1: Troubles de base et symptômes



Troubles de base et symptômes


Si la neuropsychologie est un monde fascinant, le thérapeute est souvent démuni face au patient qui lui est confié dans un but rééducatif : il constate les désordres comportementaux et ne sait pas par « quel bout » commencer sa prise en charge rééducative. En d’autres termes, la difficulté qu’il doit résoudre ne réside pas tant dans le « comment rééduquer » que dans le « quoi rééduquer ». Poser la différence entre le trouble de base et son expression pathologique permet de résoudre en partie cette difficulté.


Ce chapitre poursuit un double objectif : montrer que le patient nous offre des symptômes qu’il serait vain de vouloir rééduquer et comprendre la nécessité de les traduire en traitements de base altérés qui doivent être la cible de la rééducation.


La distinction entre symptôme et trouble de base peut être illustrée par un exemple de la vie quotidienne.


Imaginons un sujet ayant mal à la tête. La première démarche qui vient à l’esprit est la prise d’un antalgique. Trois solutions sont alors possibles : le mal de tête disparaît définitivement, s’estompe momentanément ou ne cède pas. Dès que la douleur persiste ou réapparaît, le sujet est amené à rechercher l’origine de sa migraine : a-t-il festoyé trop tardivement la veille ? Présente-t-il un déficit visuel ? une hypertension intracrânienne ? Serait-ce un abcès dentaire ? un problème digestif ? … Toute question nécessitant une réponse, on est en droit d’imaginer, par exemple, qu’une paire de lunettes adaptée permet à cet individu de régler son problème. Que retenir de cette scène de la vie quotidienne ? Simplement que la douleur est un symptôme, alors que le trouble visuel en est la raison.


Cet exemple, bien que fort éloigné des troubles des fonctions supérieures du cérébro-lésé adulte, permet pourtant d’en comprendre la complexité. Chez le patient hémiparétique, le thérapeute observe et évalue la plupart du temps des symptômes. Il a alors la responsabilité de les analyser afin de trouver la ou les raisons qui les provoquent. Il décèlera de ce fait le ou les troubles de base à rééduquer.



L’apraxie constructive en question


Un des symptômes les plus spectaculaires dans le domaine de la neuropsychologie de la personne cérébro-lésée vasculaire jeune est l’apraxie constructive.



Apraxie constructive


Le patient présentant une apraxie constructive a perdu la capacité de manipuler des éléments dans l’espace dans un but de construction. Bien que reconnaissant les objets, il ne peut construire ni en plan ou en perspective sur une feuille de papier ni dans l’espace. On met d’ailleurs en évidence cette apraxie par des épreuves de dessins copiés, spontanés et de constructions dans l’espace tridimensionnel (cf. chap. 5).


Dès que les résultats de l’évaluation sont incorrects, le thérapeute confirme le diagnostic d’apraxie constructive et élabore un plan de traitement. Reprenant l’une des stratégies décrites par Seron [65], il propose une rééducation basée sur le rétablissement de la fonction et envisage une hiérarchie structurale dans la difficulté des exercices proposés : les constructions à reproduire sont de plus en plus élaborées et jamais un puzzle en dix morceaux n’est proposé tant que ceux en huit pièces ne sont pas exécutés correctement.


Si parfois le patient récupère, le thérapeute constate le plus souvent un rétablissement lent, voire absent, de la capacité constructive : les progrès se font attendre. Que se passe-t-il ? Pourquoi cette rééducation rigoureuse ne permet-elle pas systématiquement au trouble de s’estomper ?


Reprenant l’allégorie de la migraine, la rééducation ne porte pas ses fruits parce que le thérapeute donne de l’aspirine au patient qui lui est confié en rééduquant le symptôme.



Analyse de l’apraxie constructive


Il devient alors fondamental de modifier la démarche afin de trouver l’origine de l’apraxie constructive.


Luria [49], en évoquant les conceptions actuelles sur les localisations cérébrales, précise la définition du terme fonction qu’il assimile à une activité complexe d’adaptation. Pour en permettre l’émergence, il met en évidence l’intervention de plusieurs « traitements sous-jacents ». Il montre ainsi que chacun des comportements observés, même simples et quotidiens tels que se vêtir, faire un paquet cadeau, découper ou plier une feuille en quatre pour la mettre dans une enveloppe, ne relève pas d’une opération unique et individualisable, mais résulte de la synthèse et de la coordination de quelques mécanismes de base indispensables. Luria n’emploie jamais pour son propre compte le terme d’apraxie constructive ; il situe cependant ce trouble qu’il nomme « apractognosie » et l’interprète comme la résultante de la perte des « synthèses visuo-spatiales ».



Analyse des productions


Considérant alors la praxie constructive comme une fonction, il devient nécessaire de mettre en évidence les divers traitements sous-jacents qui en permettent la réalisation. Une des premières possibilités qui nous est offerte est l’analyse des productions perturbées des patients. En particulier, la comparaison des dessins copiés ou spontanés est riche d’enseignements.


L’analyse montre que les hémiparétiques droits et gauches n’offrent pas les mêmes résultats aux différentes épreuves, même si, pour les uns comme pour les autres, l’évaluation signe l’existence d’une apraxie constructive (fig. 1.1). On peut donc en déduire que la totalité du cerveau (hémisphères droit et gauche) est nécessaire pour nous permettre de construire. Il apparaît d’ailleurs de plus en plus raisonnable de « croire que les deux hémisphères opèrent en phase de façon coopérative et contribuent conjointement à la réalisation de toute fonction [64] ».



Dans un second temps, une analyse plus fine des productions des patients, développée par de nombreux auteurs tels que Hécaen [39], montre que l’hémiparétique gauche réussit généralement mieux les dessins spontanés que copiés, le résultat étant inversé pour l’hémiparétique droit. La « spécialisation » hémisphérique semble s’exprimer directement. À ce titre, Sergent [64] suggère que les deux hémisphères cérébraux peuvent permettre la même fonction sans pour autant l’exécuter de façon identique.



Ainsi, l’analyse des productions des patients permet de mettre en évidence deux traitements nécessaires à la fonction constructive [39,49,56] (fig. 1.2) :



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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 1: Troubles de base et symptômes

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