Chapitre 2. La neurobiologie de l’addiction
Mon cas est une sorte de folie, qui est due à une perturbation de la volition, et non des facultés intellectuelles.
Samuel Taylor Coleridge
Rôle de la sensibilisation
La base neurologique de l’addiction, définie comme « la perte de contrôle de la consommation de drogue ou la recherche et la prise compulsives de drogue malgré ses effets délétères », est encore aujourd’hui mal connue [1a]. Ni la tolérance, ni la dépendance physique ne sont des composants essentiels du comportement de recherche chronique de drogue, ce dernier pouvant émerger de nouveau après plusieurs mois ou années d’abstinence au contact d’un stimulus associé à la drogue (par exemple, le matériel destiné à l’administration de la drogue ou un environnement familier), face au stress ou à la substance elle-même [2, 3]. Ce phénomène d’appétence différée ou récidivante présente des analogies évidentes avec la mémoire à long terme et semble être le cœur même de l’addiction [4, 5]. Au cours des 10 dernières années, il a été étudié en termes de « sensibilisation », définie comme « une réponse accrue à une drogue avec exposition répétée à dose constante » [1]. Contrairement à la tolérance, qui est plus facilement induite par une administration continue ou fréquente de faibles doses de drogue, la sensibilisation résulte plus volontiers de l’administration intermittente de fortes doses [6]. Chez certains modèles animaux, la sensibilisation apparaît après plusieurs jours d’abstinence, mais pas lorsque la durée de l’abstinence est plus courte [7]. Il a été démontré que l’acquisition de la sensibilisation et sa rétention font intervenir des structures anatomiques distinctes. Lorsqu’un animal a été sensibilisé, il peut rester hypersensible pendant des mois ou des années aux effets psychomoteurs ou aux récompenses induits par toute exposition ultérieure à la substance [7a].
La tolérance est sans doute un facteur contribuant à l’escalade de la consommation de drogue au cours de l’installation de l’addiction, et la dépendance physique contribue probablement aux symptômes dysphoriques et somatiques responsables des taux élevés de rechute au début du sevrage. La sensibilisation est peut-être la cause du caractère chronique – souvent tout au long de la vie – et récidivant de l’addiction, et en tant que telle elle induit une plasticité à long terme et des « modifications extrêmement stables dans le cerveau » [1].
Les études portant sur cette plasticité réalisées chez l’animal ont mis en évidence non seulement les structures anatomiques et les systèmes de neurotransmetteurs impliqués dans le phénomène, mais également les voies de transduction du signal intracellulaire et les mécanismes de la transcription.
Modèles animaux
Il existe de nombreux modèles animaux permettant d’étudier l’addiction aux drogues [8., 9., 10., 11. and 12.]. Dans les études de discrimination, les animaux apprennent à distinguer une drogue parmi d’autres (ou par rapport à du sérum physiologique) dans le but d’obtenir une récompense ; la généralisation d’une drogue à une autre implique des mécanismes d’action similaires [9, 13, 14]. De plus, de nombreux investigateurs sont convaincus que la capacité d’une drogue à agir comme stimulus discriminant chez les animaux refléterait ses propriétés subjectives de récompense chez l’humain – euphorisantes ou autres. La plupart des drogues ayant un effet addictif chez l’être humain ont la capacité de se comporter comme stimulus discriminatoire chez l’animal [8].
D’autres modèles révèlent de façon plus spécifique le caractère « renforçant » ou « inducteur de récompense » d’une drogue. Dans les modèles de préférence de place conditionnée (PPC), des injections de drogue et de sérum physiologique sont couplées à divers environnements, par exemple l’un des deux compartiments d’une cage. La préférence d’un animal pour l’un ou l’autre des environnements indique que la drogue qui leur est associée a activé le circuit de récompense de l’animal [2]. Certaines drogues produisent une aversion de place conditionnée (APC) à la place de la PPC [15., 16. and 17.].
Un grand nombre de psychostimulants ayant une activité agoniste dopaminergique D 2, tels que la cocaïne, les amphétamines, le méthylphénidate, le bupropion, l’apomorphine et la bromocriptine, produisent une PPC. Il en est de même pour la morphine, l’héroïne et les autres agonistes des récepteurs opioïdes μ. Les antagonistes des récepteurs μ produisent une APC. Les agonistes des récepteurs opioïdes δ sont moins susceptibles de provoquer une PPC que les agonistes μ, et les agonistes κ produisent plus fréquemment une APC qu’une PPC. La PPC induite par la nicotine devient une APC lorsque les doses augmentent, alors que les antagonistes de la nicotine ne produisent ni PPC ni APC. Concernant l’éthanol et les sédatifs, les résultats sont contradictoires : l’éthanol induit à la fois une PPC et une APC, le diazépam et le lorazépam produisent une PPC, le phénobarbital et le pentobarbital produisent une APC et enfin, le γ-hydroxybutyrate produit une PPC. L’antagoniste glutamatergique phencyclidine (PCP) produit soit une PPC, soit une APC, ou n’a aucun effet à ce niveau. Le δ-9-tétrahydrocannabinol produit une PPC lorsqu’il est consommé à faible dose et une APC pour des doses plus fortes. Le diéthylamide de l’acide lysergique (LSD) induit une PPC, tout comme les solvants volatils [17].
De nombreuses études ont été réalisées sur des associations de drogues, et plus précisément sur la capacité d’un agent à empêcher un autre agent de générer une PPC.Ces études ont permis de découvrir, par exemple, qu’une PPC induite par les amphétamines était atténuée par les antagonistes des récepteurs dopaminergiques D 1 et D 2, tandis qu’une PPC produite par la cocaïne était inactivée par un antagonisme D 1 mais pas D 2. Il est apparu que la naloxone bloquait la PPC induite par les amphétamines et par la cocaïne, et que les antagonistes D 1 bloquaient la PPC produite par la morphine. Selon certaines études, les antagonistes D 2 inactivent la PPC générée par la morphine alors que selon d’autres, il n’en est rien. La PPC produite par les psychostimulants est peu influencée par les agonistes et les antagonistes de la sérotonine, alors que la PPC induite par la morphine est bloquée de façon continue par les antagonistes des récepteurs 5HT 3. D’autres études encore se sont intéressées à la PPC survenant dans un contexte particulier, par exemple après l’injection intracrânienne de drogue, lors de lésions du cerveau, chez différentes souches d’animaux,chez des animaux génétiquement modifiés, et en relation avec la dose, la tolérance et la sensibilisation [17].
Dans d’autres modèles, les évaluations portent sur la capacité des drogues à abaisser le seuil d’autostimulation via des électrodes implantées dans les zones de récompense, qui englobent le circuit allant de l’aire tegmentale ventrale (ATV) au noyau accumbens (Acc) [ou NACC] en passant par le faisceau médian du télencéphale (FMT) [18].
Dans les modèles d’autoadministration, les animaux ingèrent ou s’auto-injectent des drogues, soit dans l’organisme entier, soit dans diverses zones du cerveau, et en particulier les zones de récompense [3., 4. and 5., 19]. Sur ces modèles, lorsque l’auto-injection d’une drogue spécifique augmente le taux de réponse obtenue à d’autres occasions,laréponseestdite opérante et l’injection de drogue est dite renforçante. Plusieurs schémas de renforcement sont appliqués selon que la substance renforçante est administrée après un nombre donné de réponses (schémas de rapport) ou au terme de l’écoulement d’une durée déterminée après une réponse (schémas d’intervalle) [20]. Dans les schémas de rapport, le nombre de réponses nécessaires pour entraîner une injection peut être constant (rapport fixe), augmenter en fonction du temps (rapport progressif) ou varier de façon irrégulière d’une injection à l’autre (rapport variable). Dans les schémas de rapport progressif, le nombre de réponses nécessaires pour obtenir la substance à partir duquel les réponses diminuent ou cessent est appelé « point de rupture ».
Le comportement de recherche de drogue comporte deux phases : l’acquisition et la rétention. Pour mesurer l’acquisition, des tests à rapport fixe sont pratiqués afin de déterminer à quelle vitesse un animal apprend à s’autoadministrer une drogue. La rétention est quant à elle mesurée par des tests à rapport progressif qui permettent de déterminer l’effet renforçant d’une drogue après installation de l’addiction. On définit généralement le risque d’addiction ( addiction liability) en termes d’acquisition. Selon ce critère, la cocaïne comporte un risque d’addiction plus fort que l’héroïne car après 5 j de tests, 70 % des animaux apprennent à s’autoadministrer la cocaïne alors qu’ils ne sont que 30 % à s’autoadministrer l’héroïne. Le risque d’addiction de l’éthanol est beaucoup moins élevé que celui de ces deux substances [21].
Lorsqu’un animal est soumis à un traitement pharmacologique (par exemple,par un antagoniste de la dopamine) préalable à l’administration d’une drogue, l’augmentation du taux d’autoadministration qui s’ensuit est couramment interprétée comme le reflet d’une diminution de l’effet renforçant : l’augmentation de l’autoadministration sert à compenser cette baisse. En fait, ce point de vue ne fait pas l’unanimité et les différences constatées entre les résultats obtenus avec un rapport fixe et avec un rapport progressif font douter de la fiabilité de l’utilisation du taux de la prise de drogue comme indicateur des propriétés renforçantes d’une drogue [22]. En outre, les effets directs des drogues elles-mêmes contribuent à compliquer davantage les études d’autoadministration. Ainsi, l’augmentation des taux d’autoadministration de cocaïne pourrait être secondaire à l’augmentation de l’activité motrice plutôt que la conséquence des propriétés renforçantes de la cocaïne, et la baisse des taux de réponse pourrait se produire lorsque la quantité de drogue administrée est suffisante pour perturber le comportement.De tels effets confondants varient en fonction du schéma de renforcement choisi.
Des études d’autoadministration révèlent que les animaux s’autoadministrent la plupart des drogues responsables d’abus chez l’humain : éthanol, opioïdes, amphétamines, cocaïne, barbituriques, benzodiazépines, PCP et nicotine. Ils ne s’autoadministrent pas les substances hallucinogènes telles que le LSD et s’autoadministrent des drogues qui ne sont pas à l’origine d’abus chez l’humain : apomorphine, kétocyclazocine et procaïne. Les résultats de ces études pour ce qui concerne les cannabinoïdes, la caféine et le 3,4-méthylènedioxyméthamphétamine (MDMA, « ecstasy ») sont contradictoires [23].
Il existe des différentes frappantes dans la façon dont les animaux s’autoadministrent des drogues activant le circuit de récompense. Par exemple, pour les amphétamines, les périodes d’autoadministration ont tendance à alterner avec des périodes d’abstinence autoimposée ; lorsque du sérum physiologique est substitué à la substance, l’autoadministration se poursuit pendant quelques heures pour finalement cesser. Avec la morphine, les doses autoadministrées augmentent quotidiennement et de façon progressive, évitant ainsi la toxicité et les signes de sevrage ; en cas de substitution par du sérum physiologique, l’animal continue l’autoadministration pendant plusieurs semaines [22., 23., 24., 25. and 26.]. On peut penser que de la même façon, les consommateurs abusifs humains d’amphétamines par voie parentérale ont tendance à se « consumer » au bout de quelques années alors qu’avec les opioïdes, la dépendance physique et psychique peut demeurer plusieurs décennies [27, 28].
Neuroanatomie de la récompense
Circuit de récompense
Comme nous venons de le voir, un événement renforçant augmente la probabilité d’une réponse. La récompense est définie de la même façon, avec en sus la notion de plaisir affectif [29]. En 1954, au cours d’une étude chez le rat, Olds et Milner ont constaté que la stimulation électrique de certaines parties du cerveau, et en particulier de la région septale, avait un effet de renforcement positif : les animaux appuyaient continuellement sur les leviers pour s’autostimuler [30]. Une recherche plus poussée a permis de découvrir que la stimulation de nombreuses autres aires (motrices, sensitives et associatives) entraînait également l’activation de la récompense. Les sites les plus sensibles ont été identifiés le long du FMT, en particulier au niveau de l’hypothalamus latéral et de l’ATV. Le FMT a ainsi été considéré comme l’une des voies terminales fréquemment employées dans le circuit de récompense, avec pour composants principaux des fibres dopaminergiques se projetant en direction rostrale à partir des neurones de l’ATV vers des zones du cerveau antérieur incluant l’Acc, le cortex limbique et l’amygdale [31]. L’étude considérait que son rôle était de « convertir les émotionsen actions motivées » en filtrant les signaux issus du système limbique, signaux dont l’utilité finale est la production d’actes moteurs via des influx extrapyramidaux sortants [29]. Des lésions de ce système entraînaient une baisse de l’activité locomotrice normalement provoquée par un environnement inconnu, une diminution de la distraction généralement associée à des informations incohérentes, des difficultés lors de certaines tâches d’apprentissage et une persévération [29, 32].
On estime que le circuit de récompense est le substrat anatomique et physiologique non seulement de l’addiction aux drogues, mais également de la récompense qui est générée lorsque l’on mange et boit ainsi que pendant l’activité sexuelle [33]. Il est évident qu’un tel système ne se compose pas uniquement de fibres dopaminergiques se projetant en direction rostrale. En fait, plus de 50 systèmes de fibres traversent le FMT et des études électrophysiologiques ont révélé que la plupart des fibres du FMT qui transmettent la récompense induite par l’autostimulation électrique se projettent en direction caudale [31]. Certaines fibres se projettent dans l’ATV, où les neurones dopaminergiques dont les seuils de stimulation sont trop élevés pour être directement activés par des électrodes peuvent l’être de façon indirecte par l’intermédiaire des synapses. D’autres fibres du FMT activées de façon directe se projettent en direction caudale vers le noyau pédonculopontin et d’autres noyaux tegmentaux du tronc cérébral, qui projettent à leur tour vers l’ATV [34]. Bien que cela n’ait pas encore été démontré, il est possible que ces fibres cholinergiques ascendantes participent à la « première étape » du processus d’activation occasionné par la stimulation électrique du FMT.
Le circuit de récompense est par conséquent plus qu’un simple câble dopaminergique se projetant en direction rostrale. Le rôle précis que ce circuit complexe joue dans le phénomène d’addiction reste à déterminer. Plusieurs théories ont été formulées [35]. Selon les théories hédoniques de l’addiction, les systèmes mésocorticolimbiques sont les médiateurs du plaisir procuré par les drogues addictives ainsi que du déplaisir (anhédonie) provoqué par le sevrage. En d’autres termes, une cellule dopaminergique libérant directement la dopamine produit les réponses subjectives de la récompense induite par une drogue [36]. En revanche, pour les théoriciens de l’apprentissage de l’addiction, ce sont les mécanismes sensibilisés de l’apprentissage stimulus-réponse et la prédiction de la récompense qui entraînent l’ancrage de la consommation de drogues. En d’autres termes, les projections dopaminergiques mésocorticolimbiques, au lieu de provoquer un plaisir subjectif de manière directe, ciblent des stimulus prédisant une récompense [4, 37., 38. and 39., 39a]. Enfin, les théories de la sensibilisation-motivation de l’addiction ( sensitization-incentive theories) suggèrent que les drogues sensibilisent les « substrats mésocorticolimbiques où la motivation est prépondérante ». En d’autres mots, une personne dépendante peut « vouloir » une drogue plus qu’elle ne l’« apprécie » [35, 40., 41., 42. and 42a.].
Structures composant le circuit de récompense
Aire tegmentale ventrale
L’ATV contient des neurones dopaminergiques qui se projettent via le FMT vers l’Acc, le tubercule olfactif,le cortex frontal,l’amygdale et les régions septales. L’activité de ces neurones est modulée par l’influence de nombreux neurotransmetteurs [43]. La libération somatodendritique de dopamine produit un rétrocontrôle négatif par l’intermédiaire des autorécepteurs dopaminergiques D 2,et l’inhibition est ensuite fournie par les neurones GABAergiques au sein de l’ATV. Des afférences du cortex, du tronc cérébral, du thalamus et d’autres régions limbiques exercent un contrôle inhibiteur et excitateur supplémentaire : il s’agit d’afférences sérotoninergique, noradrénergique, cholinergique, GABAergique, glutamatergique et peptidique faisant synapse avec les corps cellulaires dopaminergiques ou les interneurones GABAergiques locaux. En inhibant les interneurones GABAergiques (via les récepteurs μ et δ mais pas les récepteurs κ), les opioïdes augmentent de façon indirecte la décharge des neurones dopaminergiques [44]. Les agonistes opioïdes μ et δ sont autoadministrés dans l’ATV tandis que la cocaïne et les amphétamines ne le sont pas [45., 46. and 47.]. L’administration dans l’ATV d’agonistes cholinergiques nicotiniques entraîne une récompense, sans doute en activant des récepteurs nicotiniques excitateurs sur les neurones dopaminergiques [48].
Noyau accumbens
L’Acc se compose de trois parties : l’écorce ( shell), le cœur ( core) et le pôle rostral ( rostral pole), qui sont bien distincts au niveau anatomique et pharmacologique chez les rongeurs [49., 50., 51. and 52.]. Chez l’humain, l’Acc est anatomiquement situé dans la continuité du striatum et est souvent identifié par le nom de « striatum ventral ». Dans le domaine de l’abus des drogues, la partie la plus importante de l’Acc est l’écorce : l’administration systémique aiguë d’une drogue aux propriétés renforçantes chez l’animal, quelle qu’elle soit, augmente les taux extracellulaires de dopamine dans cette structure [53]. Les afférents glutamatergiques de l’Acc proviennent du cortex préfrontal médian, de l’amygdale et de l’hippocampe, et le circuit de récompense est activé lorsque ces zones sont stimulées électriquement. Le contrôle inhibiteur est principalement exercé par des interneurones GABAergiques et cholinergiques ainsi que par les récepteurs opioïdes post-synaptiques μ et δ. Chacune des projections efférentes de l’Acc provient des neurones moyens épineux GABAergiques [53a]. Une voie retourne vers l’ATV, formant ainsi une boucle de rétrocontrôle directe ATV-Acc-ATV. Une seconde voie fait synapse dans le pallidum ventral (PV) qui se projette à son tour dans l’ATV, formant cette fois une boucle de rétrocontrôle indirecte ATV-Acc-PV-ATV (figures 2.1 et 2.2) [1, 45]. Les neurones GABAergiques de l’Acc se projetant directement dans l’ATV contiennent de la dynorphine et de la substance P ; les neurones GABAergiques de l’Acc qui se projettent indirectement dans l’ATV via le PV contiennent des enképhalines [53b]. Il existe également des projections vers le noyau pédonculopontin, situé dans le mésencéphale, le noyau dorsomédian du thalamus, l’aire préoptique et l’hypothalamus latéral. Les zones vers lesquelles les projections sont les moins nombreuses sont le septum, l’amygdale et le noyau basal de Meynert.
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Figure 2.1 Les composants principaux du circuit de la récompense. VTA : ventral tegmental area = ATV : aire tegmentale ventrale NA : nucleus accumbens = Acc (ou NACC) : noyau accumbens. mPFC : medial prefrontal cortex = mPFC : cortex préfrontal médian. VP : ventral pallidum = PV : pallidum ventral. DA : dopamine. Glu : glutamate. GABA : γ-aminobutyric acid = GABA : acide γ-aminobutyrique. (Adapté de McBride WJ, Murphy JM, Ikemoto S. Localization of brain renforcement mechanisms : intracranial self-administration and intracranial place-conditioning studies. Behav Brain Res 1999 ; 101 : 129.) |
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Figure 2.2 Interactions au sein du noyau accumbens (Acc). Le renforcement survient lorsque les neurones épineux GABAergiques à projection sont inhibés. L’activation des récepteurs dopaminergiques sur ces neurones GABAergiques réduit leur fréquence de décharge et entraîne le début du renforcement. L’activation des récepteurs dopaminergiques sur les influx glutamatergiques entrant dans l’Acc génère une inhibition supplémentaire indirecte de l’influx GABAergique sortant. Les opioïdes créent le renforcement en inhibant directement les neurones GABAergiques à projection. Ils produisent également ce renforcement en inhibant les interneurones GABAergiques dans l’ATV, désinhibant ainsi les neurones dopaminergiques de l’ATV et accentuant la libération de dopamine dans l’Acc. AMYG : amygdala = AMYG : amygdale. HIP : hippocampus = HIP : hippocampe. EAA : excitatory amino acid receptor = AAE : récepteur aux acides aminés excitateurs. D 1/D 2 : dopamine receptor = D 1/D 2 : récepteurs dopaminergiques. Les récepteurs hachurés sont inhibiteurs, les récepteurs colorés en noir sont excitateurs. (Adapté de McBride WJ, Murphy JM, Ikemoto S. Localization of brain renforcement mechanisms : intracranial self-administration and intracranial place-conditioning studies. Behav Brain Res 1999 ; 101 : 129.) |
La dopamine envoyée dans l’Acc provient de l’ATV et les drogues addictives ayant des mécanismes d’action différents facilitent la libération de dopamine à partir des neurones de l’ATV projetant dans l’Acc [53c]. Comme dans le striatum (où les afférents dopaminergiques sont issus de la substance noire [SN] pars compacta), l’expression des récepteurs dopaminergiques D 1 dans l’Acc est corrélée à celle de la substance P, tandis que l’expression des récepteurs D 2 est corrélée à l’expression des enképhalines [54]. Les récepteurs D 1 et D 2 ne se situent pas aux mêmes endroits mais les récepteurs D 3 (corrélés à l’expression de la substance P) se trouvent dans des sousensembles de neurones exprimant les récepteurs D 1 et D 2 [55]. Le caractère inhibiteur ou excitateur des récepteurs dopaminergiques dans le striatum et l’Acc est depuis longtemps l’objet d’une controverse. En fait, selon l’état du neurone, ils peuvent être l’un ou l’autre [56]. Les neurones moyens épineux GABAergiques de l’Acc et du striatum évoluent d’un état membranaire à un autre, dénommés états up et down. Les neurones qui se trouvent en état down sont hyperpolarisés, mais lorsqu’ils reçoivent une impulsion synaptique excitatrice temporairement convergente (par exemple, de l’hippocampe à l’Acc), ils se dépolarisent pour entrer en état up, à proximité du seuil de production de pics. Dans l’Acc se trouvent des microzones de transitions d’état fortement corrélées, liées par leur fonction [57]. L’activation des récepteurs dopaminergiques D 1 interrompt le passage de l’état down à l’état up, mais lorsqu’un neurone a atteint l’état up, l’activation des récepteurs D 1 accroît l’apparition de pics, sans doute en augmentant les courants Ca 2+ de type L et, de façon indirecte, les potentiels post-synaptiques excitateurs (PPSE) médiés par les récepteurs AMPA (α-amino-3-hydroxy-5-méthyl-4-isoxazole propionate) et NMDA ( N-méthyl-Daspartate) du glutamate. Ainsi, la stimulation du récepteur D 1 active de façon sélective des ensembles neuronaux recevant un influx excitateur fortement convergent et augmente alors le rapport signal/bruit [56]. Cette modulation des cellules cibles en fonction de l’état, générée par la dopamine, est probablement la raison pour laquelle il est apparu dans des études que les récepteurs dopaminergiques peuvent être à la fois excitateurs et inhibiteurs, et explique certainement les descriptions contradictoires des réponses aux drogues.
Les neurones moyens épineux GABAergiques de l’Acc expriment des récepteurs opioïdes μ et δ et sont inhibés par la morphine. Les agonistes opioïdes μ, δ, mais pas κ sont autoadministrés dans l’Acc ; cet effet est indépendant de la dopamine et persiste même après que les efférents de l’ATV vers l’Acc ont été bloqués [58., 59. and 60.]. Les amphétamines et la cocaïne sont elles aussi autoadministrées dans l’Acc et cette réponse est dépendante de la dopamine (si les premiers rapports sur le sujet affirmaient que la cocaïne n’était pas autoadministrée dans l’Acc, c’est probablement soit parce que le dosage était inadapté, soit parce que l’injection se faisait dans le cœur plutôt que dans l’écorce) [45]. L’administration de PCP dans l’Acc n’est pas dépendante de la dopamine ; il est probable que cette substance bloque l’excitation glutamatergique des neurones moyens épineux [61]. L’effet net de l’administration des opioïdes, des psychostimulants et du PCP semble donc être l’inhibition des efférents des neurones épineux GABAergiques (on présume que l’explication du phénomène d’activation du circuit de récompense chez les animaux par la stimulation électrique est que d’autres éléments de l’Acc que les neurones moyens épineux sont activés de manière préférentielle [31]).
Cortex préfrontal médial
Le cortex préfrontal médial ( medial prefrontal cortex [mPFC]) reçoit des afférents dopaminergiques issus de l’ATV et envoie des efférents glutamatergiques vers l’ATV, l’Acc et d’autres zones encore. Les animaux s’autoadministrent la cocaïne dans le mPFC. Ils s’administrent également le PCP dans le mPFC, et ces injections augmentent le renouvellement de la dopamine dans l’Acc [31, 61, 62]. Étonnamment, les animaux ne s’autoadministrent pas les amphétamines dans le mPFC [63, 63a] et l’injection des opioïdes dans cette zone n’entraîne pas non plus de récompense [64]. Néanmoins, il faut noter que le mPFC n’est pas une structure homogène et que des lésions à divers endroits produisent des réponses de PPC et de sensibilisation différentes à la cocaïne, aux amphétamines et à la morphine. À l’intérieur du mPFC, le cortex cingulaire antérieur semble jouer un rôle significatif dans le conditionnement pavlovien [65].
Pallidum ventral
Comme nous l’avons vu précédemment, le PV reçoit une projection GABAergique inhibitrice majeure de l’Acc et projette en retour vers l’ATV et d’autres zones limbiques, thalamiques et mésencéphaliques comprenant notamment le noyau dorsomédian du thalamus, qui est à son tour lié sur un plan de réciprocité au cortex préfrontal [65a]. En plus de moduler la sortie dopaminergique de l’ATV, le PV transmet également des informations de l’Acc vers les systèmes de neurones impliqués dans la réponse motrice, c’est-à-dire le comportement de recherche de drogue. Le PV est nécessaire à l’hyperactivité générée par la drogue. Les animaux autostimulent électriquement leur PV, et s’y autoadministrent également les amphétamines et la cocaïne [60, 66]. Les agents qui, de façon directe ou indirecte, inhibent les neurones moyens épineux GABAergiques de l’Acc désinhibent le PV et activent le renforcement [45, 66a].
On peut considérer l’ensemble Acc-PV comme les éléments d’un « système striatopallidal ventral », analogue au système striatopallidal dorsal (putamen, noyau caudé et globus pallidus). Ils sont d’ailleurs tous deux adjacents et formés de projections corticostriato-pallido-corticales parallèles, et chacun est fondamentalement un circuit réentrant cortico-sous-cortical [65a]. Le système dorsal, principalement lié au cortex moteur et à l’aire motrice supplémentaire, entre en jeu dans la planification motrice, tandis que le système ventral est principalement lié aux aires préfrontale et limbique et entre en jeu dans les émotions et les récompenses.
Striatum dorsal
Contrairement à l’Acc (striatum ventral), dont les afférences principales sont issues des structures limbiques et du mPFC, le noyau caudé et le putamen (striatum dorsal) reçoivent des afférences provenant des cortex sensitivomoteur et cérébral associatif. Le striatum ventral communique avec le striatum dorsal par l’intermédiaire de relais synaptiques récurrents dans le mésencéphale (qui comprend les projections dopaminergiques de la SN). Cette voie est probablement impliquée dans les tout derniersstadesdel’addiction.Lestriatumdorsal est considéré comme le « centre cérébral de la formation des habitudes » [66b]. Une certaine plasticité synaptique du striatum peut s’avérer nécessaire à l’évolution entre usage et addiction à une drogue, l’addiction étant une forme d’habitude ressemblant au trouble obsessionnel compulsif et au syndrome de Gilles de la Tourette (qui joue également sur les circuits du striatum dorsal).
Amygdale
L’amygdale contient trois noyaux principaux. Le noyau corticomédial reçoit des afférents majoritairement olfactifs et se projette dans les noyaux ventromédians de l’hypothalamus. Le noyau basolatéral reçoit des informations provenant de tous les modules sensitifs et transmet ces informations au noyau central, qui possède deux projections efférentes principales. La strie terminale se projette vers l’hypothalamus, le noyau du lit de la strie terminale et l’Acc.La voie amygdalofuge ventrale se projette dans le tronc cérébral, le thalamus, le gyrus cingulaire et le cortex orbitofrontal. L’amygdale joue un rôle prépondérant dans les processus de récompense et d’apprentissage. L’expression végétative des états émotionnels est médiée par des connexions entre l’amygdale et l’hypothalamus, tandis que les émotions conscientes sont médiées par des connexions entre le cortex cingulaire et préfrontal [67].
La cytoarchitecture cellulaire et les circuits du noyau central de l’amygdale (CeA) présentent des similarités avec l’écorce de l’Acc et le noyau du lit de la strie terminale, ce qui laisse penser que ces structures – qui lorsqu’elles sont considérées comme une unité sont appelées « amygdale étendue » – forment un substrat anatomique commun pour l’« interface limbique-motrice » ou, plus précisément, pour les récompenses aiguës associées aux drogues et pour l’usage compulsif de drogue ainsi que, semblerait-il, pour les effets négatifs de l’administration compulsive de drogue sur la fonction de récompense [53a, 62, 67a, 68]. Ces trois éléments de l’amygdale étendue reçoivent de la dopamine en provenance de l’ATV et du glutamate venant du noyau basolatéral de l’amygdale [69]. Ils reçoivent également des afférences de l’hippocampe et envoient des projections importantes vers le PV et l’hypothalamus. Une micro-injection de différents neurotransmetteurs agonistes et antagonistes dans le CeA modifie les réponses induites par diverses drogues : éthanol, cocaïne, morphine, nicotine et tétrahydrocannabinol. Des lésions dans le CeA éliminent les effets potentiateurs des psychostimulants sur les réponses obtenues par un renforcement conditionné. Des effets semblables sont également constatés à la suite de lésions de l’écorce de l’Acc, confirmant les similitudes entre le CeA et l’Acc. Néanmoins, certaines manipulations du CeA et de l’écorce de l’Acc produisent des effets différents. Par exemple, les lésions du CeA éliminent le conditionnement pavlovien aversif – pas les lésions de l’écorce de l’Acc. L’amygdale étendue n’est donc pas totalement homogène sur le plan fonctionnel et pour certains anatomistes, le terme « amygdale étendue » s’applique uniquement au CeA et au noyau du lit de la strie terminale [65a].
Hypothalamus
Les aires préoptique et basolatérale de l’hypothalamus reçoivent un influx direct en provenance de l’écorce de l’Acc et sont directement interconnectées à l’amygdale, à l’hippocampe et à d’autres structures limbiques. Les animaux s’autoadministrent la morphine dans l’hypothalamus latéral et selon d’autres études, utilisant des ligands plus sélectifs, les récepteurs opioïdes δ sont plus importants que les récepteurs μ et κ dans le processus de récompense hypothalamique [45, 60, 70, 71].
Hippocampe
L’hippocampe, indispensable aux fonctions de mémoire déclarative et d’apprentissage, envoie des projections glutamatergiques directement vers l’Acc, à l’intérieur duquel ce courant excitateur est modulé par un courant présynaptique inhibiteur en provenance des neurones cholinergiques locaux. Ces projections sont également modulées au sein de l’hippocampe par un courant issu des cortex préfrontal et entorhinal, de l’amygdale et du thalamus. Les animaux s’autoadministrent la morphine dans l’hippocampe, en particulier dans la région C3, riche en récepteurs opioïdes. L’hippocampe ne semble pas avoir d’effet sur la récompense des psychostimulants [60].
Noyau tegmental pédonculopontin
Le noyau pédonculopontin tegmental (NPPT) contient des neurones cholinergiques et glutamatergiques. Les projections inhibitrices GABAergiques provenant des ganglions de la base (striatum), de l’Acc et du PV font synapse en grande partie avec les cellules non cholinergiques. Le NPPT projette à la fois en direction rostrale et caudale : les projections cholinergiques principales sont dirigées vers la SN, le thalamus, l’hypothalamus latéral et l’amygdale. Il projette également vers l’ATV, le pons postérieur, le bulbe rachidien, le cervelet et la moelle épinière. Il semble donc que le NPPT serve d’interface supplémentaire entre les informations limbiques/motivationnelles et les réponses motrices complexes. Des lésions du NPPT élèvent le seuil du renforcement des opioïdes et des psychostimulants [60, 72, 73].
Habenula et faisceau rétroflexe
L’influx principal vers les noyaux de l’habenula (médiale et latérale) provient de la strie médullaire, qui contient des projections de la région septale (en grande partie cholinergiques), la bandelette diagonale de Broca, l’Acc,l’hypothalamus,le cortex frontal,le globus pallidus (principalement GABAergiques), les noyaux du raphé, la substance grise périaqueducale du mésencéphale (SGPA), l’ATV et la SN.Les influx issus de l’ATV et de la SN sont dopaminergiques. Les projections efférentes de l’habenula traversent le faisceau rétroflexe et se dirigent vers le noyau interpédonculaire, l’ATV, les noyaux du raphé, la SN et plusieurs noyaux thalamiques et hypothalamiques. En toute logique, du fait du vaste réseau de connexions de l’habenula, des lésions de cette dernière entraînent des modifications de l’autostimulation électrique. L’habenula et le faisceau rétroflexe semblent être particulièrement vulnérables aux dommages infligés par l’administration répétée de psychostimulants [74] (voir le chapitre 4).
Autres zones
Circuit de la récompense et mémoire
Considéré comme une manifestation de l’apprentissage, le renforcement des drogues met en jeu des systèmes séparables de la mémoire et leurs substrats anatomiques [76]. Au moins trois formes de mémoire interviennent dans le renforcement. L’apprentissage motivationnel (conditionnement pavlovien classique aux composants autonomes, activateurs comportementaux et orienteurs de stimulus) génère des réponses renforçantes ou aversives et dépend de stimulus conditionnants, externes (c’est-à-dire l’environnement) ou internes (c’est-à-dire l’effet subjectif produit par une drogue). Cette forme de mémoire est inconsciente (« implicite ») et requiert l’intervention de l’amygdale. On pense qu’elle contribue au phénomène d’appétence [77]. L’apprentissage par habitude (conditionnement instrumental) fait appel aux réponses motrices répétitives (par exemple, appuyer sur une barre pour s’autoadministrer une drogue) réalisées en présence de stimulus liés à la drogue (là aussi, internes ou externes). L’apprentissage par habitude, qui est également inconscient, implique le noyau caudé et le putamen [78].Parce qu’ils sont inconscients,les apprentissages motivationnel et par habitude entraînent des comportements nécessitant des explications a posteriori. Celles-ci sont fournies par la mémoire déclarative, qui évalue les informations en rapport avec la drogue (y compris le contexte environnemental et les états affectifs) à un niveau de cognition conscient. Pour certains chercheurs, l’écorce de l’Acc intervient de façon préférentielle dans l’apprentissage motivationnel tandis que le cœur de l’Acc intervient dans l’apprentissage par habitude [79]. L’hippocampe joue un rôle déterminant dans le processus conscient qu’est la mémoire déclarative. Bien que différentes drogues partagent les mêmes substrats anatomiques, elles n’interagissent pas de la même façon avec ces systèmes de mémoire.
Systèmes de neurotransmetteurs et récompense
Neurotransmetteurs et neuromodulateurs
Dopamine
Comme nous l’avons vu, les propriétés dépolarisantes ou hyperpolarisantes de la dopamine sur les neurones cibles dépend de l’état de la membrane de ces neurones. La dopamine touche indirectement les potentiels postsynaptiques de la membrane par l’intermédiaire de la protéine G et des systèmes de seconds messagers (voir plus bas). Les récepteurs dopaminergiques type-D 2 (comprenant les sous-ensembles D 2, D 3 et D 4) et type-D 1 (comprenant les sous-ensembles D 1 et D 5), bien qu’ayant des effets opposés sur les systèmes de seconds messagers, médient chacun des effets renforçants directs, indépendamment les uns des autres [80, 81]. Des études chez l’être humain à l’aide de la tomographie par émission de positons (TEP) et d’un ligand du récepteur D 2 ([ 11C]raclopride) ont établi que la perception des effets de récompense induits par les psychostimulants était corrélée au niveau d’activation des récepteurs D 2 [78]. Il est apparu, chez l’être humain n’abusant pas des drogues soumis à une administration de psychostimulants, que les personnes décrivant les effets de la drogue comme plaisants avaient des taux plus bas de récepteurs D 2 (mesurés par TEP) que celles pour qui les effets étaient déplaisants. Il semble ainsi qu’il existe un intervalle de valeurs dans lequel la stimulation des récepteurs D 2 est perçue comme renforçante : une stimulation trop faible serait insuffisante, mais une stimulation trop importante deviendrait aversive [82].
Les animaux s’autoadministrent les agonistes sélectifs des récepteurs D 1 et D 2, et les antagonistes D 1, D 2 et D 3 contribuent tous trois à atténuer les effets de récompense des drogues psychostimulantes [83., 84., 85., 86. and 87.]. Les agonistes D 2 sélectifs des autorécepteurs (qui inhibent la libération de dopamine par rétrocontrôle négatif) ne sont pas autoadministrés. Des études portant sur les agonistes et antagonistes des récepteurs D 3 indiquent que ces récepteurs auraient une fonction au sein du processus d’addiction aux drogues [88., 89., 90., 91. and 92.]. Les résultats d’études sur les effets de la clozapine, un antagoniste préférentiel D 4, sur le renforcement de la cocaïne sont contradictoires, sans doute parce que la clozapine touche d’autres récepteurs. Les neurones dopaminergiques mésocorticolimbiques présentent une densité de récepteurs D 3 et D 4 plus élevée que les neurones dopaminergiques nigrostriataux [93]. Les souris KO ( knock-out) chez qui manquent les récepteurs D 4 sont très sensibles aux effets de stimulation locomotrice de la cocaïne, de la méthamphétamine et de l’éthanol (la stimulation locomotrice est considérée comme l’équivalent chez les souris de l’euphorie de l’humain) [94].
Des études portant sur les effets des agonistes et antagonistes dopaminergiques D 1 et D 2 sur le renforcement des opioïdes s’avèrent elles aussi contradictoires, probablement parce que le renforcement des opioïdes est dépendant de la dopamine au niveau de l’ATV et indépendant de la dopamine au niveau de l’Acc [95., 96. and 97a.]. Des résultats tout aussi discordants ont été obtenus dans des études sur le renforcement de l’éthanol et des sédatifs, mais il est malgré tout important de garder à l’esprit que, comme nous l’avons dit plus haut, l’administration aiguë de toutes les drogues renforçantes augmente les taux de dopamine extracellulaire dans l’écorce de l’Acc [62]. À l’opposé, pendant le sevrage de drogues renforçantes, le taux de dopamine extracellulaire diminue dans l’Acc (ce qui reflète la diminution des taux de décharge dopaminergique et non du nombre de neurones spontanément actifs) [98]. Le sevrage de la consommation des psychostimulants, des opioïdes, de l’éthanol, du d-9-tétrahydrocannabinol et de la nicotine, indiquant également des modifications adaptatives, est associé à un seuil élevé d’autostimulation cérébrale intracrânienne [53, 62].
Sérotonine
La majorité des 14 sous-types de récepteurs 5HT connus sont métabotropiques, et activent les voies de signalisation liées à la protéine G, mais le récepteur 5HT 3 est ionotropique, avec un canal ionique ligand-dépendant. Les effets de la sérotonine sur le circuit de la récompense sont difficilement observables du fait de la variété de récepteurs 5HT. Chez l’animal, l’élévation des taux de sérotonine dans le cerveau par un régime alimentaire riche en tryptophane entraîne la réduction de l’autoadministration de psychostimulants ; l’administration d’un inhibiteur de la recapture de la sérotonine (la fluoxétine) réduit l’autoadministration de psychostimulants, d’héroïne et d’éthanol [99., 100., 101. and 102.]. Ces observations pourraient indiquer soit une diminution de la récompense (c’est-à-dire une diminution de la motivation pour s’administrer la drogue), soit une augmentation de la récompense (c’est-à-dire qu’une dose plus faible est suffisante pour obtenir l’effet recherché). En faveur de la première hypothèse, des études ont permis de constater que l’augmentation des taux de sérotonine abaisse le point de rupture lors d’autoadministrations en rapport progressif programmé et qu’un agoniste de l’autorécepteur 5HT 1 (qui réduirait l’activité sérotoninergique) génère un conditionnement de préférence de place [103, 104]. Les administrations aiguës d’opioïdes, via les récepteurs μ, désinhibent les neurones sérotoninergiques du tronc cérébral en supprimant les projections GABAergiques inhibitrices dirigées vers eux. En revanche, l’administration chronique de morphine induit une augmentation de l’influx GABAergique, ayant pour conséquence la diminution de l’activité sérotoninergique pendant le sevrage des opioïdes [104a]. Une étude a montré que les récepteurs 5HT 1B augmentent les effets renforçants de la cocaïne [105]. D’autres études ont révélé que les antagonistes 5HT 3 empêchent la stimulation de la transmission dopaminergique mésolimbique par les opioïdes et réduisent la prise d’éthanol chez l’animal [106., 107. and 108.]. Cependant, la plupart des données disponibles privilégient l’hypothèse d’un effet inhibiteur global de la sérotonine sur la récompense des drogues. Aucune étude menée jusqu’à ce jour sur les sous-types de récepteurs 5HT n’a permis de déterminer la spécificité de chaque sous-type dans ces effets inhibiteurs.
Glutamate
Les récepteurs du glutamate, un acide aminé neurotransmetteur excitateur, sont de trois sous-types principaux. Les récepteurs glutamatergiques ionotropiques, qui activent directement les canaux ioniques, regroupent des récepteurs qui se lient au NMDA et d’autres qui ne s’y lient pas. Ces derniers sont à leur tour classés en récepteurs se liant avec l’AMPA ou avec le kainate. Les récepteurs à l’AMPA et au kainate régulent un canal perméable aux ions Na 2+ et K +. Les récepteurs au NMDA régulent un canal perméable aux ions Na 2+, K + et Ca 2+. Ils possèdent en outre des sites de liaison avec la glycine, qui facilite l’activation du récepteur par le glutamate et ouvre le canal, ainsi qu’à la PCP et à la dizocilpine (MK801), qui bloquent le canal de façon non compétitive. Le troisième type de récepteurs du glutamate est métabotropique et actionne indirectement les canaux ioniques en activant les systèmes de seconds messagers [109].
Les drogues qui bloquent les récepteurs au NMDA déclenchent le circuit de récompense. La PCP et la dizocilpine génèrent un conditionnement de préférence de place chez les animaux, qui se les autoadministrent [110, 111]. Indépendamment de la dopamine, la PCP et la dizocilpine sont autoadministrées dans l’Acc [112]. Les recherches étudiant les effets des bloqueurs du NMDA sur d’autres drogues entraînant une récompense sont moins précises [113, 114]. L’un des facteurs confondants potentiels est que les antagonistes perturbent de façon non spécifique certains types d’apprentissage [115].
Le rôle de la neurotransmission glutamatergique dans les processus de tolérance et de sensibilisation est complexe. Les antagonistes du NMDA ont la capacité d’empêcher l’installation d’une tolérance et d’une sensibilisation aux psychostimulants et aux opioïdes. Ces effets, qui semblent opposés, rappellent le rôle obligatoire des récepteurs du NMDA dans la potentialisation à long terme (PLT) et la dépression à long terme (DLT) [116., 117. and 118.]. Dans la PLT, l’activation des récepteurs de l’AMPA, qui rend perméables les canaux sodiques,provoque une dépolarisation qui active à son tour les récepteurs du NMDA, rendant ainsi perméables les canaux calciques. Cette chaîne d’événements entraîne l’influx de calcium et l’activation de différentes kinases (en particulier calcium/calmoduline) et de leurs voies de signalisation. Ces dernières, lorsqu’elles sont activées, conduisent à la phosphorylation des récepteurs de l’AMPA ainsi qu’au recrutement de récepteurs de l’AMPA, précédemment au repos, à la membrane cellulaire post-synaptique. Ceci entraîne une réponse accrue des neurones post-synaptiques au glutamate. L’altération de l’expression génique (ce point est étudié plus loin) cause probablement une augmentation encore plus durable de l’efficacité synaptique [53, 119, 120].
Selon un investigateur, « l’addiction aux drogues doit être envisagée comme une forme de plasticité dépendant du glutamate » [121]. D’autres en revanche, ayant relevé la notion d’ accentuation de la sensibilisation aux psychostimulants par les antagonistes NMDA, ont insisté sur la complexité des interactions entre les drogues étudiées [122]. Ainsi, par exemple, les antagonistes NMDA préviennent les incidents cellulaires (augmentation de la sensibilité des récepteurs D 1, diminution de la sensibilité des autorécepteurs D 2) associés à la sensibilisation aux psychostimulants, alors qu’ils en sont la cause lorsqu’ils sont administrés seuls [123]. Une micro-injection de psychostimulants dans l’ATV entraîne l’installation d’une sensibilisation, mais la microinjection dans l’Acc est nécessaire pour maintenir la sensibilisation ; ce « transfert »de sensibilisation de l’ATV vers l’Acc, reflétant probablement une modification du taux ou du rythme de décharge des neurones dopaminergiques de l’ATV et de l’Acc, requiert un courant entrant glutamatergique local et fait sans doute intervenir des récepteurs AMPA et métabotropiques, mais également NMDA. L’étude des lésions indique que les projections glutamatergiques issues du mPFC ventral, qui font synapse sur des cellules dopaminergiques et non dopaminergiques de l’ATV, jouent un rôle primordial dans le développement d’une sensibilisation [124]. Au contraire, des lésions du mPFC dorsal, qui envoie des projections glutamatergiques vers l’Acc, empêchent l’expression de la sensibilisation[125].Cependant, les spécialistes ne parviennent pas à s’accorder sur la manière dont le glutamate et la dopamine (qui ont tous deux des récepteurs sur les mêmes neurones moyens épineux inhibiteurs GABAergiques projetant à l’extérieur de l’Acc) interagissent au niveau cellulaire pour générer une sensibilisation [116, 126].
L’éthanol inhibe les récepteurs du NMDA et dans les études de discrimination, les animaux substituent les antagonistes du glutamate à l’éthanol [127]. Les antagonistes du NMDA et la nitro-L-arginine, un inhibiteur de la NO synthase, bloquent le développement d’une tolérance à l’éthanol, ce qui indique que le phénomène de tolérance impliquerait la PLT et la DLT [128].
Acide γ-aminobutyrique
Les récepteurs de l’acide γ-aminobutyrique (GABA), qui transmet les informations des synapses inhibitrices, sont de deux sortes : le récepteur GABA A, ionotropique, qui active un canal Cl −, et le récepteur GABA B, métabotropique, qui agit par l’intermédiaire des protéines G et des systèmes de seconds messagers, et dont les effets sont entre autres l’activation d’un canal K + inhibiteur [109]. L’éthanol, les barbituriques et les benzodiazépines potentialisent les récepteurs GABA A. Une étude chez l’animal a montré une augmentation de la consommation d’éthanol par voie orale causée par un agoniste GABA A et une diminution de cette même consommation suite à la prise d’un antagoniste GABA A, mais comme dans toutes les études d’autoadministration, ces observations n’établissent pas de façon concluante que les agonistes ou les antagonistes aient réellement augmenté ou diminué, respectivement, la récompense [129]. Une micro-injection d’antagonistes GABA A dans le noyau central de l’amygdale réduit également l’autoadministration d’éthanol [130, 131]. Selon certaines études utilisant l’agoniste GABA B baclofène, les récepteurs GABA B n’interviennent pas dans la récompense déclenchée par la prise d’éthanol [60].
La stimulation du site benzodiazépine provoque la récompense ; les animaux s’autoadministrent les benzodiazépines et la plupart des études (mais pas toutes) ont observé un conditionnement de préférence de place avec elles [132, 133]. Les agonistes des benzodiazépines gênent l’installation d’une préférence de place avec les amphétamines mais pas avec la morphine[134],et ils réduisent l’autoadministration de cocaïne [135].
Acétylcholine
Des études sur le rôle de l’acétylcholine sur l’obtention d’une récompense ont mis en cause la nicotine, un agoniste cholinergique. Les études de préférence de place portant sur la nicotine sont contradictoires, suggérant que sa capacité à déclencher le circuit de la récompense est faible [136]. En faveur de cette opinion, il s’avère que l’autoadministration de nicotine chez l’animal est moins prévisible que celle de cocaïne ou d’amphétamines [137]. Le sevrage de la nicotine peut être accéléré par les antagonistes opioïdes [138].
Opioïdes
Les agonistes opioïdes µ et δ activent le circuit de récompense, et augmentent également la récompense générée par les psychostimulants. La morphine, l’héroïne et la buprénorphine, un agoniste partiel, réduisent l’autoadministration de cocaïne (interprétée comme augmentant la récompense) et accentuent le conditionnement de préférence de place induit par cette dernière [139, 140]. Les antagonistes opioïdes gênent l’installation d’un conditionnement de préférence de place avec les psychostimulants et atténuent la récompense générée par l’éthanol [141, 142]. Contrairement aux récepteurs opioïdes μ et δ, les récepteurs κ ne médient pas la récompense des drogues [145], et ont plutôt tendance à produire, chez l’humain, une dysphorie [144]. La fonction de l’agoniste du récepteur κ, la dynorphine, est activée lors d’une administration chronique de cocaïne et diminue la récompense obtenue avec cette dernière, probablement en inhibant la libération de dopamine dans l’Acc via les récepteurs κ présynaptiques [145].
Glucocorticoïdes
Chez l’homme et l’animal, le stress peut entraîner le passage d’une consommation de drogue occasionnelle à un usage compulsif. La réponse locomotrice d’un rat face à la nouveauté (un stress léger) est prédictive de la quantité de psychostimulants que l’animal s’autoadministrera par la suite [146]. Les glucocorticoïdes pourraient être des médiateurs de cette réponse comportementale au stress. Chez des rats recevant de la cocaïne ou de la morphine, il a été observé qu’une adrénalectomie réduisait les taux de dopamine extracellulaire dans l’écorce de l’Acc, et que cet effet pouvait être inversé par l’administration de corticostérone (le glucocorticoïde majeur du rat) [147]. Le mécanisme par lequel la corticostérone stimule l’activité des neurones dopaminergiques de l’ATV n’est pas entièrement connu. Parmi les alternatives, il est possible que la synthèse de la dopamine augmente par l’action de la tyrosine hydroxylase, que son métabolisme diminue par l’inhibition de la monoamine oxydase, que sa recapture s’affaiblisse ou encore que les récepteurs dopaminergiques répondent plus fortement à la dopamine [148].
Mécanismes moléculaires
Lorsque l’administration volontaire d’une drogue conduit à la poursuite de sa consommation, c’est qu’un phénomène de renforcement est survenu.Comme nous l’avons vu plus haut, le défi majeur des neurobiologistes étudiant l’abus de substances est de comprendre pourquoi une consommation de drogue occasionnelle et contrôlée aboutit progressivement à un usage compulsif avec perte de contrôle, c’est-à-dire à une addiction. Les animaux dont l’accès à la cocaïne est restreint (par exemple, accès de 1 h par séance) ont une consommation faible et stable alors que la consommation des animaux ayant un accès de 6 h augmente progressivement jour après jour. Les courbes dose-réponse indiquent que ces animaux développent un « point de satisfaction hédonique » élevé : il s’agirait plus d’une tentative de conserver un état d’intoxication plus important que d’une réponse compensatoire à la tolérance générée par la drogue [149, 150]. Les mécanismes de telles transformations sont à chercher au niveau moléculaire.
Récepteurs et signalisation intracellulaire
Récepteurs dopaminergiques, protéines G et AMPc
Les récepteurs dopaminergiques type-D 2 (comprenant les sous-types D 2, D 3 et D 4), les récepteurs opioïdes µ et δ et les récepteurs cannabinoïdes sont tous couplés aux protéines G du type G i et G o (tableau 2.1) . Ces protéines G inhibent la formation d’adénylyl cyclase et d’adénosine monophosphate cyclique (AMPc). Les protéines kinases liées à l’AMPc sont par conséquent désactivées, réduisant la phosphorylation de leurs protéines cibles, y compris des enzymes, des canaux ioniques et d’autres récepteurs. Les protéines G i et G o activent également de façon indirecte les canaux potassiques à rectification entrante, un effet inhibiteur [7a]. La diminution de l’activité de la protéine kinase A réduit la phosphorylation des canaux sodiques, et contribue ainsi à abaisser davantage l’excitabilité neuronale [81].
Drogue | Action | Mécanisme de signalisation du récepteur |
---|---|---|
Opioïdes | Agonistes sur les récepteurs opioïdes μ, δ et κ | G i |
Cocaïne | Agoniste indirect sur les récepteurs dopaminergiques en inhibant les transporteurs dopaminergiques | G i et G s |
Amphétamines | Agoniste indirect sur les récepteurs dopaminergiques en stimulant la libération de dopamine | G i et G s |
Éthanol | Facilite la fonction des récepteurs GABA A et inhibe la fonction des récepteurs NMDA | Canaux ligand-dépendants |
Nicotine | Agoniste sur les récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine | Canaux ligand-dépendants |
Cannabinoïdes | Agonistes sur les récepteurs cannabinoïdes CB 1 et CB 2 | G i |
PCP | Antagoniste sur les récepteurs NMDA au glutamate | Canaux ligand-dépendants |
Hallucinogènes | Agonistes partiels sur les récepteurs 5-HT 2A de la sérotonine | G q |
Produits à inhaler | Inconnu |
Au contraire, les récepteurs type-D 1 (comprenant les sous-types D 1 et D 5) sont couplés à la protéine G s stimulatrice, qui agit sur la formation d’AMPc ainsi que sur le système de phosphorylation des protéines par les seconds messagers.
Ces actions opposées suggéreraient que si les récepteurs de la classe D 2 (ainsi que les récepteurs μ et δ et les récepteurs cannabinoïdes) transmettent le renforcement, les récepteurs D 1 ne devraient pas le transmettre. Pourtant, il se trouve que la stimulation des récepteurs D 1est renforçante, et ce même en présence d’un antagonisme du récepteur D 2 [151]. Ce paradoxe apparent reste sans explications. Une hypothèse de mécanisme est que les deux voies fonctionnent dans des populations neuronales distinctes. Une seconde hypothèse suggère que les propriétés des effets opposés agissant sur la voie de l’AMPc sont différentes d’un point de vue chronologique : par exemple,une hausse constante de l’activité de l’AMPc par médiation D 1 pourrait augmenter l’effet d’une diminution ultérieure intermittente de l’activité de l’AMPc médiée par D 2 [81].
La toxine pertussique inactive les protéines G i et G o et la toxine cholérique active les protéines G s. L’instillation locale de ces toxines dans l’Acc fait apparaître des preuves comportementales d’une diminution du renforcement de la cocaïne et de l’héroïne, indiquant qu’une élévation aiguë de l’AMPc jouerait le rôle d’un antagoniste du renforcement des drogues [81, 152].

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