15: La mobilisation électroactive: Ou l’application de la stimulation neuromusculaire à la rééducation de la main traumatique innervée

Chapitre 15


La mobilisation électroactive


Ou l’application de la stimulation neuromusculaire à la rééducation de la main traumatique innervée






Historique


L’utilisation des courants électriques d’origine animale : raie électrique (torpedo marmorata), anguille électrique (symnotus electricus), et poisson-chat du Nil (malopterurus electricus) à visée antalgique et excitomotrice, est connue depuis l’Antiquité et documentée en Égypte, en Grèce et à Rome. Des gravures de poissons-chats du Nil datant de 2750 avant J.-C. ont été retrouvées sur des tombes égyptiennes. Ces poissons ont pour caractéristique de stocker de l’électricité statique comme des condensateurs et de pouvoir la décharger pour se protéger.


Le vase de Leyden fut l’un des premiers condensateurs conçu qui permit une application fiable de l’électromédecine. Le mot latin electricita signifie ambre, résine fossile qui, frottée, stocke de l’électricité statique. Les premiers textes parlant de stimulation excitomotrice sur les muscles normalement innervés de l’hémiplégique semblent être le livre de Kratsenstein en 1754 (Watkins 1972) [1] et la thèse de doctorat de Deshais : « De hemiplegia per electricitatem curanda » présentée en 1749 à Montpellier (Licht 1967) [2].


En 1867, Duchenne de Boulogne publie un ouvrage qui reste toujours actuel : La Physiologie du mouvement [3]. Duchenne de Boulogne est considéré comme le père de l’électrothérapie moderne (figure 15.1).



À la fin du XIXe siècle pratiquement tous les effets thérapeutiques des courants électriques sont connus. Cependant pour différentes raisons, entre autres prétentions abusives et escroqueries diverses, mauvaise prise en charge par les assurances de santé, formation insuffisante du corps médical, découverte de médicaments antalgique, l’électrostimulation effectue une traversée du désert jusqu’aux années 1960. Comme l’écrit Whynn Parry : « Is is curious that the value of electrical stimulation has been dormant for almost 100 years » [4]. À partir des années 1960, l’électrostimulation renaît comme une technique efficace et souvent incontournable. La miniaturisation des stimulateurs permet une application « chronique » ambulatoire confiée au patient lui-même. Plusieurs équipes contribuent à cette renaissance dans trois directions principales.



La stimulation électrique fonctionnelle


Il s’agit de l’utilisation des groupes musculaires du patient comme orthèses actives en neurologie centrale, dans le cas de lésion du premier motoneurone. Les muscles restant normalement innervés et stimulables. Le pacemaker cardiaque dont personne ne conteste l’efficacité peut être classé dans ce groupe. Il faut citer les travaux de Liberson (1962) [5] et de Gracanin (1972) [6] sur l’amélioration de la marche de l’hémiplégique et du paraplégique. Au niveau du membre supérieur, les travaux des équipes de Rancho Los Amigos [7], de Ljubljana [8] et de Cleveland, entre autres, ont abouti au développement du « Free Hand system » appareillage implanté permettant de redonner une préhension à la main du tétraplégique. Ce système est actuellement commercialisé [9].



La stimulation excitomotrice à visée de renforcement musculaire


Cette technique mise au point par Xvilon et Kots 1977 [10] fut très utilisée chez les athlètes souvent afin de fixer les anabolisants, dans les pays de l’ancien bloc soviétique.




Évolution des idées



De la stimulation électrique fonctionnelle en neurologie centrale à la stimulation neuromusculaire de la main traumatique innervée


Jusqu’aux années 1970, l’opinion classique en médecine de rééducation ne voyait pas l’intérêt de stimuler un muscle normalement innervé en traumatologie puisque le patient en avait le contrôle. Les idées évoluèrent progressivement grâce à l’expérience acquise en stimulation électrique fonctionnelle.


Les effets bénéfiques d’une stimulation « chronique » appliquée plusieurs heures par jour en neurologie centrale sont cliniquement évidents en ce qui concerne l’amélioration de la trophicité, des amplitudes articulaires et du contrôle moteur, ou sur la diminution de la raideur [11].


En 1974, Braun, à l’hôpital de Rancho Los Amigos implanta un pacemaker cardiaque modifié pour maintenir l’excursion tendineuse obtenue par ténolyse de fléchisseurs.


En 1976, Thomas commença à appliquer à la main traumatique ce qui était appliqué sur la main des cérébrolésés [12].



Comparaison entre le contrôle moteur de la main traumatique normalement innervée et la neurologie centrale


Suite à un traumatisme ou une intervention chirurgicale, le patient se trouve pris dans le cercle vicieux décrit par Beasley : douleur, inflammation, œdème qui inhibe au travers des réflexes de défense nociceptifs la capacité de contraction volontaire et mécaniquement la mobilisation digitale. Si le patient ne mobilise pas rapidement et dans une amplitude suffisante les structures lésées, la fibrose tissulaire, les adhérences et l’exclusion corticale entraînent la raideur. Ce cercle vicieux provoque une forme de parésie temporaire du contrôle moteur volontaire que l’on peut comparer à la perte de commande de la neurologie centrale. Les unités motrices sont normalement innervées, le 2e motoneurone n’est pas lésé mais la lésion du 1er motoneurone entraîne une paralysie centrale.


Le rôle primordial de la rééducation est de prévenir l’installation de ce cercle vicieux, surtout de la douleur, qui est à l’origine des réflexes nociceptifs inhibant la contraction volontaire. C’est à ce niveau que la stimulation neuromusculaire se révèle particulièrement utile. L’électrostimulation est le seul agent physique entraînant simultanément une contraction musculaire dosable, un effet antalgique et un effet de rétro-information sensoriel, de facilitation neuromusculaire. Ces effets appelés efférents (moteur) et afférents (rétro-information) sont bien documentés dans la littérature [13].



Mobilisation passive et douleur


Toute mobilisation articulaire physiologique se décompose en rotation sagittale, en glissement articulaire, en rotation axiale et en mouvement de latéralités. Les tendons moteurs sont insérés sur la base de l’articulation qu’ils mobilisent. Ils agissent par bras de levier court et entraînent automatiquement ces quatre composantes. La mobilisation passive agit par bras de levier long. Sur une articulation enraidie, elle entraîne une rotation sagittale mais pas de glissement. Il en résulte une traction sur les structures capsulo-ligamentaires et un pincement articulaire qui devient vite douloureux, provoque une contraction musculaire réflexe de défense et éventuellement des réflexes nociceptifs parfois responsables du déclenchement d’un SDRC de type I.


L’électrocontraction induit une mobilisation articulaire physiologique. Elle inhibe la contraction des muscles antagonistes (inhibition réciproque de Sherrington). Elle diminue la douleur par son effet antalgique annexe toujours présent. Les messages proprioceptifs afférents émis par le mouvement et aussi la sensation de stimulation électrique entretiennent le schéma moteur et s’opposent à l’exclusion corticale (Vodovnik, 1971) [14]. Faire effectuer une mobilisation articulaire d’intensité et de quantité réglables agit comme un pacemaker articulaire (Liberson, 1962).


L’association travail actif, renforcé par électrocontraction, est appelée travail ou exercice électroactif [15].



Application clinique du travail électroactif


Avant de l’appliquer sur un patient, le thérapeute doit maîtriser l’application d’abord sur lui-même puis sur des collègues thérapeutes. Un thérapeute qui n’accepte pas la sensation de stimulation et ne maîtrise pas l’application sur lui-même n’est pas à même d’utiliser cette technique sur les patients. Il transmet son insécurité au patient qui à son tour acceptera mal cette technique. Il convient de revisiter l’anatomie de façon vivante à travers l’électrocontraction. C’est là que l’on se rend compte que tous les mouvements sont diagonaux et spiraux et croisent toujours les trois plans de l’espace.



Choix du matériel : stimulateurs, électrodes


Le muscle normo-innervé pose peu de problèmes de stimulation. Tous les appareils récents délivrent des courants de basse fréquence et pour des raisons de sécurité médico-légales des courants biphasiques peu polarisés ou rarement non polarisés. Sur les appareils d’ancienne génération, il était possible de trouver des courants polarisés. Une électrode était active l’autre dispersive, ce qui permettait de solliciter de façon précise un groupe musculaire mais entraînait des effets polaires électrochimiques responsables de brûlures d’abord chimiques puis électriques. L’application des courants polarisés était contre-indiquée en cas de matériel d’ostéosynthèse. Pour un même placement d’électrode, le changement de polarité entraînait un recrutement musculaire différent. Avec les appareils modernes délivrant un courant biphasique peu ou non polarisé, les deux électrodes sont actives et dispersives tour à tour. Ceci permet de recruter deux groupes musculaires simultanément. Il est licite de les utiliser sur le matériel d’ostéosynthèse. La majorité des stimulateurs délivrent un courant légèrement polarisé, et le changement de polarité entraîne également des effets différents.



Les stimulateurs: Les stimulateurs portatifs sont pratiques. Il convient de choisir des appareils délivrant des impulsions de forme la plus rectangulaire possible, permettant un réglage individuel de la fréquence de 30 à 100 Hz, du temps de travail et du temps de repos de 1 à 10 secondes, de la largeur d’impulsion la plus fine possible (qui conditionne le confort de la sensation de stimulation). Il convient de provoquer une contraction isométrique suffisamment longue pour recruter le maximum d’unités motrices et « tirer » au mieux sur les adhérences ou une articulation enraidie.


Le temps de passage du courant devant être synchronisé avec l’exercice actif, un dispositif de feedback auditif et visuel ainsi qu’une minuterie réglable sont souhaitables pour le renforcement du contrôle du schéma corporel et pour la gestion de la séance de rééducation.


Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Jun 13, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 15: La mobilisation électroactive: Ou l’application de la stimulation neuromusculaire à la rééducation de la main traumatique innervée

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access