16 Épisode dépressif et « maladie dépressive » chez l’enfant
Longtemps niée dans son existence même, la dépression de l’enfant est, de nos jours, devenue l’objet de nombreuses recherches dominées entre autre par la question de l’existence ou non chez un même sujet d’une continuité dépressive de l’enfance à l’âge adulte. Si la possible survenue d’un épisode dépressif chez l’enfant ne fait plus aucun doute, en revanche le statut de la « maladie dépressive » et ses liens éventuels avec les troubles dysthymiques ou les troubles bipolaires de l’adulte restent à éclaircir. De même si la sémiologie de l’épisode dépressif est assez bien définie, celle de « la maladie dépressive » continue à poser de nombreux problèmes en particulier à travers les manifestations tenues pour des équivalents de la manie adulte.
La « dépression » dans la théorie du développement de l’enfant
Position dépressive
En 1934, M. Klein rédige sa Contribution à l’étude de la psychogenèse des états maniaco-dépressifs qui contient en germe l’ensemble de son système théorique : la référence à la « position dépressive » s’y trouve clairement explicitée. Par la suite, cette position dépressive occupera selon M. Klein et ses continuateurs, une place charnière dans la compréhension du développement affectif de l’enfant. Sans revenir ici sur l’étude du développement normal (cf. chap. 2), il est important d’en résumer les axes principaux. La position dépressive, que M. Klein situe aux environs du second semestre, puis de la seconde année, correspond au stade de perception de l’objet total. Jusque-là l’enfant est protégé de la souffrance dépressive grâce aux mécanismes de clivage, de projection et d’introjection : les mauvais objets (mauvais sein, mauvaise mère, mauvaise partie du soi) sont séparés des bons et projetés sur l’espace environnant tandis que les bons objets sont incorporés au soi du bébé. Pulsions agressives et pulsions libidinales sont ainsi nettement séparées, de même que leurs objets d’investissement. Il s’agit de la phase schizoparanoïde. De nombreux mécanismes complémentaires ont pour but d’assurer l’efficacité et le maintien de ce clivage (déni, idéalisation ou dévalorisation de l’objet, contrôle omnipotent, etc.). Toutefois la maturation progressive contraint peu à peu l’enfant à percevoir la globalité de l’objet : le mauvais sein et le bon sein, la mauvaise mère et la bonne mère, sont en réalité un seul et unique objet d’où la souffrance, l’inquiétude et finalement « la dépression » du jeune enfant à cause des tendances agressives dont il fait preuve face à ces/ses « bons objets » et la peur concomitante de les perdre. De cette souffrance qui résulte de son ambivalence, l’enfant peut se défendre en accentuant de façon pathologique le clivage et en déniant à l’aide de tous les mécanismes suscités, en particulier ceux de la série maniaque, sa dépendance ou sa crainte des mauvais objets. Dans l’éventualité positive, celle du développement normal, l’enfant fait face à sa souffrance, et tente grâce au processus de la réparation (dont les manifestations cliniques se relient directement au déplacement et à la sublimation) de restaurer, puis de préserver le bon objet de ses attaques sadiques.
Stade de l’inquiétude, moments dépressifs
La trop stricte délimitation dans le temps (au cours du second semestre) a suscité aussi des controverses. Parmi celles-ci, nous citerons celle de M. Malher pour qui la position dépressive se situerait bien après le deuxième semestre, entre le seizième et le vingt-quatrième mois, au moment de la prise de conscience par l’enfant de sa séparation, de son individuation, et de la perte de son omnipotence. À cette période, la mère perd ainsi aux yeux de l’enfant la capacité de protection et de toute-puissance : le moment dépressif correspond à ce double mouvement de relative déception en l’objet maternel et de meilleure perception de son individualité, mais en même temps de sa faiblesse.
Séparation et dépression
Appuyant leurs élaborations théoriques sur des constatations cliniques plus que sur une reconstruction métapsychologique, Spitz puis Bowlby décrivent une réaction particulière de l’enfant. Par rapport aux précédents travaux, cette réaction diffère en ce sens qu’elle est avant tout consécutive à un événement externe, et ne résulte pas d’un développement maturatif où domine le conflit fantasmatique. Spitz relate ainsi le comportement de nourrissons de 6 à 18 mois, placés dans un environnement défavorable, après une séparation maternelle brutale : on note d’abord une période de pleurnichements puis un état de retrait et d’indifférence, en même temps qu’apparaissent une régression du développement et/ou de nombreux symptômes somatiques ; l’ensemble aboutit à un état de misère proche du marasme. Spitz appelle cette réaction « dépression anaclitique » parce que l’enfant normal s’appuie (αναχλειν) sur sa mère pour se développer, appui qui lui manque soudain dans la dépression anaclitique. Ultérieurement on décrira sous le terme d’hospitalisme puis d’hospitalisme intrafamilial (cf. Le problème des carences affectives, chap. 20) le même type de réaction.
Bowlby se penche lui aussi sur les réactions de l’enfant à une séparation maternelle. Il note que l’âge le plus sensible se situe entre 5 mois et 3 ans, âge où l’on observe à la suite d’une séparation la séquence comportementale suivante :
une phase de protestation lors de la séparation : l’enfant pleure, s’agite, cherche à suivre ses parents, les appelle (surtout au coucher). Il est inconsolable, puis après 2 à 3 jours, les manifestations bruyantes s’atténuent ;
une phase de désespoir survient alors : l’enfant refuse de manger, d’être habillé, il reste renfermé, inactif, ne demande plus rien à son entourage. Il semble dans un état de grand deuil ;
une phase de détachement enfin : il ne refuse plus la présence des infirmiers, accepte leurs soins, la nourriture, les jouets. Si à ce moment-là, l’enfant revoit sa mère, il peut ne pas la reconnaître ou se détourner d’elle. Plus souvent il crie ou pleure.
Dans une perspective éthologique, Bowlby compare cette réaction à ce qu’on observe au cours d’expériences de séparation chez certains primates. Ceci constitue le point de départ pour sa théorie de l’attachement qui a été brièvement étudiée dans la première partie (cf. chap. 2). L’essentiel ici est de noter que la deuxième phase, celle du désespoir, paraît la plus proche de ce qu’on observe chez l’animal et des manifestations dépressives de l’adulte. Toutefois, pour Bowlby, il ne faut pas confondre séparation et dépression : l’angoisse déclenchée par la séparation, les processus de lutte contre cette angoisse (tels que colère, agitation, protestation) et la dépression elle-même, ne doivent pas être considérés comme de stricts équivalents.
Souffrance et dépression
Cette distinction, de même que la nécessaire distinction entre un état de souffrance clinique et la référence à la position dépressive en tant que stade maturatif normal, ont été reprises dans les travaux de Sandler et Joffe. Pour eux, la réponse dépressive est une réaction affective de base : elle représente l’une des réponses possibles à un état de souffrance. Mais elle ne doit pas être confondue avec la souffrance et elle n’est pas la seule réponse possible. En effet, devant un état de souffrance l’enfant peut utiliser des mécanismes de rejet, d’évitement, de retrait, de colère ou même de rage qui sont distincts de la réaction dépressive. Cette souffrance peut aussi être un facteur de stimulation du processus d’individuation. La réaction dépressive est pour les auteurs… « la dernière réaction pour éviter l’impuissance devant la souffrance physique et psychologique ». Elle traduit la perte d’un état de bien-être antérieur dans lequel la relation à l’objet satisfaisant est incluse. La perte de l’objet provoque une perte concomitante de cet état de bien-être, et secondairement un état de souffrance. La réaction dépressive, située juste avant le stade de résignation impuissante, est intimement liée au développement de l’agressivité non déchargée. En effet, l’état de souffrance suscite une intense colère qui, lorsqu’elle ne peut être déchargée, accroît le sentiment d’impuissance puis la réaction dépressive. Il convient donc de distinguer cette réaction dépressive d’autres types de réactions tels que la passivité ou la régression devant la souffrance.
Étude clinique
La sémiologie de la dépression a été l’objet de nombreux débats centrés sur deux questions :
Cette sémiologie est-elle spécifique à l’enfant ?
L’expression dépressive est-elle stable au cours des âges (tant chez des sujets différents que chez le même sujet) ?
Les classifications diagnostiques internationale (CIM-10) et américaine (DSM-IV) adoptent ce dernier point de vue même si elles reconnaissent quelques particularités. La classification française (CFTMEA) retient l’idée d’une spécificité. En réalité, il semble exister un relatif consensus sur la sémiologie de l’épisode dépressif proprement dit tandis que les questions restent nombreuses sur la sémiologie de la « maladie dépressive », de la « maladie dysthymique » et a fortiori de la « maladie bipolaire ». Autrement formulée, cette opposition conduit à s’interroger sur la place qu’occupe un éventuel état dépressif durable dans le cours du développement et de la maturation d’un enfant et sur les stratégies de lutte contre cette dépression à travers les mécanismes de défense. C’est dans une telle perspective que, d’un strict point de vue descriptif, on a pu assister à une multiplication et à une accumulation de symptômes comme témoins possibles d’une maladie dépressive : presque toute la sémiologie de l’enfant a ainsi pu être, par un auteur ou par un autre, rattachée à la dépression.
Nombreux sont les auteurs qui ont proposé des « listes » de symptômes (Weinberg, 1973 ; Dugas et Mouren, 1982 ; Achenbach, 1987 ; Angold, 1988, Papazian, 1982).
À titre d’exemple, rappelons les dix symptômes isolés par Weinberg :
comportement agressif (agitation) ;
modification des performances scolaires ;
diminution de la socialisation ;
modification de l’attitude envers l’école ;
perte de l’énergie habituelle ;
modification inhabituelle de l’appétit et/ou perte du poids.
Épisode dépressif de l’enfant
Survenant volontiers au décours d’un événement ayant valeur de perte ou de deuil (séparation des parents, décès d’un grand-parent, d’un membre de la fratrie ou d’un parent) parfois événement qui peut aux yeux des adultes apparaître plus anodin (déménagement, mort d’un animal domestique familier, éloignement d’un camarade, etc.), cet épisode dépressif survient progressivement mais le comportement de l’enfant apparaît nettement modifié par rapport à la situation antérieure.
Certes le ralentissement psychomoteur et l’inhibition motrice peuvent se voir, marqués par une certaine lenteur, un aspect presque « petit vieux », un visage peu expressif, peu mobile et peu souriant. Parfois l’enfant est décrit comme sage et même « trop sage », presque indifférent, soumis à tout ce qui lui est proposé. Mais le plus souvent on constate une certaine agitation surtout quand on demande à l’enfant certaines tâches ou moments d’attention : « il ne peut pas rester en place », « il bouge tout le temps », « c’est une vrai pile », « il s’énerve pour un rien » disent les parents. Ces moments d’agitation sont fréquemment entrecoupés de moments de quasi-repli ou inertie : enfant installé sur le canapé devant la télévision mais paraissant « absent », presque indifférent. L’instabilité prend souvent la forme de colère : « on ne peut rien lui dire », « il est méchant, coléreux, nerveux » ou d’opposition « il refuse tout », « il dit toujours non », « il n’est jamais d’accord ». Si le manque d’intérêt se traduit souvent par l’interruption des activités ludiques ou culturelles (« il ne s’intéresse à rien », « on ne peut jamais lui faire plaisir »), celui-ci est parfois directement exprimé : « j’m’ennuie », « j’en ai marre ». La perte d’estime de soi se traduit par des propos tels que « j’ suis nul », « j’suis bon à rien », quasi systématiques.
La dévalorisation s’exprime souvent à travers l’expression d’un doute immédiat face à une question, une tâche demandée (dessin, jeu) : « j’sais pas », « j’y arrive pas », « j’peux pas ». Mention spéciale doit être faite de l’expression « mes parents ne m’aiment pas » et à un moindre degré « on ne m’aime pas », « mes copains ne m’aiment pas » toutes expressions qui traduisent le sentiment de perte d’amour et qui en général masquent un sentiment de dévalorisation et de culpabilité. L’expression consciente du sentiment de culpabilité prend volontiers la forme de « j’suis méchant », « j’suis pas gentil avec mes parents » mais peut aussi s’exprimer directement par « c’est d’ma faute ».
La difficulté à penser, à être attentif au travail et à se concentrer entraîne souvent une fuite, un évitement ou un refus du travail scolaire appelé volontiers « paresse » par les parents mais aussi par l’enfant lui-même et aboutissant à l’échec scolaire. Dans quelques cas l’enfant passe au contraire de longues heures tous les soirs sur ses livres et cahiers mais il est incapable d’apprendre et plus encore de mémoriser.
Les troubles de l’appétit peuvent s’observer, plutôt comportement anorectique dans la petite enfance (pouvant parfois entraîner des stagnations pondérales) et comportement de boulimie ou de grignotage chez le grand enfant ou le préadolescent. Le sommeil est difficile à trouver avec souvent des oppositions au coucher, des refus qui amplifient le conflit avec les parents, peuvent susciter des mesures punitives et accentuent l’irritabilité des uns et des autres. Les cauchemars participent de la composante anxieuse de même que les peurs fréquentes en particulier les peurs d’accidents chez les parents. Maux de ventre et maux de tête assez fréquents sont à la jonction de la problématique anxieuse et de la problématique dépressive.
Il n’est pas rare que les idées de mort ou de suicide soient exprimées par une lettre écrite aux parents dans laquelle l’enfant déclare « qu’il n’est pas aimé et qu’il va mourir ou qu’il va se tuer ». Cette lettre ou cet aveu a souvent été le motif déclenchant la consultation.
La « maladie dépressive » : expression d’une souffrance dépressive ou défense contre la position dépressive (déni de la dépression) ?
À côté de l’épisode dépressif, certains enfants présentent une symptomatologie soit plus pauvre, soit plus floue mais surtout plus durable dans la mesure où elle est souvent ignorée ou déniée, en premier lieu par les parents. Les manifestations d’agitation, d’instabilité, d’irritabilité risquent de prendre peu à peu le devant de la scène aboutissant à des tableaux d’allure caractérielle (cf. chap. 18, Pathologie caractérielle) ou comportementale. Ceci explique la très fréquente « comorbidité » telle qu’on la décrit dans la littérature anglo-saxonne. Ainsi Angold et Costello (1993) effectuent une méta-analyse des publications épidémiologiques sur la dépression de l’enfant et sur la fréquence de la comorbidité : celle-ci va de 21 à 83 % pour les troubles des conduites et les troubles oppositionnels avec provocation, de 30 à 75 % pour les troubles anxieux et de 0 à 57 % pour le TDHA. Les auteurs concluent quand même leur article par cette remarque : « les mécanismes par lesquels la comorbidité apparaît restent, à ce jour, obscurs » ! Les études plus récentes ajoutent le trouble bipolaire pédiatrique (cf. plus loin).
La principale « complication » de la dépression durable réside dans le retentissement scolaire. L’échec scolaire et, dans une moindre mesure, le désintérêt ou le désinvestissement scolaires sont très fréquents : longue série d’échecs qui contrastent par rapport à un bon niveau d’efficience, ou plus caractéristique encore chute brutale du rendement scolaire. Les conduites phobiques, en particulier la phobie scolaire (cf. chap. 21), peuvent traduire la crainte de l’éloignement du foyer familial ou de l’abandon et recouvrir un état dépressif.
Nous citerons enfin, sans les développer, les tentatives de suicide de l’enfant, et surtout de l’adolescent, en soulignant toutefois qu’il ne faut pas établir une équivalence trop directe entre dépression et tentative de suicide (cf. chap. 10).
En outre certains symptômes peuvent être analysés comme une défense contre la « position dépressive ». Ils sont de nature très diverse. En réalité c’est soit l’évaluation psychopathologique pendant l’entretien clinique ou grâce aux tests projectifs, soit la reconstruction anamnestique qui permettent de les rattacher au « noyau dépressif ». L’attitude de compréhension empathique prend ici le pas sur la description sémiologique. Il faut toutefois souligner le risque d’abus de langage qui peut en résulter. Certaines conduites semblent s’inscrire directement dans le registre de ce que M. Klein appelle les défenses maniaques comme pour dénier tout affect dépressif ou pour en triompher. On peut citer ici la turbulence extrême qui peut devenir une véritable instabilité, soit motrice, soit psychique avec une logorrhée évoquant directement la fuite maniaque des idées. Ces états posent la question de l’existence de la maladie bipolaire chez l’enfant (cf. plus loin). D’autres conduites apparaissent comme des conduites de protestation ou de revendication face à l’état de souffrance. Citons ainsi :
les conduites d’opposition, de bouderie, de colère ou même de rage ;
les manifestations agressives (crises clastiques, violence avec les autres enfants) et même autoagressives ;
les troubles du comportement, vols, fugues, conduites délinquantes, conduites toxicomaniaques apparaissant chez le grand enfant et surtout l’adolescent (cf. chap. 10).
En réalité toutes les conduites pathologiques de l’enfant ont pu ainsi être rattachées à une « dépression ». Il apparaît cependant que les auteurs qui utilisent ce concept d’équivalent dépressif relient dans une explication étiopathologique souvent sommaire un événement antérieur supposé traumatique et facteur de dépression (en particulier toute situation de perte) avec la conduite observée. C’est contre cette abusive extension que les travaux récents s’élèvent (Sandler et Joffe, 1965) en insistant sur la nécessaire distinction entre perte d’objet, état de souffrance et réaction dépressive.
La dépression en fonction de l’âge
Dépression du bébé et du très jeune enfant (jusqu’à 24–30 mois)
La symptomatologie la plus manifeste a été décrite par Spitz qui a observé une période de pleurnichement, puis un état de retrait et d’indifférence allant jusqu’à la « dépression anaclitique » en cas de carence affective grave. Bowlby, de son côté, décrit la phase de désespoir qui succède à la phase de protestation (cf. chap. 2). Ces réactions de profonde détresse consécutives à la perte de l’objet privilégié d’attachement sont devenues plus rares grâce à leurs meilleures connaissances et à une plus grande sensibilité aux besoins, non seulement hygiéno-diététiques du bébé, mais aussi affectifs. Toutefois, ces tableaux se rencontrent encore dans de graves conditions de carence familiale (d’où le nom d’hospitalisme intrafamilial) ou de chaos éducatif (changement d’image maternelle, de condition de vie, etc.). Dans de telles conditions, de véritables « dépressions anaclitiques » s’observent encore : bébés ou jeunes enfants prostrés, abattus, au regard éteint, isolés, en apparence indifférents à l’entourage, retirés. On note l’absence des manifestations d’éveil ou de jeux propres à chaque âge : absence de gazouillis ou de babillage, absence de jeux avec les mains ou les hochets, absence de curiosités exploratrices, etc. Il existe au contraire de fréquentes autostimulations : balancements en position génupectorale, rythmies solitaires nocturnes ou à l’endormissement, mais surtout diurnes, geignements. Ces autostimulations peuvent aller jusqu’à des conduites autoagressives. Les grandes acquisitions psychomotrices sont retardées : retard d’apparition de la position assise, puis de la marche, puis de la propreté qui toutes se font en général à la limite supérieure de la période normale. Souvent ces enfants commencent à marcher vers 20 mois. L’expression phonématique, puis langagière, est toujours profondément perturbée et retardée : le retard de langage deviendra quasi constant par la suite. L’évolution à long terme semble être marquée par une atténuation progressive de cette symptomatologie la plus manifeste. Mais, à distance, l’ensemble de la personnalité s’organise autour de la carence initiale avec de profondes perturbations dans l’établissement du narcissisme, ce qui conduit certains auteurs (Lustin, Mazet) à parler d’« organisation anaclitique ». Le risque évolutif majeur est l’installation dans la lignée déficitaire, que le retard soit global ou surtout électif. La dysharmonie fréquente du retard, les mauvaises conditions socio-économiques, l’environnement affectif défavorable, doivent inciter à aller au-delà du simple diagnostic de débilité mentale.
Pour notre part, nous préférons utiliser les termes abandonisme, hospitalisme, carence totale ou partielle (cf. les descriptions chap. 20) pour décrire ces divers états de déprivation chez le jeune enfant et le nourrisson. Le recours aux termes « dépression », « dépression anaclitique », risque de créer des confusions avec le « travail dépressif » lié entre autre à la culpabilité. Reste la « réaction de retrait » qui est, peut-être, le noyau de la réponse dépressive au sens de D. Widlöcher (1983) mais qu’on observe plus volontiers dans le cas des interactions inadéquates du type mère déprimée–bébé (cf. chap. 20).