Chapitre 11 Opérer les muscles droits
procédés et protocoles opératoires
Les techniques d’abord, de désinsertion, de réinsertion, de myopexie et de sutures musculaires, décrites au chapitre 10, sont la base des procédés opératoires composant les différents protocoles chirurgicaux.
Procédés opératoires usuels
Les protocoles opératoires diffèrent selon le type de strabisme (tableau 11.1).
Tableau 11.1 Protocoles opératoires usuels.
Strabismes concomitants | Opérations bimusculaires de dosages moyens, exceptionnellement monomusculairesCorrection de l’angle de base + correction de l’excès de convergence |
Strabismes incomitants | Opérations mono- à plurimusculairesDosages moyens ou fortsDécalages ou transpositions musculaires |
Nystagmus | Opérations de type KestenbaumMise en divergence artificielleCombinaison des deux protocoles ci-dessusGrands reculs |
Correction des strabismes concomitants
L’angle de base des strabismes concomitants est corrigé par les procédés usuels d’affaiblissement et/ou de renforcement musculaires et l’excès de convergence par l’un ou l’autre des procédés de myopexie postérieure. La règle générale veut que, dans un premier temps opératoire, on pratique une opération bimusculaire, seule capable d’avoir un effet équilibrant (cf. chapitre 4).
Opérations bimusculaires
Selon la forme du strabisme concomitant, les données cliniques et peropératoires, l’un ou l’autre des protocoles suivants est indiqué :
• l’opération combinée unilatérale de recul et de plissement (ou résection) ;
• le recul ou le plissement (ou résection) bilatéral des muscles homonymes ;
• la myopexie postérieure bilatérale du droit médial (pour la plupart des opérateurs en un temps, pour d’autres en deux temps), seule ou combinée soit :
Si un deuxième temps opératoire s’avère nécessaire du fait de l’évolution normale du strabisme, on peut compléter le premier temps en optant pour l’un des protocoles ci-dessus ; selon l’indication, on pourra pratiquer une opération combinée unilatérale de l’œil adelphe, ou opérer les muscles homonymes non encore opérés ; en cas d’ésotropie, la myopexie postérieure peut compléter, dans un deuxième temps, une opération de recul et de plissement, ou de recul bilatéral des droits médiaux ; inversement la myopexie postérieure être complétée dans un deuxième temps par une opération conventionnelle (pour les réinterventions opératoires, cf. chapitre 14).
Ces différents protocoles ne sont pas interchangeables (pour leurs indications respectives, cf. chapitre 18).
Les protocoles de correction des incomitances A et V sont décrits ci-dessous.
Correction des strabismes incomitants
Les mêmes procédés de recul et de plissement ou résection sont également la base des protocoles de la correction des strabismes incomitants, paralytiques ou myogènes ; mais ils nécessitent souvent des dosages opératoires plus importants ; parfois aussi une myopexie postérieure peut être indiquée. Enfin, selon le cas, ils doivent être complétés par d’autres procédés décrits ci-dessous (cf. chapitres 19 et 20).
Procédés de décalage musculaire et d’affaiblissement ou de renforcement oblique
Correction des incomitances alphabétiques
Les procédés de décalage musculaire et d’affaiblissement ou de renforcement obliques ont pour but de supprimer ou de réduire les variations horizontales de l’angle strabique au cours des déplacements verticaux du regard, c’est-à-dire de corriger les incomitances alphabétiques A ou V, en l’absence de déséquilibre des muscles obliques ; ils sont combinés aux opérations des muscles obliques en cas de déséquilibre associé de ceux-ci.
Décalages musculaires
Les procédés de décalage musculaire appliqués à la correction des incomitances alphabétiques se fondent sur le raisonnement suivant. Le rapport des actions horizontales antagonistes des muscles droits horizontaux d’un œil est normalement le même dans le regard horizontal et dans les regards vers le haut et vers le bas ; autrement dit, l’alignement ou le non-alignement des axes visuels ne varie pas au cours des déplacements verticaux du regard (mise à part la convergence dans le regard vers le bas en vision de près).
En cas d’incomitance alphabétique, au contraire, le rapport des actions varie : dans l’incomitance V, l’action horizontale des droits médiaux l’emporte sur celle des droits latéraux dans le regard vers le bas ; l’action horizontale des droits latéraux l’emporte sur celle des droits médiaux dans le regard vers le haut. Dans l’incomitance A, la variation est inverse.
Le décalage vertical de l’insertion des droits horizontaux (procédé de Costenbader-Knapp, 1959 [1]) déplace vers le haut ou le bas, selon le cas, le (maximum d’action horizontale, adductrice ou abductrice, de ces muscles pour rapprocher l’action horizontale la plus faible et éloigner l’action la plus forte du plan horizontal ; la première est ainsi renforcée et la seconde affaiblie et l’incomitance alphabétique corrigée.
En cas d’incomitance V, la plus fréquente, « si on déplace l’insertion des droits médiaux vers le bas, leur action horizontale [sera] relativement diminuée dans le regard en bas parce que ces muscles [seront] plus abaissés que normalement, et augmentée dans le regard en haut parce que ces muscles [resteront] plus proches que normalement du plan horizontal ; leur pouvoir adducteur diminue donc dans le regard en bas, tandis qu’il augmente plutôt dans le regard en haut, ce qui tend à fermer l’incomitance en V » [2].
Ainsi, « l’insertion d’un muscle doit être décalée dans la direction où l’on souhaite diminuer le plus son action horizontale » [3].
Autrement dit, que le strabisme soit convergent ou divergent, que l’incomitance soit en A ou en V, l’insertion des droits médiaux et celle des droits latéraux doivent être décalées, respectivement, en direction du sommet de la lettre et en direction de l’ouverture de la lettre, pour que l’action horizontale de ces muscles soit égalisée (c’est-à-dire diminuée dans la direction du décalage et renforcée dans la direction opposée) au cours des déplacements verticaux du regard (figure 11.1). Concrètement (tableau 11.2) :
• en cas d’incomitance A, les insertions des droits médiaux sont haussées ou celles des droits latéraux abaissées ;
• en cas d’incomitance V, les insertions des droits médiaux sont abaissées ou celles des droits latéraux haussées.


Fig. 11.1 Décalage des insertions des droits horizontaux en cas d’incomitance alphabétique V ou A.
A. Schéma des décalages. B. Recul avec décalage. C. Plissement ou résection avec décalage.
Tableau 11.2 Décalage des insertions des droits horizontaux en cas d’incomitance alphabétique V ou A.
Décalage de l’insertion du ou des : | ||
---|---|---|
Droits médiaux | Droits latéraux | |
Incomitance V | À abaisser | À hausser |
Incomitance A | À hausser | À abaisser |
Le décalage est à moduler en fonction de l’importance de l’incomitance alphabétique (tableau 11.3) : pour être efficace, il doit être de 3 mm au moins, ce qui suffit pour corriger une incomitance de 8 à 10 Δ [3] ; un décalage de 5 mm, c’est-à-dire de la moitié de la largeur de l’insertion corrige 12 à 15 Δ ; un décalage de 8 ou 10 mm, c’est-à-dire la largeur de l’insertion, pour corriger une incomitance de 20 Δ ou plus est à éviter, car il aboutirait à une malposition inversée des muscles opérés (cf. infra).
Tableau 11.3 Côté du muscle à reculer ou à réséquer davantage en cas d’incomitance alphabétique V ou A.
Décalage vertical (en mm) des muscles droits horizontaux | Effet sur l’incomitance |
---|---|
3 | 8–10 Δ |
5 | 12–15 Δ |
8–10 | 20 Δ ou plus |
Le résultat sur l’angle horizontal moyen n’est pas significativement modifié du fait du décalage des insertions. C’est pourquoi ce procédé doit le plus souvent être associé à un recul ou à un plissement des muscles dont on décale l’insertion, et il peut l’être sans difficulté (cf. figures 11.1B et C). On l’associe le plus souvent à une intervention bilatérale sur les droits médiaux ou les droits latéraux. Il peut aussi bien s’appliquer aux interventions combinées unilatérales de recul – plissement : procédé de Goldstein (1967), repris par Möller (1969) et Metz et Schwartz (1977) [4,5]. Le décalage, de 5 à 8 mm, se fait en sens contraire sur les deux muscles, l’un étant décalé vers le bas et l’autre vers le haut.
Le décalage vertical des droits horizontaux est un procédé efficace [6,7]. Cependant, s’il réduit ou supprime l’incomitance A ou V, il accentue l’incomitance torsionnelle : l’incyclophorie des incomitances A est augmentée par le décalage des droits médiaux vers le haut ou celui des droits latéraux vers le bas, et l’excyclophorie des incomitances V par les décalages inverses (cf. infra).
Le décalage horizontal de l’insertion des droits verticaux (procédé de Fink, 1959 ; Miller, 1960 [1]) vers le côté nasal augmente le pouvoir adducteur de ces muscles ; inversement, le décalage vers le côté temporal le diminue.
• diminuer l’adduction dans le regard en haut, dans une incomitance A avec ésotropie, les droits supérieurs sont décalés du côté temporal ;
• augmenter l’adduction dans le regard en bas, dans une incomitance A avec exotropie, les droits inférieurs sont décalés du côté nasal.
Le décalage peut être modulé en fonction de l’importance de l’incomitance alphabétique entre 3 et 7 mm ; il peut être associé à un recul ou une résection des muscles dont on décale l’insertion.
Le décalage horizontal des droits verticaux a l’avantage de corriger en même temps la variation horizontale et la cyclotorsion des incomitances alphabétiques ; mais « ses résultats sont peu prévisibles », ainsi que le soulignait Hugonnier [8]. Si une action sur les muscles horizontaux est en outre nécessaire, celle-ci doit être effectuée dans un temps opératoire ultérieur en raison du risque d’ischémie du segment antérieur.
• l’exotropie en A sans hyperaction des muscles obliques supérieurs qui se corrige par un décalage nasal des droits inférieurs ;
• une incomitance alphabétique résiduelle dans une situation oculomotrice complexe (strabisme concomitant multi-opéré, strabisme paralytique, impotence musculaire) difficile à corriger par une action sur les droits horizontaux ; il est proposé comme « dernier recours » pour Deller [2].
Affaiblissements et renforcements musculaires obliques
Les procédés d’affaiblissement et de renforcement obliques des muscles droits horizontaux appliqués à la correction des incomitances alphabétiques sont plus récents ; ils se fondent sur le raisonnement suivant. Lorsqu’un muscle droit horizontal travaille dans le plan horizontal, toutes ses fibres ont une action abductrice ou adductrice équivalente (à la condition qu’il soit centré sur le méridien horizontal). Dans le regard vers le haut ou vers le bas, l’action horizontale des fibres les plus proches du plan horizontal l’emporte sur celle des fibres les plus éloignées : ainsi dans le regard vers le haut, les fibres inférieures du droit médial sont plus fortement adductrices et celles du droit latéral plus fortement abductrices que leurs fibres supérieures respectives, et inversement dans le regard vers le bas. Ces procédés laissent les muscles horizontaux dans leur plan normal.
Pour corriger l’incomitance alphabétique, il convient donc de reculer ou de plisser davantage le côté du muscle à l’opposé de la déviation maximum selon le procédé de Friedburg (1978), Roth (1978) et Rüssmann (1981) [9–12] (figures 11.2 et 11.3, tableau 11.4).

Fig. 11.2 Opérations obliques sur les muscles droits.
A. Recul oblique. B. Recul de l’un des bords. C. Plissement oblique.
Tableau 11.4 Côté du muscle à reculer ou à réséquer davantage : sur quel bord du muscle l’action maximum doit-elle porter ?

Pour un recul, la réinsertion oblique s’obtient en plaçant les points de refixation sclérale, supérieur et inférieur, à une distance différente de l’insertion primitive du muscle ou en refixant le tendon par des anses de longueur différente (cf. figure 11.2A). Si le cas s’y prête, l’un des angles de l’extrémité tendineuse peut rester fixé à l’insertion primitive ; seul l’autre angle est reculé à la distance voulue en le refixant directement à la sclère ou au moyen d’une anse unique selon le procédé de Weiss et al., 1978 [13] (cf. figure 11.2B). Pour que la réinsertion soit rectiligne, il suffit de décaler de 1 ou 2 mm la refixation de cet angle au-delà du méridien de son insertion primitive ou d’ajouter un point intermédiaire.
Le plissement ou la résection obliques s’obtiennent en plaçant les fils au bord supérieur et au bord inférieur du muscle à une distance différente de l’extrémité tendineuse et en amarrant ces fils au niveau de l’insertion primitive du muscle ; le pli musculaire, dont la tête est enfouie sous le muscle (cf. figure 11.2C) de la manière habituelle, est ici de forme trapézoïdale ; pour une résection, le muscle est comme ailleurs réséqué à 2 mm en avant des points de résinsertion, le segment réséqué étant ici trapézoïdal.
Pour qu’un recul ou un plissement obliques soient efficaces, la différence entre les deux bords d’un muscle ne doit pas être inférieure à 3 mm ; elle ne peut pas excéder 6 mm [14,15]. « L’effet moyen du millimètre d’obliquité correspond à 3 Δ prismatiques » [14] et l’effet maximum est de 36 Δ (6 × 3 Δ = 18 Δ par muscle sur deux muscles).
Le calcul du dosage des reculs et des plissements ou résections obliques tel que nous le pratiquons a l’avantage de la simplicité et de la régularité des résultats. Selon le mode de calcul exposé précédemment (cf. chapitre 7), on corrige :
au bord inférieur des muscles opérés (droits médiaux ou droits latéraux pour une opération bilatérale, ou droit médial et droit latéral pour une opération combinée unilatérale), la déviation mesurée dans le regard à 20° au-dessus de l’horizontale ;
au bord supérieur des muscles, la déviation mesurée dans le regard à 30° en dessous de l’horizontale.
Le recul et le plissement obliques peuvent être associés à l’affaiblissement des obliques (obliques inférieurs pour le syndrome V, obliques supérieurs pour les syndromes A), lorsque l’incomitance alphabétique est importante et qu’elle est associée à une hyperaction en adduction concordante des obliques [10,11,15].
Bietti (1970), Boyd et al. (1971), Lavat et Bons (1972) avaient, indépendamment les uns des autres, proposé originellement le procédé inverse, c’est-à-dire de reculer ou de plisser davantage le côté du muscle du côté de la déviation maximale pour corriger la cyclotorsion liée aux incomitances alphabétiques [16–18] ; mais ce faisant ils augmentaient l’incomitance alphabétique.
En corrigeant l’incomitance alphabétique selon le procédé de Friedburg, Roth et Rüssmann (tableau 11.5), l’affaiblissement oblique d’un muscle droit produit un effet rotatoire en direction opposée au côté du muscle affaibli, et le renforcement oblique un effet rotatoire en direction du côté du muscle renforcé ; ils accentuent inévitablement la cyclotorsion. Les effets rotatoires d’une opération oblique combinée unilatérale, comme ceux d’une opération oblique bilatérale sur les muscles homonymes s’additionnent.

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