Chapitre 11 Leptospirose et uvéites
Épidémiologie
La leptospirose est une maladie des pays tropicaux, survenant pendant la saison des pluies. Cependant, elle a été décrite partout dans le monde, y compris dans les pays tempérés en été et automne. Elle touche de préférence l’homme jeune, principalement par exposition professionnelle : éleveurs, travailleurs de rizières, égoutiers, personnel d’abattoirs, vétérinaires. Le risque lors des loisirs se rencontre au cours de la baignade en eau douce, la pêche ou le canotage.
Diagnostic biologique
Il est difficile à obtenir ; la bactériologie comme la sérologie doivent être mises à contribution successivement, sans hésiter à répéter les prélèvements. À la phase bactériémique, on peut isoler la bactérie. La culture du leptospire à partir de sang, de liquide cérébrospinal ou d’urine, est lente et nécessite des milieux spéciaux. Puis, à partir du dixième ou douzième jour, on a recours à des tests sérologiques. La réaction d’agglutination microscopique de Martin et Petit (Microscopic Agglutination Test, MAT) est la réaction de référence. Cette technique a des limites : la nécessité de micro-organismes vivants, l’existence de nombreux sérotypes occasionnant des faux négatifs et la présence d’anticorps résiduels dans la population des zones endémiques, ce qui crée là aussi des faux positifs. D’autres techniques de type ELISA existent. Plus récemment, des marqueurs sérologiques importants ont été identifiés (lipoprotéine L32 et un antigène de LPS) [1,2]. Les techniques moléculaires par PCR sont en cours d’évaluation [3].
Manifestations oculaires, uvéite secondaire à la leptospirose
L’oeil peut être atteint à la phase bactériémique aiguë ou à la phase immunologique.
PHASE BACTÉRIÉMIQUE AIGUË
L’incidence des signes oculaires pendant la phase bactériémique aiguë a été rapportée avec des extrêmes particulièrement marqués, allant de 2 % à 90 %. Ils peuvent être infracliniques et sont donc très sous-estimés [4] : hyperhémie conjonctivale, chémosis, hémorragie sous-conjonctivale, hyperhémie papillaire. Historiquement, la présence d’une sclère jaune (liée à l’ictère) et d’un cercle périkératique a été considérée comme un signe pathognomonique de leptospirose systémique sévère. Martins a décrit des signes oculaires plus rares : oedème papillaire, vascularites rétiniennes, hémorragies rétiniennes et exsudats. Aucun cas d’uvéite antérieure n’a été rapporté à la phase aiguë [5,6].
PHASE IMMUNOLOGIQUE
C’est à cette phase que se développent les uvéites. L’incidence précise des uvéites secondaires à une leptospirose n’est pas connue ; elle est rapportée à des pourcentages très variables s’échelonnant de 3 % à 92 % [7]. Une récente étude indienne a recherché l’incidence des signes oculaires de manière prospective sur une population de cent soixante-quatorze patients atteints de leptospirose systémique traitée. Trente-deux patients (18,4 %) présentaient des manifestations ophtalmiques, parmi lesquels vingt et un (12,1 %) avaient une uvéite antérieure [6]. Bien que la leptospirose soit une maladie fréquente dans les pays tropicaux, l’incidence des uvéites qui en découlent est probablement sous-estimée du fait d’un long délai entre la maladie initiale et l’apparition des signes oculaires, pouvant aller jusqu’à quatre ans, en moyenne trois à six mois [8]. L’uvéite secondaire à la leptospirose touche typiquement l’homme jeune. Elle peut se manifester par un épisode unique ou de manière récurrente. L’atteinte est uni- ou bilatérale, en proportions équivalentes. Il peut aussi bien s’agir d’une uvéite antérieure modérée que d’une panuvéite sévère [4]. La sévérité n’est pas corrélée à celle des signes généraux Elle semble moindre chez les patients déjà traités [6].
SEGMENT ANTÉRIEUR
L’examen à la lampe à fente retrouve des précipités rétrodescemétiques non granulomateux, blancs, diffus, proches de ceux de l’iridocyclite de Fuchs. Mais la présence d’un cercle périkératique et d’un tyndall cellulaire et protéique en chambre antérieure écarte ce diagnostic. L’inflammation antérieure peut être modérée à sévère avec formation d’un hypopion [8minus;10].
Une kératite interstitielle est une autre manifestation oculaire immunologique possible de la leptospirose. Une étude la retrouve chez 18 % des patients [11].
La cataracte est une complication connue des uvéites et de la corticothérapie. Dans la leptospirose, elle a la particularité d’évoluer très rapidement, même après contrôle de l’inflammation. La présence d’un hypopion ou de synéchies postérieures est statistiquement corrélée à celle d’une cataracte. Des cas de résorption spontanée du matériel cristallinien ont déjà été décrits dans l’évolution de ces cataractes secondaires à une leptospirose oculaire [10,12]. Le pronostic visuel est excellent après extraction du cristallin et implantation.