Chapitre 10. Phencyclidine
Amoeba, amp, bobbies, busy bee, cadillac, crystal joints, cyclones, devil’s dust, DOA, dog, embalming fluid, goon, gorilla tab, haze, hog, hydro, illie, kapow, love boat, monkey dust, peace pill, pig killer, poudre d’ange, poussière d’ange, purple haze, rocket fuel, scuffle, soma surfer, superweed, tranquillisant pour cheval, tranquillisant pour éléphant, whack, window pane, wobble weed, worm, zombie
Noms argotiques pour la phencyclidine
Ce voyage de 22 minutes pour devenir l’intelligence située au cœur de l’univers reste l’expérience la plus puissante et cosmique de ma vie.
Un utilisateur de kétamine
Les composés de la famille des arylcyclohexy-lamines, qui comprend la phencyclidine (1-(1-phenylcyclohexyl)pipéridine [PCP]) et la kétamine, ont des propriétés stimulantes, dépressives, hallucinogènes et analgésiques sur le système nerveux central (SNC) [figure 10.1] 1. Ils sont appelés anesthésiques dissociatifs car ils produisent chez le chat une dissociation de l’activité électroencéphalographique entre les aires thalamo-néo-corticales et les limbiques [1]. Lorsqu’ils sont anesthésiés par ces agents, les sujets ont tendance à garder les yeux ouverts et semblent « déconnectés » de leur environnement ; une analgésie profonde et une amnésie peuvent survenir sans perte de conscience, dans une sorte de catalepsie. Ces agents semblent donc appartenir à une catégorie distincte des autres drogues psychotomimétiques, y compris des hallucinogènes.
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Figure 10.1 Phencyclidine. |
Pharmacologie et études chez l’animal
Effets aigus
Chez la souris et le rat, la PCP engendre un comportement semblable à celui induit par l’amphétamine : à faibles doses, la locomotion augmente, et à des doses plus importantes, des mouvements stéréotypés apparaissent – balancements répétitifs de la tête, reniflement, marche à reculons et en cercle. Toutefois, à la différence de l’amphétamine, de fortes doses entraînent une ataxie marquée [1., 2., 3. and 4.]. Chez le singe, des doses faibles produisent une ataxie légère et ont un effet calmant. Lorsque l’on augmente les doses, un nystagmus et une catalepsie sont observés : les yeux restent ouverts et il n’y a pas de dépression respiratoire, mais l’animal est immobile et ne répond pas à son environnement. Les pigeons recevant de la PCP deviennent également cataleptiques.
Systèmes de neurotransmetteurs
La PCP altère plusieurs systèmes de neurotransmetteurs, y compris les systèmes dopaminergique, sérotoninergique, noradrénergique, cholinergique et opioïde [5., 6., 7., 8. and 9.]. Toutefois, elle agit principalement sur les récepteurs au N-méthyl-D-aspartate (NMDA) et sur les récepteurs ζ.
Les récepteurs du glutamate, un acide aminé neurotransmetteur, sont classés selon leur caractère métabotropique ou ionotropique. Les récepteurs métabotropiques sont couplés aux protéines G et à des cascades de transduction des signaux. Les récepteurs ionotropiques transmettent leurs signaux en alternant la perméabilité de leur membrane aux ions Na + et Ca 2+. Selon leurs affinités pour certains ligands, les récepteurs ionotropiques sont classés comme récepteurs au NMDA, récepteurs à l’α-amino-3-hydroxy-5-méthyl-4-isoxazol proprionate (AMPA) et récepteurs au kaïnate. Les récepteurs à l’AMPA et au kaïnate permettent principalement le passage des ions monovalents. Les récepteurs au NMDA laissent passer les ions Na + et Ca 2+. Pour transmettre un signal, les récepteurs NMDA ont besoin de la présence non seulement du glutamate, mais également d’un co-agoniste, la glycine, placés chacun au niveau de son site de reconnaissance. La transmission des signaux se fait également sur un mode voltage-dépendant ; un stimulus dépolarisant (en provenance des récepteurs à l’AMPA/au kaïnate) doit être suffisant pour retirer le Mg 2+ du canal ionique et ainsi permettre le passage du Ca 2+. Les récepteurs au NMDA contiennent des sites modulateurs supplémentaires pour le zinc (qui inhibe l’ouverture du canal ionique), les polyamines (qui stimulent l’ouverture du canal ionique) et, à l’intérieur du canal ionique, pour la PCP et d’autres arylcyclohexylamines. Le site de liaison de la PCP – appelé « récepteur à la PCP » – dans le canal ionique dépend de l’utilisation du canal : c’est-à-dire que l’accès au récepteur nécessite que le canal soit ouvert. La PCP bloque alors le flux d’ions, par des modifications de la conformation du canal ou en l’obstruant. La PCP inhibe les agonistes du NMDA de façon non compétitive, c’est-à-dire quelle que soit la concentration des ligands agonistes. Les autres drogues qui se lient au récepteur à la PCP sont la dizocilpine (MK-801) et la kétamine, ainsi que ce que l’on appelle les opiacés ζ (exemple : la cyclazocine et la nor-metrazocine), les « morphiniens » (exemple : le dextrométhorphane et le dextrorphane) et les 1-amino-admantanes (exemple : l’amantadine et la mémantadine) [10] (les antagonistes compétitifs, qui agissent au niveau du récepteur au NMDA lui-même, incluent le 2-amino-5-phosphonopentanoate [AP5] et le 2-amino-7-phosphonoheptanoate [AP7]). Dans le cerveau, les récepteurs au NMDA sont particulièrement nombreux dans l’hippocampe, l’amygdale, le thalamus, le noyau caudé, le cortex entorhinal et les couches I et II du cortex somesthésique et moteur [3, 11., 12. and 13.].
Les effets de la PCP, comme celui des psychostimulants, dépendent en très grande partie de la DARPP-32 (phosphoprotéine 32 régulée par la dopamine et l’adénosine 3′,5′-monophosphate [AMPc] ; voir le chapitre 2). La PCP module la phosphorylation de la DARPP par le biais d’actions distinctes au sein des systèmes glutamatergiques [13a].
La PCP se lie aussi aux récepteurs dits ζ, considérés initialement comme un sous-type de récepteurs opioïdes [14]. Parmi les ligands des récepteurs ζ se trouvent notamment les opiacés mixtes agonistes-antagonistes de la classe du benzomorphane, comme la cyclazocine et la pentazocine, dont les effets psychotomimétiques ne sont pas bloqués par la naloxone. Les sites de liaison ζ sont les plus denses dans l’hippocampe, l’hypothalamus, le système limbique du télencéphale, le mésencéphale, le cervelet et le tronc cérébral. La PCP a une affinité beaucoup plus grande pour les récepteurs à la PCP que pour les récepteurs ζ, et des agents différents ont divers niveaux d’affinité pour ces deux types de récepteurs. La dizocilpine, qui a une forte affinité pour les récepteurs à la PCP, ne se lie pratiquement jamais aux récepteurs ζ [15].
Le rôle des récepteurs ζ reste inconnu, et la diversité des agents auxquels ils se lient implique l’existence de sous-types de ces récepteurs [14, 16]. On ignore également dans quelle mesure les effets comportementaux de la PCP sont médiés par les récepteurs ζ ou les récepteurs de la PCP. Chez l’animal, il est plus facile de corréler les effets biologiques et comportementaux à la liaison aux récepteurs à la PCP qu’aux récepteurs ζ [17, 18], et chez des sujets volontaires, le pouvoir analgésique des analogues de la PCP est corrélé de la même façon à l’affinité pour les récepteurs à la PCP [19]. La dizocilpine, qui se lie aux récepteurs à la PCP mais pas aux récepteurs ζ, entraîne le même comportement que celui induit par la PCP chez le rat, le pigeon et le singe [20], bien qu’elle ne soit pas psychotomimétique chez l’être humain (voir plus bas) [21, 22]. Chez l’animal, les antagonistes compétitifs du NMDA AP5 et AP7 produisent également un comportement de type PCP [2].
La PCP stimule l’activité de la tyrosine hydroxylase striatale, inhibe la recapture de la dopamine et facilité la libération de dopamine [23]. Les lésions du noyau accumbens (Acc) causées par la 6-hydroxydopamine bloquent l’activité motrice induite par la PCP, et cette dernière augmente puis diminue la fréquence de décharge neuronale dans l’aire tegmentale ventrale (ATV) [24]. Le mécanisme d’action de la PCP sur la neurotransmission dopaminergique n’a pas encore été entièrement déterminé. La libération de dopamine dans le cortex préfrontal induite par les antagonistes du récepteur au NMDA semble survenir suite à l’ augmentation de la libération de glutamate et l’activation des récepteurs à l’AMPA et au kaïnate sur les terminaisons nerveuses dopaminergiques [25]. Bien que les arylcyclohexylamines soient des antagonistes du récepteur au NMDA, ils augmentent la libération du glutamate, qui peut ensuite activer les récepteurs non NMDA [26]. La libération de dopamine dans le cortex préfrontal ainsi que le déficit des tâches cognitives dépendant du cortex préfrontal induits par la kétamine ont été bloqués par les antagonistes des récepteurs AMPA/kaïnate. Un effet similaire a été observé avec un agoniste du récepteur métabotropique du glutamate du groupe II, qui a bloqué le flux cortical de glutamate induit par la PCP et a atténué les effets perturbants de la PCP sur la mémoire de travail, la stéréotypie et la locomotion. Au cours de cette expérience, une inversion comportementale s’est produite alors même que l’hyperactivité dopaminergique persistait, indiquant que des voies non dopaminergiques avaient été sollicitées [27].
Les antagonistes du NMDA agissent également sur la neurotransmission sérotoninergique. Le NMDA inhibe l’activité neuronale dans les noyaux du raphé du tronc cérébral, et la PCP augmente le flux sérotoninergique sortant du cortex préfrontal médian et de l’hippocampe. Un agoniste du récepteur 5-HT 2A a réduit l’activité locomotrice et d’autres comportements induits par les antagonistes du NMDA [4, 28].
Chez le singe, le chat et le rat, la PCP et d’autres agents apparentés altèrent l’apprentissage à des doses trop faibles pour entraîner des troubles moteurs plus globaux [29]. Un tel effet pourrait être lié à l’inhibition de la potentialisation à long terme dépendant du récepteur au NMDA dans l’hippocampe [12].
Dans des études de discrimination des drogues, la dizocilpine et la kétamine se substituent à la PCP [30]. Toutefois, la substitution n’est pas toujours parfaite et les antagonistes compétitifs du NMDA se substituent de façon encore moins cohérente à la PCP, indiquant que l’antagonisme au NMDA en lui-même ne peut seul expliquer la distinction de la PCP [31, 32]. La substitution de la PCP par des ligands ζ puissants est elle aussi imparfaite ; des animaux entraînés à distinguer la pentazocine généralisent totalement au N-allynoramétazocine (NANM), un agoniste du récepteur ζ, mais seulement en partie à la PCP [33], et, bien que l’halopéridol bloque la discrimination du NANM, les animaux entraînés à distinguer le NANM ne généralisent pas au puissant agoniste ζ qu’est la (+)-3-(3-hydroxyphényl)- N-(1-propyl)pipéridine (3-PPP) [34]. Les animaux entraînés à identifier la PCP ne généralisent pas aux drogues dopaminergiques, sérotoninergiques, cholinergiques, GABAergiques ou opiacées [3, 24]. À partir de la PCP, de la dizocilpine et de la kétamine, les animaux généralisent à l’éthanol (qui antagonise également la neurotrans-mission glutamatergique au niveau des récepteurs au NMDA ; voir le chapitre 2) [35].
Renforcement, tolérance, dépendance
Le rat, le chien, le singe et le babouin s’autoadministrent la PCP, la kétamine et d’autres ligands du récepteur à la PCP [1, 1., 36., 37., 38. and 39.]. Dans des études au cours desquelles les administrations étaient très espacées, les singes ont répondu jusqu’à 157 fois par minute pendant 1 h pour recevoir une seule dose [40]. La kétamine est moins renforçante [39], et aucune des deux substances n’est aussi renforçante que la cocaïne [41]. Les propriétés renforçantes de la dizocilpine sont complexes : elle est autoadministrée par les singes qui se sont récemment autoadministrés la PCP ou la kétamine, mais à la différence de la PCP, elle n’est pas autoadministrée par les singes s’étant récemment autoadministré de la cocaïne [42]. La dizocilpine facilite l’autostimulation intracrânienne [43], et les ligands du récepteur à la PCP – mais pas les ligands des récepteurs ζ – augmentent la réponse de type punition (recherche d’une récompense face à un stimulus aversif) [44]. Les antagonistes compétitifs du NMDA sont administrés de façon beaucoup plus prévisible par les animaux [29].
Les animaux développent une tolérance à certains effets comportementaux de la PCP, mais pas à tous, par exemple l’incoordination motrice ; l’activité locomotrice, en revanche, augmente par une administration répétée de la drogue, et cette réponse sensibilisée persiste jusqu’à 60 j après l’administration [4, 24]. Comme avec de nombreuses autres drogues addictives – telles que l’amphétamine, la cocaïne, le tétrahydrocannabinol, la caféine et la nicotine –, les signes de la dépendance physique sont difficilement décelables [45, 46]. Des rats ayant reçu de la PCP pendant 7 jours ont développé une tolérance double et lorsque les administrations ont cessé brusquement, ils ont présenté une horripilation, une augmentation de la sensibilité aux crises convulsives audiogènes, une perte de poids passagère et une diminution de l’activité exploratoire ainsi que de la capacité à utiliser une roue [47]. Des singes qui reçoivent des doses importantes de PCP quotidiennement pendant plusieurs semaines ont développé un syndrome de sevrage composé de tremblements, de diarrhées, d’hyperactivité motrice et oculomotrice, de bruxisme, de priapisme et, pour certains, de convulsions. L’administration de naloxone n’a pas déclenché ces signes, ce qui semble impliquer que des concentrations sanguines supérieures à ce qui peut être réalisé à long terme chez l’être humain sont nécessaires [45, 48]. Des singes et des rats en sevrage après l’administration de doses plus réduites ont présenté une perturbation du maintien des tâches opérantes par la nourriture sans autres anomalies comportementales [49]. Chez le rat, la buspirone, un antagoniste du récepteur 5-HT 1A, a bloqué les signes du sevrage à la PCP [23].
Propriétés antiépileptiques
Les antagonistes compétitifs et non compétitifs des récepteurs au NMDA sont antiépileptiques. Chez les modèles animaux de crises convulsives focales, la PCP, la kétamine et la dizocilpine ne modifient pas l’activité épileptiforme en période interictale mais empêchent la généralisation ainsi que l’apparition de crises convulsives à embrasement électrique et comportemental. Ils sont inefficaces chez les modèles d’épilepsie de type petit mal, peutêtre en raison de la désinhibition des circuits inhibiteurs impliqués dans le contrôle des crises convulsives généralisées primaires du fait du blocage de la neurotransmission glutamatergique dans le tronc cérébral [10]. À fortes doses, les inhibiteurs du récepteur au NMDA produisent des décharges corticales épileptiformes.
Propriétés neuroprotectrices
Les antagonistes compétitifs et non compétitifs des récepteurs au NMDA jouent également un rôle neuroprotecteur chez les modèles animaux d’ischémie cérébrale focale ou globale. Pour être efficaces, ils doivent être administrés dans les 1 à 2 h qui suivent l’attaque. Ils enrayent également la rigidité et l’akinésie chez les modèles animaux du parkinsonisme [10, 50].
Propriétés analgésiques
Les inhibiteurs des récepteurs au NMDA sont de puissants analgésiques et ils potentialisent l’analgésie induite par les opiacés μ [10]. L’analgésie engendrée par les inhibiteurs des récepteurs au NMDA n’est pas annulée par la naloxone, un antagoniste des opiacés μ. Elle est cependant inhibée par la méthysergide, un antagoniste de la sérotonine [51].
Lésions neuronales
Chez le rat, les inhibiteurs compétitifs et non compétitifs des récepteurs au NMDA causent une vacuolisation intracytoplasmique dans les neurones du cortex cingulaire postérieur et rétrosplénial, en fonction de la dose et du temps [10]. Deux heures après avoir reçu des doses uniques de PCP, de dizocilpine, de 1-[1-(2-thiényl)cyclohexyl] pipéridine (TCP) ou de kétamine, des rats présentaient une vacuolisation intracytoplasmique dans les neurones de ces mêmes régions. Au bout de 24 h, cette réaction a fini par prendre fin et l’administration répétée de faibles doses n’a pas eu d’effet cumulatif [52]. Néanmoins, des doses plus élevées ont entraîné une nécrose neuronale définitive [53, 54]. D’autres rapports mentionnent des lésions dans les aires olfactives et dans l’hippocampe [55]. Ces changements sont survenus avec un ordre de puissance qui suivait l’affinité de la liaison aux récepteurs à la PCP : dizocilpine > PCP > TCP > kétamine. L’AP5, un inhibiteur compétitif du récepteur au NMDA, s’est également montré neurotoxique. On ignore en partie le mécanisme par lequel les lésions apparaissent. Les dommages induits par la PCP sont potentialisés par un prétraitement à la pilocarpine, un agoniste cholinergique, et atténués par la coadministration de scopolamine. L’halopéridol et la clozapine ont aussi un rôle protecteur. Le diazépam offre une protection partielle tandis que la protection garantie par les barbituriques est totale. L’anesthésique non barbiturique halothane n’est pas protecteur [56]. On pense que le mécanisme responsable de la survenue des lésions serait un blocage des récepteurs excitateurs sur les neurones GABAergiques inhibiteurs par les antagonistes du récepteur au NMDA au niveau du thalamus. La diminution de l’inhibition GABAergique des neurones glutamatergiques qui projettent dans le cortex cérébral entraîne une excitotoxicité par le biais des récepteurs à l’AMPA ou au kaïnate non inhibés. Les inhibiteurs des récepteurs à l’AMPA ou au kaïnate jouent un rôle protecteur contre les blessures. Les barbituriques pourraient empêcher les blessures en augmentant l’inhibition GABAergique dans le thalamus et le cortex. L’halopéridol et la clozapine pourraient jouer un rôle protecteur en inhibant les effets inhibiteurs de la dopamine sur les neurones GABAergiques [25].
Ligands endogènes
La présence de sites de liaison de la PCP a conduit à rechercher l’existence de ligands endogènes de la PCP. Un peptide isolé dans le cerveau du porc et appelé « a-endopsychosine » s’est avéré inhiber la liaison au PCP mais pas à l’halopéridol ; sa répartition était similaire à celle des récepteurs à la PCP, et sa concentration la plus importante se trouvait dans l’hippocampe [57]. Le N-acétyl-aspartyl-glutamate est un autre inhibiteur endogène du récepteur au NMDA ; il pourrait avoir pour rôle physiologique de protéger les neurones des lésions excitotoxiques [58]. L’existence d’un ligand endogène du récepteur ζ (la « β-endopsychosine ») a également été signalée [2].
Contexte historique et épidémiologie
Phencyclidine et analogues
La PCP a été élaborée comme agent anesthésique dans les années cinquante (Sernyl®), mais en raison du delirium et de la psychose postopératoires qu’elle entraînait, son utilisation a été interdite chez l’être humain (l’usage vétérinaire est resté permis : Sernylan®) [59]. C’est dans les années soixante, en Californie, que la PCP a été utilisée pour la première fois à des fins toxicomaniaques et qu’elle a acquis le surnom Pea Ce Pill [60]. Dès le milieu des années soixante-dix, peut-être en raison de la difficulté à se procurer de l’héroïne, son utilisation s’est répandue à l’ensemble du territoire des États-Unis [61]. Le Sernylan® a été retiré du marché en 1978 et il est aujourd’hui inscrit à l’annexe II du Controlled Substance Act.
La PCP est facile à fabriquer pour les chimistes amateurs, et en 1979, 15 % des Américains âgés entre 18 et 25 ans, 4 % des enfants âgés entre 12 et 17 ans et 13 % des élèves en classe de terminale avaient goûté au moins une fois au produit [62]. Dans les années quatre-vingt, l’utilisation de la PCP a diminué chez les lycéens, peut-être à cause de sa mauvaise réputation et de la disponibilité croissante de la cocaïne. Dans une enquête réalisée en 1987 auprès d’adolescents des classes moyenne et moyenne supérieure qui suivaient un programme de désintoxication, 56 % avaient essayé la PCP, 16 % la consommaient plusieurs fois par semaine et pour 8 % d’entre eux, la PCP était la drogue avec laquelle ils avaient connu la « meilleure expérience » [63]. Dans une enquête datant de 1988 et portant sur 74 adolescents consommateurs de cannabis, de la PCP a été retrouvée dans 24 % des prélèvements urinaires et il semblerait que la plupart des adolescents interrogés l’avaient consommée sans le savoir [64]. Toutefois, en 1999, seuls 3,4 % des lycéens en terminale et 2,3 % des jeunes adultes ont déclaré une utilisation à long terme de PCP [65].
Des rapports publiés par le réseau DAWN (Drug Abuse Warning Network) reflètent de grandes différences de consommation de la PCP au sein des 24 zones urbaines couvertes par le réseau [65]. En 1987, dans la capitale fédérale américaine Washington, 4235 patients ont été amenés aux urgences pour des problèmes liés à la PCP, et 103 d’entre eux sont décédés – un chiffre qui représente 41 % des décès liés à la PCP comptabilisés dans tous les États-Unis cette annéelà. La ville de Los Angeles est arrivée seconde, mais de loin, avec 1589 visites aux urgences ; à New York, ce chiffre n’était que de 523. En 1976–1977, 51 % des visites aux urgences concernaient des adolescents et 24 % des utilisateurs étaient noirs. En 1987, seuls 15 % étaient des adolescents et 60 % étaient noirs. En 2003, une remontée soudaine de la consommation a été observée dans deux villes de l’État du Connecticut, Hartford et New Haven, ainsi que dans le milieu des boîtes de nuit à New York [65a].
La PCP peut être mangée, sniffée ou injectée ; il est également arrivé qu’elle soit consommée par le rectum ou dissoute dans des gouttes pour les yeux. La plupart du temps, elle est fumée, mélangée à du tabac, du persil ou du cannabis, et elle remplace ou est souvent mélangée à ce qui est vendu comme étant du LSD (diéthylamide de l’acide lysergique), de la mescaline, du cannabis, de l’amphétamine ou d’autres drogues [61]. Dans la rue, elle est vendue sous forme de poudre, de gélules, de comprimés et d’« herbes mélangées » contenant de la menthe, de l’origan, du persil ou, pour des effets hallucinogènes additionnels, de l’herbe à chat [60, 66, 67].
Kétamine
La kétamine, un produit inventé dans les années soixante, a très rapidement rejoint la scène psychédélique underground sous le nom de « rockmese » (aux États-Unis) [73]. Agissant moins longtemps et étant moins toxique que la PCP, elle a été approuvée par l’agence américaine FDA (Food and Drug Administration) en 1970. Vendue sous le nom de spécialité Ketalar® (et Ketaset® pour usage vétérinaire), cette substance est inscrite à l’annexe III du Controlled Substance Act. Sa consommation à des fins récréatives a principalement débuté chez les adeptes du mouvement New Age et les membres des professions paramédicales et médicales, mais dès 1980, la kétamine était un composant incontournable de la culture « rave », souvent associée à d’autres stimulants. Les consommateurs la considéraient comme une drogue psychédélique (« qui révèle l’esprit » ; voir le chapitre 8) en raison de son aptitude supposée à augmenter l’empathie et l’intuition, à raviver les souvenirs anciens et à permettre d’atteindre l’extase religieuse. Elle est également utilisée comme drogue du viol prémédité [73, 74]. La kétamine – green, jet, « K », superacid, supergrass (lorsqu’elle est associée au cannabis) – est vendue sous forme de gélules, de comprimés, de cristaux, de poudre ou en solution, et elle est consommée par voie intramusculaire, intraveineuse, intranasale ou bien encore fumée [67, 75., 76. and 76a].
Dextrométhorphane
Il existe de nombreux sirops contre la toux contenant du dextrométhorphane ; pas moins de 140 au minimum sont vendus sans ordonnance. Comme la morphine, le dextrométhorphaneetledextrorphane,sonmétaboliteactif, dépriment le centre de la toux du bulbe rachidien mais, contrairement à la morphine, ils ne provoquent pas de dépression respiratoire. En fait,ledextrométhorphaneetledextrorphane, comme la PCP, agissent principalement en bloquant les récepteurs au NMDA et en se liant aux récepteurs ζ. Ils bloquent également la recapture de la sérotonine. L’abus de dextrométhorphane chez les adolescents et les jeunes adultes est un fait avéré [77., 78. and 79.]. Dans la rue, on l’appelle « DM », « DKM », « DMX », skittles, « vitamine D », « Dex », tussin ou robo. Le sirop contre la toux Coricidin® HBP Cough and Cold est connu sous le nom de « C-C-C » ou « triple C ». Les doses consommées sont parfois supérieures à 100 fois la dose recommandée. Le dextrométhorphane fait souvent des apparitions au cours des « raves », où il peut être associé à la méthylène-dioxy-méthamphétamine (« ecstasy »). Les effets psychiques du dextrométhorphane dépendent de sa conversion enzymatique en dextrorphane ; les « mauvais métaboliseurs » sont relativement protégés contre les effets psychotomimétiques de cette drogue.
Modes d’utilisation
La plupart des consommateurs de PCP ont une utilisation hebdomadaire, souvent de groupe, mais certains entrent dans des « séries » de 2 ou 3 j rappelant le phénomène constaté avec l’amphétamine. Une cigarette contenant de la PCP délivre 1 à 100 mg ; les utilisateurs chroniques peuvent consommer jusqu’à 1 g par jour. Pratiquement tous les consommateurs de PCP prennent également d’autres drogues, en particulier le cannabis ( whack, whacky weed), l’éthanol, l’amphétamine et des hallucinogènes [60]. La PCP est parfois fumée avec l’alcaloïde de la cocaïne ( space-base) [80]. Le cannabis trempé dans du liquide d’embaumement, à la mode des années quatre-vingt-dix (voir le chapitre 7), contenait souvent de la PCP [81].
Effets aigus
Phencyclidine
Les effets de la PCP sont très variables, et toutes les tentatives pour distinguer les symptômes et les signes selon la dose ont eu tendance à être trop simplistes (tableau 10.1) [67, 82., 83., 84. and 85.]. En général, à faibles doses (1–5 mg), la PCP provoque l’euphorie ou la dysphorie, la labilité émotionnelle, une impression de ralentissement du temps et une sensation d’engourdissement. Les états subjectifs recherchés sont l’élévation de l’humeur, une sensibilité accrue aux stimuli, une meilleure sociabilité, la relaxation et des « hallucinations », bien qu’à la différence du LSD, la PCP soit plus susceptible de produire des distorsions sensorielles et une modification de l’image corporelle qu’une véritable hallucination visuelle. À des doses tout aussi faibles, certains sujets manifestent de l’anxiété, une hyperirritabilité, une paranoïa, une désorientation, une confusion et une amnésie. À partir de 5 à 15 mg, la confusion et l’agitation, un comportement bizarre (pour lequel survient souvent une amnésie), une distorsion de l’image corporelle, des synesthésies, une diminution des perceptions sensorielles et une analgésie sont observés. Des doses encore plus élevées entraînent la psychose vraie ressemblant à une catatonie stuporeuse ou excitée, ou une schizophrénie paranoïde avec des hallucinations de persécution auditives. Le tracé électroencéphalographique est ralenti et présente parfois des pointes-ondes paroxystiques [86].
Relaxation, euphorie Anxiété, labilité émotionnelle, dysphorie, paranoïa Ralentissement subjectif du temps Diminution des perceptions sensorielles Modification de l’image corporelle, illusions sensorielles Amnésie Agitation, comportement étrange ou violent Analgésie Synesthésies Nystagmus Myosis Tachycardie, hypertension Hyperpnée Fièvre Hypersalivation, sudation Dysarthrie, ataxie, vertiges Psychose : paranoïde ou catatonique Hallucinations Dystonie, opisthotonos Myoclonie Rhabdomyolyse Crises convulsives Stupeur ou coma avec regard fixe et vide Corps en extension Dépression respiratoire Hypotension |
Kétamine
Les effets de la kétamine, qui est moins toxique que la PCP, sont souvent décrits en des termes psychédéliques – l’impression de fusionner avec une autre personne ou un groupe, ou de devenir un animal, une plante ou de la matière inanimée. « La conscience semble s’étendre et inclure l’univers tout entier » [73]. Des OBE et NDE (expériences de sortie de corps et de mort imminente) sont également rapportées, comme le sont les états d’émotion pure dénuée de pensée et une perte totale de conscience du temps qui passe. Dans une étude à double insu, contrôlée contre placebo, portant sur des sujets volontaires, la kétamine a entraîné des effets psychédéliques liés à la dose, y compris des effets d’irréalité, de modification au passage du temps, des changements de la taille, de la profondeur ou de la forme des objets environnants, de la difficulté à contrôler ses pensées, des modifications de l’intensité des sons et une impression de « high ». Des états d’anxiété et de suspicion ont été décrits, mais dans une moindre mesure. Néanmoins, des doses très élevées de kétamine peuvent provoquer la psychose ou le délire [87].
Surdosage
La toxicité de la PCP et des drogues apparentées peut provoquer une hypertension, une tachycardie, de la fièvre, une hyperpnée, des bouffées congestives, une sudation, un myosis (rarement une mydriase), une hypersalivation, des vertiges, une ataxie, des grimaces, une choréoathétose, un torticolis, une torsion du bassin, une myoclonie et des bouffées de nystagmus horizontal, vertical ou rotatoire [88]. À doses anesthésiques (1 mg/kg ou plus), la PCP provoque des crises convulsives (y compris un état de mal épileptique), un coma en extension avec les yeux ouverts et le regard fixe, une dépression respiratoire et une hypotension [89., 90., 91. and 92.]. Une fièvre de 42,2 °C a déjà été enregistrée, se déclarant parfois plusieurs heures après l’admission [93] ; l’hyperthermie maligne entraîne la nécrose hépatique [93]. La myoglobinurie, sans doute à cause d’une suractivité musculaire, peut entraîner une insuffisance rénale [68, 78, 79], et peuvent survenir une hyperkaliémie et une acidose métabolique [79, 94., 95., 96. and 97.]. La néphropathie urique est également observée [98]. Des crampes abdominales et une hématémèse ont été attribuées à des contaminants. Le décès peut survenir directement à cause du surdosage, mais il est plus fréquemment le résultat d’actes violents, y compris des homicides, des suicides ou des accidents [48, 89., 90. and 91., 99., 100., 101., 102. and 103.]. Une caractéristique spécifique des inhibiteurs des récepteurs NMDA est l’automutilation sans douleur [101]. Pendant la phase de rétablissement, qui peut prendre plusieurs jours, tout stimulus peut être à l’origine d’une agitation ou d’un comportement psychotique. Le nystagmus dure souvent plus longtemps que les anomalies comportementales.
Les nourrissons et les enfants en bas âge intoxiqués par la PCP sont moins susceptibles que les adultes de manifester une agitation ou de l’agressivité, mais ils ont plus de risques de souffrir de choréoathétose ou de crises convulsives [88]. Un rapport basé sur l’étude de 7 patients appartenant à cette tranche d’âge décrit une diminution de la réponse aux stimuli tactiles et verbaux ainsi qu’une « stupeur associée à un regard vide et sans expression ». Un nystagmus n’était présent que pour 57 % d’entre eux [104]. Des enfants en bas âge ont été intoxiqués à la PCP après une ingestion accidentelle, l’inhalation de fumée dans une automobile ou suite à une exposition délibérée par un aîné ou une garde d’enfants [105].
La demi-vie biologique de la PCP est d’environ 21 h pour la plupart des gens, mais elle peut durer de 11 à 51 h. À peu près 10 % du produit est excrété tel quel et le reste est converti dans le foie en métabolites hydroxyle et glucuronide. L’acidification de l’urine augmente l’excrétion rénale. Les concentrations dans le liquide céphalorachidien correspondent à plusieurs fois les taux sanguins, et ce « piégeage » de la drogue par le SNC explique sa longue durée d’action et les tests toxicologiques sanguins et urinaires positifs pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, chez les utilisateurs chroniques [88, 106]. En fait, après des surdosages massifs, les taux sanguins peuvent continuer à augmenter durant plusieurs jours [107]. Les analyses toxicologiques urinaires peuvent être faussement positives pour la PCP chez des personnes prenant de la kétamine ou du dextrométhorphane [108, 109]. À l’inverse, le dépistage peut être négatif chez des consommateurs de produits apparentés illicites comme le PHP [88].
Traitement du surdosage
Le traitement de l’intoxication à la PCP commence par l’installation du patient dans un environnement calme (tableau 10.2). Des délires ou une psychose peuvent être présents dès le début ou apparaître lorsque le patient sort du coma. Dans une telle configuration, « accompagner le patient en lui parlant calmement » est inefficace et peut même aggraver les symptômes. Les patients violents doivent être maintenus fermement – l’automutilation est la cause la plus fréquente de morbimortalité [88].
Environnement calme ; ne pas tenter d’« accompagner le patient en lui parlant calmement » Contentions sûres pour les patients violents Charbon activé (1 g/kg toutes les 2–4 h) Diurèse forcée ; ne pas acidifier l’urine Aspiration trachéale Refroidir le patient Antihypertenseurs Anticonvulsivants Administration de diazépam par voie intraveineuse ou de lorazépam par voie intramusculaire, titrés Envisager l’halopéridol, 2–5 mg, pour la psychose vraie Surveiller de près l’état cardiorespiratoire, l’équilibre hydroélectrolytique et la fonction rénale (myoglobinurie) |
En raison de la recirculation gastrointestinale, la mise en place d’une sonde gastrique en aspiration continue peut permettre de réduire la demi-vie de la PCP, mais cela est difficilement envisageable chez les patients délirants, et les modifications des fluides et des électrolytes doivent alors être surveillées de près [110, 111]. Des doses répétées de charbon actif (1 g/kg toutes les 2 ou 4 h) et une diurèse forcée au furosémide accélèrent les clairances rénale et non rénale. L’acidification de l’urine, recommandée par certains auteurs [112], est inutile ou dangereuse. Étant donné que seuls 10 % de la PCP sont excrétés tels quels par les reins, l’augmentation de la clairance de la drogue est insignifiante d’un point de vue clinique, et la présence fréquente d’une myoglobinurie pose les bases d’une insuffisance rénale [88]. En raison du grand volume de distribution, de la forte liaison aux protéines et de la liposolubilité de la PCP, le bénéfice d’une hémoperfusion ou d’une hémodialyse est limité [88].
L’hypersalivation nécessite une aspiration fréquente, et l’utilisation de couvertures refroidissantes et de bains d’eau glacée, d’un traitement antihypertenseur ou d’une assistance ventilatoire peut s’avérer nécessaire [91, 110, 113]. En cas de fièvre extrêmement élevée, il peut être utile de procéder à un lavage gastrique ou à un lavement rectal à l’eau glacée, ou encore de provoquer la paralysie de l’estomac ou du rectum au moyen du pancuronium [93]. Les crises convulsives, qui sont plutôt rares, peuvent être traitées au diazépam ou à la phénytoïne. L’agitation est traitée de façon appropriée par une administration parentérale de benzodiazépines à des doses titrées toutes les 5 à 10 min. Contrairement au diazépam, le lorazépam est bien absorbé par voie intramusculaire. Il est conseillé d’éviter les neuroleptiques. Les phénothiazines et l’halopéridol sont épileptogènes et risquent de potentialiser l’hypotension, d’aggraver la dystonie ou d’entraîner un syndrome neuroleptique malin avec une exacerbation de la myoglobinurie. Les effets anticholinergiques des phénothiazines peuvent aggraver une psychose ou un delirium [83].
Le vérapamil a parfois été recommandé sur des bases empiriques pour l’intoxication à la PCP [114, 115]. Cependant, chez le rat, le vérapamil, la nimodipine et le diltiazem potentialisent les effets comportementaux de la PCP [116, 117].
La durée d’action de la PCP est liée à la dose et les symptômes sont aggravés par l’utilisation simultanée d’autres drogues, notamment de l’éthanol ou du cannabis [118]. Chez certains patients, une psychose nécessitant l’administration de neuroleptiques (ou résistante aux neuroleptiques) peut durer plusieurs semaines [119].

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