13 Retard mental, infirmité motrice cérébrale et épilepsie
Dans ce chapitre se trouve réuni un ensemble de pathologies pouvant entraîner des tableaux cliniques assez disparates, mais dont les points communs sont pourtant nombreux. Premièrement, il existe le plus souvent une anomalie dans le développement du système nerveux central dont la cause n’est pas toujours retrouvée et qui entraîne une ou plusieurs déficiences. Deuxièmement, s’il peut exister dans certains cas une relation forte entre expression clinique et étiologie, la plupart des causes reconnues peuvent induire les trois principaux tableaux cliniques retenus pour ce chapitre, soit le retard mental, l’infirmité motrice cérébrale et l’épilepsie. Troisièmement, les déficits, quelle qu’en soit la nature (sensorielle, motrice, cognitive et/ou épileptique), retentissent profondément sur le processus maturatif habituel de l’enfant, entraînent d’importantes modifications de la dynamique familiale (centrées autour de l’acceptation ou du refus du handicap) et suscitent secondairement des difficultés dans l’élaboration de l’image de soi de chaque enfant. Quatrièmement, ces pathologies se compliquent du coup de « troubles réactionnels » qui, par leur intensité, peuvent être au premier plan. L’analyse rigoureuse de ces divers niveaux est indispensable avant d’attribuer globalement l’ensemble des manifestations constatées à une étiologie ponctuelle. Certains auteurs (Dykens, 1995) distinguent même des signes cliniques spécifiques et d’autres non spécifiques. Bien que fréquemment associées, nous avons choisi de traiter dans un autre chapitre les déficiences sensorielles (cf. chap. 23) dans la mesure où lorsqu’elles sont isolées, ces déficiences ne posent pas les mêmes problèmes cliniques. Néanmoins, au plan des échos sur la dynamique familiale et le développement psychoaffectif de l’enfant, des rapprochements sont possibles.
Sur le plan épidémiologique, la fréquence d’un handicap sévère dans la population générale est de 14 pour 1000 (Salbreux et coll., 1979). Parmi l’ensemble des enfants handicapés, la répartition est la suivante :
déficience mentale profonde et sévère : 21 % ;
troubles sensoriels : 17 % (dont 4,6 % d’amblyopies, 2,4 % de cécités, 4,8 % d’hypoacousies et 5,5 % de surdités). Des chiffres tout à fait similaires sont avancés dans les pays anglo-saxons (Szymanski et King, 1999).
Dans l’analyse factorielle de ces enfants un élément est constant : la fréquence des polyhandicapés (42 % des enfants handicapés sévères souffrent d’un polyhandicap : déficience mentale sévère, infirmité motrice cérébrale, comitialité, troubles du comportement, etc.). Cette constatation pose d’importants problèmes de santé publique car la majorité des institutions accepte avec réticence ces enfants polyhandicapés. Or les mêmes enquêtes épidémiologiques (Duplant et coll., 1979 ; Zafiropoulos et coll., 1979) montrent l’importance de la première orientation : la majorité des enfants reste dans la « filière de départ » (82,5 %), rares étant ceux où une réorientation est envisagée. Le choix de cette filière dépend certes de la nature du(des) handicap(s), mais elle est également corrélée au niveau socio-économique de la famille.
Retard mental
Le retard mental touche environ 1 à 3 % de la population. Si dans de nombreux cas aucune étiologie précise ne peut être retrouvée, surtout lorsque le retard mental est léger, plus il est important, plus la probabilité de retrouver une étiologie identifiable est grande. Pratiquement toutes les encéphalopathies s’accompagnent d’un retard mental. La liste des étiologies identifiables comprend des centaines de causes (Luckasson et coll., 1992), en particulier, plus d’un millier d’étiologies génétiques ont été identifiées comme pouvant conduire à un déficit intellectuel isolé (Harris, 1995 ; Tolmie, 1998). À titre d’exemple, 95 syndromes de retard mental liés au chromosome X ont été identifiés. La trisomie 21, le syndrome de l’X fragile et la fœtopathie alcoolique représentent à eux trois 30 % des causes identifiées.
Dans le chapitre consacré à la psychopathologie des fonctions cognitives (cf. chap. 9), nous avons déjà tenté de montrer la nature de la démarche clinique : après l’évaluation de l’efficience intellectuelle et le repérage des conduites pathologiques associées (niveau sémiologique), il convient de comprendre comment ces conduites s’articulent entre elles (analyse psychopathologique synchronique) ou de les restituer dans le processus maturatif propre à l’enfant (analyse psychopathologique diachronique) ; enfin, pour terminer, il faut rechercher les facteurs qui ont contribué à cet état, qu’ils soient externes ou internes (niveau étiologique). Les deux premiers niveaux ayant déjà été analysés, de même que le rôle des facteurs d’environnement (familiaux, socio-économiques entre autres), nous ne présenterons ici qu’un résumé des principales étiologies organiques responsables des retards intellectuels, ne retenant pour chacune d’elles que les seuls éléments distinctifs. Nous détaillerons d’abord la démarche multidisciplinaire qui peut mener au diagnostic causal.
Évaluation d’un enfant présentant un retard mental
Interrogatoire
L’interrogatoire reste un temps essentiel et doit porter sur :
les antécédents de l’enfant qui peuvent à eux seuls être révélateurs : souffrance néonatale, antécédent d’encéphalite, de traumatisme crânien ;
les antécédents familiaux qui doivent être soigneusement analysés :
l’étude de l’évolution morbide est fondamentale : les troubles sont-ils apparus d’emblée ou après un intervalle libre ? A-t-on observé une régression des acquisitions ? Cette notion est un des meilleurs éléments d’appréciation de l’évolutivité d’une encéphalopathie. On doit la distinguer d’une stagnation dans les acquisitions, laquelle entraîne certes une régression relative par rapport à l’âge, mais les acquis sont conservés. Par exemple, au plan moteur, a-t-on constaté une régression dans les conduites motrices (perte de la marche, de la station debout ou assise, perte de la préhension, du sourire, etc.). La même observation diachronique peut être faite pour le langage, la propreté, la sociabilité, etc.
Examen clinique
l’observation du comportement spontané : gestualité, tonicité, mouvements anormaux ;
l’examen neurologique : mesure du périmètre crânien, étude du tonus, déficit moteur, atteinte sensorielle ou sensitive, paires crâniennes, recherche d’une comitialité ;
la recherche de malformation particulière de la face, des extrémités, des membres ; mais également la vérification de l’état de la peau (naevus, adénomes sébacés, angiomes) ; la recherche d’hépatosplénomégalie, de cardiopathie, etc. ;
l’examen ophtalmologique et/ou auditif à la recherche d’une déficience sensorielle est réalisé au moindre doute.
Examens complémentaires
Tomodensitométrie et RMN (cf. chap. 3, Tomodensitométrie par rayons X, imagerie par résonance magnétique) ont révolutionné la démarche diagnostique par leur innocuité et la valeur des renseignements obtenus au plan morphologique. À elles seules, elles permettent le diagnostic des tumeurs cérébrales, des hydrocéphalies, de certaines neuro-ectodermoses, des leucodystrophies diverses (Schilder, Krabbe). Elles représentent de nos jours le premier temps avant tout autre investigation du SNC.
Principales causes de retard mental
L’objectif de ce paragraphe n’est pas de donner une description détaillée et exhaustive des diverses causes de retard mental qu’un pédopsychiatre, un psychologue et leurs collaborateurs (psychomotricien, orthophoniste, infirmier, éducateur, etc.) peuvent être amenés à rencontrer. L’exploration somatique, la recherche d’une étiologie relève d’une démarche très spécialisée (pédiatre généticien, neuropédiatre, etc.). Il est néanmoins nécessaire de connaître les principaux signes d’appel qui doivent alerter tout clinicien et conduire à la réalisation d’un bilan étiologique dans la mesure où les progrès de la génétique peuvent déboucher sur des attitudes pratiques (conseil génétique) même si à ce jour les traitements spécifiques restent exceptionnels. Avant de les passer en revue un peu plus loin et de détailler la trisomie 21, nous en présentons une vue synthétique dans le tableau 13.1.
Classification | Exemples | Étiopathogénie |
---|---|---|
Causes prénatales d’origine génétique* : 32 % | ||
Aberrations chromosomiques | Syndrome de Down ou Mongolisme | 95 % : trisomie 21 (non transmise) 5 % : translocation (peut être transmise) |
Mutations monogéniques | X Fragile Phénylcétonurie Sclérose tubéreuse | Lié à l’X Répétition CGG > 230 Autosomique récessif Déficit enzymatique Autosomique dominant |
Multifactoriel | Retard mental « familial » | Mixte : génétique, environnementale, etc. |
Microdélétion | Syndrome vélocardiofacial Syndrome de Prader-Willi Syndrome d’Angelman Syndrome de Williams-Beuren | Délétion sur le chromosome 22 (q11) Délétion sur le chromosome 15 (q11-q13) d’origine paternelle Délétion sur le chromosome 15 (q11-q13) d’origine maternelle Microdélétion du chromosome 7 (q11.23) |
Causes prénatales d’origine externe : 12 % | ||
Infections maternelles | Infection VIH | Encéphalopathie virale |
Causes toxiques | Syndrome d’alcoolisme fœtal | Exposition in utero à l’alcool |
Causes obstétricales | Prématurité | Variable, multifactorielle |
Malformations d’origine inconnue : 8 % | ||
Malformations du SNC | Non-fermeture du tube neural | Parfois associé à une hydrocéphalie |
Syndrome polymalformatifs | Syndrome de Cornelia de Lange | Inconnue |
Causes périnatales : 11 % | ||
Infections | Encéphalite | Infection au virus Herpès Simplex 2 |
Problèmes pendant la délivrance | Anoxie néonatale | Variable, infarctus cérébral |
Autres | Hyperbilirubinémie | Incompatibilité Rhésus mère enfant |
Causes postnatales : 8 % | ||
Infections | Encéphalite | Infection virale ou bactérienne |
Causes toxiques | Saturnisme | Intoxication au plomb |
Psychosocial | Pathologie de déprivation | Malnutrition, abus, négligence, dépression anaclitique |
Autres | Traumatismes ou tumeurs cérébrales | Variable, atteinte du SNC |
Causes inconnues : 25 % |
* Le changement dans le matériel génétique n’est pas toujours hérité des parents.
(d’après Szymanski et King, 1999)
Trisomie 21
La trisomie 21, ou mongolisme, ou syndrome de Down (États-Unis) est la plus fréquente des aberrations chromosomiques autosomiques.
Nous ne décrirons pas le tableau clinique, mais en raison de sa fréquence, nous envisagerons les traits comportementaux les plus fréquemment retrouvés chez l’enfant trisomique. Précisons d’emblée qu’il n’existe pas un mongolien type, mais que chaque enfant reste, quelle que soit sa pathologie somatique, le produit d’une conjonction entre un équipement neurophysiologique de base et un vécu particulier, pouvant moduler presque à l’infini cet équipement de base. Cette constante interaction rend compte de la diversité individuelle où s’observent des enfants profondément déficitaires, d’autres dont le comportement se rapproche d’organisations psychotiques, d’autres enfin qui se conduisent comme des « débiles harmonieux » et gentils avec un déficit modéré. Les traits que nous allons rapporter constituent la toile de fond que l’histoire individuelle viendra colorer diversement.
Développement affectif
À partir de 6–7 ans, après la petite enfance, le comportement change comme nous l’avons vu. Cependant, l’enfant mongolien reste le plus souvent un enfant gai, un peu « clown », imitant les autres, ayant besoin de contacts physiques, sociable, aimant les jeux dont il saisit souvent très vite les règles. Il est classique de signaler qu’il aime la musique, mais il semble s’agir plutôt de la mélodie et du contact maternel régressif qui l’accompagne. Il est gourmand, l’obésité est fréquente. Il est très sensible au rejet et devient alors volontiers opposant, entêté, boudeur et coléreux. Avec l’âge, à partir de 12–13 ans, il semble que ce versant caractériel puisse dans certains cas devenir prévalent. La frustration reste difficilement acceptée et suscite soit un mouvement régressif vers une demande affective ou la recherche d’une compensation orale, soit une réaction coléreuse.
Les conduites plus directement témoins de perturbations psychopathologiques sont assez rares : on a signalé des conduites obsessionnelles et ritualisées, parfois difficiles à distinguer des réponses au conditionnement, des états d’apragmatismes, de mutisme. L’intensité de l’instabilité, de l’éparpillement, l’intolérance extrême à la frustration avec des manifestations secondaires de repli et le retard de développement font parfois évoquer un trouble envahissant du développement associé. Bien que seulement 5 % des trisomiques 21 présentent des signes autistiques le plus souvent dans un contexte de retard mental profond, la trisomie 21 demeure, vue sa fréquence, une des pathologies génétiques le plus souvent associée à l’autisme (Cohen et coll., 2005). Dans les formes moins sévères, ceci pose le problème des états déficitaires ou des dysharmonies à versant psychotique (cf. chap. 9, Analyse discriminative des fonctions intellectuelles et abord psychosomatique).
Autres causes d’origine génétique
connaître l’anomalie génétique n’implique pas toujours une connaissance du mécanisme d’expression de l’anomalie ;
connaître l’anomalie enzymatique liée à l’anomalie génétique n’implique pas toujours une connaissance des modalités d’action de ce défaut enzymatique ;
malgré une connaissance de l’anomalie génétique, chromosomique, enzymatique, la relation entre ces anomalies constatées et le phénotype comportemental observé reste le plus souvent mystérieuse ;
certaines anomalies génétiques proches sinon similaires peuvent aboutir à des phénotypes comportementaux très différents (par exemple : syndrome de Willi-Prader et syndrome d’Angelman) ;
la mise en évidence d’une anomalie génétique ne se traduit pas forcément par une transmission familiale.
Si l’identification d’une anomalie chromosomique ou génétique représente un progrès évident et majeur, il reste beaucoup à faire pour comprendre par quel mécanisme cette anomalie s’exprime et de quelles natures sont les étapes qui conduisent du niveau moléculaire au niveau symptomatique–comportemental. Si pour certains auteurs, l’existence d’un trait comportemental particulier constitue un « phénotype comportemental » caractéristique d’une étiologie génétique spécifique et unique, pour beaucoup d’autres auteurs un trait comportemental particulier augmente simplement la probabilité de retrouver une anomalie génétique (Dykens, 1995).
Mutations instables
Dystrophie myotonique de Steinert
La dystrophie myotonique de Steinert (DM) est la plus fréquente des affections musculaires héréditaires non liées au sexe (incidence 1/8000). Le gène a été identifié sur le bras long du chromosome 19, et correspond à une mutation instable avec l’expansion d’un triplet CTG. La maladie s’exprime avec un phénomène d’anticipation, c’est-à-dire une expression clinique de plus en plus sévère en fonction des générations. Par ailleurs, les formes transmises par la mère sont volontiers plus sévères que celles transmises par le père (Angeard-Durand et coll., 2004).
Au plan clinique, on distingue quatre présentations :
une forme pauci-symptomatique (cataracte) tardive ;
une forme classique de l’adulte avec myotonie et faiblesse musculaire ;
une forme infantile objectivée récemment ;
Ce sont les deux dernières formes cliniques qui nous intéressent ici car elles touchent l’enfant et sont associées à un retard mental. Le déficit cognitif est systématique et important dans les formes congénitales, variables dans la forme infantile (60 % des cas). Le psychiatre d’enfant doit connaître la forme infantile qui peut parfois se présenter comme des difficultés d’apprentissage isolées précédant les symptômes plus classiques neuromusculaires. L’enquête familiale et le faciès hypotone orientent le diagnostic (Cohen et coll., 2006).
Syndromes microdélétionnels
Syndrome vélocardiofacial
Il s’agit du syndrome microdélétionnel le plus fréquent (1/5000 naissances). L’anomalie génétique (délétion 22q11) est associée à différents phénotypes cliniques qui étaient considérés avant la découverte de l’anomalie chromosomique comme des syndromes indépendants (syndrome de Di George, syndrome vélocardiofacial, syndrome de Takao). Les études cliniques dans de larges échantillons d’enfants porteurs de l’anomalie retrouvent le pattern symptomatique suivant : dysmorphie (100 %) dont l’expression varie avec l’âge et qui peut être discrète ; malformations cardiaques (84 %) ; malformations buccales (49 %), incluant fente palatine (14 %), et insuffisance vélaire (20 %) ; malformations urinaires (36 %) ; hypocalcémie transitoire (60 %) surtout dans la petite enfance et associée à un hypoparathyroïdisme ; des convulsions (21 %) ; un déficit immunitaire (1 %) qui fonde le pronostic. La délétion 22q11 intéresse aussi le psychiatre : la très grande majorité des enfants présentent un trouble du développement du langage et de la motricité, un retard mental discret, un déficit de la coordination des mouvements et des difficultés scolaires. Ils présentent aussi volontiers des troubles du comportement avec hyperactivité et déficit attentionnel. Enfin, à l’adolescence, un nombre élevé de sujets porteurs de la délétion vont présenter une pathologie psychotique de type schizophrénique (Pinquier et coll., 2001).
Syndrome d’Angelman
Décrit par Angelman en 1965, ce syndrome atteint garçons ou filles et associe :
une débilité mentale profonde avec une absence de langage ;
des troubles du comportement particuliers avec des accès de rires fréquents et un « comportement joyeux » habituel. Des symptômes d’allure autistique sont fréquents : stéréotypies, hyperactivité, etc. ;
des troubles de la communication non verbale avec une incapacité à fixer l’attention.
On note également un syndrome dysmorphique (microcéphalie, brachycéphalie, prognathisme, etc.) parfois discret, des anomalies neurologiques (ataxie, troubles du tonus, épilepsie), ophtalmologiques (hypopigmentation, strabisme, nystagmus, etc.).