19 Stress et traumatisme. Facteurs de risque et troubles réactionnels ou de l’adaptation
La quatrième partie de ce livre est consacrée à l’étude de l’enfant dans son environnement familial, scolaire, social, culturel. Nous aborderons les principales situations qui paraissent par leur existence et leur nature à même de modifier le comportement et le fonctionnement psychique de façon transitoire ou durable. Il est bien évident que cette distinction est en partie factice, d’autant plus que l’enfant est jeune. Néanmoins, l’expérience clinique montre régulièrement que l’exposition à certaines situations provoque l’apparition de conduites particulières chez certains enfants (mais pas tous, ce point est un problème majeur), conduites qui n’auraient pas surgi en l’absence de l’événement. Ceci nous conduit à définir traumatisme et stress d’un côté, événements de vie et pathologie réactionnelle ou trouble de l’adaptation de l’autre avec entre ces lignées, les notions de compétence, résilience et vulnérabilité.
Stress et traumatisme
Point de vue phénoménologique–descriptif
D’un point de vue purement descriptif, un traumatisme psychique (nous excluons de ce paragraphe les conséquences neuropsychologiques des traumatismes physiques en particulier traumatisme crânien) correspond à un événement susceptible d’entraîner la mort, impliquant des menaces de mort, entraînant des blessures et des lésions corporelles majeures sur le sujet ou ses proches. L’événement traumatique peut être une catastrophe naturelle (tremblement de terre, incendie ou inondation brutale, etc.), une catastrophe humaine (accident d’avion, de train, de car, de voiture), un acte délinquant (acte de terrorisme, prise d’otage, enlèvement, viol) ou une situation de guerre. Chez l’enfant plus particulièrement, on insistera sur les événements traumatiques touchant les proches et dont l’enfant est le spectateur : mort brutale dans un accident, blessures graves, événement spectaculaire type incendie, arrivée des pompiers ou du SAMU, etc.
Face à ces événements, une réaction immédiate, état de stress aigu, peut survenir marquée chez l’enfant par un comportement agité et désorganisé ou à l’inverse par une attitude figée avec une attention forcée et, dans les heures ou jours suivants, une anxiété majeure, des difficultés de sommeil, des cauchemars, une attitude repliée ou agitée. Cette réaction immédiate peut être transitoire (quelques jours à quatre semaines maximum) pour disparaître ensuite mais elle peut aussi persister sous forme d’un état de stress post-traumatique (cf. ci-dessous).
Point de vue psychodynamique
Toute autre est la conception du traumatisme d’un point de vue psychodynamique. Déjà P. Janet interprétait la fréquente expérience dissociative consécutive à un traumatisme comme le résultat d’un débordement physiologique, un hyper-éveil, à l’origine des troubles de la mémoire. Avec S. Freud, la notion de traumatisme occupe une place centrale dans la théorie psychanalytique. Il définit le traumatisme d’abord comme une expérience vécue, source d’une excitation telle que les moyens psychiques normaux et habituels ne peuvent suffire, ce qui entraîne l’apparition de troubles (définition économique). Le « pare-excitation » a subi, à cause du traumatisme, une effraction que toute l’énergie psychique tentera d’endiguer. Ainsi, la première théorie de la névrose fait jouer au traumatisme infantile réel un rôle crucial : la séduction sexuelle réelle exercée par un adulte sur l’enfant sera d’abord refoulée, mais ultérieurement, à l’âge adulte, un événement fortuit peut « après coup » lui donner une signification traumatique. Cependant Freud renoncera ensuite à la réalité externe du « traumatisme » : en effet tous les enfants subiraient-ils une séduction sexuelle réelle de la part des adultes ?
Dans Inhibition, symptôme et angoisse, la situation traumatique devient interne : est appelée traumatique la situation où le Moi craint d’être sans recours. L’angoisse est le signal d’alarme : son rôle est d’éviter la survenue de cette situation traumatique. Par conséquent, les excitations pulsionnelles internes deviennent aussi « traumatiques » que les menaces externes. Dans cette dernière hypothèse, l’accent est mis sur les fantasmes eux-mêmes et non sur la vie réelle. Désormais, la situation traumatique se caractérise par le fait que le Moi est débordé dans ses capacités de défense : « l’essence d’une situation traumatique tient à la détresse éprouvée par le “Moi” en face de l’accumulation de l’excitation, qu’elle soit d’origine externe ou interne » (A. Freud). La névrose traumatique (d’origine externe) est l’illustration clinique de la première théorie, la névrose infantile (d’origine interne) l’illustration de la deuxième.
Ce dernier modèle, celui de la névrose infantile (cf. chap. 15), prendra par la suite une importance telle qu’il aura tendance à occulter le modèle de la névrose traumatique, cette dernière étant d’ailleurs conceptuellement rabattue sur la précédente : l’excitation débordante et non liée secondaire au traumatisme prend « après coup » le sens d’une crainte de castration et renvoie ainsi à l’organisation fantasmatique interne.
Chez l’enfant, l’expérience clinique montre la fréquence des situations dites traumatiques et la désorganisation psychique qui peut en résulter. Lorsqu’on veut repérer les situations traumatiques, on retrouve les deux définitions données par Freud : excès de stimulation et débordement des capacités d’adaptation du Moi, ou prévalence des fantasmes qui menacent l’intégrité du Moi.
En conséquence, seront dits « traumatiques » deux types d’événements.
D’une part, sont traumatiques les situations et événements qui entrent en résonance avec les désirs ou craintes fantasmatiques actuels de l’enfant en fonction de son niveau de maturation. Ainsi une mésentente ou une séparation parentale, en pleine période œdipienne, peut aller directement dans le sens du désir œdipien et susciter une culpabilité intense (cf. chap. 20, Séparation, divorce, mésentente parentale). Dans ce cas la réalité vient malencontreusement renforcer l’imaginaire (créant une confusion entre dedans/dehors, fantasmes/réalité), ce qui peut entraîner une régression et même une désorganisation grave. « Ces traumatismes extérieurs deviennent intérieurs s’ils entrent en rapport, ou coïncident, avec la réalisation d’angoisses profondes ou de fantasmes de désirs ou encore lorsqu’ils les symbolisent. » (A. Freud) De nos jours, on tend à récuser le terme « traumatique » pour décrire ces situations et leurs conséquences qu’on appelle plus volontiers pathologies réactionnelles ou troubles de l’adaptation (cf. Pathologie réactionnelle et trouble de l’adaptation) afin d’éviter la confusion avec les suivantes.
D’autre part, sont traumatiques les événements de nature ou d’intensité tels qu’ils débordent les capacités adaptatives du Moi de l’enfant. Cette définition qui tient compte de l’organisation psychique interne conduit à subdiviser cette catégorie d’événements en distinguant :
État de stress post-traumatique chez l’enfant
Introduit depuis 1980 dans les classifications DSM, l’état de stress post-traumatique (ESPT) survient dans les semaines qui suivent un traumatisme grave que l’enfant a subi (par exemple enlèvement) ou dont il a été le spectateur. Les paramètres à prendre en compte pour évaluer la réaction sont nombreux : nature du traumatisme, intensité et durée de l’exposition, répétition éventuelle, âge et sexe de l’enfant (les filles présenteraient plus de symptômes que les garçons), niveau de maturité psychologique, qualité des liens familiaux, niveau socio-économique et culturel, réaction individuelle ou groupale – quand l’ensemble d’une classe subit un traumatisme : accident de car… (Pfefferbaum, 1997).
Les enquêtes épidémiologiques évaluent la prévalence ponctuelle chez l’enfant de l’ESPT aux États-Unis entre 1 et 14 % (Kessler et coll., 1995) et la prévalence vie entière jusqu’à 18 ans à 6 % environ (Giaconia et coll., 1995).
Comme chez l’adulte, cet état associe trois ordres de manifestations :
des manifestations d’évitement ;
des symptômes d’hyper-réactivité neurovégétative qui cependant chez l’enfant peuvent avoir des particularités sémiologiques.
Syndrome de répétition
Plus que la reviviscence–réminiscence du traumatisme lui-même, on observe chez l’enfant :
des jeux répétitifs où une partie du traumatisme est mise en scène (jeux de petites autos avec accident, jeux de poupées avec agression, etc.) ;
des dessins où revient de manière lancinante le même thème ;
des cauchemars au contenu d’autant plus imprécis que l’enfant est jeune ;
des réactions parfois inappropriées par leur intensité à l’occasion de conte ou récit imaginaire (à l’école, à la maison).