15: Troubles anxieux, symptômes et organisation d’apparence névrotique

15 Troubles anxieux, symptômes et organisation d’apparence névrotique


L’émergence anxieuse constitue chez l’enfant, comme chez l’adulte, la porte d’entrée de la majorité des états psychopathologiques décrits tout au long de cet ouvrage. Les travaux les plus récents, sous l’impulsion des classifications actuelles, individualisent les troubles anxieux dans leurs formes chroniques et plus encore aiguës (attaque de panique, trouble panique). Leur organisation nosographique se calque sur le modèle adulte dont la pertinence repose en grande partie sur l’efficacité thérapeutique des antidépresseurs dans les manifestations cliniques d’angoisse. Cependant, cette approche purement descriptive montre ses limites chez l’enfant avec d’un côté les rapports complexes entre anxiété dite développementale et angoisse dite pathologique, et d’un autre côté la constatation des associations pathologiques encore appelées « comorbidité » dont la très grande fréquence avec les troubles anxieux pose implicitement la question de la transformation de l’affect anxieux en une pathologie autre qu’elle soit psychique (phobie, inhibition, obsession, etc.), affective (dépression), comportementale (instabilité, agitation, colère, etc.) ou à expression somatique (troubles du sommeil, de l’alimentation, plainte hypocondriaque).


Décrire l’anxiété ne saurait suffire. Certes l’explication psychopathologique ne doit pas se substituer à la description sémiologique mais celle-ci n’a de sens qu’étayée par une élaboration et un modèle théorique. Il est probable que les psychiatres et psychanalystes d’adulte évoquent plus souvent « la névrose infantile » que les psychiatres ou psychanalystes d’enfant ne parlent de « la névrose d’un enfant ». Ceci nous introduit d’emblée à la double interrogation :



En effet, le danger à propos de la névrose chez l’enfant est d’une part de se servir directement des reconstructions freudiennes sur la névrose infantile, et d’autre part d’adopter une attitude adultomorphiste avec l’habituelle distinction névrose phobique–névrose hystérique–névrose obsessionnelle qui dans le champ de la pédopsychiatrie ne correspond pas à une réalité clinique dans sa double perspective synchronique et diachronique, sauf peut-être dans les derniers stades de l’adolescence. En dehors de cette dernière période, les manifestations névrotiques de l’enfant se caractérisent par une variabilité des conduites psychopathologiques qui épousent à la fois les aléas des interactions vécues par l’enfant et les remaniements consécutifs à la croissance. Cette plasticité bien différente des névroses de l’adulte nous oblige à distinguer deux niveaux d’études pour ce qui concerne les manifestations pathologiques de l’angoisse :



Dans la première partie de ce chapitre, nous décrirons d’abord les vicissitudes des affects de peur et d’anxiété au cours du développement de l’enfant et analyserons succinctement le concept freudien de « névrose infantile » pour nous en écarter dans la suite de ce chapitre quelle que soit la pertinence de ce modèle pour les psychanalystes d’adulte. Nous avons évité le terme de névrose, nous limitant de façon intentionnelle à l’étude de l’angoisse et des conduites dites névrotiques, et des troubles anxieux.



Remarques préliminaires


L’existence d’une névrose en tant qu’organisation structurée chez l’enfant n’a pas toujours été acceptée sans réserve, et reste d’ailleurs une question débattue : pour certains, on ne peut parler de névrose sans intériorisations suffisantes des relations d’objet et surtout sans une différenciation topique entre les instances surmoïque et moïque qui permettent l’aménagement d’un conflit dit névrotique (stade phallique-œdipien). Pour de nombreux auteurs, ces conditions excluent du champ des névroses la pathologie du petit enfant (avant 4–5 ans) et expliquent aussi la fluidité de la symptomatologie en fonction de la maturation de l’enfant. Au cours de la croissance, en effet, les capacités adaptatives du Moi de l’enfant, les pulsions auxquelles il doit faire face, l’intériorisation de la loi parentale, d’abord personnalisée puis de plus en plus abstraite et socialisée, sont à l’origine d’un équilibre sans cesse rompu et retrouvé sur de nouvelles bases. Ces réaménagements dynamiques et économiques permanents rendent compte de la variabilité sémiologique. Ainsi, contrairement à l’adulte, il n’existe pas chez l’enfant, sauf exception, une névrose phobique, hystérique ou obsessionnelle qui témoignerait de modes d’interactions relativement stabilisés. Les organisations névrotiques de l’enfant, dans la mesure où elles existent, doivent par conséquent répondre à deux critères :



Ces critères avaient été parfaitement exposés par A. Freud dès 1945 dans Le traitement psychanalytique des enfants. Pour rester au plus près de la clinique, cette variabilité nous impose une étude diachronique et développementale des symptômes névrotiques de l’enfant et non un abord structurel. Elle impose également de connaître les mouvements naturels de l’affect de peur au cours du développement.



Vicissitudes de l’affect de peur au cours du développement




Rituels obsessionnels de l’enfance


Ils représentent le premier stade développemental d’apparition des conduites obsessionnelles. Il existe un lien direct entre les premières interactions du bébé avec son entourage, la répétition et l’apprentissage qui en résultent pour aller jusqu’au rituel lui-même. La « réaction circulaire » de Piaget peut être comprise comme l’ébauche d’une ritualisation. Le jeu de la bobine décrit par Freud nécessite la répétitivité du rejet (for) et de la récupération (da).


A. Freud a bien montré que le stade anal avec l’investissement de la maîtrise, du contrôle, de la propreté, de la rétention, toutes conduites qui traduisent fréquemment le contre-investissement du désir de salir (le jeu dans la gadoue), de se souiller (les fréquentes échappées encoprétiques transitoires), de détruire, représente en réalité une phase obsessionnelle transitoire et banale. Les exigences familiales ne vont pas sans influencer les exigences pulsionnelles internes : se laver les mains, bien se tenir, ne pas prononcer de « gros mots », ou, à l’opposé, laisser s’exprimer la crudité du langage et du comportement. Cette attitude éducative module la période anale, source de possible fixation ultérieure. Au décours de la phase anale et lors de la période œdipienne, si la conduite phobique est la plus fréquente, la tentative de maîtrise de l’angoisse par la ritualisation, est, en fréquence, la seconde issue choisie par l’enfant. Les rituels du coucher en sont un exemple : rite de rangement des pantoufles, d’arrangement de l’oreiller, histoire à raconter… Là encore, comme pour les phobies, la réponse de l’entourage peut orienter cette conduite dans un registre pathologique lorsqu’on ne permet pas à l’enfant de calmer son angoisse. À l’opposé, raconter l’histoire, placer les chaussons à leur place, rassure l’enfant qui désinvestira peu à peu ce comportement à mesure que la maturité du Moi lui fournira d’autres systèmes défensifs.



En résumé


Les principales manifestations anxieuses au cours du développement sont résumées dans le tableau 15.1 où elles sont mises en perspectives avec l’âge, l’évolution des compétences et les préoccupations de l’enfant. Il est intéressant de noter que selon l’âge, les pics d’anxiété pathologique correspondant à des troubles anxieux individualisés dans les classifications actuelles sont décalés dans le temps. Ainsi l’anxiété de séparation est banale vers 2–4 ans, alors que le pic moyen d’âge de début du trouble anxiété de séparation se situe lui vers 10–11 ans (cf. plus loin).




Quelques remarques sur le modèle de la névrose infantile


S. Freud a défini, soit à partir d’observation sur l’enfant lui-même (le petit Hans), soit à partir de reconstruction chez les adultes névrosés (l’Homme aux rats, l’Homme aux loups), la névrose infantile. Pour Freud, la névrose infantile est un « complexe nodal » où s’organise la vie pulsionnelle de l’enfant. Nous ne reviendrons pas ici sur l’évolution libidinale de l’enfant (cf. chap. 2) sinon pour rappeler que les diverses pulsions partielles (orale, anale, phallique) doivent au moment de l’Œdipe s’unifier sous le primat des pulsions génitales. Mais le refoulement vient dans un premier temps effacer cette préforme d’organisation névrotique, seule la reconstruction après coup par l’adolescent puis l’adulte du vécu fantasmatique de la petite enfance viendra donner la signification habituellement traumatique que le névrosé adulte attribue à certains événements de son enfance.


Ainsi pour Freud lui-même la névrose infantile fonctionne plus comme un modèle explicatif de la névrose d’un adulte que comme une réalité de la clinique infantile. Il convient cependant de dire que le cas du petit Hans, présenté à la fois comme exemple de névrose infantile, comme cas clinique et comme prototype de développement quasi normal, est venu brouiller profondément les cartes. Smirnoff (1968) a souligné l’ambiguïté inhérente au fait d’utiliser le même terme de « névrose infantile » pour parler d’un état morbide et pour évoquer un moment fécond et structurant de l’organisation psychique de l’enfant. La même ambiguïté se retrouve dans l’utilisation du terme « position dépressive » (cf. chap. 16). Pour notre part, à la suite de Lebovici, il nous paraît préférable de réserver strictement le terme « névrose infantile » à la notion d’un modèle métapsychologique caractéristique d’un stade du développement normal de l’enfant et d’y opposer le terme de « névrose chez l’enfant » ou trouble anxieux pour parler de la réalité clinique.


La névrose infantile traduit l’organisation de la sexualité infantile autour des positions phalliques, de la crainte de la menace de la castration, d’une part et des figurations de la problématique œdipienne, d’autre part. La « névrose infantile » en cours de constitution n’a qu’une « faible expressivité clinique » témoignant simplement de l’organisation progressive de l’appareil psychique avec la différenciation des instances et l’utilisation élargie des mécanismes de défenses (refoulement, déplacement, isolation, retournement en son contraire, etc.). Cette « névrose infantile » quasi asymptomatique ne trouve son expressivité que dans le déploiement ultérieur d’une névrose à expression transférentielle chez un adulte et dans la « névrose de transfert » mobilisée, après coup, par la cure psychanalytique elle-même. Ainsi selon P. Denis (1979), la « névrose infantile » correspond à l’organisation de la période de latence elle-même. C’est la mise en place de cette névrose infantile qui rend compte, du fait du refoulement, de l’amnésie infantile. De ce point de vue, la période de la latence n’est pas cette phase où « il ne se passe rien » comme une compréhension hâtive pourrait le laisser croire. C’est au contraire une phase de mise en « historicité » du sujet, le refoulement permettant que se constitue ce passé infantile inscrivant l’organisation psychique dans le déroulement du temps avec les scansions qui représenteront les divers « après-coups » : le sujet devient ainsi dépositaire d’une mémoire, d’un passé, toujours accessible, toujours remanié, ouvrant à la narrativité.


C’est à cette mise en latence que semblent échouer les troubles anxieux de l’enfant. La question se pose alors de ces manifestations anxieuses chez l’enfant en fonction, comme nous l’avons plusieurs fois répété, des étapes de la maturation de l’enfant et de son environnement.



Anxiété et angoisse chez l’enfant



Étude clinique


Il est classique de distinguer :



En pratique, un gradient continu relie angoisse–anxiété–peur où l’on va d’un état qui serait purement physiologique (la réaction de stress) à une mentalisation progressive de la conduite (place du fantasme).


L’angoisse surgit lorsque l’équipement maturatif de l’individu ne peut répondre de manière adéquate à une tension vécue comme menaçante : que cette tension soit d’origine interne ou externe, que l’équipement maturatif soit défaillant ou encore inexpérimenté ne change rien à la nature de l’affect. On conçoit toutefois que les manifestations cliniques de l’angoisse soient variées, multiples et changeantes. Outre les manifestations chroniques et aiguës, en clinique infantile il faut distinguer aussi les manifestations d’angoisse préverbales de celles qui surgissent quand l’enfant peut exprimer en paroles ce qu’il éprouve.



Clinique de l’angoisse préverbale du nourrisson et du très jeune enfant


La constatation de cette angoisse dépend en grande partie des capacités d’observation et d’empathie de l’adulte. Chaque mère connaît le registre des cris de son bébé qui exprime la colère, le bercement–plaisir, l’appel mais parfois aussi la panique : ces derniers la font venir rapidement auprès de lui.


À ces cris de panique s’associent :



Les troubles somatiques sont fréquents : anorexie, colique, etc., mais en particulier troubles du sommeil et surtout difficultés du bébé à trouver un rythme veille–sommeil régulier et satisfaisant.


L’angoisse du visage de l’étranger décrite par R. Spitz (cf. chap. 2, Psychanalyse génétique) et plus encore la réaction de protestation décrite par J. Bowlby chez un enfant qui vient d’être séparé de sa mère montrent l’une et l’autre la place de l’anxiété/angoisse dans le développement et la maturation du nourrisson.



Clinique de l’anxiété de l’enfant




Crise d’angoisse aiguë ou attaque de panique


Décrite dans le DSM-IV comme attaque de panique (la récurrence de ces « attaques » définit le « trouble panique »), la crise d’angoisse aiguë présente un début spontané et paroxystique marqué par :



Plus l’enfant est jeune, plus le contexte somatique est riche. L’enfant paraît terrifié, en sueur, il est difficilement accessible « au raisonnement ». Jeune, avant 7–8 ans, seule la présence d’un parent, père ou mère, est susceptible de calmer réellement cet accès d’angoisse. L’exemple le plus typique en est la terreur nocturne (cf. chap. 4, Parasomnies). Avec l’âge, l’enfant extériorise son angoisse, non pas en l’exprimant, mais le plus souvent en l’agissant : ainsi le corollaire de la crise d’angoisse devient vers 11–12 ans, le passage à l’acte sous ses diverses formes : crises de colère, attitude d’exigences insatiables, fugues, troubles divers du comportement. Le risque est alors que l’anxiété de l’adulte provoque une spirale ascendante où l’angoisse de l’un majore celle de l’autre. La contention physique ferme, mais bienveillante, la limitation de la destructivité de l’enfant représentent les meilleures attitudes propres à calmer dans un premier temps cet accès aigu d’angoisse. Dans ces conditions, celui-ci se calme spontanément au bout de quelques minutes.


Bien que l’on décrive son début comme spontané, l’entretien clinique empathique retrouve souvent un événement et plus encore une pensée qui précédent la crise et la déclenchent. Ceux-ci ont en général un lien avec l’idée de séparation. Plus l’enfant est jeune plus la distinction entre l’hyperanxiété ou l’angoisse aiguë d’un côté et de l’autre l’angoisse de séparation pathologique paraît difficile, voire factice. Nous aborderons ce point dans la partie théorique.





Évolution


Lorsque les accès anxieux se répètent à l’identique, ils définissent un trouble dont les principaux sont listés dans la partie III de ce chapitre. On doit noter cependant que les manifestations anxieuses évoluent et se transforment régulièrement avec l’apparition d’autres registres anxieux ou d’autres manifestations dites névrotiques (cf. ci-après).


L’association à d’autres types de pathologies si fréquemment décrites sous le terme de « comorbidité » dans la littérature anglo-saxonne ne fait que traduire cette transformation psychique de l’angoisse et rend compte des « complications » avec apparition de :



Toutes les enquêtes épidémiologiques montrent la fréquence de telles associations sans compter les manifestations phobiques (phobie simple, phobie sociale), ce qui rend souvent difficile la lecture et l’interprétation de ces travaux.


Quant à l’évolution à l’adolescence et à l’âge adulte, les travaux les plus récents tendent à montrer :




Modèles de l’angoisse chez l’enfant dans la théorie psychanalytique


Chez l’enfant l’angoisse est-elle un symptôme ou une condition de son développement ? Si l’angoisse est un symptôme, de quoi est-elle le symptôme ? D’une anomalie neurochimique ? D’un besoin primaire insatisfait ? D’une pulsion inassouvie ? D’une menace externe ou interne au sujet ?


Si, inversement, elle est considérée comme une condition de son développement, elle participe alors à l’épigenèse de l’individu. Les rapports entre l’angoisse et la « normalité » méritent d’être clarifiés. Autrement formulé, un enfant peut-il croître sans connaître l’angoisse : le développement n’est-il pas en lui-même source d’angoisse par les contraintes de changements qu’il impose ?


Depuis une quinzaine d’années, les études sur l’anxiété et l’angoisse chez l’enfant ont été renouvelées par les perspectives d’une psychiatrie descriptive qui se veut « a-théorique » selon l’expression consacrée par le DSM-IV. Si pour l’angoisse de l’adulte, la dite classification peut proposer des critères descriptifs sortant le « symptôme » du cadre névrotique habituel, pour l’enfant la référence au développement reste incontournable comme nous l’avons évoqué plus haut. Il importe donc, au plan psychologique, de s’interroger sur la place de l’angoisse dans le développement et la construction de la personnalité.



S. Freud et l’angoisse de castration


L’observation du Petit Hans publiée initialement en 1909 est paradigmatique des idées de Freud sur les liens entre l’angoisse et la sexualité, notamment sur le rôle central qu’il attribue au complexe d’Œdipe dans la théorie psychanalytique.


Le symptôme en cause chez ce garçon de 5 ans est la crainte d’être mordu par les chevaux, crainte qui l’empêche de sortir de chez lui. Dans sa première élaboration théorique, Freud pose le problème du maintien du lien avec la mère. En effet, dans le rêve d’angoisse fondateur Hans perd sa mère, il ne peut plus « faire câlin » avec celle-ci. L’auteur conclut que « la tendresse accrue pour la mère se mue en angoisse qui succombe au refoulement ». L’autre aspect soulevé par Freud concerne la mise en évidence chez Hans d’une angoisse de perdre une partie du corps que l’auteur relie à la menace de castration. L’angoisse phobique est due au refoulement (première théorie) de tendances agressives (hostiles envers le père, sadiques envers la mère). La crainte d’externaliser de telles pulsions est déplacée sur un objet substitutif mais la fonction du symptôme est de maintenir le lien avec la mère. « Le petit amoureux se cramponne de par sa phobie même à l’objet de son amour bien que des mesures soient prises pour le rendre inoffensif. Le caractère particulier d’une affection névrotique se manifeste dans ce double résultat. » Dans cette première théorie, l’angoisse résulte du refoulement de la libido lorsqu’elle ne trouve pas l’objet de sa satisfaction : l’angoisse est donc secondaire et représente une imperfection, une scorie d’un mécanisme psychique (le refoulement) imparfait. Ainsi lorsque la mère est absente, la libido n’ayant plus d’objet de fixation doit être refoulée, ce qui provoque l’angoisse. Lorsque l’excitation sexuelle et le désir masturbatoire ne peuvent être maintenus à la conscience, la libido doit être refoulée : elle se transforme alors en angoisse.


Cependant Freud est amené à remanier profondément cette théorie dans Inhibition, symptôme et angoisse. En 1926, il réexamine cette observation à la lumière des remaniements théoriques qu’il apporte à ce texte. Le but de la phobie est désormais de tenter de solutionner le conflit œdipien vis-à-vis du père par le refoulement de la motion pulsionnelle hostile. Le moteur du refoulement est « l’angoisse devant une menace de castration ». Être mordu est un substitut du contenu « être châtré par le père », contenu qui subit le refoulement. Dans cette deuxième théorie, « dès que le moi a reconnu le danger de castration il donne le signal d’angoisse et inhibe au moyen de l’instance plaisir-déplaisir, le processus d’investissement menaçant dans le ça. Simultanément la formation de la phobie s’effectue… L’angoisse de castration reçoit un autre objet et une expression déformée ». Le système de projection mis en place échange « un danger pulsionnel interne » contre « un danger perceptif externe » à l’égard duquel il est plus facile de se défendre notamment par la « fuite qui ne sert à rien contre un danger venant de l’intérieur ». Ainsi l’angoisse est devenue un signal d’alarme ; elle pousse le Moi de l’enfant à utiliser les divers mécanismes de défense à sa disposition pour lutter contre ce qu’il pressent comme un danger. Le symptôme a une fonction économique permettant de stopper le développement de l’angoisse. Il importe de bien saisir ici qu’on est passé d’une compréhension « réflexologiste » de l’angoisse à une hypothèse métapsychologique, l’angoisse devenant le précurseur d’une élaboration fantasmatique secondaire. En fonction du stade maturatif de l’enfant, le niveau d’angoisse fantasmatique évolue comme l’a bien montré A. Freud, passant par exemple de l’angoisse de perte d’objet, à l’angoisse de perte d’amour de l’objet, puis à l’angoisse de castration (le normal et le pathologique).



M. Klein et le dualisme pulsionnel fondateur


Pour M. Klein, le dualisme pulsionnel est constitutif de l’individu. Aussi le bébé, si jeune soit-il, doit faire face à l’antagonisme de ses pulsions agressives (qu’il projette) et de ses pulsions libidinales. Sans revenir ici sur ses principales élaborations théoriques (cf. chap. 2), nous dirons brièvement que les angoisses sont principalement persécutives à la phase schizoparanoïde : le bébé se défend de l’angoisse provoquée par ses pulsions agressives en projetant celles-ci sur les mauvais objets environnants (mauvais sein – frustrant, puis mauvaise mère), en même temps que, par clivage, il protège l’image d’un bon sein gratifiant, puis d’une bonne mère. Ce clivage a toutefois pour conséquence de faire vivre le bébé, selon M. Klein, dans l’angoisse d’être « attaqué » par ce mauvais sein ou cette mauvaise mère (angoisse paranoïde). Un second palier est atteint lorsque se constituent les prémices de l’objet total où se trouve intériorisée la crainte de destruction du bon sein ou de la bonne mère. C’est alors que se déploient les angoisses dépressives, le bébé ayant le sentiment d’être mauvais envers ce qui est bon, objet ou personne. Secondairement, passé le stade de la position dépressive, par déplacement et condensation métonymique s’installe l’angoisse de castration.


À la lecture des œuvres de M. Klein, il est clair que l’angoisse est une donnée existentielle de base à laquelle nul enfant ne saurait échapper.



L’angoisse de séparation prototypique


S. Freud avait très tôt esquissé un lien entre l’angoisse de séparation et l’angoisse de castration plaçant l’angoisse de castration à la suite de l’angoisse de séparation initiale et évoluant vers une angoisse « morale » ou « sociale » (Inhibition, symptôme et angoisse, 1926).


En 1905 (Trois essais sur la théorie de la sexualité), S. Freud écrivait : « l’angoisse chez les enfants n’est à l’origine pas autre chose qu’un sentiment d’absence de la personne aimée ». En 1926, il envisage finalement l’angoisse de séparation comme toile de fond commune de l’angoisse névrotique. Plus tard, à travers le jeu de la bobine (Essai de psychanalyse), S. Freud décrit la manipulation par un enfant de 18 mois de l’absence et de la réapparition d’un objet alors qu’il se trouve seul, jeu ponctué d’exclamations (for : parti ; da : voilà). L’auteur remarque que le temps de la réapparition de l’objet provoquée par l’enfant manque volontiers : « le départ était mis en scène pour lui seul comme jeu et même bien plus souvent que l’épisode entier avec sa conclusion et le plaisir qu’elle procurait ». Comment quelque chose d’a priori désagréable, l’absence, peut-elle procurer du plaisir ? Deux explications sont avancées. Il pourrait s’agir de pulsions agressives envers la mère réprimées habituellement. L’enfant exprimerait ainsi sa désapprobation par rapport à sa solitude, au manque. « L’objet naît dans la haine. »


S. Freud propose une autre explication : l’organisation d’un tel jeu pourrait être l’expression d’un certain niveau de maturation de l’appareil psychique tel que l’enfant commence à se suffire lui-même pour contenir la menace d’anéantissement liée à l’angoisse et à la solitude. Une telle maîtrise est par ailleurs source de plaisir. Cette conduite de maîtrise représente la tentative de contrôler le danger vécu en passant d’une position passive à une attitude active. L’enfant commence à utiliser son psychisme de manière autonome. Il parvient à représenter et tolérer la séparation, la solitude. L’investissement du fonctionnement autonome (aussi bien mentalisé interne, qu’externalisé comportemental) représente ainsi un palier essentiel dans les transformations possibles (ou impossibles) de l’angoisse.


Après Freud, de nombreux auteurs se sont attachés à dater chronologiquement l’émergence de l’angoisse chez l’enfant, distinguant un avant (paradis perdu, éden mythique ?) et un après. Rank et le traumatisme de la naissance, prototype de toute angoisse ultérieure, Spitz et l’angoisse du visage de l’étranger, Malher et le processus de séparation–individuation en sont les exemples représentatifs.



image Pour Spitz, le bébé ne connaît d’abord que des états de tensions physiologiques désagréables dans le premier semestre de sa vie. Au cours du deuxième semestre, la reconnaissance progressive du visage maternel et la perception de son absence (peur du visage de l’étranger vers le huitième mois) constituent le second organisateur autour duquel l’élaboration psychique va se poursuivre. Nous reverrons ce point à propos des phobies.


image Pour Malher, le point de départ est l’existence d’un état fusionnel entre mère et enfant totalement gratifiant d’où toute angoisse est exclue. L’angoisse apparaît aux premiers stades de la phase de séparation, à une époque où l’équipement maturatif de l’enfant a fait des progrès tels que, tant chez la mère que chez l’enfant, le fantasme d’une parfaite symbiose ne peut plus être maintenu. L’angoisse de séparation émerge alors et autour d’elle s’organiseront les étapes ultérieures.


image Dans une perspective légèrement différente, Sandler et Joffe distinguent pour leur part deux états affectifs de base, l’un qui serait de souffrance (quasi physiologique) lorsque l’objet de la relation fusionnelle vient à manquer à l’époque où il est encore nécessaire, l’autre, véritable affect dépressif, qui apparaît dans un second temps, et se traduit par la nostalgie et la souffrance psychique secondaire à l’absence de l’objet, mais à une période plus tardive.


image Bowlby considère que le besoin d’attachement du nourrisson à sa mère est un besoin primaire dont la non-satisfaction provoque l’apparition d’une « angoisse primaire ». Cette angoisse est toutefois comprise au début comme la résultante d’une impossibilité pour l’enfant à trouver son objet d’attachement normal. La réalité de l’absence directement inspirée des études éthologiques est plus importante ici que dans les travaux de Spitz où le décalage par rapport à un visage connu (celui de la mère) joue le rôle essentiel.

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 15: Troubles anxieux, symptômes et organisation d’apparence névrotique

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