Chapitre 12. Processus conscients et non conscients
Françoise Reuter, Bertrand Audoin and Jean Pelletier
La mémoire explicite ou mémoire consciente correspond à la récupérationrécupération intentionnelle, contrôlée, d’une information stockée en mémoire. La plupart des travaux étudiant les capacités mnésiques chez des patients atteints de SEP ont utilisé des tâches de mémoire explicite. Les mécanismes responsables des perturbations des capacités en mémoire explicite peuvent être multiples et les données de la littérature ne permettent pas d’en spécifier la nature exacte. En effet, l’existence de ce trouble a été interprétée comme un déficit isolé du rappel de l’information en l’absence de diminution des capacités de stockagestockage [1]. En revanche, certaines études mettent l’accent sur l’implication d’autres perturbations cognitives telles que le ralentissementralentissement du traitement de l’information, les troubles de la mémoiremémoire de travailépisodiquede travail ou la diminution des capacités d’apprentissage, dans l’apparition de perturbation des capacités d’encodageencodage [2]. Même si la nature des perturbations en mémoire explicite n’est pas clairement identifiée, il est admis que la mémoire explicite est perturbée chez des patients atteints de SEP alors que les capacités en mémoire implicite sont préservées. Scarrabelotti et Carroll ont été les premiers à étudier distinctement les processus mnésiques conscients et les processus mnésiques automatiques dans la SEP, à l’aide de la procédure de dissociation des processus (PDP) [3, 4]. Le but de cette approche était de relier les deux types de tâche (explicite versus implicite) aux processus mnésiques (conscients versus automatiques). La PDP suggère que les perturbations dans une tâche de mémoire explicite observées chez les patients atteints de SEP sont liées à un déficit du rappel conscient de l’information et que l’absence de perturbations dans une tâche de mémoire implicite est liée à l’intégrité des processus mnésiques automatiques ou non conscients. Toutefois, cette correspondance entre type de tâche et processus mnésique est simpliste car elle ne prend pas en compte la possibilité d’une implication de processus mnésiques non conscientsnon conscients au cours du rappel conscientconscient de l’information et inversement. L’application de cette procédure chez des patients atteints de SEP comparés à des sujets contrôles a permis de mettre en évidence, au cours d’un suivi longitudinalsuivi longitudinal d’une année, une perturbation des processus mnésiques conscients contrastant avec l’intégrité des processus mnésiques non conscients [4]. Du point de vue du développement de stratégies rééducatives de la mémoire chez des patients atteints de SEP, ces résultats montrent qu’il est intéressant de se fonder sur des mesures indirectes de la mémoire plutôt que sur des mesures de la mémoire explicite.
Dans un autre travail, la PDP a été utilisée pour évaluer des patients atteints de SEP en distinguant deux groupes de patients, un groupe avec un déficit cognitif global et un groupe sans déficit cognitif [5]. Cette étude a reproduit les mêmes résultats que la précédente étude, avec une distinction chez les patients sans perturbations cognitives chez qui les processus mnésiques conscients ainsi que les processus mnésiques non conscients étaient préservés.
La SEP se caractérisant par une dynamique spatiale et temporelle, il existe une grande hétérogénéité apparente des troubles cognitifs chez les patients. Il est donc nécessaire d’utiliser des outils d’évaluation qui permettent de mettre en évidence un facteur commun à l’ensemble des perturbations cognitives. Pour répondre à cet objectif, il apparaît donc indispensable de se positionner dans les phases qui mettent en jeu les traitements de l’information les plus élémentaires possibles comme la perception. La distinction entre les processus de traitement non conscients et les processus de traitement conscients peut s’établir à un niveau plus général que celui de la mémoire, c’est-à-dire au niveau de la perception visuelle. Dehaene et al. ont récemment développé la théorie de «l’espace neuronal global de travail conscient» afin de modéliser les processus d’accès à la conscience [6]. D’après ce modèle, les processus de traitement non conscients seraient réalisés par des modules qui fonctionnent en parallèle et traitent l’information sans que le sujet en ait conscience (par exemple : reconnaissance des visages, comparaison d’entités numériques, détection du mouvement d’objet) [7]. Une information traitée par un processeur va devenir consciente lorsqu’elle est mobilisée par un mécanisme d’amplification attentionnelle «top-down», entraînant la formation d’une activité neuronale cohérente à longue distance liant les aires sensorielles aux aires de plus haut niveau de traitement (activité réverbérante). Cette information deviendrait alors accessible à un vaste réseau de neurones interconnectés et distribués dans tout le cerveau et donc disponible pour une grande variété de processus cognitifs (prise de décision, contrôle cognitif, catégorisation). Selon ce modèle, cette fonction d’amplification attentionnelle et d’intégration à longue distance serait assurée par des neurones dont la caractéristique essentielle est de pouvoir mettre en place des connexions à longue distance permettant de lier entre eux les différents processeurs spécialisés. Les neurones impliqués dans cet espace de travail conscientconscient ou workspace seraient distribués dans plusieurs régions cérébrales, formant alors un système distribué de connexions cortico-corticales et cortico-sous-corticalescortico-corticales et cortico-sous-corticales, avec une densité plus importante dans les régions préfrontales, cingulaires antérieures et les cortexcortex associatifs temporo-pariétaux [8]. Au stade précoce de la SEP, l’atteinte diffuse de la myélinemyéline, en l’absence de lésionslésions axonales, pourrait se répercuter de manière préférentielle sur les processus cognitifs de haut niveau impliquant des régions cérébrales distantes qui doivent interagir rapidement.
En utilisant ce modèle, une approche récente a permis d’évaluer les processus de traitement non conscients et conscients chez des patients souffrant de SEP de forme rémittente et chez des patients ayant présenté un premier événement démyélinisant (syndrome clinique isolé, ou SCI). Dans une première étude, 22 patients atteints de SEP d’évolution rémittente dont la durée d’évolution moyenne de la maladie était de 2ans ont été comparés à un groupe de 22 sujets témoins [9]. Dans une seconde étude, 18 patients au stade le plus précoce de la maladie, c’est-à-dire après l’apparition d’un premier événement démyélinisant (SCI), dont la durée moyenne d’évolution de la maladie était de 8 mois ont été comparés à un groupe de 18 sujets témoins [10]. Dans ces deux études, les groupes étaient homogènes en termes d’âge et de niveau scolaire. Afin d’étudier les processus de traitements non conscients et conscients ainsi que la transition entre ces deux types de processus, une tâche de masquage visuel rétrograde a été utilisée [11]. Dans ce type de paradigme expérimental, l’identification consciente d’un stimulus «cible» est altérée du fait de la présentation d’un second stimulus «masque» qui le suit dans le temps (figure 12.1). D’après le modèle de l’espace de travail neuronal conscient, ce masquage correspondrait à une interruption de l’activité réverbérante, à la fois par une modification survenant trop rapidement avant l’amplification de l’activité du stimulus ascendant, et par une modification de l’activité attentionnelle descendante. Le masquage visuel rétrograde est un paradigme expérimental simple qui permet d’évaluer les processus de traitements non conscients et conscients ainsi que la transition entre ces deux états en mesurant le seuil d’accès à la conscience chez des patients atteints de SEP. Il a ainsi été mis en évidence un retard de perception consciente mesuré par l’augmentation significative du seuil d’accès à la conscience dans les deux groupes de patients (rémittents et SCI). Néanmoins, les processus de traitements non conscients restaient préservés chez l’ensemble des patients. En effet, il était observé un effet de priming identique chez les patients comparés aux sujets témoins au cours des processus de traitement non conscients [9]. L’intégrité de ces processus de traitement pourrait être liée au fait que cette activité engage des connexions à courte distance. En revanche, le retard d’accès aux processus de traitement conscients observés chez les patients serait lié à l’atteinte des connexions à longue distance susceptibles d’être davantage touchées par le phénomène de démyélinisation. Cette hypothèse a été vérifiée dans une étude où les liens potentiels entre le retard d’accès à la conscience et l’atteinte de la substancesubstance blanchesubstanceblanche évaluée par IRM pondérée en transfert d’aimantationIRMtransfert d’aimantation ont été mesurés 10]. En effet, il a été montré qu’il existait chez des patients SCI un lien entre le retard d’accès à la conscience et la diminution du taux de transfert d’aimantation au niveau de larges faisceaux associatifs tels que le faisceau occipitofrontal et le faisceau longitudinal inférieur (figures 12.2 et 12.3). Ces résultats corroborent d’autres études ayant rapporté une implication de la déstructuration de la substancesubstance blanche d’apparence normalesubstanceblanche d’apparence normale dans l’apparition du dysfonctionnement cognitif dans la SEP [[12][13] and [14]]. En effet, plusieurs études récentes ont démontré que les troubles cognitifs, au stade précoce de la SEP, étaient reliés aux perturbations de la connectivité cérébrale. Certaines techniques d’IRMIRM quantitatives non conventionnellesIRMnon conventionnelles telles que l’imagerie pondérée en transfert d’aimantation et en diffusionIRMdiffusion (tractographieIRMtractographie) permettent de mieux caractériser les lésions macroscopiques mais aussi microscopiques présentes dans le tissu d’apparence normale (substancesubstance blanchesubstanceblanche et substancesubstance grisesubstancegrise) chez les patients atteints de SEP.

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