17: Troubles psychosomatiques

17 Troubles psychosomatiques



Introduction



Délimitation du concept


Parler de psychosomatique chez l’enfant nous place entre deux écueils : d’un côté celui d’étendre à l’excès l’appellation de psychosomatique et d’y englober des troubles les plus divers dès l’instant qu’au sein d’une maladie un facteur psychologique, causal ou réactionnel, peut être décelé (cette position risque de par son extension de vider de tout contenu la notion même de trouble psychosomatique) ; d’un autre côté existe le risque d’effectuer des généralisations hâtives à partir des études psychosomatiques de l’adulte, en oubliant le caractère spécifique des manifestations somatiques de l’enfant, en particulier leurs liens constants avec les processus de maturation et les processus de développement.


Aussi convient-il de délimiter d’abord ce que nous entendons par « psychosomatique » en excluant de ce champ, à la suite de Kreisler et coll. (1974) :



Du reste, la polysémie des termes « psychosomatique » et « somatisation » se retrouvent dans les classifications internationales du DSM-IV ou de la CIM-10 d’autant qu’il n’est pas précisé si le concept recouvre l’expression clinique et/ou une participation psychologique concomitante (figure 17.1). Dans la rubrique « trouble somatoforme » de ces classifications se côtoient du coup : conversion, trouble factice, somatisation, hypochondrie, douleur chronique, etc. Sur le plan épidémiologique, les taux de prévalence des troubles à expression somatique – 2 à 10 % – sont aussi très variables et fonction des définitions utilisées (Garralda, 1996).




Le point de vue développemental


Le second point concerne la question suivante : la symptomatologie psychosomatique de l’enfant présente-t-elle une particularité par rapport à celle de l’adulte ? Il faut d’abord souligner qu’à la naissance il n’y a rien de plus « psychosomatique » qu’un nourrisson : le corps occupe une place privilégiée dans le vaste champ des interactions avec l’entourage, les diverses fonctions physiologiques (alimentation, élimination sphinctérienne, tonus statique et dynamique, etc.) servant de base pour la communication avec l’entourage dont le rôle est d’ailleurs de « mentaliser » ce comportement, en particulier grâce aux capacités d’illusion anticipatrice de la mère. Certains analystes ont pu considérer que les symptômes psychosomatiques de l’adulte étaient la traduction d’une perturbation de l’organisation fantasmatique, la pensée fonctionnant sur un mode opératoire, sans que s’instaure un dialogue avec des images fantasmatiques intériorisées (Marty et coll., 1963). Chez l’enfant, et ce d’autant plus qu’il est jeune, le dialogue s’établit d’abord, non avec des images, mais avec les personnes bien réelles de son environnement : le symptôme psychosomatique prend une place privilégiée dans le système d’interaction mère–enfant, et c’est dans cette perspective qu’on doit l’envisager. La question se pose alors de savoir si la symptomatologie psychosomatique que présente un nourrisson ou un enfant se poursuivra à l’âge adulte. Les études catamnestiques sont encore trop peu nombreuses et s’étendent sur des temps trop courts pour répondre avec rigueur à cette interrogation. Toutefois il semble que l’existence de troubles psychosomatiques graves dans la petite enfance fasse plutôt le lit d’organisations ultérieures différentes (Garralda, 1996).


Il existe donc là une importante différence avec l’adulte, le facteur de l’évolutivité nous conduisant à une autre caractéristique propre aux symptômes psychosomatiques de l’enfant : leurs rapports étroits avec les stades maturatifs successifs que parcourt l’enfant. De nombreuses manifestations psychosomatiques tendent à survenir à des âges spécifiques montrant ainsi combien les troubles doivent être mis en étroite relation avec la maturation du fonctionnement des organes et avec les caractéristiques du développement psychologique. On pourrait ainsi schématiquement dresser une sorte de « calendrier » des manifestations psychosomatiques en fonction de l’âge (figure 17.2).




Facteurs étiopatogéniques


À cette relative spécificité en fonction de l’âge, certains auteurs ont voulu associer une spécificité de la relation mère–enfant. D’une évaluation caractérologique globale de la mère (envahissante et hyperprotectrice, ou rejetante et agressive, ou anxieuse) on est ensuite passé à un modèle d’interaction caractéristique d’une pathologie précise. Spitz (1950) range ainsi les désordres psychosomatiques selon deux grands types d’attitudes maternelles : les désordres psychotoxiques qui répondent à des relations mère–enfant inappropriées au plan qualitatif et les désordres par déficience qui répondent à des relations mère–enfant quantitativement insuffisantes, ces derniers étant associés à la dépression anaclitique et au marasme.


Allant plus avant dans la spirale d’interactions mère–enfant, il importe d’évaluer non seulement le retentissement de l’attitude maternelle sur l’enfant, mais aussi la modification de cette attitude face aux symptômes de l’enfant. En effet la mère est particulièrement sensible aux manifestations psychosomatiques de son enfant qui induisent chez elle de nouvelles attitudes. Ainsi l’agressivité qui sous-tend la relation mère–enfant est souvent totalement annulée dès qu’apparaissent les symptômes psychosomatiques (agressivité déplacée alors sur la relation mère–médecin), la mère prenant un rôle de mère–thérapeute au sens où l’entend Winnicott, l’enfant ayant pour bénéfice de se « faire soigner » par celle-ci. Le rapport de soin qu’instaure fréquemment entre mère et enfant la pathologie psychosomatique nous paraît fondamental.


Le tableau 17.1 résume les principales propositions théoriques pour les troubles psychosomatiques et les principes thérapeutiques qu’ils impliquent (Carr, 2003 ; Garralda, 1996).


Tableau 17.1 Théories et abords thérapeutiques dans les troubles psychosomatiques de l’enfant























Champ théorique Principes théoriques Principes thérapeutiques
Vulnérabilité biologique Vulnérabilité d’organe ou de système liée au patrimoine génétique ou à l’histoire développementale de l’enfant que vient révéler un stress externe (par exemple : événement) ou interne (par exemple : infection). Certains auteurs évoquent une réponse généralisée au stress autonomisée conduisant à une défaillance partielle des défenses immunitaires Limiter les expositions au stress ou stimuli auxquels les enfants apparaissent vulnérables
Psychanalyse/psychosomatique Le déplacement du conflit inconscient générateur d’anxiété se réalise sur un organe. Les enfants n’exprimant pas leurs émotions utilisent la voie somatique pour communiquer celles-ci Psychothérapie individuelle au cours de laquelle les conflits projetés sur le thérapeute seront interprétés
Hypnose au cours de laquelle des modifications symptomatiques sont suggérées
Cognitivo-comportementale Les troubles psychosomatiques sont sous-tendus par des facteurs de risque complexes et intriqués (par exemple : stress psycho-sociaux), de résistance interpersonnelle (par exemple : tempérament difficile), écologique (par exemple : environnement familial), de gestion du stress (par exemple : stratégie de coping) Relaxation pour diminuer le niveau de réponse au stress
Entraînement cognitif et psychoéducation au stress et à la gestion des symptômes
Amélioration du support social si besoin
Systémique Des difficultés adaptatives familiales participent au développement et maintien des symptômes somatiques (hostilité, discorde parentale, hyper-rigidité, limites du groupe familiale trop lâches, réorganisation autour des symptômes) Guidance parentale qui s’avère presque constante
Thérapie familiale qui aura pour objectifs de modifier les difficultés adaptatives et de rendre compte de la valeur communicationnelle des symptômes

Sur le plan pratique, face à un enfant qui présente une symptomatologie fortement évocatrice d’un problème psychosomatique, la démarche d’investigation est double :




Maladies de la sphère digestive



Colique du nourrisson


La colique du nourrisson se caractérise par la survenue après un intervalle libre de 8–10 jours de pleurs et de cris paroxystiques difficilement consolables, qui se produisent souvent après le repas au moment où l’enfant va s’assoupir. L’examen somatique est normal en dehors de fréquents ballonnements intestinaux et d’émission fréquente de gaz (signes fonctionnels). Les cris cessent lorsque la mère donne à nouveau le biberon mais réapparaissent aussitôt après. La sucette et plus encore le bercement permettent souvent l’apaisement avant que le bébé ne s’endorme dans les bras de l’adulte.


Les nourrissons sont plus souvent le premier enfant, volontiers de petit poids, toniques et surtout ont tendance à boire ou à téter goulûment (Stagnara et coll., 1997). Ils reçoivent plus souvent que les autres des médicaments.


La prévalence est estimée entre 10 et 40 % selon les auteurs (22 % dans l’étude épidémiologique de Stagnara et coll., 1997).


Les mères ont été, dans les premières descriptions, repérées comme particulièrement anxieuses, trait confirmé dans les récents travaux. D’ailleurs, il est habituel que les coliques s’atténuent ou disparaissent quand le bébé est confié à une tierce personne (autre membre de la famille : père, grand-mère, nourrice, etc.). Ces mères anxieuses et tendues font preuve d’une excessive sollicitude envers leur bébé et d’une grande impatience à le calmer. En effet, les pleurs sont vécus soit comme une marque d’incompétence de la mère elle-même, soit comme un rejet par le bébé et un refus de reconnaître les possibles qualités apaisantes de la mère. Cette interaction dominée par l’anxiété conduit à un non-respect des rythmes propres à l’enfant.


Spitz fait de la rencontre entre cette « sollicitude primaire excessive et anxieuse » de la mère, et l’hypertonie de l’enfant, le facteur déclenchant : l’enfant manifeste plus facilement qu’un autre un certain désagrément et la réponse anxieuse de la mère (le plus souvent par un biberon supplémentaire) ne fait qu’accroître ce désagrément (surcharge gastrique). La sucette (possibilité d’un investissement autoérotique de la succion : sucette–pacificateur des auteurs anglo-saxons) ou le bercement (régression à la complétude narcissique primaire via l’effet auto-calmant) représentent deux moyens physiques d’apaisement des tensions qui permettent l’écoulement de l’excitation diffuse déclenchée par la prise de biberon (Szwec, 2004).


La colique cesse à la fois en raison de « l’apprentissage » et de l’ajustement progressif de la mère à son enfant, et aussi parce que ce dernier découvre avec l’âge de nouvelles voies de décharge des tensions : gestualité intentionnelle, suçage du pouce, etc.



Vomissement



Vomissement du nourrisson et du petit enfant


Symptôme particulièrement fréquent, surtout chez le nourrisson, il existe tout un continuum entre la simple régurgitation banale et physiologique, le gros « renvoi » et le véritable vomissement. Théoriquement, le vomissement concerne un lait qui a déjà subi le processus de la digestion (âcreté de l’odeur), à l’opposé de ce qu’on voit dans la régurgitation. La distinction n’est cependant pas toujours aisée, d’autant que la physiologie même du cardia (jonction œsophage/estomac) du nourrisson rend plus faciles ces vomissements.


En dehors de toute anomalie physiologique (malposition cardiotubérositaire) ou d’épisode pathologique (infection, déshydratation, etc.), certains nourrissons vomissent avec une déconcertante facilité.


Souvent il s’agit de nourrissons anorectiques (cf. chap. 7, Anorexie du second trimestre) où l’interaction alimentaire entre mère et enfant s’est précocement engagée sur une voie conflictuelle. Les vomissements alternent avec les épisodes anorectiques. Ils peuvent s’associer à des comportements alimentaires particuliers : refus de tout morceau qui déclenche aussitôt le vomissement, goût électif ou au contraire attitude boulimique. Ils surviennent parfois sans aucun effort apparent, ailleurs ils apparaissent secondaires à des efforts de contraction des muscles abdominaux. Plus exceptionnelles sont les conduites quasi perverses où le nourrisson cherche à se faire vomir par introduction de doigts dans la bouche, afin de déclencher un réflexe nauséeux.


La distinction entre ces nourrissons vomisseurs chez lesquels la dimension psychopathologique paraît être au premier plan, et ceux pour lesquels il s’agit d’un simple trouble fonctionnel (discrète béance du cardia) n’est pas facile.

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 17: Troubles psychosomatiques

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