Troubles de la personnalité

14. Troubles de la personnalité



Un des courants dans l’étude de la personnalité est le courant cognitiviste qui, avec Kelly (1955), a depuis longtemps proposé un modèle, celui des constructions personnelles (personal constructs). Selon ce modèle, tout individu est comparable à un savant qui fait des hypothèses sur le monde et cherche à en vérifier l’exactitude. La personnalité est l’ensemble des constructions mentales personnelles que nous établissons pour interpréter le monde. Ces constructions aboutissent à un style cognitif particulier, qui est propre à chacun mais qui peut se regrouper en grands types.

Plus récemment, plusieurs ouvrages, ceux de Beck et Freeman (1990), Young (1990, 2005) et Cottraux and Blackburn, 1998 and Cottraux and Blackburn, 2006, ont proposé un modèle cognitif du fonctionnement mental dans les troubles de personnalité : le modèle des schémas précoces inadaptés. Comme pour la dépression et les troubles anxieux, la base de la personnalité réside dans le traitement de l’information par des schémas. Ceux-ci représentent des prédictions se réalisant par la sélection des aspects de l’environnement qui les satisfont. Finalement, l’histoire d’une vie ou le scénario de vie résulte des schémas précoces et de la réalisation de leurs prophéties. Les scénarios de vie ont été explorés en détail, car leur étude permet une conceptualisation nouvelle du problème de la répétition d’un échec personnel et relationnel qui amène souvent les patients à rechercher une aide psychothérapique (Cottraux, 2001).


De la personnalité normale au trouble de personnalité


La personnalité est l’ensemble des constructions mentales personnelles que nous établissons pour interpréter le monde, disait le psychologue Georges Kelly (1955), précurseur du mouvement cognitif actuel. Les personnalités pathologiques proviendraient de l’inadaptation des constructs, de leur absence ou de leur rigidité (imperméabilité).

Les théories cognitives de la personnalité reposent sur la notion de schéma cognitif (Beck et Freeman, 1990). Les schémas sont des structures cognitives stables, stockées dans la mémoire à long terme, et fonctionnent automatiquement. Acquis au cours d’expériences précoces par interaction entre les structures neuronales et l’expérience, ils peuvent être activés par des émotions qui sont analogues à celles du moment où ils ont été imprimés. Ils peuvent donc être à l’origine de scénarios de vie, du fait de leur action sur les comportements. Les schémas dont le contenu est fait de croyances ou de postulats font partie d’une organisation du traitement de l’information dont ils représentent une des étapes.

Par « croyance » ou système de croyances, on entend non pas une structure mentale hypothétique, mais un ensemble de vues personnelles sur soi, les autres et le monde qui constituent un système d’interprétation, une Weltanschauung ou une philosophie de la vie particulière. Les croyances ou les systèmes de croyances correspondent à l’organisation de plusieurs postulats. On oppose en général les systèmes de croyances rationnels, c’est-à-dire adaptés à la culture personnelle du sujet, aux systèmes de croyances irrationnels qui en dévient notablement. C’est dire que le jugement au sujet de la légitimité des croyances doit être relativiste et se fonder sur une compréhension du milieu socioculturel présent et passé du sujet.

Le terme « postulat » fait référence à la clinique. Le thérapeute, à partir de ce que rapporte le patient, découvre progressivement avec lui un certain nombre de règles implicites qui découlent à la fois de l’organisation et du contenu des schémas. On oppose les postulats inconditionnels qui peuvent être positifs chez les sujets normaux et négatifs chez les patients ayant un trouble de personnalité : par exemple « Je suis incompétent » est un postulat inconditionnel négatif. « Si je parle, on va me juger comme incompétent » est un postulat conditionnel en « Si… alors ». Il va aboutir à des règles de conduite et des stratégies d’adaptation : « Tais-toi, évite de fréquenter des gens trop brillants et de parler en public, etc. » : postulats que l’on retrouve souvent chez les personnalités évitantes.

À partir de ces prémisses, des thérapies de type cognitif pour les troubles de la personnalité ont été proposées par Beck et al. (1990), Layden et al. (1993), Young (1990), Young et Lindemann (1992), Young et Klosko (1994), Young et al. (2005), Padesky et Greenberger (1995), et Cottraux and Blackburn, 1998 and Cottraux and Blackburn, 2006. Ces auteurs ont présenté des études détaillées de cas et des manuels thérapeutiques. La recherche est encore à l’état de développement sur cette nouvelle frontière de la psychothérapie cognitivo-comportementale.

La thérapie cognitive des troubles de personnalité se fonde sur la modification des schémas précoces dysfonctionnels de personnalité, qui ont été construits par l’interaction du tempérament biologique et de l’environnement familial et social. Bien souvent, le patient vient consulter pour un syndrome d’axe 1 (dépression, trouble anxieux, etc.) qui exprime l’échec individuel ou une souffrance plus diffuse et manifeste le trouble de personnalité sous-jacent.


Beck et Freeman (1990) définissent les troubles de la personnalité en termes de stratégies interpersonnelles qui sont dysfonctionnelles puisqu’elles créent des problèmes qui font souffrir le patient (par exemple, la personnalité dépendante) et/ou des difficultés dans les relations avec les autres, ou dans la société (par exemple, la personnalité antisociale). Ces stratégies interpersonnelles représentent des comportements surdéveloppés et sous-développés. Par exemple, dans une personnalité narcissique, les valeurs de partage et d’empathie sont sous-développées, tandis que l’égocentrisme, la manipulation et le mépris sont des stratégies comportementales quasi-constantes.



Les schémas précoces de personnalité


Le sens que Young donne au terme « schéma » est proche de celui auquel se réfère Beck : il s’agit des éléments organisés à partir des expériences et des réactions du passé, qui forment un ensemble de connaissances relativement cohérent et durable, capable de guider les perceptions et les évaluations ultérieures.

Le clinicien retrouve principalement des schémas de dépendance, manque d’individuation, déprivation émotionnelle, abandon, méfiance, impossibilité d’être aimé et incompétence (Young, 1990 ; Young et Klosko, 1994). Ces schémas ont été étudiés sur le plan psychométrique par Schmidt et al. (1995) dans un large échantillon d’étudiants normaux et présentant des troubles de personnalité. L’analyse factorielle a extrait trois grandes dimensions de personnalité : surconnexion (dépendance), déconnexion (abandon et infériorité) et perfectionnisme. Ces trois dimensions étant associées au déficit de l’autocontrôle (figure 14.1).








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Figure 14.1
Étude psychométrique de Schmidt et al. (1995) sur les schémas de personnalité.


Cette étude utilisait le questionnaire de Young (YSQ-2) dont une version plus ancienne (YSQ-1) a été validée en français (Mihahescu et al., 1997). La version de l’échelle de Young (205 items) a été revalidée (partiellement) en français (figure 14.2). Les regroupements étaient voisins dans les versions anglaises et françaises de l’échelle. L’analyse statistique de la version française de l’échelle montre que les personnes qui ont un trouble de personnalité borderline, caractérisé par la dépression, l’impulsivité et des difficultés relationnelles importantes, ont des scores significativement plus élevés que les sujets contrôles : des étudiants de différentes universités et d’âge varié (Lachenal-Chevallet, 2002).


Une version abrégée, ne comportant que 75 items, a été validée dans sa version française : le lecteur la trouvera en annexe avec son mode de dépouillement (Lachenal-Chevallet et al., 2006). Avec des scores globaux supérieurs à 180, 15,59 % des sujets contrôles sont superposables à 94,59 % des sujets borderline. Pour le YSQ-S-2, le seuil à partir duquel le sujet commence à être considéré comme pathologique se situe donc à 181.

Plus récemment, Young (Young et al., 2005) a proposé une échelle plus longue, comportant 18 schémas répartis sur 5 domaines, mais qui n’est pas encore validée : le lecteur trouvera la version française de cette échelle inCottraux et Blackburn (2006). Voici la liste de ces 18 schémas.



Les processus qui maintiennent les schémas


Pour expliquer le passage de la personnalité normale à la personnalité pathologique, il faut faire appel au concept de processus de maintien des schémas précoces dysfonctionnels.


Maintien des schémas par distorsion de l’information et soumission au schéma


Au niveau cognitif, une distorsion de l’information est effectuée pour maintenir le schéma intact : l’information qui confirme le schéma est retenue ; elle est magnifiée, sur-généralisée et personnalisée. L’information qui va à l’encontre du schéma est modifiée ou rejetée. Lorsque la validité du schéma est mise en doute par le thérapeute, la résistance du patient est donc considérable.



Maintien des schémas par compensation


Le troisième processus de maintien ou compensation s’apparente au concept de formation réactionnelle dans la psychanalyse. Par exemple, la personne « dépendante » se protégera en faisant montre d’une autonomie exagérée, refusant l’aide ou les conseils d’autrui. La personne qui se sous-estime et dont le schéma est dû a un manque affectif dans l’enfance peut avoir développé un comportement narcissique. Le patient qui se croit incompétent peut développer des traits de perfectionnisme.


Maintien par renforcement


On peu ajouter le maintien des schémas par le fait qu’ils sont constamment renforcés par l’environnement. Ainsi, un schéma de méfiance sera renforcé par un environnement peu fiable, objectivement.


Maintien par modèles


On peut encore ajouter, aux données classiques sur le maintien des schémas, le rôle diffus des modèles issus de l’environnement : modèles réels issus de la famille ou de l’environnement social (la bande de délinquants ou, inversement, de jeunes scouts), mais aussi symboliques issus de la télévision ou des médias en général.


Thérapie cognitive des troubles de la personnalité


Les thérapies cognitives se déroulent sur un an et comportent entre trente et quarante séances d’une heure effectuées par un seul thérapeute. Elles utilisent des techniques cognitives, émotionnelles, comportementales, interpersonnelles et des stratégies de maintien pour modifier les schémas cognitifs précoces perturbés.



Établir une relation thérapeutique positive et utiliser les fluctuations relationnelles


Changer certains aspects de personnalité est comparable à s’en aller sur une terre étrangère, et abandonner une image familière de soi. La reconnaissance par le thérapeute de la difficulté du changement pour le patient est nécessaire au succès de la thérapie. Tout au long de la thérapie, les fluctuations relationnelles seront utilisées pour mettre à jour les schémas et effectuer des expériences émotionnelles correctrices.


Format des séances


Il est structuré. Le patient et le thérapeute fonctionnent selon une « collaboration empirique », comme deux chercheurs travaillant sur des hypothèses communes ; le thérapeute ne confronte pas brutalement le patient à ce qu’il ne voit pas de son schéma, mais cherche à l’amener à évaluer celui-ci progressivement, pour ensuite le remettre en question. Pour réguler les problèmes relationnels de part et d’autre, on adopte une structure formalisée à la séance qui se déroulera selon les étapes suivantes.




• évaluation des tâches cognitives et des expériences comportementales prévues lors de la dernière séance ;


• agenda de séance : choix d’un thème par le patient ;


• récapitulations fréquentes par le thérapeute ;


• techniques cognitives, émotionnelles, interpersonnelles et comportementales pour modifier les schémas ;


• résumé de séance effectué par le patient ;


feedback du patient sur ce qui lui a plu et déplu dans les interventions du thérapeute. Élaboration commune des problèmes relationnels ;


• discussion des programmes des tâches cognitives et des expériences comportementales ;


• agenda de la prochaine séance fixé en fonction des résultats de cette séance : thème à aborder en priorité.



Technique générale



Résolution de problème


Une des constantes des troubles de personnalité est la difficulté à résoudre les problèmes à tel point qu’on a pu dire qu’il s’agissait de personnes intelligentes mettant en œuvre des solutions stupides, c’est-à-dire totalement inadaptées du fait d’une mauvaise gestion de la réalité et d’une absence de pensée logique ou opérationnelle : la résolution de problèmes concrets sera effectuée en séance et prolongée dans la vie quotidienne. La méthode de résolution de problème est à appliquer face aux décisions que les patients n’arrivent pas à prendre, ce qui les bloque dans une impasse existentielle où ils répètent les mêmes comportements qui les conduisent dans les mêmes impasses : par exemple mariages ou liaisons qui échouent de manière répétée. La résolution de problème en sept points va permettre, sur plusieurs séances, de sortir de cet enlisement. On pourra s’aider de la fiche du tableau 14.2.

























Tableau 14.2 Les sept étapes de la résolution de problème
1. Définir le problème
2. Inventorier toutes les solutions possibles
3. Évaluer les solutions :


– les avantages et les désavantages


– les conséquences à court, moyen et long termes, pour soi, pour les autres


– les implications concrètes (argent, temps)


– etc.
4. Prendre une décision
5. Exécution de la décision
6. Évaluer les résultats
7. Si les résultats obtenus sont insatisfaisants, recommencer le processus à l’étape 1 en redéfinissant et reformulant le problème non résolu


Modification des communications pathologiques


Les communications agressives, négatives, aversives ou persécutrices avec les autres seront modifiées par le jeu de rôle avec feedback, jeu renversé et modèle comportemental à reproduire, suivis de tâches pratiques à réaliser dans la vie de tous les jours.


Modifications des pensées négatives dépressogènes


Elles seront mises à jour et modifiées par la discussion socratique des pensées automatiques irrationnelles qui sera prolongée par une fiche permettant de les discuter lorsqu’elles apparaissent (voir fiche pensées automatiques négatives p. 216). S’y ajouteront des tâches progressives de plaisir et de maîtrise à effectuer dans la vie quotidienne, qui seront évaluées sur une fiche.


Thérapie cognitive centrée sur les schémas cognitifs précoces


Le thérapeute utilisera des méthodes cognitives, émotionnelles, interpersonnelles et comportementales pour mettre à jour et modifier les schémas. Il maintiendra ses résultats avec des techniques spécifiques pour le suivi.


Méthodes cognitives




Mise au jour et modification des pensées automatiques


Le thérapeute commencera, dans l’analyse fonctionnelle, par établir les liens entre cognitions, émotions, actions et événements. Le patient sera entraîné à utiliser une émotion négative comme un signal pour prendre conscience des pensées automatiques ou de son comportement dysfonctionnel. Les souvenirs, les images mentales, les jeux de rôle, l’auto-enregistrement des expériences émotionnelles de tous les jours, les rêves ou d’autres situations qui provoquent les émotions pénibles, permettent d’atteindre les schémas inadaptés précoces. On pourra aussi utiliser la fiche donnée en annexe.


Mise au jour et modification des distorsions cognitives


Le thérapeute attirera ensuite l’attention sur les distorsions cognitives, par exemple la sur-généralisation et le fait de penser en « blanc et noir » (ou pensée dichotomique). Il faut identifier les règles personnelles, d’une façon concrète, en les ajustant aux relations avec le thérapeute et avec les autres. Une fois le système de croyance central établi, il faut en chercher le caractère abusif. En général, le patient obéit toujours à un ensemble de règles inflexibles. « Dans une règle apparemment rationnelle et logique, cherchez l’abus » est le meilleur conseil que l’on puisse donner.


Modification des schémas précoces inadaptés



Attitude

Une des façons de ne pas blesser le patient est de comparer l’utilité passée des postulats à leur nuisance actuelle. Le thérapeute doit s’abstenir de tout commentaire sur la véracité des schémas et poser de prudentes questions inductives ou employer un dialogue socratique. Par exemple, les schémas du patient peuvent être : « Je suis mauvais, je suis un incapable, je n’ai aucune valeur » ou « On ne peut pas m’aimer ».

May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Troubles de la personnalité

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