10: Psychopathologie des troubles à expression comportementale

10 Psychopathologie des troubles à expression comportementale


Le regroupement dans ce même chapitre de conduites très diverses se justifie plus par l’habitude prise de les traiter ensemble que par une unité psychopathologique. Leur seul point commun est d’être des conduites symptomatiques qui ne doivent pas être intégrées d’emblée dans une organisation pathologique particulière (telle que la psychopathie), mais être comprises comme le témoin de la maturation progressive de l’enfant, en particulier la discrimination progressive entre fantasme et réalité, dépendance et indépendance, soi et non-soi. À l’exception des conduites suicidaires, il existe pour toutes ces conduites un continuum allant de la normalité, où elles participent alors aux processus de développement, à l’expression d’organisations pathologiques les plus variables. Leur évolution dépend en grande partie du processus de socialisation et de ses déviations.


Si ces conduites ne semblent pas avoir une signification psychopathologique particulière lorsqu’elles surviennent de façon intermittente ou isolée, en revanche leur répétition et reproduction dans le temps, leur association, peuvent constituer les premiers signes de ce qui deviendra à l’adolescence une organisation antisociale manifeste ou un autre trouble troubles de la personnalité (cf. Les conduites psychopathiques : Marcelli D, Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. 7e éd. Masson ; 2008).


Dans les classifications actuelles, CIM-10 et DSM-IV, plusieurs diagnostics (trouble oppositionnel et trouble des conduites entre autres) ont été retenus à partir de ces conduites. Nous avons choisi de les traiter dans le chapitre 18 de la troisième partie car leur cohérence en tant qu’entité nosographique n’est que descriptive.



Psychopathologie des conduites sociales



Fugue


La fugue est un départ volontaire, de façon inattendue, sans prévenir et sans autorisation du lieu où l’enfant est censé être. L’absence est de durée suffisante pour que l’interdit parental ou social soit considéré comme transgressé. Un enfant fugue lorsqu’il abandonne le lieu où il doit normalement être, pour déambuler pendant des heures, voire des jours sans rentrer chez lui. C’est une conduite fréquente puisque l’on compte jusqu’à 30 000 déclarations de fugue par an, sa fréquence augmentant avec l’âge.


Il est difficile de parler de fugue avant que l’enfant ait une claire conscience de son domicile : le petit enfant qui s’égare au marché, dans le grand magasin ou sur la plage n’est pas un fugueur. En pratique, on ne parle pas de fugue avant 6–7 ans.



Circonstances de la fugue


La durée de la fugue est très variable et dépend en partie de l’âge de l’enfant. Les préadolescents et adolescents peuvent faire des fugues prolongées, tandis que le jeune enfant rentre, ou se fait prendre par la police à la tombée de la nuit.


Lorsqu’il fugue, l’enfant n’a souvent aucun but : il erre autour du domicile, se cache plus ou moins dans des lieux environnants (cave, terrain vague). Parfois il va dans un endroit de prédilection (centre commercial, entrée de cinéma) où il traîne, indécis et désœuvré. Manifestement, il cherche à se faire prendre ou récupérer par les parents ou les voisins. Dans d’autres cas, la fugue a un but précis. Lorsqu’il s’agit d’un jeune enfant (moins de 11–12 ans), le but de la fugue est de quitter l’endroit détesté ou redouté pour rejoindre l’autre (fugue pour rejoindre une nourrice, les grands-parents). Plus l’enfant est grand, et surtout à l’adolescence, plus la fugue s’inscrit dans un comportement socialisé au sein d’un groupe : fugue pour aller chez des « copains », pour faire une « virée ». La fugue fait alors souvent partie d’un comportement dit psychopathique et peut être l’occasion de conduite antisociale plus caractérisée (vol, violence). Plus encore que pour le vol, il n’y a pas de profil psychopathologique particulier du fugueur. Notons chez l’enfant comme chez l’adolescent la grande fréquence des antécédents de ruptures itératives et précoces : séparation des parents, carence affective, abandon, placements multiples, etc. Ces facteurs paraissent d’autant plus prépondérants que l’enfant est jeune. Chez l’adolescent fugueur, en revanche, ce sont les facteurs généraux de la prédélinquance (psychologique, sociologique, économique) qui prédominent. L’impulsivité caractérise bon nombre d’enfants fugueurs pour lesquels la fugue représente une décharge motrice agie face à une tension insurmontable qu’ils fuient. Pour d’autres, au contraire, la fugue est longuement préparée ou du moins imaginée à l’avance, et peut représenter une conduite relativement adaptée pour exprimer une souffrance ou une demande que les adultes se refusent à entendre.



Contexte psychopathologique des fugues


La fugue comme comportement d’évitement : soumis à une situation conflictuelle, l’enfant tente d’éviter une tension psychique angoissante par la fugue et déambule sans but précis. Ainsi en est-il de ces enfants qui subissent des placements multiples contre leur gré (problème de la limite d’âge des établissements ou de certains placements nourriciers) ou sans qu’on tienne suffisamment compte de leur avis. Pour autant, la situation la plus fréquente est celle de la phobie scolaire (cf. chap. 21). L’enfant est le plus souvent anxieux et culpabilisé par sa conduite et le comportement s’intègre alors dans une organisation névrotique infantile. Ces fugues scolaires peuvent rester longtemps ignorées de la famille, lorsque l’enfant feint d’aller en classe et rentre à l’heure habituelle, faisant parfois les devoirs procurés auprès d’un camarade ou même inventés par lui, avec bulletin de notes à l’appui. Néanmoins, soit la famille finit par découvrir la réalité, soit l’angoisse de l’enfant atteint un degré tel qu’il en parle à ses parents.


La fugue de l’école comme refus scolaire : il s’agit d’école buissonnière pendant laquelle l’enfant traîne dans la rue ou se cache jusqu’à l’heure du retour normal à la maison. Il existe un échec scolaire et l’enfant ne manifeste que peu de culpabilité ou d’anxiété. Il peut y avoir d’autres troubles des conduites associés (petits vols, mensonges, conduites agressives, etc.). Quand il s’agit d’un adolescent, on peut être en face d’une pathologie psychopathique avec fugues organisées, virées en bande, délinquance, etc. Quand le jeune est placé, les fugues peuvent s’effectuer à partir des institutions.


La fugue comme réponse à un sentiment d’abandon : il s’agit d’un cas de figure fréquent dans les situations psychosociales conduisant à un placement administratif ou judiciaire de l’enfant. Celui-ci n’acceptant pas la décision de séparation du milieu familial, et craignant un abandon, fugue, parfois de manière répétée, pour retrouver ses proches.


La fugue pour retrouver l’autre parent lorsque les parents sont séparés : cette forme de fugue relativement fréquente dans les situations de séparations parentales conflictuelles n’a pas toujours une coloration abandonnique. Parfois, c’est une problématique d’évitement qui est au premier plan lorsque l’un des parents est beaucoup plus exigent, voire autoritaire.


La fugue de l’enfant autistique ou déficitaire mérite-t-elle le nom de fugue ? Il s’agit plutôt d’errance ou de comportement de fuite en avant. La fugue est peu élaborée du fait d’un manque de repères spatiotemporel et identitaire. Certaines psychoses se caractérisent toutefois par un besoin compulsif de l’enfant d’échapper à toute limite imposée, y compris les limites de lieu.


Le voyage pathologique : il s’agit de fugues impulsives et immotivées, parfois de longues durées, au cours d’une décompensation délirante le plus souvent chez un adolescent ou un jeune adulte. Des formes prépubères exceptionnelles peuvent également se rencontrer.


La fugue dans un contexte d’épilepsie : il s’agit plutôt d’une déambulation au cours par exemple d’une crise complexe temporale. Il n’y a pas de départ volontaire. On retrouve une amnésie plus ou moins complète.


La fugue hystérique avec amnésie se voit rarement chez l’enfant, mais parfois chez l’adolescent(e).


Si, à l’évidence, il n’y a pas de traitement spécifique de la fugue, nous signalerons cependant des attitudes qui induisent régulièrement la conduite de fugue. Au premier rang de celles-ci, la répression amène, en particulier chez l’adolescent(e), une recrudescence des fugues. Les premières modalités de réponse de l’entourage lorsqu’elles se font sur ce mode (interdiction de sortie, surveillance, bouclage dans la chambre), risquent de cristalliser une conduite pathologique où l’enfant trouve certains bénéfices à mobiliser sa famille, quand ce n’est pas la police et la gendarmerie, et se voit confirmer ainsi l’attachement de ses parents, chaque fois qu’il en doute.



Vol


Le vol est la conduite délinquante la plus fréquente de l’enfant et de l’adolescent puisqu’elle représente 70 % environ des « délits » de mineurs. On l’observe beaucoup plus souvent chez le garçon que chez la fille, et, comme pour la fugue, sa fréquence augmente avec l’âge.


Toutefois, on ne peut parler de vol avant que l’enfant ait acquis une claire notion de la propriété : « Les concepts de “à moi” et de “pas à moi” se développent très progressivement, parallèlement aux progrès qui mènent l’enfant vers l’achèvement de son individualité » déclare Anna Freud. La notion de « à moi » est d’ailleurs acquise bien avant l’autre notion qui nécessite le renoncement de l’enfant à son égocentrisme initial. L’enfant passe naturellement par une période où tout lui appartient, du moins tout est sa propriété potentielle. À cette période « être privé de » ou « être volé » a un sens pour lui, tandis que « prendre à » ou « voler » n’en a pas.


Cependant, la notion de vol réclame, outre le développement suffisant du concept de propriété, de limite de soi et de l’autre, le développement du concept moral de bien et de mal, avec toutes ses implications socioculturelles. Aussi, ce n’est qu’à l’âge où la socialisation commence à prendre un sens pour l’enfant, c’est-à-dire vers 6–7 ans, que la conduite de vol peut être appelée ainsi, non seulement par l’observateur, mais par l’enfant lui-même.



Circonstances du vol


Le lieu du vol est d’abord domestique. Le petit enfant vole à la maison (friandises, pièces de monnaie), d’abord les membres de la famille : parents, fratrie ; puis le cercle des larcins s’élargit aux voisins ou amis, à l’école (vestiaire), au club sportif, enfin à la rue et aux magasins (étalages des supermarchés).


Les objets volés, anodins au début et significatifs de la demande de l’enfant (bonbons, nourriture, petits jouets), deviennent rapidement plus utilitaires avec l’âge : argent (le vol domestique peut atteindre des sommes importantes), objets convoités (disques, livres) ou parfois collectionnés (cendriers), moyens de transport, vélo puis mobylette, jusqu’à la voiture chez l’adolescent. L’objet est parfois aberrant au sens où l’enfant n’en éprouve aucun besoin lorsque c’est l’acte même du vol qui est investi.


L’utilisation de l’objet volé est des plus variable. Celui-ci est parfois directement consommé ou utilisé. Ailleurs, il est soigneusement caché, les objets sont entassés mais non utilisés lorsque les vols se répètent, avec un sentiment d’angoisse et de crainte d’être découvert. Dans d’autres cas, non rares, l’objet est abandonné de manière ostensiblement visible, comme si l’enfant cherchait à être découvert ou dénoncé ; ou encore, il est cassé et détruit, ou donné et distribué aux autres (nourriture, argent, disques, livres, etc.) : vol généreux de Heuyer et Dublineau.




Significations psychopathologiques du vol


La revendication à l’égard de l’objet qu’implique à l’évidence la conduite de vol a été perçue par la quasi-totalité des auteurs : les notions de carence affective, d’abandon intrafamilial ou réel, de séparation parentale, d’extrême rigueur ou de démission éducative totale accompagnent toutes les descriptions d’enfant voleur.


Dans les situations de carences affectives, c’est l’image maternelle qui est sollicitée. Winnicott souligne à cet égard que « l’enfant qui vole un objet ne cherche pas l’objet volé, mais cherche la mère sur laquelle il a des droits ». Lorsque la mère fait défaut à l’enfant, ce dernier estime avoir des droits sur elle ; le vol (du point de vue d’une tierce personne) n’est pour lui que la juste réappropriation de son bien. Winnicott insiste sur la signification pas toujours négative du vol : il persiste une revendication, un espoir envers l’objet. L’important est de ne pas décevoir cette attente. Ainsi la réaction des parents est primordiale, elle se situe entre deux extrêmes néfastes.


D’un côté une excessive rigueur donne à une conduite plutôt banale une signification d’emblée pathologique : l’enfant est un voleur et deviendra ipso facto un suspect permanent. L’enfant peut alors s’enfermer dans une conduite masochiste répétitive où les craintes se trouvent chaque fois confirmées, tant du côté de l’enfant que de ses parents ou de l’entourage (enseignant, éducateur).


À l’autre extrémité on rencontre une tolérance, sinon une véritable complaisance à l’égard de ces conduites : l’enfant se sent excusé, autorisé même. Certains parents projettent ainsi sur leur enfant leur propre tendance antisociale qu’ils sont alors incapables de limiter.


C’est à partir de ce sentiment de carence initiale (réelle ou fantasmatique de la part de l’enfant) et de la réaction parentale aux premiers vols, que cette conduite prend un sens dans son organisation psychopathologique. Là encore, au sein des processus mentaux d’intériorisation de la loi parentale (maternelle puis paternelle) et de la loi sociale, c’est-à-dire l’organisation progressive du surmoi, le vol se situe sur un continuum qui va d’une extrémité marquée par l’excessive rigueur surmoïque dont l’enfant ne peut se dégager, à l’autre extrémité marquée par l’absence totale d’instance critique dont la conduite antisociale est la résultante.


Certains vols s’observent aussi dans le cadre d’une organisation névrotique évidente. Il s’agit de vols non utilitaires avec parfois un mécanisme compulsif qui pousse l’enfant à effectuer un petit larcin. La résolution du passage à l’acte est vécue à la fois comme un soulagement mais aussi avec angoisse et culpabilité. La revendication d’une affection ou d’une autorité se teinte fréquemment d’un sentiment de culpabilité (par exemple chez des enfants de parents séparés) : le vol satisfait à la fois le manque et le besoin de punition.


À l’autre extrémité, le vol est une des conduites symptomatiques les plus habituelles de la psychopathie et signe fréquemment le mode d’entrée dans la délinquance. La conduite antisociale peut être recherchée en tant que telle comme rite d’initiation au groupe. Souvent le vol s’inscrit dans une conduite déviante, plus organisée, où les bénéfices matériels ou financiers sont directement recherchés. La culpabilité est souvent totalement déniée, projetée sur l’extérieur avec parfois même la complaisance des médias : c’est la faute de la société.


Au stade intermédiaire se situe le vol de l’objet fétiche ou encore l’investissement pervers de la conduite de vol. La jouissance ne peut être obtenue que par certains objets (lingerie féminine) ou lors du passage à l’acte lui-même. La culpabilité ou la honte n’accompagnent pas nécessairement le passage à l’acte, mais lui succèdent souvent.


Enfin, on rencontre aussi des vols qui rendent compte d’une tentative d’affirmation de soi : il s’agit de vols dans une ambiance de rivalité. Le larcin est réalisé par défi dans un contexte de lutte contre des sentiments dépressifs ou des difficultés d’identification. Ce mode est particulièrement fréquent dans les « bandes de préadolescents ou d’adolescents ». Il a parfois valeur de rite initiatique.



Mensonge


« Il ment comme il respire » est un dicton qui s’applique souvent à l’enfant, et qui souligne deux composantes du mensonge :



Si tous les enfants mentent, c’est qu’il y a une raison. Au niveau de l’investissement du langage, quand vers 3–4 ans, l’enfant découvre la possibilité nouvelle de ne pas tout dire, puis de dire ce qui n’est pas et d’inventer une histoire, une étape importante est franchie. Mentir est pour l’enfant la possibilité d’acquérir peu à peu la certitude que son monde imaginaire interne lui reste personnel. Plus tard, si mentir pourra permettre à l’enfant de continuer à se protéger, dire la vérité s’intégrera peu à peu dans une conduite sociale où l’estime de soi et la reconnaissance des autres viendront au premier plan.


De nombreux auteurs ont proposé une réflexion sur le mensonge. Il faut d’abord en préciser la définition : le mensonge apparaît comme l’action d’altérer sciemment la vérité ; il s’agit de propos contenant une assertion contraire à la vérité. Un deuxième sens peut être attribué au mensonge : dans le registre poétique, il renvoie à la fable et à la fiction. Sur un plan philosophique et moral, deux couples sont constamment en opposition : d’un côté le couple vérité/mensonge, de l’autre le couple vérité/erreur.


Chez l’enfant, la distinction entre le vrai et le faux, puis entre la vérité et le mensonge, est progressive. Initialement, l’enfant fait moins bien la distinction entre la réalité et son monde imaginaire, en revanche il perçoit assez vite dans le monde matériel qui l’environne le vrai du faux. Toutefois, cette distinction ne prendra pas sa pleine signification avant 6–7 ans. Pour Piaget, avant 6 ans, l’enfant ne fait pas la distinction entre mensonge, activité ludique et fabulation. Peu à peu, après 8 ans, le mensonge acquerra sa dimension intentionnelle. Entre ces deux étapes, avec d’un côté la prévalence de l’activité ludique, de la fabulation et du fantasme avant 6 ans, et de l’autre le mensonge intentionnel après 8 ans, se situe une période où le vrai et le faux sont distingués, mais où le mensonge est confondu avec l’erreur.


Depuis Freud, le mensonge a été l’objet de quelques travaux de psychanalystes, lesquels recommandent précisément à leur patient de « tout dire ». Freud avait lui-même mis en relation les premières et fondamentales interrogations de l’enfant sur la naissance avec le mensonge de l’adulte. En effet disait-il, à la question « d’où viennent les enfants ? », il est répondu par la fable et la cigogne. Pour Freud : « De ce premier acte d’incroyance date son indépendance intellectuelle et souvent il se sent, de ce jour, en grave opposition avec les adultes auxquels il ne pardonne au fond jamais en cette occasion de l’avoir trompé. » Pourtant il faut bien reconnaître que nos enfants actuels savent tous que le bébé est dans le ventre de la maman, mais ils continuent de mentir à l’occasion. Aussi il ne nous semble pas qu’on puisse fonder le mensonge de l’enfant sur ce premier mensonge de l’adulte. Ferenczi avait, quant à lui, développé une notion intéressante, reliant le mensonge au sentiment nouveau de « toute-puissance de la pensée ». Cette toute puissance de la pensée pourra être mise au service de la préservation du narcissisme infantile également tout puissant, du moi idéal : le mensonge devient alors le moyen de regagner cette toute-puissance ou du moins d’en conserver l’illusion. Le mensonge compensatoire, que nous reverrons, s’inscrit directement dans cette perspective. Complémentaire à ce point de vue est celui de Tausk. Pour cet auteur, l’important dans le mensonge est que l’enfant découvre la non-transparence de la pensée alors qu’il avait parfois le fantasme que ses parents, et surtout sa mère, pouvaient connaître, deviner toutes ses pensées. Le mensonge devient le témoin qu’une limite existe entre l’imaginaire de chaque individu, que les psychés ne sont pas confondues. M. Klein formule une hypothèse qui va dans ce sens puisqu’elle relie le mensonge chez l’enfant au déclin de la puissance parentale. Nous terminerons ces quelques notes par Anna Freud qui, parlant du mensonge, pense surtout, nous semble-t-il, à la fabulation quand elle insiste sur les phénomènes régressifs et la prédominance des processus primaires sur les processus secondaires. Il est vrai qu’elle ne parle pas de mensonge avant 7 ans puisqu’elle considère la négation comme un mécanisme de défense central chez l’enfant au plan du développement psychique au même titre que l’identification.


À entendre toutes ces fonctions intéressantes du mensonge, on peut légitimement se poser une question et renverser l’interrogation initiale, à savoir non pas « pourquoi les enfants mentent-ils ? », mais « pourquoi disent-ils parfois la vérité ? ». En effet, dire la vérité ne va pas de soi et représente un véritable apprentissage progressif. L’apprentissage du langage constitue en lui-même une incitation au mensonge ne serait-ce que par l’importance de cette période du langage correspondant à la phase anale du développement libidinal où l’enfant dit « non » à tout, où il instaure une clôture dans son propre discours. Il y a donc tout un apprentissage social de la vérité : les parents valorisent en général l’aveu de la vérité et en font le témoin d’un comportement de responsabilité teinté d’adultomorphisme. Dire la vérité sera peu à peu pour l’enfant le moyen encore plus subtil de satisfaire ses parents, de satisfaire aux exigences sociales et, in fine, de satisfaire sa propre estime de soi, c’est-à-dire son propre narcissisme. On perçoit dès à présent l’un des paradoxes du mensonge. En effet, si primitivement le mensonge peut être mis au service de la toute-puissance narcissique, son usage persistant ne fait qu’appauvrir l’estime de soi, et par conséquent le fondement narcissique de la personne : peu à peu le mensonge devient un paravent dont la seule fonction est de masquer ce vide narcissique. La mythomanie en est l’illustration typique.


Sur le plan clinique, il est classique de distinguer, chez l’enfant, trois types de mensonge : le mensonge utilitaire, le mensonge compensatoire et la mythomanie.






Psychopathologie des consommations de produits chez l’enfant et le préadolescent



Données épidémiologiques


Les enquêtes épidémiologiques confirment l’expérience du clinicien : la population entre l’enfance et la préadolescence (9–10 ans à 13–14 ans) est de plus en plus concernée par la consommation de certaines drogues licites ou non (alcool, tabac, haschich) ou de certains produits déviés de leur usage naturel (colle, solvant, médicaments). Quand on dispose de données comparatives, il semble même que l’augmentation de consommation soit plus importante dans la tranche d’âge des 10–12 ans que dans les tranches d’âge supérieur (Belcher et coll., 1998). Selon ces mêmes auteurs, il existe également une corrélation forte entre l’âge précoce de la consommation et l’usage ultérieur de drogue : un enfant qui fume du tabac ou boit de l’alcool a 65 fois plus de probabilité de consommer ultérieurement du haschich, et quand il consomme du haschich, il a 104 fois plus de probabilités de consommer par la suite de la cocaïne. Toutefois, les enquêtes épidémiologiques sur cette tranche d’âge (8–12 ans) manquent encore et, du moins pour la France, on ne dispose pas d’étude validée sur une population représentative malgré les efforts de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT, 2002). L’enquête européenne ESPAD précise les chiffres pour les adolescents. Le tableau 10.1 présente les consommations chez les 12 et 13 ans pour l’alcool, le tabac et le cannabis.



La majorité des travaux note la fréquence des consommations croisées et l’existence de nombreux facteurs de risque parmi lesquels :



image au niveau individuel, les troubles du comportement (en particulier les troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité, les troubles des conduites et les troubles oppositionnels), la variable sexe (les consommations sont toujours plus importantes chez les garçons), ainsi qu’une vulnérabilité génétique. Notons que les travaux génétiques les plus récents évoquent dans ce domaine, l’intervention conjointe de gènes de vulnérabilité et de facteurs environnementaux (Barr et coll., 2004). L’influence de caractéristiques génotypiques peut s’exprimer à travers plusieurs mécanismes liés à l’induction de différences :





image au niveau familial, toutes les études insistent sur l’importance du contexte familial, certaines consommations étant initiées au sein de la famille. C’est vrai pour l’alcool, tout particulièrement, dont la consommation chez le jeune enfant débute le plus souvent en famille, parfois à l’occasion de manifestations festives mais aussi de façon régulière, les parents étant souvent eux-mêmes consommateurs abusifs (surtout le tabac ou l’alcool). Enfin, comme dans de nombreuses situations de déviances psychopathologiques, on retrouve des antécédents de rupture, un niveau socio-économique défavorisé mais également des antécédents d’abus sexuels à une fréquence supérieure à celle de la population générale parmi les très jeunes consommatrices de produits (Wilsnack et coll., 1997) ;


image au plan environnemental et culturel, le poids des pairs est essentiel dans le début de consommation du tabac et du haschich, mais en même temps ce rôle est complexe puisque le jeune en difficulté et futur consommateur précoce choisit lui-même une bande de copains à risque souvent déjà consommateurs eux-mêmes. Il y a donc un effet de sélection croisée. Cet effet de sélection est encore renforcé par l’environnement communautaire : plus celui-ci est dégradé ou inscrit dans un état de marginalité, plus le risque est grand pour l’enfant d’une initiation précoce à la fois du fait de la rencontre plus probable de dealers (offre de produits plus fréquente) et du fait des relations avec des pairs à risque.


Concernant la consommation de produit elle-même, il est classique de distinguer chez l’adulte (OFDT, 2002) l’usage, l’abus (ou usage nocif), la dépendance. Chez l’enfant, il est difficile de parler d’usage dans la mesure où la consommation de produits implique des facteurs de risque multiples (cf. ci-dessous).



Caractéristiques psychopathologiques en fonction du produit


L’absence d’approche individuelle, d’engagement dans une relation thérapeutique ou d’évaluation psychologique (bilan psychologique) effectués sur un nombre suffisant d’enfants rend aléatoires les hypothèses psychopathologiques. La carence affective, la dépression et les conduites d’évitement de celle-ci (prise de risques, conduites provocantes) sont souvent évoquées. C’est pourquoi dans cette partie, les données psychopathologiques se limitent aux données de la clinique et de l’épidémiologie.


Il est important d’insister sur les éléments suivants : chez l’enfant, encore plus que chez l’adolescent, les facteurs de risque familiaux et environnementaux jouent un rôle prépondérant, les facteurs psychopathologiques semblant se situer dans un relatif second plan. En revanche, une consommation très précoce représente un puissant indicateur de risque pour l’apparition ultérieure de conduites déviantes ou de troubles psychopathologiques chez l’adolescent et le jeune adulte. Enfin et surtout, toutes les études montrent aussi que plus l’âge de la première initiation est faible, dès l’enfance ou la prime adolescence, plus le risque est grand de consommation abusive ou de dépendance à l’âge adulte, et plus difficile est l’arrêt de la consommation. Si certains troubles de l’enfant sont annonciateurs de consommations ultérieures (citons parmi ceux-ci le trouble des conduites), il est bien difficile de faire un lien direct car on retrouve en général associés le contexte psychosocial rappelé plus haut et une consommation précoce de produits.



Consommation d’alcool


Les études cliniques et épidémiologiques mettent toutes en évidence à travers des pays différents (France, pays scandinaves, États-Unis, Russie, etc.) certaines données similaires. Chez l’enfant, le premier contact avec l’alcool se produit le plus souvent en famille, à l’occasion de fêtes ou de cérémonies (mariage, anniversaire, etc.) contrairement à l’alcoolisation des adolescents qui boivent entre eux. L’âge du début de la consommation est de plus en plus précoce : 7, 8, 9 ans sont des âges fréquemment cités. Ce point est d’autant plus inquiétant que l’âge de début de la consommation semble jouer un rôle dans la future consommation abusive de l’adulte. Ainsi, parmi les jeunes qui commencent à consommer dès 11–12 ans, on en retrouve 13,5 % qui ont une consommation abusive et 15,9 % qui répondent aux critères de la dépendance à l’alcool dix ans plus tard (Dewit et coll., 2000). Ces chiffres sont respectivement de 2 % et de 1 % quand la consommation n’a débuté qu’à 19 ans ou plus. Signalons toutefois que la corrélation paraît plus difficile à affirmer lorsque la consommation d’alcool débute très précocement, avant 10 ans (difficulté à obtenir des données fiables en raison des échantillons de taille souvent réduite).


En termes de prévalence, un pourcentage non négligeable d’enfants boit régulièrement : 6,4 % entre 6–10 ans de la bière à table, 1,3 % du vin (Zourbas, Rennes, 1981). Entre 11 et 13 ans, 30 % des garçons, 21 % des filles boivent de façon occasionnelle de l’alcool et 5 % des garçons, 2 % des filles régulièrement (Choquet et Ledoux, 1994). Ces chiffres sont restés stables en 2003 (ESPAD, 2004). On constate une augmentation importante de la consommation de bière, cidre, mais aussi apéritif ou digestif au détriment du vin ; et un sex-ratio défavorable aux garçons, même si la consommation d’alcool chez les filles augmente parfois plus vite que celle des garçons. Au plan des facteurs de risque, les facteurs environnementaux semblent jouer un rôle prépondérant. Les enfants évoluent généralement dans un environnement psychosocial lourd : mère souvent seule, père habituellement alcoolique quand il est à la maison, fréquentes conduites d’inadaptation à l’école ou à la maison.


Pour ce qui concerne les manifestations d’ivresse, celles-ci commencent dès l’âge de 10 ans, avec de fréquentes récidives (3 % des lycéens affirment avoir été ivres au moins trois fois avant 16 ans). Ce type d’alcoolisation caractérisera ensuite la consommation dite « toxicomaniaque » de certains adolescents : l’ivresse, la défonce étant systématiquement recherchées. Parmi les facteurs devant faire craindre une récidive après une première crise d’ivresse, on peut noter : être garçon, avoir commis des actes délinquants, avoir un père alcoolique, être ivre pendant la semaine et non le week-end ou à l’occasion d’une fête (Rydelius et coll., 1985).

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 10: Psychopathologie des troubles à expression comportementale

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