14: Chirurgie orthognathique de l’adulte et esthétique faciale

Chapitre 14 Chirurgie orthognathique de l’adulte et esthétique faciale





Introduction


La chirurgie orthognathique ou chirurgie des bases osseuses maxillomandibulaires a pour but de corriger les malpositions des bases osseuses et la malocclusion qui leur est le plus souvent associée.


L’objectif de cette prise en charge pluridisciplinaire est à la fois fonctionnel, avec un rétablissement de la fonction occlusale statique et dynamique, et morphologique, avec une restitution pérenne de l’équilibre squelettique de la face, ce qui, nous le verrons, va le plus souvent dans le sens de l’amélioration esthétique du visage.


Cette prise en charge des anomalies dentofaciales d’origine squelettique est assurée par une équipe pluridisciplinaire. Elle est fondée sur une étroite collaboration entre le chirurgien et l’orthodontiste qui ne sont pas les seuls acteurs de l’équipe. En effet, la rééquilibration squelettique ne peut se concevoir qu’après une étape de préparation dentaire complète selon un plan de traitement rigoureux, établi par le chirurgien, l’orthodontiste, mais aussi l’omnipraticien, l’implantologiste et le rééducateur.


Cette chirurgie morphofonctionnelle de la face s’est considérablement développée ces 15 dernières années, en particulier chez l’adulte, du fait de l’amélioration sensible des techniques orthodontiques, du matériel d’ostéosynthèse chirurgical, de la systématisation des techniques chirurgicales, mais aussi de la meilleure intégration du protocole multidisciplinaire entre les différents protagonistes que sont en particulier l’orthodontiste, le chirurgien et le rééducateur fonctionnel. Voilà pourquoi ce type de prise en charge, qui, il y a encore quelques années, faisait peur aux praticiens et aux patients, est devenu une pratique quotidienne en orthopédie dentofaciale.


L’objectif de ce texte n’est pas de donner une approche exhaustive des protocoles orthodontico-chirurgicaux, mais de jeter les bases et la philosophie de ces traitements, qui sont avant tout un travail commun et dont la réussite dépend de la bonne collaboration au sein de l’équipe multidisciplinaire. Nous proposons une approche clinique chirurgicale esthétique « extra-orale », centrée non pas sur les anomalies occlusales, mais sur les anomalies de position des dents dans le sourire et les options thérapeutiques à notre disposition pour recentrer les dents dans le sourire.


Nous verrons dans un premier temps les objectifs thérapeutiques des protocoles orthodontico-chirurgicaux. Nous préciserons ensuite le bilan nécessaire à la réalisation du protocole, et nous envisagerons les différentes indications en fonction des anomalies de position des dents dans le sourire.


Pour finir, nous discuterons sur le fait que cette chirurgie implique une approche hautement individuelle fondée sur l’analyse clinique et esthétique de chaque patient. Cela nous conduira à proposer des cas cliniques pour lesquels nous avons pris quelques libertés quant aux notions fondamentales de contact bilabial au repos et de normalisation du plan d’occlusion maxillaire.



Généralités


Le terme de chirurgie orthognathique vient du grec ortho (droit) et gnathos (mâchoire). Le développement de cette chirurgie récente, dont l’essor date de ces 30 dernières années et qui est devenue une spécialité en soi, n’a été rendu possible que grâce au concours de l’orthopédie dentofaciale [1]. La collaboration du chirurgien et de l’orthodontiste permet de planifier ces interventions correctrices avec précision et de les exécuter avec rigueur.


Le concept de beauté est central dans toutes les cultures humaines et l’apparence physique a toujours joué un rôle significatif dans le développement de l’estime de soi, dans l’établissement des relations interpersonnelles et même dans la qualité de la vie. En conséquence, la compétence du chirurgien orthognathique ne doit en aucun cas se limiter à l’approche occlusale ou stomatologique, mais doit intégrer la chirurgie cosmétique du visage, tant par la connaissance des techniques chirurgicales des bases osseuses que par celle des tissus mous du visage. Le chirurgien orthognathique est avant tout un chirurgien de la face dont la philosophie est d’incorporer la chirurgie des mâchoires avec la chirurgie plastique et reconstructrice de la face.


Analyse verticale : dans le plan frontal, les étages moyen et inférieur de la face forment l’ensemble maxillomandibulaire composé respectivement des deux os maxillaires et de l’os mandibulaire. Selon la conception artistique, la face est divisée en trois tiers de même hauteur, dont les limites cutanées respectives sont la zone antérieure d’insertion des cheveux, le bord supérieur des sourcils, le point sous-nasal et le point sous-mental. Le champ d’action du chirurgien orthognathique est avant tout l’étage inférieur de la face. Cet étage inférieur est lui-même divisé en trois tiers de même hauteur : le premier tiers va du bord libre de la columelle à la ligne intercommissurale de la lèvre ; les deux autres tiers vont de la ligne intercommissurale au bord libre du menton.


Analyse sagittale : dans le plan sagittal, le déséquilibre du profil est souvent corrélé au déséquilibre de face. Les considérations esthétiques du visage de profil font qu’un visage harmonieux doit être projeté. Les normes esthétiques actuelles cherchent avant tout la projection des tiers moyen et inférieur du visage, synonyme de jeunesse. En effet, d’un point de vue esthétique, « tout ce qui recule vieillit, tout ce qui avance rajeunit ». Une personne âgée a l’air âgée parce que l’atrophie graisseuse malaire et la ptose cutanée jugale réduisent la projection de l’étage moyen ; parce que l’édentation conduit à l’absence de soutien labial et à la birétrusion.


Il existe donc souvent une corrélation entre l’approche esthétique du visage de face et de profil, le visage normodivergent transfacial (de profil), avec contact bilabial au repos (de face) étant celui qui correspond le plus aux normes esthétiques contemporaines.


Outre l’établissement d’une occlusion fonctionnelle et pérenne, l’objectif esthétique du chirurgien orthognathique tend à aller vers la rééquilibration verticale de ces sous-unités avec une préoccupation majeure pour l’obtention d’un contact entre les lèvres au repos, garant de la stabilité du traitement, du fait de la contention de la sangle musculaire labiale et de la possibilité d’une ventilation nasale si la bouche est fermée au repos. En l’absence de contact bilabial, la loi du moindre effort conduit à une ventilation buccale au repos et laisse la langue exprimer sa poussée sur les dents, au risque de les mobiliser progressivement. De plus, le contact bilabial spontané confère au visage un aspect détendu et reposé allant dans le sens de l’amélioration esthétique du visage.


L’interposition linguale interincisives est capable à elle seule de mobiliser progressivement, parfois sur plusieurs décennies, les dents et le maxillaire ; elle doit impérativement être contrôlée d’un point de vue occlusal (correction en supraclusion postopératoire) et fonctionnel (prise de conscience et contrôle de sa langue pour tout le reste de sa vie), sous peine d’être confronté à une récidive, même si elle se fait à un moindre degré.



Anomalies de position des dents dans le sourire : bilan et plan de traitement


Lors du sourire, les lèvres s’écartent, la lèvre supérieure découvre l’arcade dentaire maxillaire dans la portion comprise entre les prémolaires. Normalement, les incisives sont visibles sur toute leur hauteur et seule la ligne festonnée de la sertissure gingivale doit être apparente. Les anomalies de découvrement dentaire au sourire peuvent se faire dans le sens de l’excès si une hauteur trop importante de gencive est visible lors du sourire (on parle alors de sourire gingival) ; mais aussi dans le sens de l’insuffisance de découvrement dentaire, de l’asymétrie ou de l’obliquité du plan d’occlusion.


Le champ d’action du chirurgien orthognathique sur le sourire ne se limite pas à modifier la position, la dimension ou le volume des lèvres. La chirurgie des bases osseuses dentaires ou chirurgie orthognathique est un moyen chirurgical performant pour améliorer le sourire. Elle permet de repositionner les dents dans le sourire, de restituer un contact bilabial au repos conférant au visage un aspect harmonieux et détendu.


Selon les cas, les objectifs fonctionnels et esthétiques doivent aussi concerner la correction des dysharmonies antéropostérieures, des asymétries.



Plan de traitement


L’établissement du plan de traitement d’un patient présentant une dysmorphose maxillomandibulaire nécessite une évaluation systématique qui implique l’ensemble des acteurs engagés dans le protocole orthodontico-chirurgical. En pratique quotidienne, l’examen de routine comprend les éléments suivants.




Évaluation sociopsychologique


L’évaluation sociopsychologique du patient est essentielle avant de débuter une prise en charge orthodontique et chirurgicale. En effet, il s’agit d’un traitement long et difficile pour le patient, qui doit être motivé dès le départ, ce d’autant qu’un plan de traitement orthodontico-chirurgical est souvent différent d’un plan de traitement orthodontique pur. Le patient doit comprendre qu’une fois le traitement commencé, il sera difficile de revenir en arrière. Certaines modifications squelettiques modifient profondément le visage. L’information préalable et le conseil systématique d’un psychologue nous semblent justifiés, en particulier lorsque la demande est principalement esthétique.


Il est indispensable pour les patients d’avoir bien compris les tenants et les aboutissants du traitement avant qu’il ne commence. Or cette approche occlusale et morphologique peut être difficile à appréhender pour qui n’a pas de culture médicale. Nous nous aidons volontiers de photos de patients opérés, présentant la même anomalie occlusale et squelettique, afin de rendre plus accessibles les informations au patient.


Il faut aussi informer le patient qu’en cours de traitement orthodontique, sa malocclusion et sa dysmorphose faciale vont souvent s’aggraver. Ce n’est qu’après l’intervention chirurgicale sur ses mâchoires que son occlusion et son visage retrouveront enfin l’harmonie attendue pendant toute la durée du protocole.


Le bon contact et la mise en place d’une relation de confiance entre le patient et les différents praticiens de l’équipe orthodontico-chirurgicale sont un élément clé du bon déroulement du traitement.




Bilan radiographique


Le bilan comprend une téléradiographie crâniofaciale de profil, une radiographie panoramique dentaire et un bilan long cône rétroalvéolaire.


La téléradiographie crâniofaciale de profil permet l’étude des bases osseuses dans le plan antéropostérieur et vertical. Il existe de nombreuses méthodes d’analyse céphalométrique, dont celle de Downs, Steinert, Ballard, Sassouni, Ricketts ou Delaire. Ces analyses permettent de préciser dans le plan antéropostérieur les anomalies des bases osseuses maxillaires et mandibulaires, et d’étudier dans le plan vertical la divergence faciale ; ce sont des éléments indispensables à la mise en place du plan de traitement.


La téléradiographie crâniofaciale de face est réservée à l’étude des asymétries.


La radiographie panoramique dentaire permet le dépistage rapide des caries, des foyers infectieux et des inclusions dentaires. Elle ne remplace pas l’emploi du bilan rétroalvéolaire. Les extractions de dents de sagesse mandibulaires sur l’arcade doivent au mieux précéder de 6 mois une ostéotomie mandibulaire de façon à ce que la cavité d’extraction (qui correspond à la zone de consolidation osseuse de l’ostéotomie) puisse se combler avant la chirurgie mandibulaire. Les germes peuvent être enlevés de façon concomitante à l’ostéotomie mandibulaire. La remise en état buccodentaire avec détartrage systématique précède le traitement orthodontique. Il faut extraire les dents trop délabrées, faire un traitement conservateur, endodontique et parodontal si besoin.


L’essor du cone beam en imagerie maxillomandibulaire, le développement des logiciels de reconstruction tridimensionnelle et de simulation opératoire conduiront probablement à la disparition de l’utilisation de téléradiographies conventionnelles par les chirurgiens.




Évaluation des articulations temporomandibulaires et des troubles fonctionnels


L’étude du couple articulation temporomandibulaire (ATM)–occlusion est réalisée dans les mouvements antéropostérieurs, verticaux et latéraux d’ouverture, propulsion et diduction, préalablement à tout traitement. Les symptômes en lien avec l’ATM sont colligés. Schématiquement, un protocole orthodontico-chirurgical permet de stabiliser, voire d’améliorer les problèmes d’ATM (par l’équilibration des forces occlusales qu’il permet), mais rarement de les aggraver.


La recherche d’une obstruction ventilatoire nécessite un examen soigneux des fosses nasales, de la cloison et de l’oropharynx, au besoin complété par une nasofibroscopie. L’existence de symptômes orientant vers une obstruction ventilatoire nocturne doit conduire à la réalisation d’une polygraphie ventilatoire. Dans certains cas particuliers de déviation septale majeure, une septoplastie pourra précéder de quelques mois l’ostéotomie. S’il est en effet possible de corriger les petites déviations septales lors d’une ostéotomie de Le Fort 1, les déviations plus complexes nécessitent une voie d’abord adaptée et sont réalisées sous contrôle vidéoscopique par voie endonasale.


La posture et le volume de la langue sont étudiés au repos et lors de la déglutition à la recherche d’une déglutition atypique ou infantile qui nécessitera une rééducation, le plus souvent en fin de traitement. Dans certains cas, la rééducation par un orthophoniste ou un kinésithérapeute peut précéder le traitement orthodontique ou y être associée.


Nous avons pour habitude, lors de la première consultation avec le patient, de lui préciser que les trois piliers qui assurent efficacité et pérennité à ce type de prise en charge sont : l’orthodontie et la chirurgie, qui dépendent partiellement de son implication personnelle, mais aussi la rééducation de la posture linguale et de la déglutition, qui dépend de son assiduité à maîtriser sa posture linguale et ce pendant toute sa vie, sous peine de voir récidiver la malocclusion.


L’évaluation fonctionnelle est aussi importante que l’évaluation occlusale et esthétique. Elle nécessite une bonne connaissance de la fonction ventilatoire et phonatoire. L’objectif de nos protocoles n’est pas l’obtention d’un bon résultat au moment de la dépose du matériel orthodontique, mais d’un résultat pérenne, qui passe nécessairement par la correction des parafonctions et des anomalies ventilatoires.


Au terme de ces différentes étapes, le plan de traitement est établi avec le patient, au mieux en présence de l’ensemble des membres de l’équipe pluridisciplinaire. Il nous semble fondamental d’obtenir, certes la confiance de la part du patient lors de cette première consultation, mais aussi ses complètes adhésion et motivation face à ce protocole long et astreignant.


Apr 27, 2017 | Posted by in CHIRURGIE | Comments Off on 14: Chirurgie orthognathique de l’adulte et esthétique faciale

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