9. Une demande d’interruption volontaire de grossesse
D. Hassoun
L’IVG en France
En France, au cours des 100 dernières années, la pratique de la contraception et de l’avortement est passée d’une juridiction répressive mais tolérante (la loi de 1920) à une répression féroce (le régime de Vichy) puis à une juridiction libérale, la loi de 1967 sur la contraception et celle de 1975 autorisant l’interruption de grossesse selon certaines conditions. L’acquisition de cette liberté ne pouvait se faire pour les femmes sans la maîtrise de leur fécondité, rendue possible par les progrès scientifiques mais aussi un rééquilibrage des pouvoirs homme/femme. À partir de 1975, on a ainsi vu une médicalisation des pratiques contraceptives et une mise en application parfois difficile de la loi sur l’avortement. Il a fallu attendre plus de 25 ans pour que soient rediscutées les modalités législatives de la contraception et de l’avortement, et que soit votée en 2001 une nouvelle loi. L’opinion a ainsi évolué en même temps que le processus de modernisation et de libéralisation des mœurs, du statut de la femme et de la place de l’enfant dans nos sociétés. Les lois libérales n’ont fait qu’entériner des pratiques sociales déjà intégrées, non sans une opposition parfois très violente y compris en 2001. L’univers idéologique de la contraception et de l’avortement est ainsi passé de la contrainte à la liberté de choix, mais aussi du contrôle judiciaire au contrôle médical.
Un taux d’IVG stable depuis 20 ans
Le nombre d’IVG en France est évalué à 210 664 en 2004. Ce nombre représente une moyenne de 14,6 IVG pour 1 000 femmes de 15 à 49 ans (14 IVG en 1990) (figure 9.1) ; 80 % des femmes concernées avaient entre 20 et 24 ans (ce sont les plus fertiles).
Figure 9.1 |
Pour les mineures, si le nombre de naissances diminue depuis 1990, le nombre d’IVG augmente régulièrement (11 500 en 2004), et une jeune fille de 15 à 17 ans sur 100 y aura recours. Cette augmentation du nombre d’IVG laisse penser que, quand ces jeunes sont enceintes, elles décident plus souvent d’avoir une IVG qu’elles ne le faisaient il y a 20 ans.
L’encadré 9.1 fait le point sur l’avortement ailleurs dans le monde.
Encadré 9.1
L’Europe (des 25) a un taux moyen d’avortement de 10,4 pour 1000, et la France occupe une position médiane.
Tous les pays européens autorisent l’avortement selon certaines conditions sauf l’Irlande, la Pologne et Malte. Les législations sont différentes d’un pays à un autre, avec quelques pays autorisant l’IVG plus tardivement que chez nous (jusqu’à 22 SA en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas).
Dans le monde, une grossesse sur 10 se termine par un avortement à risque, et les décès dus à ces avortements constituent 13 % de la mortalité maternelle. L’avortement est une des grandes causes de la mortalité maternelle dans les pays où il n’est pas légalisé et ou l’accès aux services est problématique voire inexistant.
Dans certains pays, les femmes ont ainsi accès à une procédure légale et sûre avec des risques minimaux pour leur santé, et dans d’autres, elles s’exposent à des pratiques qui leur font courir des risques très élevés.
Une demande d’IVG
Ces demandes peuvent heurter des convictions et confronter les professionnels de santé à ce qui relève du « conflit d’intérêt » entre ce qu’ils pensent juste et ce que la femme en face d’eux pense juste pour elle. Simone Veil, en faisant voter en 1975 la loi sur l’IVG, avait prévu la possibilité de la clause de conscience évitant ce dilemme à certains praticiens. Le médecin est donc en droit de refuser de prendre en charge l’IVG ; il est cependant tenu d’informer la patiente de ce refus et de la diriger sans retard vers un autre praticien. La loi n’a pas prévu qu’une clause de conscience puisse être « partielle », avec refus de faire des IVG que l’on estime injustifiées que ce soit pour des raisons de terme si celui-ci est inférieur à 14 SA ou des raisons morales (IVG itératives par exemple).
La consultation lors d’une demande d’IVG se veut alors :
– une écoute attentive à ce que la femme veut bien dire de cette grossesse prévue ou non prévue, mais qu’elle ne souhaite pas ;
– une information sur les méthodes d’interruption de grossesse (aspiration sous anesthésie générale ou locale ou avortement médicamenteux) afin de permettre à la patiente de choisir celle qui lui convient le mieux s’il n’y a pas de contre-indication médicale ;
– une discussion et une information sur les contraceptions envisageables après l’IVG.
Écouter
ENTRETIEN AVEC LE MÉDECIN ET/OU ENTRETIEN SOCIAL
Les femmes, au décours de ces demandes d’IVG, ne souhaitent pas toujours parler avec le médecin de la décision prise ou à prendre et des circonstances de survenue de cette grossesse. Il ne s’agit pas de banaliser l’IVG en traitant cette demande avec légèreté, mais les femmes n’ont pas, au cours de la consultation ou de l’entretien social, à se justifier puisque les législateurs les ont estimées seules juges de leur détresse. Décider d’interrompre une grossesse est une démarche personnelle. On peut cependant les encourager à en discuter avec leurs proches, même si la décision est déjà prise, afin de leur éviter dans ces circonstances une trop grande solitude. Si l’entretien social auprès d’une conseillère conjugale ou d’une assistante sociale a perdu, avec la nouvelle loi, son caractère obligatoire (sauf pour les mineures), il doit cependant être systématiquement proposé. Librement choisi, cet entretien informatif n’a pas de caractère dissuasif selon la loi. Il complète les informations données par le médecin sur les méthodes d’IVG et sur les contraceptions. Il trouve tout son intérêt pour celles qui sont dans une hésitation douloureuse et souhaitent en parler. Il peut alors aider à mettre au clair la décision et l’acceptation de cette décision. Il peut être également l’occasion d’une orientation vers une prise en charge psychologique à plus long terme quand la survenue de cette grossesse est révélatrice de conflits plus anciens et douloureux.
LA DÉCISION ET LE TEMPS NÉCESSAIRE
« Avez-vous encore besoin de temps pour prendre votre décision ? » devrait être la question préalable lors de la mise en route du processus conduisant à une IVG. Cette question est aussi une bonne façon d’ouvrir le dialogue si la femme le souhaite. Si la loi autorise l’IVG jusqu’à 14 SA, la demande est faite très précocement en France, puisque 90 % des IVG sont réalisés avant 10 SA. Quand les femmes arrivent dans le cabinet du médecin ou dans le centre d’IVG, la décision est prise dans la majorité des cas et, une fois la démarche engagée, peu changent d’avis. La loi prévoit une semaine de réflexion obligatoire entre la première demande faite au médecin et l’acte, mais en pratique, le temps nécessaire à chacune est variable. En effet, ce temps de réflexion ne dépend pas toujours de la difficulté à prendre la décision mais des circonstances et de la capacité de chacune d’intégrer et d’accepter de renoncer à une grossesse même quand celle-ci n’a pas été souhaitée.