériences. L’analyse des résultats permet en retour d’affirmer, voire de modifier, la théorie initiale. La méthode se veut reproductible et le plus souvent quantifiable. Dans le champ de la psychologie qui est devenue la science de l’étude du comportement et des processus mentaux, plusieurs perspectives sont possibles vu la complexité du fonctionnement de la psyché humaine. La perspective biologique interroge comment le corps et le cerveau génèrent des émotions, des souvenirs et des expériences sensorielles. La perspective comportementale interroge comment nous apprenons des conduites ou réponses observables. La perspective cognitive questionne comment nous traitons, mémorisons et récupérons des informations. La perspective développementale s’intéresse à comment se développent les principales fonctions mentales et comment l’enfant acquiert les apprentissages fondamentaux. La perspective socioculturelle interroge comment les conduites et les modes de pensée varient d’un contexte à l’autre. La perspective psychodynamique s’intéresse elle à comment s’articulent la vie fantasmatique et les conduites ou comportements.
Intérêts et limites des modèles animaux
Le cerveau de l’homme acquiert sa spécificité grâce au développement considérable du néocortex. Mais il persiste un archéocortex qui reste, dans les espèces animales inférieures, très important. Ce qui justifie aux yeux de nombreux scientifiques le fait que l’étude de certains animaux peut rendre compte en partie de l’humain réside dans les constatations suivantes : rongeurs, chats, chiens et singes ont tous un cerveau constitué de neurones et de cellules gliales ; des neurones avec des dendrites et axones qui communiquent à travers des synapses ; une complexité synaptique rendant compte de différences individuelles ; ils partagent les mêmes neurotransmetteurs ; les neurones reçoivent, produisent et transmettent de l’influx ; leur régulation hormonale est très proche ; leur cerveau est immature à la naissance ; enfin le développement diffère en fonction du sexe dans toutes ces espèces.
La recherche animale autorise aussi, au-delà des aspects descriptifs de certains comportements, de véritables manipulations expérimentales permettant de tester des hypothèses. De ce point de vue les modèles animaux de gènes délétés (knock-out) sont devenus une pratique courante pour étudier les conséquences de l’absence d’un gène sur le développement ou pour la compréhension de la physiopathologie d’une maladie génétique monogénique. Les modèles animaux peuvent aussi permettre de tester l’effet de certains ligands pharmacologiques soit pour le développement de nouveaux traitements, soit pour tester telle ou telle régulation. À titre d’exemple, la dermatose de léchage du chien est une maladie qui présente de grandes analogies avec le trouble obsessionnel compulsif. L’animal présente de véritables rituels de léchage entraînant irritation et chute du pelage, voire lésion cutanée dans les formes les plus sévères. Les propriétés anti-obsessionnelles des molécules sérotoninergiques ont pu être confirmées dans ce modèle animal (Rappoport et Fiske, 1998).
Techniques d’imagerie
Les trente dernières années ont été marquées par l’émergence de nombreuses techniques d’imagerie médicale tant anatomique que fonctionnelle qui ont véritablement révolutionné l’abord du développement cérébral et de la psychopathologie. Le tableau 2.1 résume les principes, les avantages et les limites des principales techniques utilisées tant en clinique qu’en recherche.
Techniques | Principes | Intérêts et limites |
---|---|---|
Tomodensitométrie Scanner | Rayons X Utilisation de contrastes possibles | Image anatomique de résolution spatiale limitée Vascularisation visible quand contraste Coupes transversales seulement |
Imagerie par résonance magnétique (IRM) | Résonance magnétique des noyaux d’hydrogène | Image anatomique de résolution spatiale supérieure Bonne différentiation substance blanche/substance grise Vascularisation visible quand contraste Images en 2 ou 3 dimensions possibles |
Spectroscopie par résonance magnétique (RM) | RM d’autres atomes ayant des propriétés particulières, et présents naturellement dans l’organisme | Imagerie fonctionnelle qui peut être couplée à l’IRM Présence et estimation de la concentration de molécules (N-acétyl-aspartate, créatine, choline, etc.) |
Single photon emission tomography (SPECT) | Introduction de molécules marquées par isotope émettant des photons. La distribution et l’évolution de l’émission seront repérées | Imagerie fonctionnelle qui dépend de la molécule marquée Par exemple : Xe133 permet de suivre le débit sanguin cérébral Études neuro-psychopharmacologiques possibles si ligands marqués Médiocre résolution spatiale |
Positron emission tomography (PET) | Idem que SPECT mais émissions de positrons | Idem Par exemple : O15 permet de suivre la consommation de glucose Résolution spatiale très supérieure à la SPECT Équipement très lourd (cyclotron) pour marquer les molécules |
Imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf) | Résonance magnétique des molécules d’hémoglobine oxygénée qui permet de suivre le débit sanguin cérébral | Imagerie fonctionnelle qui peut être couplée à l’IRM anatomique, d’une part et à une infinité de tâches cognitives permettant des explorations de plus en plus fines, d’autre part Résolutions spatiale et temporelle de plus en plus fines et dépendantes de la puissance de l’aimant Aucun isotope radioactif n’est utilisé |
Spectroscopie dans le proche infra-rouge | Absorption différentielle d’une émission lumineuse externe par l’hémoglobine oxygénée ou désoxygénée | Imagerie fonctionnelle non invasive permettant de suivre les variations d’oxygénation du tissu cérébral sous-jacent à la diode lumineuse Influence de l’épaisseur des tissus (os) et de la couleur de peau Seul le cortex peut être étudié Pas d’images anatomiques |
Électro-encéphalographie (EEG) | Enregistrement de l’activation électrique du cerveau | Imagerie fonctionnelle qui peut être utilisée au repos ou couplée à de nombreuses tâches cognitives Permet une analyse temporelle de la progression du traitement de l’information Mauvaise résolution spatiale |
Magnétoencéphalographie | Des aimants à très basse température étudient les variations magnétiques engendrées par l’activité électrique du cerveau | Utilisée seule ou couplée avec l’EEG, son intérêt réside dans la résolution temporelle et la moindre diffusion du champ magnétique par rapport au champ électrique permettant une localisation plus précise des sources cérébrales actives |
L’imagerie morphologique renseigne sur les structures anatomiques du cerveau. Deux techniques principales sont utilisées : la tomodensitométrie ou scanner, et l’imagerie par résonance magnétique ou IRM. En pratique courante, ces examens sont souvent non contributifs (cf. chap. 3) mais ils permettent certains diagnostics différentiels ou étiologiques (par exemple : tumeur cérébrale). L’IRM connaît d’important développement en recherche grâce à de nouveaux procédés d’analyse d’image comme les techniques de parcellation qui permettent de mesurer des volumes plus petits et donc améliorent la résolution spatiale ; des techniques de tractographie qui permettent la visualisation des trajets de fibres de substance blanche ; l’étude spécifique des sillons cérébraux.
Les techniques d’imagerie fonctionnelle sont utilisées presque exclusivement en recherche. Elles sont aussi résumées dans le tableau 2.1. Plusieurs types de protocoles expérimentaux peuvent être réalisés : enregistrement au repos ; enregistrement en situation symptomatique provoquée ou en imaginée ; enregistrement avant et après traitement ; enregistrement pendant une tâche spécifique, objet de l’étude, le plus souvent simple et facile à répéter. Chaque technique a ses propres spécificités et l’on tient compte de la résolution spatiale, de la résolution temporelle, de la possibilité d’étudier tel ou tel ligand, etc. pour penser les protocoles expérimentaux. Nous ne prendrons ici qu’un seul exemple, celui de l’IRM fonctionnelle ou IRMf (figure 2.1). D’utilisation récente, l’IRMf évalue la consommation d’oxygène dans les tissus par la mesure des variations de la desoxyhémoglobine. Il s’agit d’une méthode d’imagerie puissante et incontournable, car les images sont obtenues très rapidement (de l’ordre de la seconde).
De plus, s’agissant d’une méthode non invasive, elle peut être proposée aux sujets jeunes, et répétée chez un même sujet au cours de la vie sans risque d’irradiation.
Problème de la maturation
ce qui existe à une certaine période de l’évolution et les modifications chronologiques qui se produisent par la suite ;
ce qui existe, disparaît, réapparaît et redisparaît en séquences plus ou moins longues ;
ce qui évolue dans le sens d’une progression fonctionnelle successive et qui s’élabore jusqu’à prendre une certaine forme plus ou moins définitive à partir de laquelle le processus se modifie par des affinements ou par des modifications séquentielles de fonctions.
En outre, l’immaturité est trop souvent assimilée à un manque, à une simplification ou une réduction des propriétés et caractéristiques de la maturité ; l’immaturité ne serait qu’un état simplifié de la maturité. Les travaux les plus récents de neurophysiologie du développement montrent que l’immaturité ne doit pas être définie uniquement en termes de manque : elle comporte ses propres lois de fonctionnement qui doivent être constamment étudiées dans une perspective diachronique. Ainsi J. Scherrer individualise quatre propriétés qui seraient caractéristiques de l’immaturité fonctionnelle d’un système nerveux :
la faiblesse numérique des neurones activés et activables, qui sont toujours moins nombreux que chez l’adulte ;
la lenteur de conduction des signaux ;
la faiblesse du débit des impulsions neuroniques, en rapport avec une transmission synaptique malaisée ;
la sensibilité particulière des neurones à l’environnement lors de certaines phases de développement, sensibilité que l’auteur appelle « plasticité élective ».
Cette immaturité neurophysiologique autorise en outre la « programmation épigénétique du système nerveux central » (Bourguignon, 1981) comme peut en rendre compte, à titre d’exemple, la théorie de la stabilisation sélective des synapses (théorie SSS de Changeux et Danchin, 1976). Cette théorie repose sur la constatation expérimentale chez l’animal que le nombre des synapses va en se réduisant de la naissance à l’âge adulte. Pour J.-P. Changeux et A. Danchin une synapse est soit transitoirement labile, soit définitivement stabilisée, soit dégénérée. Lors de son établissement, chaque synapse entre en compétition avec ses semblables en vue de la réalisation d’une certaine fonction. Par analogie avec la sélection naturelle, la théorie SSS postulerait que seules les synapses les plus actives, les plus stimulées, les plus performantes sont stabilisées tandis que les autres dégénèrent. Les constatations expérimentales des effets de la privation de lumière dans le système visuel du chaton vont dans ce sens : si à une période sensible, les synapses ne reçoivent pas leur activation par stimulation sensorielle, le chaton restera aveugle. En l’absence de la stimulation adéquate, le système synaptique, immature à la naissance, et traversant une phase optimale de sensibilité (chez le chat de la 4e à la 6e semaine) ne s’organise pas ; bien que la structure anatomique et la fonction soient correctement construites, le fonctionnement ne se met pas en place. Toutefois si cette théorie SSS fournit un modèle intéressant et séduisant, jetant un pont entre la structure neurophysiologique et le développement des conduites, elle rend difficilement compte de l’étonnante capacité et aptitude du système nerveux central humain au changement. Selon A. Bourguignon, le « processus d’auto-organisation » conceptualisé par H. Atlan, pourrait en rendre compte en opposant deux sous-systèmes : l’un caractérisé par sa faible redondance et sa stabilité jouerait un rôle en particulier dans les processus de mémorisation ; l’autre, par sa grande redondance serait le siège de cette capacité d’auto-organisation.
Or l’essentiel du mouvement maturatif consiste à apprécier le retentissement diachronique mutuel entre le fonctionnement lui-même (les conduites), la fonction mise en jeu et la structure neuro-anatomique impliquée. Si les structures anatomiques dépendent en grande partie de l’équipement inné, les conduites dépendent étroitement de l’environnement dans lequel évolue le bébé. Ceci explique qu’il est difficile de distinguer dans l’organisation fonctionnelle de l’enfant le non-acquis et l’acquis. En réalité, il serait plus utile de concevoir un continuum de comportements allant de ceux qui sont environnementalement stables et relativement peu influencés par les variations de l’environnement, à ceux qui sont environnementalement labiles. Le comportement antérieurement désigné comme « non appris » ou « instinctif » peut être placé vers l’extrémité stable du continuum, sans que cela implique que l’apprentissage soit absent dans le cours de son développement, et le comportement antérieurement désigné comme « appris » à l’extrémité labile du continuum, sans que cela implique que le code génétique en soit totalement absent. Ainsi, dans une telle perspective, face à une conduite particulière, la séparation arbitraire et simpliste entre l’inné et l’acquis relève plus d’un jeu spéculatif que d’une attitude réellement scientifique. Nous présenterons plus loin des exemples d’interactions gène–environnement qui rendent cette dichotommie caduque.
Problème de la localisation cérébrale
Au vu des premières expérimentations animales, il a semblé hautement probable que cet ensemble fonctionnel intervienne dans les comportements traduisant les émotions, l’expression de l’agressivité (cf. chap. 10) ou les conduites sexuelles. Ces comportements occupent une place privilégiée dans les conduites de socialisation, ce que les expériences de Karli ont bien mis en évidence. Ainsi la destruction bilatérale de l’amygdale chez le singe entraîne une impossibilité de resocialisation. L’animal devient indifférent, s’isole et ne survit pas longtemps : l’amygdale semble jouer un rôle important dans l’élaboration et le contrôle des réactions émotionnelles liées à la socialisation. De même, l’hippocampe semble impliqué dans les processus mnésiques liés à la reconnaissance des lieux familiers. Le rôle de l’amygdale et de l’hippocampe dans la gestion respective des processus émotionnels et mnésiques a depuis été confirmé dans des études en imagerie chez l’homme (Guile, 2007).
Sans prétendre à l’exhaustivité, le tableau 2.2 recense les principales fonctions et comportements qui ont pu être associés à un lobe cortical particulier.
Lobes corticaux | Fonction |
---|---|
Lobes frontaux | Mouvement volontaire, comportement, motivation, fonction exécutive Langage (gauche) Prosodie motrice (droite) |
Lobes temporaux | Audition, mémoire, émotion Compréhension du langage (gauche) Prosodie sensorielle (droite) |
Lobes pariétaux | Sensibilité tactile Fonction visuospatiale (droite) Lecture (gauche), calcul (gauche) |
Lobes occipitaux | Vision Perception visuelle |
D’autre part, certaines fonctions n’ont à ce jour pas pu être associées à une quelconque anatomie cérébrale cohérente. C’est le cas de la conscience ou de l’agentivité (soi versus non-soi) qui sont deux propriétés parmi les plus spécifiques de l’humain. Dans la plupart des études en imagerie fonctionnelle, c’est tout un réseau d’activation qui est constaté et les modélisations les plus abouties évoquent un espace de travail sans isolat anatomique porteur de la fonction.
Problème des déterminants génétiques
Depuis la découverte de l’ADN, substratum de la mémoire du patrimoine génétique, la génétique a pris une importance considérable, parfois même un peu totalitaire. Dès qu’une dimension génétique est retrouvée, elle tend trop rapidement à être comprise dans un lien de causalité directe. En psychiatrie, on peut difficilement faire l’économie des facteurs environnementaux. La notion de vulnérabilité vient combler le chaînon manquant pour retrouver un déterminisme génétique linéaire puisque dans ce modèle l’environnement révèle une vulnérabilité génétique. Cette vision simpliste ne peut plus être retenue aujourd’hui comme nous l’avons esquissé plus haut. Dans la figure 2.2, nous avons cherché à schématiser comment peut intervenir en termes de facteur déterminant d’une psychopathologie un gène ou un groupe de gènes. À chaque fois, un exemple est donné à titre d’illustration. Au préalable deux définitions s’imposent. Celle du génotype qui représente le patrimoine génétique d’un sujet ; celle du phénotype qui est l’expression clinique d’un génotype. Bien que corrélée, ces deux notions ne sont jamais superposables. D’autre part, toutes les mutations que présente un gène dans la nature ne sont pas, loin s’en faut, des mutations pathologiques, c’est-à-dire entraînant un trouble chez un sujet porteur. Lorsqu’un gène présente plusieurs variations normales de sa séquence et/ou de sa fonction, on parle de polymorphisme.
Figure 2.2 Déterminisme, génomique et psychopathologie : principaux types de liens retrouvés.
(modifié d’après Caspi et Moffit, 2006)
Dans une première simplification on peut distinguer trois types de déterminismes différents. Le premier est un déterminisme relativement direct, comme on le retrouve en psychiatrie dans certaines étiologies d’autisme ou de retard mental. Cela dit, la littérature fourmille d’exemples où un enfant, avec la même anomalie génétique causale, présente un phénotype atypique sans trouble autistique et/ou a un retard mental (Cohen et coll., 2005). La deuxième modalité en termes de déterminisme renvoie à la notion d’endophénotype. Le déterminisme génétique porte alors sur une variable intermédiaire appelée endophénotype, elle-même liée à la pathologie. Le modèle de référence le plus classique dans le champ de la santé mentale est l’impulsivité avec l’alcool puisque de très nombreuses études ont montré qu’un polymorphisme du récepteur D2 à la dopamine était lié au niveau d’impulsivité des sujets qui, s’ils étaient exposés à une consommation d’alcool, pouvaient plus fréquemment devenir alcoolo-dépendants ; l’impulsivité jouant le rôle d’un endophénotype comme variable intermédiaire entre la consommation d’alcool et le déterminisme génétique (Limousin et coll., 2003). Dans le champ du trouble des conduites, l’empathie pourrait constituer un bon candidat au statut d’endophénotype, c’est-à-dire de caractéristique intermédiaire. Dans l’étude de Viding et coll. (2005) portant sur 3 600 paires de jumeaux, les auteurs ont étudié l’héritabilité génétique en comparant chez des jumeaux monozygotes et dizygotes l’absence d’empathie en présence ou en l’absence de troubles antisociaux. Si le taux d’héritabilité de l’absence d’empathie s’est avéré tout à fait élevé (67 %), encore plus remarquable est la dissociation des résultats entre sujets antisociaux avec faible empathie pour lesquelles l’héritabilité est de 81 % par rapport aux sujets antisociaux sans trouble de l’empathie, pour lesquels l’héritabilité chute à seulement 30 %. On voit que lorsque le faible développement de l’empathie est associé à des troubles antisociaux, l’influence génétique est forte alors que les influences environnementales apparaissent faibles. Au contraire, lorsque les traits antisociaux sont présents en l’absence de trouble de l’empathie, l’influence génétique est faible alors que l’environnement partagé est fort.
La troisième modalité du déterminisme génétique réside dans la possibilité d’interactions gène–environnement. Ces vingt dernières années, de très nombreux travaux ont investigué cette possible interaction gène–environnement dans le champ de la santé mentale pour des pathologies aussi diverses que la dépression, la schizophrénie, mais également les troubles externalisés (Cohen, 2008). Parmi les très nombreux travaux, nous retiendrons une étude prospective de Caspi et coll. (citée dans Cohen, 2008). Les résultats très impressionnants montrent dans une cohorte néo-zélandaise de 440 garçons, suivis de la naissance à l’âge de 26 ans, que les comportements violents, les troubles des conduites ou la personnalité antisociale étaient associés à des expériences de maltraitance avant l’âge de 11 ans et que cet effet pouvait être modulé par un polymorphisme fonctionnel de la monoamine oxydase A.
La quatrième modalité est plus indirecte, et traduit le fait qu’une modulation génétique peut contribuer à certains effets délétères de l’environnement. Par exemple, la consommation de cigarettes ou d’alcool pendant la grossesse est associée à une plus grande fréquence de troubles externalisés au cours du développement. Cet effet semble modulé par un polymorphisme du transporteur de la dopamine (Cohen, 2008). Enfin, deux points méritent d’être développés quant à la notion de déterminisme génétique et à la notion d’héritabilité. Le premier réside dans le fait que la plupart des modèles animaux de pathologies monogéniques dégénératives montrent que des variations environnementales, comme certains facteurs nutritionnels ou sociaux, peuvent modifier le phénotype de la maladie. Nous développerons plus en détail le second. L’intervention de facteurs de stress et de leur système physiologique de régulation, en particulier au niveau de l’axe hypothalamo-hypophysaire et cortico-surrénalien, est aujourd’hui bien établie en ce qui concerne la santé mentale en général. De très nombreuses pathologies ont été associées à des facteurs de stress (cf. chap. 1). Pourtant, malgré les travaux pionniers de Victor Denenberg dans les années 60–70, le tout génétique des années 80 n’a pas permis d’en comprendre la réelle portée jusqu’aux développements récents et les travaux de l’équipe de Michael Meaney (Francis et coll., 1999). Ces auteurs, à partir de modèles animaux (souris ou rats), ont ainsi démontré que les stress très précoces, les soins maternels et les stress durant la gestation étaient capables d’avoir un impact sur le développement des générations futures à travers l’axe hypothalamo-hypophysaire, mais également à travers des modifications épigénétiques pouvant se transmettre de génération en génération et ce indépendamment du patrimoine génétique des animaux. Sans en faire une revue exhaustive et en ne retenant que les principes généraux démontrés dans ces expériences, on peut lister les points suivants : les expériences précoces ont un effet à long terme sur le comportement et sur les systèmes biologiques, en particulier la séparation mère–bébé ou la qualité des soins maternels ; certaines expériences précoces pourront affecter des générations futures, proposant là un mécanisme de transmission non génomique de traits comportementaux ; l’environnement utérin peut aussi affecter le développement à travers des facteurs environnementaux plutôt que génétiques. Par certains côtés, ces modèles animaux induisent un paradigme véritablement révolutionnaire dans la perspective de prédéterminisme génétique le plus souvent à l’œuvre dans les modèles théoriques. En effet, montrer une transmission trans-générationnelle indépendamment du patrimoine génétique modifie complètement les paradigmes et implique de prendre en compte des interactions non plus seulement unidirectionnelles, mais également bidirectionnelles (Cohen, 2008).
Théories centrées sur le comportement et/ou l’environnement : behaviorisme, éthologie, théories systémiques
Théories behavioristes et néobehavioristes
Contrairement au conditionnement répondant, le conditionnement opérant est sous la volonté de l’animal ; c’est un véritable programme de réalisation, la conduite s’organisant peu à peu à partir d’essais et d’erreurs pour atteindre un but ; enfin par son comportement l’animal modifie la nature de son environnement. Pour Skinner l’ensemble du comportement humain et de l’apprentissage de l’enfant peut se comprendre en termes de conditionnement opérant. Ultérieurement Wolpe appliquera directement ces théories au comportement humain avec les premières tentatives de thérapies comportementales (cf. chap. 27).
Qu’il s’agisse de behaviorisme ou de néobehaviorisme, pour ces théories SR la personnalité n’est qu’un assemblage de conditionnements de plus en plus complexes ; les problèmes de l’image mentale et de la structuration du psychisme sont considérés comme superflus. L’habitude représente la seule structure de base qui maintient le lien entre le stimulus et la réponse ; la dynamique est représentée par la pulsion dans son sens le plus physiologique. En revanche ces théories se sont peu préoccupées du point de vue développemental, aucun stade évolutif n’est décrit chez l’enfant.
Apprentissage vu par l’école russe
Pour Vigotsky cette séquence démontre l’importance de la socialisation ; le geste propre de l’enfant, au départ purement moteur, ne prend un sens que par une intervention sociale externe. Le développement psychique apparaît d’abord comme relevant de « catégories intermentales » (c’est-à-dire engendrées par les relations entre individus) avant de s’organiser en « catégories intramentales » (il faut signaler que ce geste de « pointer du doigt » a été ensuite repris par de très nombreux auteurs [Werner et Kaplan, Bruner] mais c’est Vigotsky qui, sans l’avoir décrit réellement le premier, lui a donné toute son importance).
Éthologie et ses applications : J. Bowlby
Travaux de H. Harlow
Dans une série d’expériences devenues célèbres, Harlow a démontré la nécessité d’un lien d’attachement entre le bébé Rhésus et la mère, ainsi que toutes les implications qu’entraînait ce manque d’attachement.
Ces expériences montrent l’importance du besoin précoce d’attachement et les séquelles durables, voire définitives, qu’une carence précoce d’attachement provoque chez le bébé Rhésus.
Il existe une période sensible au-delà de laquelle la récupération n’est plus possible.
Travaux de J. Bowlby
Dans le domaine psychopathologique Bowlby a décrit, s’inspirant en partie des travaux de Harlow, les réactions de jeunes enfants à une séparation maternelle. Il a isolé chez des enfants de 13 à 32 mois une série de trois grandes phases consécutives à la disparition de la mère (cf. la description chap. 16, Stade de l’inquiétude, moments dépressifs) :
Études éthologiques récentes
Des équipes de plus en plus nombreuses effectuent des recherches sur le nourrisson et le jeune enfant en s’inspirant des principes éthologiques. Ces études se centrent en général sur les interactions mère–enfant ou entre enfants du même âge (observations dans les écoles maternelles ou les crèches). L’accent est mis sur les comportements préverbaux de l’enfant, les travaux récents cherchant à « décrypter » un véritable code de communication préverbale. Ainsi Schaal décrit une réaction précoce d’orientation de la tête du bébé en direction d’un coton imprégné de l’odeur maternelle dès le deuxième jour de vie ; les mères, de leur côté, tournent la tête dès le quatrième jour vers un coton imprégné de l’odeur du bébé. Menneson a tenté d’établir une corrélation entre la gestualité de l’enfant face au miroir et le comportement de l’adulte : face au miroir un enfant seul s’y regarde souvent ; mais en présence d’un adulte l’enfant délaisse le miroir si l’adulte ne s’y regarde pas, et s’observe dans le miroir si l’adulte s’y observe.
Psychologie du développement et sciences de la cognition
Développement cognitif selon J. Piaget
Outre la maturation neurologique, deux séries de facteurs interviennent : d’un côté le rôle de l’exercice et de l’expérience acquise dans l’action effectuée sur les objets ; de l’autre les interactions et transmissions sociales. Ces facteurs issus de trois plans différents concourent à une construction progressive « telle que chaque innovation ne devient possible qu’en fonction de la précédente ». Cette construction a pour objectif de parvenir à un état d’équilibration que Piaget décrit comme « une autorégulation, c’est-à-dire une suite de compensations actives du sujet en réponse aux perturbations extérieures et d’un réglage à la fois rétroactif et anticipateur constituant un système permanent de telle compensation ».
Deux concepts permettent de comprendre ce processus d’adaptation puis d’équilibration : il s’agit de l’assimilation et de l’accommodation. L’assimilation caractérise l’incorporation d’éléments du milieu à la structure de l’individu. L’accommodation caractérise les modifications de la structure de l’individu en fonction des modifications du milieu.
La notion de stade en épistémologie développementale est fondamentale. Elle repose sur les principes suivants :
les stades se caractérisent par un ordre de succession invariant (et non pas une simple chronologie) ;
chaque stade a un caractère intégratif, c’est-à-dire que les structures construites à un âge donné deviennent partie intégrante des structures de l’âge suivant ;
un stade est une structure d’ensemble non réductible à la juxtaposition des sous-unités qui la composent ;
un stade comporte à la fois un niveau de préparation et un niveau d’achèvement ;
dans toute succession de stades, il est nécessaire de distinguer le processus de formation, de genèse, et les formes d’équilibre final.
Période de l’intelligence sensori-motrice
Piaget subdivise cette période préverbale en six stades (exercice réflexe : 0–1 mois ; premières habitudes : 1–4 mois ; adaptations sensori-motrices intentionnelles : 4–8/9 mois ; coordination des schèmes secondaires et application aux situations nouvelles : 9–11/12 mois ; réaction circulaire tertiaire et découverte de moyens nouveaux par expérimentations actives : 11/12 mois–18 mois ; invention de moyens nouveaux par combinaison mentale : 18–24 mois). Le schème d’action y représente l’équivalent fonctionnel des opérations logiques de pensée. Un schème d’action est ce qui est transposable, généralisable ou différenciable d’une situation à la suivante, autrement dit ce qu’il y a de commun aux diverses répétitions ou applications de la même action (Biologie et Connaissance). Exemples de schème d’action : schème de balancer un objet suspendu, de tirer un véhicule, de viser un objectif, ou de façon plus complexe schème de réunion (tout ce qui unit), schème d’ordre (toute conduite de classement). Ces schèmes d’actions motrices représentent ainsi des unités comportementales élémentaires, non liées directement aux objets ; mais ces schèmes d’actions permettent l’assimilation progressive de nouveaux objets en même temps que ces derniers, par accommodation, provoquent l’apparition de nouveaux schèmes. C’est par l’expérience et l’exercice sensori-moteur que s’organisent progressivement les conduites signifiantes et intentionnelles. C’est aussi à partir de l’expérience motrice que se construit une représentation mentale de l’objet.
Période des opérations concrètes (7 à 11–12 ans)
À partir des manipulations concrètes, l’enfant peut saisir à la fois les transformations et les invariants. Il accède à la notion de réversibilité et met en place les premiers groupements opératoires : sériation, classification. La pensée procède par tâtonnements, par aller-retour (opération inverse et réciprocité). Se mettent ainsi en place les notions de conservation de substances (poids, volumes), puis des conservations spatiales et les conservations numériques.