15 Troubles anxieux, symptômes et organisation d’apparence névrotique
L’émergence anxieuse constitue chez l’enfant, comme chez l’adulte, la porte d’entrée de la majorité des états psychopathologiques décrits tout au long de cet ouvrage. Les travaux les plus récents, sous l’impulsion des classifications actuelles, individualisent les troubles anxieux dans leurs formes chroniques et plus encore aiguës (attaque de panique, trouble panique). Leur organisation nosographique se calque sur le modèle adulte dont la pertinence repose en grande partie sur l’efficacité thérapeutique des antidépresseurs dans les manifestations cliniques d’angoisse. Cependant, cette approche purement descriptive montre ses limites chez l’enfant avec d’un côté les rapports complexes entre anxiété dite développementale et angoisse dite pathologique, et d’un autre côté la constatation des associations pathologiques encore appelées « comorbidité » dont la très grande fréquence avec les troubles anxieux pose implicitement la question de la transformation de l’affect anxieux en une pathologie autre qu’elle soit psychique (phobie, inhibition, obsession, etc.), affective (dépression), comportementale (instabilité, agitation, colère, etc.) ou à expression somatique (troubles du sommeil, de l’alimentation, plainte hypocondriaque).
Dans quelle mesure la névrose infantile est-elle une réalité de la clinique infantile ou une reconstruction théorique après coup chez un adulte névrosé ?
La névrose de l’enfant possède-t-elle une autonomie distincte de la névrose de l’adulte, ou n’en est-elle qu’un simple calque ?
En effet, le danger à propos de la névrose chez l’enfant est d’une part de se servir directement des reconstructions freudiennes sur la névrose infantile, et d’autre part d’adopter une attitude adultomorphiste avec l’habituelle distinction névrose phobique–névrose hystérique–névrose obsessionnelle qui dans le champ de la pédopsychiatrie ne correspond pas à une réalité clinique dans sa double perspective synchronique et diachronique, sauf peut-être dans les derniers stades de l’adolescence. En dehors de cette dernière période, les manifestations névrotiques de l’enfant se caractérisent par une variabilité des conduites psychopathologiques qui épousent à la fois les aléas des interactions vécues par l’enfant et les remaniements consécutifs à la croissance. Cette plasticité bien différente des névroses de l’adulte nous oblige à distinguer deux niveaux d’études pour ce qui concerne les manifestations pathologiques de l’angoisse :
la description sémiologique de l’anxiété et des principales conduites mentalisées pathologiques (symptômes phobiques, conversifs, obsessionnels, etc.) ;
le niveau d’une éventuelle organisation structurelle sous-jacente avec toutes les conceptualisations théoriques qui la sous-tendent.
Remarques préliminaires
une variabilité sémiologique dans le temps conjointe aux réaménagements pulsionnels caractéristiques de chaque stade maturatif ;
le maintien dans un cadre de développement grossièrement satisfaisant.
Ces critères avaient été parfaitement exposés par A. Freud dès 1945 dans Le traitement psychanalytique des enfants. Pour rester au plus près de la clinique, cette variabilité nous impose une étude diachronique et développementale des symptômes névrotiques de l’enfant et non un abord structurel. Elle impose également de connaître les mouvements naturels de l’affect de peur au cours du développement.
Vicissitudes de l’affect de peur au cours du développement
Peurs de la petite enfance
l’émergence du sentiment d’individualité, d’un soi qu’il faut préserver ;
le climat familial : la peur des animaux (les chiens) peut être induite autant par une pusillanimité excessive des parents, terrorisés chaque fois que l’enfant s’approche d’un animal, que par une non-perception de la légitime inquiétude de l’enfant. Les parents veulent alors absolument le forcer ; ils augmentent sa peur et son angoisse en le confrontant à l’objet redouté. La peur de l’eau en est un autre exemple ;
l’apprentissage enfin joue un rôle non négligeable, prévalant même pour les théoriciens du comportement, en modulant plus ou moins l’état affectif qui a accompagné une première expérience vécue.
Rituels obsessionnels de l’enfance
A. Freud a bien montré que le stade anal avec l’investissement de la maîtrise, du contrôle, de la propreté, de la rétention, toutes conduites qui traduisent fréquemment le contre-investissement du désir de salir (le jeu dans la gadoue), de se souiller (les fréquentes échappées encoprétiques transitoires), de détruire, représente en réalité une phase obsessionnelle transitoire et banale. Les exigences familiales ne vont pas sans influencer les exigences pulsionnelles internes : se laver les mains, bien se tenir, ne pas prononcer de « gros mots », ou, à l’opposé, laisser s’exprimer la crudité du langage et du comportement. Cette attitude éducative module la période anale, source de possible fixation ultérieure. Au décours de la phase anale et lors de la période œdipienne, si la conduite phobique est la plus fréquente, la tentative de maîtrise de l’angoisse par la ritualisation, est, en fréquence, la seconde issue choisie par l’enfant. Les rituels du coucher en sont un exemple : rite de rangement des pantoufles, d’arrangement de l’oreiller, histoire à raconter… Là encore, comme pour les phobies, la réponse de l’entourage peut orienter cette conduite dans un registre pathologique lorsqu’on ne permet pas à l’enfant de calmer son angoisse. À l’opposé, raconter l’histoire, placer les chaussons à leur place, rassure l’enfant qui désinvestira peu à peu ce comportement à mesure que la maturité du Moi lui fournira d’autres systèmes défensifs.
En résumé
Les principales manifestations anxieuses au cours du développement sont résumées dans le tableau 15.1 où elles sont mises en perspectives avec l’âge, l’évolution des compétences et les préoccupations de l’enfant. Il est intéressant de noter que selon l’âge, les pics d’anxiété pathologique correspondant à des troubles anxieux individualisés dans les classifications actuelles sont décalés dans le temps. Ainsi l’anxiété de séparation est banale vers 2–4 ans, alors que le pic moyen d’âge de début du trouble anxiété de séparation se situe lui vers 10–11 ans (cf. plus loin).
Quelques remarques sur le modèle de la névrose infantile
S. Freud a défini, soit à partir d’observation sur l’enfant lui-même (le petit Hans), soit à partir de reconstruction chez les adultes névrosés (l’Homme aux rats, l’Homme aux loups), la névrose infantile. Pour Freud, la névrose infantile est un « complexe nodal » où s’organise la vie pulsionnelle de l’enfant. Nous ne reviendrons pas ici sur l’évolution libidinale de l’enfant (cf. chap. 2) sinon pour rappeler que les diverses pulsions partielles (orale, anale, phallique) doivent au moment de l’Œdipe s’unifier sous le primat des pulsions génitales. Mais le refoulement vient dans un premier temps effacer cette préforme d’organisation névrotique, seule la reconstruction après coup par l’adolescent puis l’adulte du vécu fantasmatique de la petite enfance viendra donner la signification habituellement traumatique que le névrosé adulte attribue à certains événements de son enfance.
Ainsi pour Freud lui-même la névrose infantile fonctionne plus comme un modèle explicatif de la névrose d’un adulte que comme une réalité de la clinique infantile. Il convient cependant de dire que le cas du petit Hans, présenté à la fois comme exemple de névrose infantile, comme cas clinique et comme prototype de développement quasi normal, est venu brouiller profondément les cartes. Smirnoff (1968) a souligné l’ambiguïté inhérente au fait d’utiliser le même terme de « névrose infantile » pour parler d’un état morbide et pour évoquer un moment fécond et structurant de l’organisation psychique de l’enfant. La même ambiguïté se retrouve dans l’utilisation du terme « position dépressive » (cf. chap. 16). Pour notre part, à la suite de Lebovici, il nous paraît préférable de réserver strictement le terme « névrose infantile » à la notion d’un modèle métapsychologique caractéristique d’un stade du développement normal de l’enfant et d’y opposer le terme de « névrose chez l’enfant » ou trouble anxieux pour parler de la réalité clinique.
La névrose infantile traduit l’organisation de la sexualité infantile autour des positions phalliques, de la crainte de la menace de la castration, d’une part et des figurations de la problématique œdipienne, d’autre part. La « névrose infantile » en cours de constitution n’a qu’une « faible expressivité clinique » témoignant simplement de l’organisation progressive de l’appareil psychique avec la différenciation des instances et l’utilisation élargie des mécanismes de défenses (refoulement, déplacement, isolation, retournement en son contraire, etc.). Cette « névrose infantile » quasi asymptomatique ne trouve son expressivité que dans le déploiement ultérieur d’une névrose à expression transférentielle chez un adulte et dans la « névrose de transfert » mobilisée, après coup, par la cure psychanalytique elle-même. Ainsi selon P. Denis (1979), la « névrose infantile » correspond à l’organisation de la période de latence elle-même. C’est la mise en place de cette névrose infantile qui rend compte, du fait du refoulement, de l’amnésie infantile. De ce point de vue, la période de la latence n’est pas cette phase où « il ne se passe rien » comme une compréhension hâtive pourrait le laisser croire. C’est au contraire une phase de mise en « historicité » du sujet, le refoulement permettant que se constitue ce passé infantile inscrivant l’organisation psychique dans le déroulement du temps avec les scansions qui représenteront les divers « après-coups » : le sujet devient ainsi dépositaire d’une mémoire, d’un passé, toujours accessible, toujours remanié, ouvrant à la narrativité.
Anxiété et angoisse chez l’enfant
Étude clinique
Il est classique de distinguer :
l’anxiété : affect pénible associé à une attitude d’attente d’un événement imprévu mais vécu comme désagréable ;
l’angoisse : sensation d’extrême malaise accompagnée de manifestations somatiques (neurovégétatives et/ou viscérales) ;
la peur liée à un objet, une situation précise soit du fait de l’expérience, soit du fait de l’éducation.
Clinique de l’angoisse préverbale du nourrisson et du très jeune enfant
À ces cris de panique s’associent :
des troubles du tonus : hypertonie, grandes décharges motrices au sein d’une motricité souvent désorganisée, saccadée ;
une hypervigilance avec un visage immobile, silencieux, attentif comme « glacé » ;
des comportements d’accrochage tonico-moteur ou visuel, d’agrippement à autrui ou au contraire de gesticulation anarchique avec grand rejet en arrière de la tête et du tronc ;
une incapacité de l’enfant à se lover et à trouver une attitude confortable dans les bras de l’adulte malgré les efforts de ce dernier.
L’angoisse du visage de l’étranger décrite par R. Spitz (cf. chap. 2, Psychanalyse génétique) et plus encore la réaction de protestation décrite par J. Bowlby chez un enfant qui vient d’être séparé de sa mère montrent l’une et l’autre la place de l’anxiété/angoisse dans le développement et la maturation du nourrisson.
Clinique de l’anxiété de l’enfant
Anxiété chronique ou hyperanxiété
une inquiétude sur l’avenir avec souvent la crainte de survenue d’un accident, d’une maladie (pour l’enfant lui-même ou ses proches) ;
une irritabilité, des colères, des refus, des caprices ;
des exigences ou un besoin d’avoir l’adulte à proximité, d’être rassuré ;
des craintes concernant l’attitude passée (« j’ai mal fait… ») ;
des pensées dépressives (dévalorisation, culpabilité) sont souvent associées (cf. chap. 16, L’épisode dépressif de l’enfant).
Crise d’angoisse aiguë ou attaque de panique
des signes somatiques : palpitation, tachycardie, sensation d’étouffement, douleurs thoraciques, abdominales, nausées, etc. ;
des signes neurologiques : tremblements, secousses musculaires, vertiges, malaises ;
des signes moteurs : agitation ou prostration ;
des signes vasomoteurs : sueurs, bouffées de chaleur ou frissons ;
des signes psychiques : sensation d’étrangeté, de perte de repères, de peur de mourir, de devenir fou.
Plus l’enfant est jeune, plus le contexte somatique est riche. L’enfant paraît terrifié, en sueur, il est difficilement accessible « au raisonnement ». Jeune, avant 7–8 ans, seule la présence d’un parent, père ou mère, est susceptible de calmer réellement cet accès d’angoisse. L’exemple le plus typique en est la terreur nocturne (cf. chap. 4, Parasomnies). Avec l’âge, l’enfant extériorise son angoisse, non pas en l’exprimant, mais le plus souvent en l’agissant : ainsi le corollaire de la crise d’angoisse devient vers 11–12 ans, le passage à l’acte sous ses diverses formes : crises de colère, attitude d’exigences insatiables, fugues, troubles divers du comportement. Le risque est alors que l’anxiété de l’adulte provoque une spirale ascendante où l’angoisse de l’un majore celle de l’autre. La contention physique ferme, mais bienveillante, la limitation de la destructivité de l’enfant représentent les meilleures attitudes propres à calmer dans un premier temps cet accès aigu d’angoisse. Dans ces conditions, celui-ci se calme spontanément au bout de quelques minutes.
Anxiété post-traumatique
Devant une situation de stress sévère mettant en danger la vie ou la sécurité de l’enfant ou de l’un de ses proches, l’anxiété est une réaction naturelle en particulier en phase aiguë. Dans certains cas, on la considère pathologique du fait de sa particulière sévérité ou du fait de la présence de troubles adaptatifs dont la qualité et la nature doivent être discutées au regard de l’âge et de la maturité développementale de l’enfant (cf. chap. 19). L’état de stress post-traumatique peut apparaître dans les mois qui suivent le traumatisme. L’enfant présente des crises d’angoisse intense associées au souvenir du trauma, des cauchemars où il revit la situation traumatique, parfois des hallucinations. Au plan affectif, outre les crises de colères ou de larmes banales dans les troubles anxieux, on voit certains enfants incapables de se laisser à vivre des moments de tendresse.
Évolution
symptômes dépressifs, voire d’une véritable dépression ;
troubles du comportement (opposition, agitation, instabilité) ;
troubles de l’attention (troubles déficitaires de l’attention) ;
troubles de l’adaptation sociale (phobie scolaire) ;
à l’adolescence, de toxicomanies et de troubles des conduites.
la continuité de la sémiologie anxieuse de l’enfance à l’âge adulte (Biederman et coll., 1997) ;
l’importance de la comorbidité en particulier dépressive chez le sujet et la présence de manifestations anxieuses chez les autres membres de la famille (Pollack et coll., 1996). Pour l’évolution plus spécifique à l’adolescence : cf. Marcelli D, Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. 7e éd. Masson ; 2008.
Modèles de l’angoisse chez l’enfant dans la théorie psychanalytique
Si, inversement, elle est considérée comme une condition de son développement, elle participe alors à l’épigenèse de l’individu. Les rapports entre l’angoisse et la « normalité » méritent d’être clarifiés. Autrement formulé, un enfant peut-il croître sans connaître l’angoisse : le développement n’est-il pas en lui-même source d’angoisse par les contraintes de changements qu’il impose ?
S. Freud et l’angoisse de castration
Cependant Freud est amené à remanier profondément cette théorie dans Inhibition, symptôme et angoisse. En 1926, il réexamine cette observation à la lumière des remaniements théoriques qu’il apporte à ce texte. Le but de la phobie est désormais de tenter de solutionner le conflit œdipien vis-à-vis du père par le refoulement de la motion pulsionnelle hostile. Le moteur du refoulement est « l’angoisse devant une menace de castration ». Être mordu est un substitut du contenu « être châtré par le père », contenu qui subit le refoulement. Dans cette deuxième théorie, « dès que le moi a reconnu le danger de castration il donne le signal d’angoisse et inhibe au moyen de l’instance plaisir-déplaisir, le processus d’investissement menaçant dans le ça. Simultanément la formation de la phobie s’effectue… L’angoisse de castration reçoit un autre objet et une expression déformée ». Le système de projection mis en place échange « un danger pulsionnel interne » contre « un danger perceptif externe » à l’égard duquel il est plus facile de se défendre notamment par la « fuite qui ne sert à rien contre un danger venant de l’intérieur ». Ainsi l’angoisse est devenue un signal d’alarme ; elle pousse le Moi de l’enfant à utiliser les divers mécanismes de défense à sa disposition pour lutter contre ce qu’il pressent comme un danger. Le symptôme a une fonction économique permettant de stopper le développement de l’angoisse. Il importe de bien saisir ici qu’on est passé d’une compréhension « réflexologiste » de l’angoisse à une hypothèse métapsychologique, l’angoisse devenant le précurseur d’une élaboration fantasmatique secondaire. En fonction du stade maturatif de l’enfant, le niveau d’angoisse fantasmatique évolue comme l’a bien montré A. Freud, passant par exemple de l’angoisse de perte d’objet, à l’angoisse de perte d’amour de l’objet, puis à l’angoisse de castration (le normal et le pathologique).
M. Klein et le dualisme pulsionnel fondateur
Pour M. Klein, le dualisme pulsionnel est constitutif de l’individu. Aussi le bébé, si jeune soit-il, doit faire face à l’antagonisme de ses pulsions agressives (qu’il projette) et de ses pulsions libidinales. Sans revenir ici sur ses principales élaborations théoriques (cf. chap. 2), nous dirons brièvement que les angoisses sont principalement persécutives à la phase schizoparanoïde : le bébé se défend de l’angoisse provoquée par ses pulsions agressives en projetant celles-ci sur les mauvais objets environnants (mauvais sein – frustrant, puis mauvaise mère), en même temps que, par clivage, il protège l’image d’un bon sein gratifiant, puis d’une bonne mère. Ce clivage a toutefois pour conséquence de faire vivre le bébé, selon M. Klein, dans l’angoisse d’être « attaqué » par ce mauvais sein ou cette mauvaise mère (angoisse paranoïde). Un second palier est atteint lorsque se constituent les prémices de l’objet total où se trouve intériorisée la crainte de destruction du bon sein ou de la bonne mère. C’est alors que se déploient les angoisses dépressives, le bébé ayant le sentiment d’être mauvais envers ce qui est bon, objet ou personne. Secondairement, passé le stade de la position dépressive, par déplacement et condensation métonymique s’installe l’angoisse de castration.
L’angoisse de séparation prototypique
En 1905 (Trois essais sur la théorie de la sexualité), S. Freud écrivait : « l’angoisse chez les enfants n’est à l’origine pas autre chose qu’un sentiment d’absence de la personne aimée ». En 1926, il envisage finalement l’angoisse de séparation comme toile de fond commune de l’angoisse névrotique. Plus tard, à travers le jeu de la bobine (Essai de psychanalyse), S. Freud décrit la manipulation par un enfant de 18 mois de l’absence et de la réapparition d’un objet alors qu’il se trouve seul, jeu ponctué d’exclamations (for : parti ; da : voilà). L’auteur remarque que le temps de la réapparition de l’objet provoquée par l’enfant manque volontiers : « le départ était mis en scène pour lui seul comme jeu et même bien plus souvent que l’épisode entier avec sa conclusion et le plaisir qu’elle procurait ». Comment quelque chose d’a priori désagréable, l’absence, peut-elle procurer du plaisir ? Deux explications sont avancées. Il pourrait s’agir de pulsions agressives envers la mère réprimées habituellement. L’enfant exprimerait ainsi sa désapprobation par rapport à sa solitude, au manque. « L’objet naît dans la haine. »
Pour Spitz, le bébé ne connaît d’abord que des états de tensions physiologiques désagréables dans le premier semestre de sa vie. Au cours du deuxième semestre, la reconnaissance progressive du visage maternel et la perception de son absence (peur du visage de l’étranger vers le huitième mois) constituent le second organisateur autour duquel l’élaboration psychique va se poursuivre. Nous reverrons ce point à propos des phobies.
Pour Malher, le point de départ est l’existence d’un état fusionnel entre mère et enfant totalement gratifiant d’où toute angoisse est exclue. L’angoisse apparaît aux premiers stades de la phase de séparation, à une époque où l’équipement maturatif de l’enfant a fait des progrès tels que, tant chez la mère que chez l’enfant, le fantasme d’une parfaite symbiose ne peut plus être maintenu. L’angoisse de séparation émerge alors et autour d’elle s’organiseront les étapes ultérieures.
Dans une perspective légèrement différente, Sandler et Joffe distinguent pour leur part deux états affectifs de base, l’un qui serait de souffrance (quasi physiologique) lorsque l’objet de la relation fusionnelle vient à manquer à l’époque où il est encore nécessaire, l’autre, véritable affect dépressif, qui apparaît dans un second temps, et se traduit par la nostalgie et la souffrance psychique secondaire à l’absence de l’objet, mais à une période plus tardive.
Bowlby considère que le besoin d’attachement du nourrisson à sa mère est un besoin primaire dont la non-satisfaction provoque l’apparition d’une « angoisse primaire ». Cette angoisse est toutefois comprise au début comme la résultante d’une impossibilité pour l’enfant à trouver son objet d’attachement normal. La réalité de l’absence directement inspirée des études éthologiques est plus importante ici que dans les travaux de Spitz où le décalage par rapport à un visage connu (celui de la mère) joue le rôle essentiel.