Chapitre 10. Mémoire de travail
Nathalie Ehrlé and Audrey Henry
MémoireMémoirede travailLes troubles de la mémoire de travail (MDT) semblent largement reconnus dans la SEP [[1][2][3][4][5][6][7][8][9][10][11][12][13][14][15] and [16]], certains auteurs les considérant même comme le déficit cognitif le plus fréquemment rencontré [[17][18][19][20] and [21]]. Ces troubles seraient présents dès les stades précoces de la maladie [[22][23] and [24]]. Toutefois, une certaine prudence s’impose car les outils neuropsychologiques utilisés dans ces études sont souvent multifactoriels (comme la PASATPASAT) et ne permettent pas de dissocier une atteinte de la MDT d’autres perturbations cognitives (vitesse de traitementvitesse de traitement, calculcalcul…). De plus, très peu de travaux se sont intéressés aux capacités de MDT en considérant les différents composants qui la constituent (voir [8] pour une exception). Au cours de cette section, nous définirons d’abord la MDT selon les modèles actuels (approche cognitiviste de Baddeley et conceptions alternatives) puis illustrerons les contraintes psychométriques qui en découlent. Enfin, les données obtenues dans la SEP seront interprétées à la lumière de cette approche théorique. Bien que les capacités en MDT des patients atteints de SEP aient surtout été documentées à l’aide de la PASAT, cette littérature ne sera pas abordée ici (voir « Fonctions exécutives et SEP », p. 89). De même, certains paradigmes appliqués sporadiquement dans cette pathologie (tâches de n-back, empansempans lettres-chiffres…) ne seront pas traités ici faute de données suffisantes.
Définition de la MDT : importance d’un modèle théorique
Depuis un demi-siècle, l’étude des bases neurales de la mémoire a apporté de nombreux arguments en faveur d’un système non unitaire, comportant des processus et formes dissociables [25, 26]. Parmi celles-ci, la MDT correspondrait à un système permettant le maintien à court terme et la manipulation mentalemanipulation mentale d’informations nécessaires à la réalisation d’activités cognitives complexes [27]. Historiquement, ce concept est né, dans les années 1960 [28], des travaux explorant les relations entre mémoiremémoire à court terme (MCT)mémoireà court terme (MCT) et mémoire à long terme (MLT)mémoireà long terme (MLT). La MCT était alors envisagée d’un point de vue essentiellement temporel, comme un stock transitoire (quelques secondes à quelques minutes) permettant le transfert des informations en MLT. L’existence de doubles dissociations neuropsychologiques entre ces systèmes (patients présentant une atteinte de la MLT sans perturbation de la MCT [29, 30] et réciproquement [31]) a conduit Baddeley et Hitch à réviser en 1974 le concept de MCT [32]. Soulignant les interactions entre ce système de stockagestockage temporaire et les fonctions supérieures de haut niveau, ces auteurs privilégient les termes de mémoire de travail. Ils proposent également de fractionner la MDT en composants multiples (figure 10.1) : la boucle phonologiqueboucle phonologique gérerait l’information verbale et acoustique alors que le calepin visuospatialcalepin visuospatial traiterait l’information visuelle, ces deux systèmes esclaves étant sous le contrôle d’un troisième composant, l’administrateur central, à capacité attentionnelle limitée. Cette conception expliquerait pourquoi certains patients atteints de troubles de la MDT (atteinte du calepin visuospatial sans atteinte de la boucle phonologique ni de l’administrateur centraladministrateur central, par exemple) peuvent néanmoins présenter une MLT normale et réaliser correctement des tâches cognitives exigeantes [33].
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Figure 10.1 LangageModèle à composants muliples de Alan Baddeley. |
Par la suite, Baddeley enrichira ce modèle [27] en subdivisant chacun des systèmes esclaves en deux composants (stock phonologique et récapitulation articulatoire pour la boucle phonologiqueboucle phonologique ; stock visuel passifstock visuel passif et manipulation spatialemanipulation spatiale pour le calepin visuospatialcalepin visuospatial), puis en ajoutant plus récemment un quatrième système, le buffer épisodiquebuffer épisodique [34]. Ce dernier est conçu comme un système à capacité limitée permettant le stockagestockage temporaire d’une information maintenue sous un format multimodal et liant les informations des systèmes esclaves aux connaissances stockées en MLT en une représentation unique [34].
Anatomiquement, les études lésionnelles et neuroradiologiques suggèrent que le stock phonologiquestock phonologique et la récapitulation articulatoirerécapitulation articulatoire seraient associés respectivement aux aires de Brodmannaires de Brodmann 40 et 44, le calepin visuospatialcalepin visuospatial aux aires 6, 19, 40 et 47 et l’administrateur central aux aires frontales [33, 34]. Compte tenu de sa large validation comportementale chez le sujet sain, de son étayage anatomofonctionnel et de sa compatibilité avec de nombreux résultats cliniques, le modèle de MDT baddeleyen reste le plus influent [35]. Des conceptions alternatives plus dynamiques et fonctionnelles de la MDT existent cependant [[36][37] and [38]]. Selon ces conceptions, la MDT est modélisée comme une portion de la MLT. Ni le mécanisme de contrôle cognitif, ni les représentations verbales ou visuelles ne seraient spécifiques à la MDT. En accord avec Baddeley, ces auteurs reconnaissent le rôle du cortexcortex préfrontal (processus généraux d’attention et de contrôle) et des régions postérieures (traitement perceptif selon le format verbal ou visuel des stimuli) mais rejettent leur implication sélective dans les processus de traitement à court terme [[36][37] and [38]]. Quelle que soit la conception théorique adoptée, il importe de souligner que les auteurs semblent s’accorder sur le fait que des troubles de la MDT peuvent provenir d’une atteinte de processus de bas niveau et/ou d’une perturbation des processus de contrôle de plus haut niveau. Cliniquement, le handicap cognitif ne sera pas le même selon le niveau de traitement atteint. Les processus de contrôle (ou l’administrateur central pour Baddeley) constitueraient le facteur principal déterminant les différences interindividuelles en MDT [33, 39], leur fonctionnement semblant corrélé à des tâches cognitives de haut niveau comme les mesures d’intelligence [40]. Ainsi, une atteinte de l’administrateur central est susceptible d’occasionner des troubles intellectuels plus invalidants qu’une atteinte de l’un des systèmes esclaves. Chez un patient, il importe donc d’explorer les différents processus impliqués dans la MDT, ce qui suppose l’application d’outils adaptés.
Outils cliniques : empans et contraintes psychométriques
empansLa MDT est classiquement évaluée au moyen de tâches d’empans (empan alphabétique, empan séquentiel, empan de mots courts/mots longs, empans de mots qui riment/qui ne riment pas, empans lettres-chiffres, n-back, Brown Peterson, double tâche…). L’empan (span en anglais) correspond à la plus grande série d’items restituables immédiatement après leur présentation. Dans un souci de concision, nous nous focaliserons ici sur les tâches d’empans de chiffres et de localisations, de façon à être représentatifs de la littérature de la SEP. Le matériel le plus communément utilisé (figure 10.2) consiste en des séries de chiffres (7-2-6-4-1) et de localisations spatiales (le sujet ayant à pointer des cubes répartis sur une planche selon un trajet démontré par l’examinateur). Pour ces mesures d’empans, les performances s’évaluent d’abord en ordre direct (le sujet devant restituer les items dans le même ordre que l’examinateur) puis inverse (en commençant par le dernier item).
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Figure 10.2 Tâches d’empans. |
Selon le modèle de Baddeley, l’empan en ordre direct refléterait une capacité de stockage à court terme supportée par la boucle phonologiqueboucle phonologique ou le calepin visuospatialcalepin visuospatial. Seul l’empan en ordre inverse impliquerait une composante exécutive par la sollicitation supplémentaire de l’administrateur centraladministrateur central (stockagestockage à court terme + manipulation mentalemanipulation mentale de l’information stockée). Ainsi, une perturbation de l’administrateur central peut être suspectée si les performances d’un patient sont sélectivement déficitaires pour l’empan en ordre inverse ou si ses performances se dégradent de façon significative en ordre inverse par rapport à l’ordre direct.
Concernant les normes disponibles chez le sujet sain, Stuss et Levine [41] soulignent que les cotations combinant les valeurs d’empans en ordre direct et inverse au sein d’un score unique ne permettent pas de dissocier l’évaluation du stockage de la manipulation. D’un point de vue psychométrique, cette critique apparaît fondamentale car les scores composites de mémoire de travail intégrés aux dernières versions des échelles cliniques les plus usitées en France (échelle d’intelligence, WAIS-III [42] et échelle de mémoire, MEM-III [43]) reposent sur des scores combinés. Pour les empansempans de chiffres, les normes françaises sont également sous ce format (WAIS-III [42]), seuls les pourcentages cumulés de la plus longue série en ordre direct et inverse étant disponibles (WAIS-III [42] et MEM-III [43]). De plus, bien que collectés par le même auteur, David Wechsler, ces pourcentages semblent discordants entre les deux échelles pour certaines classes d’âges (médianes de 6 et 5 chiffres respectivement pour les 30–34ans dans la WAIS-IIIWAIS-III [42] et de 7 et 5 dans la MEM-III [43], par exemple). Pour les empansempans de localisations (MEM-III [43]), des valeurs normatives distinctes sont en revanche rapportées pour les empans endroit et envers.
De plus, même lorsque des normes détaillées sont publiées, un second problème interprétatif concerne les patients qui présentent de mauvais ou très bons empans en ordre direct. En effet, des scores de 4 chiffres à l’endroit et de 3 chiffres à l’envers seront tous deux déficitaires alors que le score envers ne semble pas refléter d’atteinte de l’administrateur central. Inversement, un patient qui présente des scores de 8 et 5 chiffres en ordre direct et inverse respectivement obtiendra des performances qui restent dans les normes bien que la réduction significative de l’empan en ordre inverse en comparaison de l’ordre direct suggère fortement un dysfonctionnement de l’administrateur central. Pour l’ensemble de ces raisons, nous avons l’habitude de considérer dans notre pratique neuropsychologique rémoise le classique score de 7 items ± 2 [44] pour l’empan en ordre direct (pour les chiffres et les localisations) et une valeur d’un item de moins pour l’empan en ordre inverse en comparaison de la valeur obtenue par le sujet en ordre direct. Pour un patient qui obtient par exemple un score de 6 à l’endroit, un score de 5 est attendu à l’envers, un score ≤ 4 suggérant une perturbation de l’administrateur.
Mesures d’empans dans la SEP
Concernant les empans de chiffres et de localisations rapportés pour la SEP, plusieurs études se contentent des scores combinés du sous-test «Mémoire des chiffres » des échelles d’intelligence ou de mémoire de Wechsler. Des scores pathologiques sont ainsi décrits pour des patients SEP et des syndromes cliniquement isolés [45] et pour des formes rémittentes ayant débuté depuis moins de 3ans [46]. Des scores adéquats ont également été trouvés avec les versions finlandaise [47] et italienne [11] de la WAISWAIS. Dans cette dernière étude, une dissociation avec la mémoiremémoire de travailmémoirede travail visuospatiale est indiquée, le score global obtenu aux empans de localisations (blocs de Corsiblocs de Corsi [48]) étant déficitaire. Pour l’ensemble de ces travaux cependant, aucune conclusion sur les composants de la MDT ne peut être tirée, les valeurs des empans en ordre direct et inverse étant confondues.

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