8. Vitesse de traitement de l’information et attention

Chapitre 8. Vitesse de traitement de l’information et attention

Bruno Brochet



La neuropsychologie de l’attention s’est considérablement développée depuis une quarantaine d’années. L’attention est considérée comme une fonction de base impliquée dans toute performance cognitive ou dans toute tâche comportementale. Elle est au premier plan des conséquences cognitives des atteintes cérébrales. Les liens unissant les concepts d’attention, de mémoiremémoire de travailmémoirede travail et de fonctions exécutivesfonctions exécutives étant très étroits, il aurait pu être choisi de traiter ces trois thèmes ensemble. Cependant les travaux concernant ces domaines les ayant souvent étudiés de façon distincte, il nous a paru nécessaire de les aborder séparément, tout en soulignant les points de rencontre. Il a été donné de nombreuses définitions de l’attention et des contrôles attentionnels depuis celle de James en 1890 (in [1]) : «It is the taking possession of the mind, in clear and vivid form of one out of what seem several simultaneously possible objects of train of thoughts. Focalisation, concentration of consciousness are of its essence.» Cette définition introduit les concepts de sélectivité mais également de focalisation (au sens photographique du mot), permettant à l’objet ou au train de pensées d’être non seulement au centre de l’esprit du sujet mais d’une façon claire et vivace. L’attention permet donc la sélection dans la perception et l’action et elle facilite le traitement de l’information, d’où le lien très étroit entre perte des capacités attentionnelles et ralentissementralentissement de la vitesse de traitement de l’information (VTI)vitesse de traitement de l’information (VTI). Il n’est pas dans l’objet de cet ouvrage de reprendre toutes les théories et modèles de l’attention mais certaines notions fondamentales méritent d’être brièvement rappelées. L’attention n’est probablement pas une fonction unitaire se limitant à un simple mécanisme de sélection des informations et plusieurs composantes peuvent être distinguées. Il convient de distinguer les processus attentionnels qui sont communs aux différentes situations dans lesquelles l’attention est mise en jeu (attention-processus) [1] de l’attention-état, qui évalue le niveau d’attention. Parmi les processus, on peut citer :


• la préparation (à la réponse), qui fait référence à la notion d’alertealerte;


• l’intensité, qui fait référence aux concepts d’alerte tonique, d’attentionattention soutenueattentionsoutenue et de vigilancevigilance, qui sont très proches et qui font surtout référence au maintien de l’attention à un certain niveau;


• la sélectivité, qui fait référence à l’attention focaliséeattentionfocalisée et à l’attention diviséeattentiondivisée. Ainsi a été particulièrement étudié le système focalisé d’orientation attentionnelle visuospatial, qui permet la localisation de l’objet de l’attention [2]. L’attention divisée est la capacité de répondre simultanément à plusieurs demandes attentionnelles, ce qui permet d’effectuer simultanément plusieurs tâches. On peut associer à cette sélectivité la notion de «rehaussement» de l’information sélectionnée (in clear and vivid form). Dans le modèle de Van Zomeren et Brouwer [3], étaient distinguées au sein de la sélectivité l’attention sélectiveattentionsélective (avec les notions de distractibilité et d’interférences), et l’attention divisée (avec les notions de capacité et de ressources attentionnelles);


• la dimension exécutive de l’attention : la capacité de passer d’un point d’ancrage de l’attention à un autre (flexibilité attentionnelle) permet de passer d’une tâche à une autre ou d’un set cognitif à un autre, ce qui correspond à la notion de shiftingshifting, qui a été rapporté comme une des fonctions exécutivesfonctions exécutives élémentaires décrites par Miyake et al. [4]. La notion de sélectivité est également étroitement liée à l’inhibitioninhibition, autre fonction exécutive de base, qui est la capacité à inhiber une réponse automatique ou dominante [4]. La dimension exécutive de l’attention comprend, selon Posner [2], outre le switchingswitching et l’inhibition, la résolution de conflits, la détection d’erreurs et l’allocation des ressources attentionnelles. Ce système attentionnel exécutif reprend la notion de système superviseur attentionnel (SAS) de Norman et Shallice [5].


SEP et attention

Sullivan et al. [6] ont interrogé 1 180 patients atteints de SEP, dont 38 % rapportaient une des difficultés cognitives et 22 % signalaient des difficultés avec leur attention. Cette perception subjective est probablement sous-évaluée.

Parmi les premières études ayant mis en évidence les atteintes attentionnelles au cours de la SEP, citons celle de Callanan et al. [7], qui comparait 48 patients avec un syndrome démyélinisant cliniquement isolé (SCI) à 46 sujets contrôles atteints d’un handicap ne prenant pas son origine dans le système nerveux central. Les patients SCI étaient significativement plus déficitaires que les sujets contrôles pour l’attention visuelle et auditive, étudiées respectivement par un test de vitesse de décompte de lettres et un test de vigilancevigilance auditive (identifier dans l’ordre les lettres de l’alphabet dans une suite de lettres énoncées par une bande). Filley et al. [8] ont souligné que les déficits de l’attentionattention soutenueattentionsoutenue visuelle et auditive étaient plus importants dans la SEP que dans la maladie d’AlzheimerAlzheimer.


Différentes dimensions attentionnelles au cours de la SEP

Dans le cadre d’une étude de l’effet de l’amantadineamantadine sur la fatiguefatigue de la SEP, Cohen et Fisher [9] ont étudié chez 29 patients atteints de SEP et 15 sujets sains plusieurs tests cognitifs modifiés pour mettre en évidence une fatigue cognitivefatiguecognitive. Ils ont ainsi montré l’existence d’une atteinte de l’attentionattention soutenueattentionsoutenue au test continuous performance task«continuous performance task» (tâche de performance continue).

De Sonneville et al. [10] ont étudié, chez 53 patients atteints de SEP et 58 sujets contrôles sains appariés en groupe, différentes dimensions attentionnelles à l’aide de 8 tâches informatisées (Amsterdam Neuropsychological Tasks Program) afin de caractériser en particulier les troubles de la vitesse de réaction simple (alertealerte simple), l’attentionattention diviséeattentiondivisée, l’attentionattention focaliséeattentionfocalisée, l’attentionattention soutenueattentionsoutenue et la flexibilitéflexibilité attentionnelle. Les patients atteints de SEP étaient déficitaires dans toutes les tâches étudiées, suggérant que l’atteinte attentionnelle est assez globale dans cette maladie. Dans toutes ces épreuves, les performances étaient évaluées en temps de réponse et les déficits correspondaient à un ralentissementralentissement de la vitesse de traitementvitesse de traitement. Il semble donc que le point commun à ces déficits attentionnels soit représenté par un allongement du temps de traitement des informations quand la charge attentionnellecharge attentionnelle augmente.

Mc Carthy et al. [11] ont étudié différentes dimensions attentionnelles chez 30 patients atteints de SEP, de formes cliniques et de durées de maladie très hétérogènes, et 30 contrôles appariés, à l’aide de tâches d’attention soutenue et divisée spécialement développées. Dans ces deux tâches, la nature des cibles (chiffres) changeant au fur et à mesure de la tâche, les sujets sont amenés à maintenir leur attention non seulement sur la tâche (repérer le chiffre cible dans des séries de chiffres présentées dans la tâche d’attentionattention soutenueattentionsoutenue) mais aussi sur la nature des stimuli. Cela distingue cette tâche d’attention soutenue d’une simple tâche de vigilance. Dans la tâche d’attention divisée, les cibles étaient constituées de paires de chiffres (là aussi changeant au cours de l’épreuve) à repérer dans le matériel présenté. Dans ces tâches, des présentations visuelles, auditives et bimodales étaient effectuées. Le groupe SEP avait des performances inférieures au groupe contrôle pour les 3 modalités et dans les deux tâches, avec un taux inférieur de réponses correctes et des temps de réponses plus élevés. Cette étude a donc confirmé le caractère global de l’atteinte attentionnelle.

Tinnefeld et al. [12] ont utilisé la batterie informatisée d’étude de l’attention (TAP) [13] et le test semi-écologiqueécologique TEATestTEA, évoqué précédemment dans ce chapitre, pour étudier les différentes dimensions de l’attention dans une petite population de 26 patients atteints de SEP et 16 sujets sains. Les patients différaient des témoins pour l’alerte et l’attentionattention diviséeattentiondivisée mais pas pour l’inhibition (Go/No go) ni le TEA. Le petit effectif de cette étude en limite cependant la portée.


Charge attentionnelle et contrôle exécutif

Charge attentionnelleLes données obtenues avec le test d’empanempan de chiffres de la WAIS-RWAIS-R(digit Span), souvent présenté comme un test du superviseur attentionnel (à l’endroit), ou de la mémoiremémoire de travailmémoirede travail (empan à l’envers) (système exécutif central), ont montré des résultats contradictoires. Les 12 patients atteints de SEP étudiés par De Luca et al. [14] dans une étude comparative avec des patients atteints de fatiguefatigue chronique et des sujets sains ne différaient pas des contrôles sains pour ce test. Dans une étude sur 109 patients, Beatty et al. [15] ont observé des valeurs normales chez les sujets atteints de SEP par rapport aux normes publiées mais les performances des patients étaient inférieures à celles d’un groupe de sujets contrôles sains appariés à l’endroit et à l’envers. Dans cette étude, le SDMTSDMT mettait en évidence des différences plus marquées. Une étude récente [16] a mis en évidence des performances inférieures à l’empan de chiffre (dans les deux sens) chez les patients atteints de SEP diagnostiqués comme cognitivement atteints (définis par une performance à la PASATPASAT inférieure au cinquième percentile de valeurs normatives publiées) par rapport aux patients non atteints.

La difficulté des patients à utiliser des ressources attentionnelles importantes lors de tâches exécutives est illustrée par l’étude de Grafman et al. [17]. Ces auteurs ont comparé 41 patients atteints de SEP et 45 sujets contrôles pour des tâches mnésiques nécessitant un contrôle attentionnel ou non. Les patients atteints de SEP ne différaient pas des sujets sains pour les tâches automatiques mais avaient des performances inférieures pour les tâches nécessitant de mobiliser des ressources attentionnelles. Cela est également retrouvé dans l’étude de Bonnet et al. [18] pour une tâche d’inhibitioninhibition. Dans cette étude d’imagerie fonctionnelle, 15 patients ayant une SEP récente et 20 sujets sains ont eu à effectuer des tâches variant par leur charge attentionnelle. Le premier niveau était une alertealerte simple, le second un Go/No go simple, le troisième un Go/No go inversé et le quatrième un Go/No goGo/No go complexe, avec 2 cibles et 3 distracteurs. Un déficit n’apparaissait que pour ce niveau de demande attentionnelle importante (figure 8.1). Ces résultats, exprimés en temps de réaction (TR)temps de réaction (TR), soulignent que ce déficit attentionnel passe par un allongement des TR et donc un ralentissementralentissement de la VTIVTI.








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Figure 8.1
Temps de réaction chez 15 patients ayant une SEP rémittente et 20 sujets sains à 4 tâches de charge attentionnelle croissante (d’après Bonnet et al. [18]).TA : alerte simple; IG : Go/No go; RG : Go/No go inverse; CG : Go/No go complexe.



SEP et vitesse de traitement de l’information

Le traitement de l’information et donc sa vitesse dépendent de l’utilisation des ressources attentionnelles et de la manipulation des informations dans la mémoire de travail. Ces notions sont donc souvent difficiles à distinguer lors des tests neuropsychologiques.

L’étude en population de Rao et al. [19] a été l’une des premières à mettre en évidence l’atteinte de la VTI. Bien que les temps de réaction (TR) simples ne différaient pas entre patients et contrôles, les TR des patients à la Sternberg Memory Scanning TaskSternberg Memory Scanning Task étaient significativement allongés. Moins spécifique, une atteinte au test PASAT (versions à 3 et 2 secondes) était également présente. L’atteinte de la VTI était également soulignée par Litvan et al. [20] sur l’étude du PASATPASAT. L’atteinte de la PASAT a été largement confirmée depuis par de nombreux auteurs, mais les perturbations à ce test dépendent beaucoup de l’atteinte de la mémoire de travail. D’autres études ont montré des allongements des TR dans des populations de patients atteints de SEP. Bergendal et al. [21] ont observé une atteinte plus importante des TR visuels qu’auditifs par rapport à des normes publiées. Jennekens-Schinkel et al. [22] avaient observé un allongement significatif des TR visuels mais pas auditifs chez des patients atteints de SEP comparés à des sujets sains. Dans une étude utilisant des potentiels évoquéspotentiels évoqués événementiels (ERP), Piras et al. [23] ont observé un allongement des latences de la P300 chez les patients atteints de SEP qui était un peu plus fréquent (58 %) en modalité visuelle et moindre en modalité auditive (42 %). Ce délai de la P300 était corrélé à l’atteinte cognitive. Cette différence n’était pas expliquée par un ralentissement sur les voies visuelles afférentes puisque les premières composantes des potentiels évoqués n’étaient pas retardées, suggérant un ralentissement à un niveau supérieur de l’intégration visuelle.

Selon l’étude d’Archibald et Fisk [24], l’atteinte de la VTIVTI concernerait les formes rémittentes et secondairement progressives, alors que l’atteinte de la mémoire de travail ne concernerait que les formes secondairement progressives.

Le SDMT, souvent considéré comme un test essentiellement de VTI, est fréquemment altéré dans la SEP [[25][26][27][28] and [29]], de même que le sous-test des codescodes de la WAISWAIS [30, 31], qui en est très proche. L’étude de validation de la MACFIMSMACFIMS qui utilise le SDMT notait une atteinte de la VTI dans 54 % des cas [27]. Au début de la maladie, chez des patients récemment diagnostiqués pour une SEP-RR, le SDMTSDMT est perturbé dans 50 % des cas [26] et chez les patients atteints de SEP-RR la fréquence de perturbation a été évaluée à 43 % [32]. Il est intéressant de noter que le z score SDMT établi peu après le diagnostic de SEP-RR cliniquement définie est prédictifFacteursprédictif de l’EDSS 5ans plus tard [33]. Un déficit au SDMT constitue une assez bonne prédiction de l’existence d’une atteinte cognitive plus globale [28, 34, 35]. Les études de corrélation avec l’imagerie montrent que le SDMT est souvent le test le mieux corrélé aux paramètres étudiés, en particulier l’atrophieatrophie de la substancesubstance grisesubstancegrise profonde [36, 37]. Enfin, De Sonneville et al. [10], dans leur étude sur les différentes dimensions attentionnelles décrite plus haut, ont observé par une analyse de régression multiple que la durée de la maladie et l’EDSS étaient corrélés, de façon indépendante de l’âge, à la VTI.

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Jun 5, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 8. Vitesse de traitement de l’information et attention

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