Chapitre 15. Kinésithérapie et BPCO
approche scientifique et empirique
Pierre Delguste and Daniel Rodenstein
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Jusqu’à il y a quelques années, l’entité BPCO (bronchop-neumopathie chronique obstructive) regroupait une série de maladies pulmonaires chroniques telles que bronchite chronique, emphysème, asthme. On y associait souvent la tuberculose et la mucoviscidose.
En 1998, une trentaine de « sociétés savantes » issues du monde scientifique et clinique international se réunissaient pour former une sorte de « consortium international » ayant pour but de faire le point à propos des connaissances relatives à la BPCO et surtout de proposer une « stratégie globale pour le diagnostic, la prise en charge et la prévention de la BPCO ». Ce « consortium international » s’est donné pour nom Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease, en abrégé « GOLD », et a publié un document (réactualisé en 2007) qui constitue, à l’heure actuelle, la « Bible de la BPCO », sous le titre Global Strategy for the diagnosis, management, and prevention of chronic obstructive pulmonary disease [1].
Une initiative du même type a vu le jour en France en 2005, sous l’égide du ministère de la Santé et des Solidarités, en collaboration avec la Société de pneumologie de langue française (SPLF), sous le titre Programme d’actions en faveur de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) 2005-2010 [2].
Nous verrons plus loin que tout en proposant une vision claire du problème et en publiant « des guides de bonnes pratiques » fondés sur des données objectives passées au crible de l’« evidence based medicine » (EBM), GOLD place la kinésithérapie (respiratoire) en position relativement inconfortable, elle qui repose encore sur des évidences beaucoup plus cliniques et de bon sens que sur l’expérimentation rigoureuse.
Ce chapitre tente de faire coexister, si possible sans les opposer, les éléments stratégiques impliquant le kinésithérapeute et qui concernent la prise en charge du patient atteint de BPCO ; éléments issus tant des recommandations de « GOLD » que des multiples expériences de terrain glanées au cours d’une carrière clinique déjà longue et d’échanges de savoirs entre praticiens, kinésithérapeutes ou non.
Diverses techniques de kinésithérapie et modalités thérapeutiques seront mentionnées dans les lignes qui suivent ; elles ne seront ni décrites ni discutées en détails. D’autres chapitres y sont consacrés.
Définitions (selon GOLD)
La BPCO est une maladie caractérisée par une limitation de débit à prédominance expiratoire, non totalement réversible. Cette limitation de débit est généralement progressive et associée à une réaction inflammatoire du poumon et des voies aériennes à des particules ou gaz nocifs [1].
Sans les inclure en tant que telles dans sa définition, la notion de BPCO fait évidemment référence en ordre principal à la bronchite chronique et à l’emphysème : deux maladies aux caractéristiques très intriquées et souvent regroupées actuellement sous le terme de « bronchoemphysème ».
Notons ici que la BPCO peut être associée à l’asthme, maladie dont ce chapitre ne traite pas.
Définir les entités « bronchite chronique » et « emphysème » devrait nous aider à comprendre le terme « limitation de débit ».
Ainsi, l’emphysème répond à une définition anatomique (diagnostic reposant sur l’imagerie médicale, CT-scan en particulier) et se caractérise par une destruction permanente et une dilatation de territoires pulmonaires situés en aval des bronchioles terminales. Cette destruction est responsable d’un collapsus des voies aériennes et d’une diminution des forces de recul pulmonaire causant une hyperdistension dynamique des poumons.
La bronchite chronique, quant à elle, repose sur une définition et un diagnostic clinique, à savoir une augmentation chronique et récurrente de production de sécrétions bronchiques responsable d’expectorations durant au minimum 3 mois par an et au moins 2 années consécutives. Cette hypersécrétion bronchique est à mettre en relation avec l’augmentation de la taille et du nombre des glandes à mucus.
Ces définitions d’« emphysème » et de « bronchite chronique » perdent aujourd’hui de leur signification à la lumière de la définition de GOLD, qui repose uniquement sur la fonction respiratoire et plus particulièrement sur la notion de limitation de débit.
Notons cependant que la définition anatomique d’emphysème (hyperdistension objectivée par l’imagerie médicale) reste utile dans le cadre d’indications chirurgicales (chirurgie de réduction pulmonaire ou transplantation).
Classification
La classification des patients selon la sévérité de leur maladie repose essentiellement sur l’évolution de leur limitation de débit, elle-même objectivée par spirométrie et plus particulièrement par la mesure du VEMS et du rapport de Tiffeneau (VEMS/capacité vitale forcée [CVF]) réalisée après bronchodilatation, ainsi que sur la présence ou non de symptômes cliniques.
Cinq niveaux de sévérité de la BPCO sont proposés, allant de « patient à risque » jusqu’à « très sévère ». Ce dernier est celui de la défaillance respiratoire caractérisée par une hypoxémie grave (PaO2 < 60mm Hg) avec ou sans hypercapnie ou un VEMS inférieur à 30 % de la valeur prédite (tableau 15.1).
Degré de gravité | Caractéristiques | |
---|---|---|
I | BPCO légère | VEMS/CVF < 70 % VEMS > 80 % de la norme Avec ou sans symptômes (toux, expectorations) |
II | BPCO modérée | VEMS/CVF < 70 % 50 % < VEMS < 80 % de la norme Avec ou sans symptômes |
III | BPCO sévère | VEMS/CVF < 70 % 30 % < VEMS < 50 % de la norme Avec ou sans symptômes |
IV | BPCO très sévère | VEMS/CVF < 70 % VEMS < 30 % de la norme Ou VEMS < 50 % de la norme et défaillance respiratoire |
Stratégie de prise en charge de la BPCO
La prise en charge des malades atteints de BPCO repose, selon GOLD, sur quatre piliers :
• le diagnostic et le monitorage de la maladie ;
• la diminution des facteurs de risque. Dans cette optique, trois actions doivent être envisagées : la prévention et la lutte contre le tabagisme, le contrôle de l’exposition aux polluants dans le milieu du travail et la lutte contre la pollution domestique et environnementale ;
• la prise en charge des malades en état stable selon trois axes : l’éducation du patient, les traitements pharmacologiques et les traitements non pharmacologiques (réhabilitation, nutrition, oxygénothérapie, chirurgie, assistance ventilatoire mécanique) ;
• la prise en charge des malades en exacerbation, c’est-à-dire présentant le plus souvent une surinfection trachéobronchique avec augmentation de leur dyspnée et/ou de leur toux et expectoration. C’est à ce niveau que doivent être considérées la place et les modalités d’application de la ventilation non invasive (VNI).
Où se situe le kinésithérapeute dans cette stratégie ?
Le kinésithérapeute peut jouer un rôle à chaque niveau de cette stratégie de prise en charge de la BPCO. Par sa participation à certains examens fonctionnels respiratoires (spirométrie, test de marche de 6min) et/ou à la réalisation de bilans spécifiques, le kinésithérapeute intervient dans l’évaluation du patient atteint de BPCO.
Le rôle important du kinésithérapeute dans les traitements pharmacologiques de la BPCO, en particulier l’aérosolthérapie, est analysé aux chapitres 23, 24 et 26, traitant de la nébulisation et de l’aérosolthérapie.
Mais c’est évidemment dans le cadre des traitements non pharmacologiques au bénéfice des malades en état stable et en exacerbation que la kinésithérapie et le kinésithérapeute entrent de plain-pied dans la stratégie thérapeutique de la BPCO.
Il faut ici faire une remarque par rapport à la fonction de (kinési)thérapeute respiratoire. Aux États-Unis et au Canada, par exemple, le métier de « respiratory therapist » recouvre une série de domaines très techniques liés aux soins respiratoires (ventilation mécanique, anesthésie, fonction respiratoire, aérosolthérapie, éducation du patient, réhabilitation cardiopulmonaire…), alors que le « chest physiotherapist » a une formation moins axée sur les technologies médicales et pratique des techniques de soins essentiellement manuelles.
En Europe et tout particulièrement en Belgique, le métier de kinésithérapeute respiratoire correspond à celui de « chest physiotherapist » et, partiellement, à celui de « respiratory therapist ». La part prise par l’une ou l’autre de ces activités dans sa pratique de terrain est fonction du niveau de compétence, d’autonomie et de collaboration acquis par le kinésithérapeute au sein de son milieu de travail.
On comprend donc que de nombreuses confusions peuvent naître lorsque l’on tente de concilier… ou opposer les points de vue émis de part et d’autre de l’océan Atlantique !
À la lecture des recommandations de GOLD, exprimées sur base de la seule EBM, on mesure l’importance du « porte-à-faux » qui existe entre les pratiques ayant démontré leur efficacité et les modalités de prise en charge et les techniques de kinésithérapie mises en œuvre au quotidien de façon empirique par la majeure partie des kinésithérapeutes européens, soutenus et stimulés par nombre de médecins prescripteurs [3] ! Ceci explique sans doute pourquoi GOLD décrit et recommande le processus de réhabilitation pulmonaire à l’intérieur duquel la revalidation (réadaptation à l’effort) occupe une place de choix, alors que la kinésithérapie n’est même pas citée !
Traitements non pharmacologiques de la BPCO et kinésithérapie
Seuls donc le réentraînement à l’effort et, dans une moindre mesure, le renforcement des muscles squelettiques et respiratoires ont acquis droit de cité parmi les modalités de prise en charge de la BPCO ayant obtenu un niveau d’évidence élevé en termes d’EBM [4, 5 and 6].