9. Traitement des complications cardiovasculaires du stress
En 1991, Dzau et Brauwald ont émis le concept d’un « continuum cardiovasculaire » pour décrire un nouveau paradigme concernant les atteintes cardiaques et les complications de l’athérosclérose [1]. Ce concept d’un continuum est basé sur le fait qu’initiés et favorisés par les facteurs de risque, l’athérosclérose, l’ischémie myocardique, la thrombose coronaire, les myocardiopathies ischémiques, l’insuffisance cardiaque sont les aboutissants d’un processus pathogénique lentement évolutif. Les conséquences du continuum sont dans la société actuelle une des causes les plus importantes de morbidité et de mortalité, mais sa progression n’est pas inexorable.
Avec les progrès pharmacologiques de ces vingt dernières années, il est possible d’intervenir efficacement à chaque étape du continuum, d’interrompre le processus aussi bien chez des patients asymptomatiques ayant des facteurs de risque d’athérosclérose que chez les patients au stade le plus avancé d’une insuffisance cardiaque ischémique (figure 9.1). Un large éventail d’interventions thérapeutiques est offert allant de la modification du mode de vie, de la pratique de l’exercice physique jusqu’à la prescription de plusieurs classes de médicaments dont les effets bénéfiques sont validés par de grands essais contrôlés. Les stress de la vie quotidienne, tous les événements représentant un choc émotif ou bouleversant, peuvent intervenir comme facteur aggravant ou déclenchant de complications aiguës ou d’évolutivité, à l’égard du continuum cardiovasculaire. La mise en jeu du système orthosympathique, et à long terme d’autres systèmes neuro-hormonaux, est un facteur déclenchant de manifestations cardiovasculaires aiguës : ischémie myocardique symptomatique ou silencieuse, thrombose coronaire, arythmies, cardiomyopathies de stress, hypertension artérielle et mort subite. À long terme, les stress répétés ou le stress permanent de la vie courante sont des facteurs de dysfonction endothéliale, d’activation de facteurs de thrombose, de remodelage artériel et cardiaque. De nombreuses classes thérapeutiques peuvent avoir de l’intérêt et parmi les médicaments prescrits, nous citons les bêtabloquants, qui occupent une place majeure, les antagonistes de l’angiotensine, les inhibiteurs calciques. Mais les modifications des comportements à risque, l’exercice physique, l’arrêt du tabagisme et les thérapeutiques de gestion du stress jouent un rôle essentiel et ne doivent pas être négligés.
Figure 9.1 Adapté de V. Dzau. Am Heart J 1991; 121 : 1244-63 |
Effets délétères de la stimulation sympathique
L’activation du système sympathique et l’action d’une sécrétion accrue des catécholamines sont au cours des stress des facteurs importants de la progression du continuum cardiovasculaire. L’augmentation de l’activité du sympathique accélère la fréquence cardiaque, la pression systolique à l’effort, la contractilité myocardique et finalement la consommation d’oxygène. Elle réduit la perfusion coronaire en diminuant le temps de la perfusion myocardique diastolique. Contribuant à l’activation du système rénine–angiotensine, elle accélère le remodelage ventriculaire, facilitant l’hypertrophie et la fibrose myocardique, accroît la rigidité artérielle, facilite la rupture de plaques d’athérosclérose fragiles, quiescentes. La stimulation sympathique contribue à la dysfonction endothéliale, réduisant la biodisponibilité du NO. La dysfonction endothéliale joue un rôle, non seulement aux stades précoces de l’athérogenèse mais aussi au cours de son évolution, accélérant la constitution des plaques et facilitant leur rupture. Le NO est un médiateur important des fonctions endothéliales en régulant l’inflammation, l’activation plaquettaire, la vasomotricité. Les bêtabloquants et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion sont deux classes thérapeutiques améliorant la fonction endothéliale.
Effets des bêtabloquants
Antagonistes compétitifs et spécifiques des effets bêta-adrénergiques des catécholamines, ils occupent une position clé dans l’inhibition des effets cardiovasculaires du stress : plus le tonus orthosympathique est marqué, plus leur action est importante. Ils diminuent la fréquence cardiaque au repos et au cours des stress, la contractilité myocardique, et s’opposent aux effets pro-arythmogènes de la stimulation bêta-adrénergique. Ils réduisent le travail cardiaque et la consommation myocardique en oxygène. Leurs effets anti-ischémiques sont majorés par la redistribution du débit coronaire vers les couches sous-endocardiques, les plus sensibles à l’ischémie. À l’échelle moléculaire, les bêtabloquants diminuent les facteurs du remodelage myocardique, de l’hypertrophie myocytaire et de la fibrose. L’effet anti-hypertenseur dépend de plusieurs actions : baisse de la production de rénine par l’appareil juxtaglomérulaire, réduction des taux d’angiotensine II, diminution de la contractilité, baisse du débit cardiaque et enfin action centrale directe sur les centres de l’activation sympathique. Certains ont un effet bénéfique sur la dysfonction endothéliale, réduisant la rigidité artérielle qui prédispose aux conséquences délétères de l’hypertension sur les organes cibles : cœur, cerveau, rein [2].
Au plan pharmacologique, les bêtabloquants sont caractérisés par trois propriétés :
• la spécificité bêtabloquante vis-à-vis des récepteurs bêta-adrénergiques;
• l’activité agoniste partielle ou sympathomimétique intrinsèque;
• l’effet stabilisant de membrane qui n’apparaît pas aux doses utilisées en thérapeutique.
La sélectivité et le blocage préférentiel des récepteurs bêta-1-adrénergique ont pour avantage théorique de préserver la stimulation des récepteurs bêta-2, par les catécholamines endogènes. Ceci permet de compenser l’effet bronchoconstricteur et vasoconstricteur de la stimulation alpha-adrénergique. Mais cette sélectivité est relative et disparaît à l’augmentation de doses. Certains bêtabloquants ont une activité alphabloquante supplémentaire, leur conférant un effet vasodilatateur (carvédilol, nébivolol).
La classe thérapeutique dans son ensemble est particulièrement adaptée au traitement des effets cardiovasculaires du stress, d’autant plus qu’un effet anxiolytique a été démontré électivement pour les molécules lipophiles par un mécanisme d’action centrale [3].
Place des bêtabloquants dans la prévention et le traitement de l’ischémie myocardique
Tous les stress physiques ou psychiques génèrent chez un patient atteint d’athérosclérose coronaire de l’ischémie myocardique douloureuse ou silencieuse. On sait que deux tiers des épisodes ischémiques chez l’angineux stable sont silencieux. Plusieurs études contrôlées ont montré que les bêtabloquants – en particulier l’aténolol (50 à 100 mg/j), le bisoprolol (10 à 20 mg/j) – suppriment l’ischémie soit totalement, soit partiellement lors des enregistrements électriques ambulatoires. Dans l’angor stable, ils méritent d’être prescrits en première intention et sont le traitement de référence car ils augmentent la capacité à l’effort, élèvent le seuil ischémique, exercent un effet cardioprotecteur. La fréquence cardiaque est un déterminant majeur de l’ischémie myocardique et influence le pronostic des patients coronariens. On sait que la réduction de la fréquence cardiaque peut réduire l’ischémie, ce qui donne à cette classe thérapeutique une position clé dans le traitement de l’angor stable.
Dans l’angor instable, ils soulagent les symptômes et s’opposent aux effets myocardiques et coronariens des catécholamines, diminuant les signes électriques d’ischémie, facilitant en réduisant la fréquence cardiaque la stabilisation de l’épisode aigu. Dans la méta-analyse de Yusuf, on constate avec ces molécules une diminution de 13 % de l’incidence des infarctus. À la phase aiguë de la nécrose myocardique, dans l’étude ISIS I, l’introduction de l’aténolol par voie veineuse (5 à 10 mg/j) suivie d’une prise orale pendant une semaine a réduit la mortalité cardiovasculaire à 7 jours et après un suivi d’un an.
Un autre essai avec le métoprolol (15 mg par voie IV immédiatement et 200 mg/j par voie orale) mené chez plus de 25 000 patients a été associé à une réduction de 23 % du risque de récidive d’infarctus sans diminution significative de la mortalité totale [4].
Leur bénéfice paraît indiscutable en prévention secondaire dans les suites des infarctus compliqués de dysfonction ventriculaire gauche. Les recommandations de la Société européenne de cardiologie recommandent leur prescription à long terme chez tous les patients ayant survécu à un premier infarctus, en l’absence de contre-indications. Normalement, ils doivent être prescrits avant la sortie de l’hôpital et doivent être poursuivis indéfiniment si leur tolérance est satisfaisante.
Bêtabloquants et stress chirurgical
Les indications des bêtabloquants ont été récemment étendues à la prévention du risque ischémique à l’occasion des interventions chirurgicales. Quarante millions d’interventions chirurgicales non cardiaques sont réalisées en Europe chaque année, le stress généré par l’intervention étant responsable chez des patients coronariens, connus ou méconnus, de syndromes coronariens aigus, d’accidents vasculaires cérébraux causant plus de 100 000 décès chaque année. La haute prévalence d’événements cardiaques, pendant ou après chirurgie non cardiaque, reflète la large diffusion de l’athérosclérose coronaire dans la population. La physiopathologie des accidents ischémiques est complexe incluant l’hypertension, la tachycardie induites par le stress psychologique, la douleur et les conséquences thrombogènes du choc opératoire. L’inflammation et l’instabilité de la plaque sont accrues après le stress chirurgical. Une récente méta-analyse de 15 études regroupant 1077 patients à haut risque soumis à un acte chirurgical indique que le traitement bêtabloquant réduit de manière significative le risque chirurgical de décès d’origine cardiaque et d’infarctus de 67 %[5]. Les traitements doivent être débutés 30 jours avant la chirurgie, à faible dose, avec une augmentation progressive de la posologie.
Bêtabloquants et hypertension artérielle
L’hypertension artérielle est une cause majeure de mortalité, de complications cardiaques et cérébrales. Sa prévalence est énorme, elle concerne plus d’un milliard de sujets, avec un nombre de décès estimé à 7 millions par an. Le traitement médical de l’hypertension doit être adapté aux caractéristiques des patients, au retentissement sur les organes cibles. Le système sympathique joue un rôle majeur dans sa physiopathologie et sa suractivation au cours du stress aigu ou permanent : la dysfonction endothéliale, l’augmentation de la rigidité artérielle sont des facteurs pathogéniques reconnus de l’hypertension. Il y a eu une certaine désaffection à l’égard des bêtabloquants considérés comme inférieurs aux diurétiques, aux inhibiteurs calciques et aux antagonistes du système rénine–angiotensine, il y a quelques années. Les recommandations en 2007 des Sociétés européennes de l’hypertension et de la Société européenne de cardiologie les maintiennent comme une classe recommandée pour l’initiation du traitement soit en prescription isolée, soit en association aux diurétiques ou aux médicaments bloquant la formation d’angiotensine II. Leur prescription doit être adaptée aux caractéristiques du patient.
Ils sont prescrits en première intention :
• chez les hypertendus ayant une maladie coronaire, des antécédents d’infarctus ou d’arythmie;
• dans les cas d’hypertension avec une forte activité rénine, hypertension rénovasculaire ou maligne;
• les patients avec un état circulatoire hyperkinétique, une tachycardie, des manifestations cardiocirculatoires d’anxiété.
La plus récente méta-analyse, la Blood Pressure Lowering Treatment Trialists Collaboration, n’a montré aucune différence entre les diverses classes d’anti-hypertenseurs (IEC, calcium antagoniste, diurétique ou bêtabloqueur) sur la survenue des principaux événements cardiovasculaires [6]. Par contre, outre les contre-indications classiques, les bêtabloquants associés à un diurétique, doivent être évités chez les patients présentant un syndrome métabolique ou une intolérance au glucose. Une augmentation de la résistance à l’insuline et une plus haute incidence du diabète ont été rapportées au cours des essais anciens avec les bêtabloqueurs. Les molécules les plus récentes (bisoprolol, carvédilol, nébivolol) qui ont peu d’effets métaboliques ont une meilleure tolérance et ne favorisent pas l’apparition de nouveaux cas de diabète.
Bêtabloquants cardiomyopathies et insuffisance cardiaque
Quand les bêtabloquants ont été introduits, il y a plus de 30 ans dans la thérapeutique cardiologique, l’insuffisance cardiaque représentait une contre-indication formelle à leur prescription. On pensait que la stimulation sympathique apportait un soutien important pour le cœur défaillant et que la réduction brutale de l’activation de ce système aggravait la dysfonction ventriculaire. En fait, la stimulation sympathique crée une situation délétère, facilitant l’activation du système rénine–angiotensine et une vasoconstriction qui devient nuisible et aggrave à son tour l’insuffisance cardiaque. Le traitement bêtabloquant à doses progressivement croissantes chez les patients insuffisants cardiaques à fonction systolique altérée a été testé au cours de nombreux essais cliniques randomisés versus placebo. L’étiologie de l’insuffisance cardiaque était représentée par trois causes principales : insuffisance coronaire, cardiomyopathies dilatées, hypertension artérielle. Tous les patients ont été traités par l’association diurétique–inhibiteurs d’enzyme de conversion, la prescription de digitalique étant laissée à l’appréciation des cliniciens. Une méta-analyse indique une réduction de 22 % de la mortalité et une réduction de 24 % des hospitalisations. Les recommandations actuelles précisent que tous les patients symptomatiques avec une fraction d’éjection < 40 % doivent pouvoir bénéficier du traitement bêtabloquant qui doit être débuté le plus tôt possible au cours de l’évolution de la maladie, le patient étant stabilisé par un traitement diurétique et par les IEC. Quatre bêtabloquants sont indiqués : le bisoprolol, le carvédilol, le métoprolol et le nébivolol, avec une efficacité et une tolérance similaire. Le traitement est effectué à doses progressivement croissantes au cours d’une phase de titration en débutant à une dose quotidienne d’environ le dixième de la dose cible à atteindre :
• bisoprolol, dose initiale 1,25 mg jusqu’à 10 mg/j;
• carvédilol, 3,25 mg, puis 25 mg, 2 fois/j;
• métoprolol–succinate, 25 mg au début, puis 200 mg/j;
• nébivolol, 1 mg/j, puis 10 mg/j.
Le niveau de dose à atteindre doit correspondre au maximum toléré. Le patient doit avoir une surveillance clinique régulière toutes les 2 semaines pour augmenter les doses, augmentation qu’il faut interrompre ou différer en cas de signes d’aggravation de l’insuffisance cardiaque, d’excessive bradycardie ou d’hypotension. Le traitement bêtabloquant est particulièrement recommandé dans les cardiomyopathies de stress, il pourrait favoriser une récupération rapide de la dysfonction ventriculaire gauche et réduire les risques d’arythmie ventriculaire.
Inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC)
Les IEC occupent une place majeure dans le traitement de l’hypertension, de l’insuffisance cardiaque, de la dysfonction ventriculaire gauche après infarctus du myocarde. Leurs effets vasculo- et cardioprotecteurs ont été soulignés par de nombreuses études expérimentales et d’importants essais cliniques. Ce sont des vasodilatateurs mixtes réduisant l’hypertrophie, la dilatation et la fibrose cardiaque. De plus, diminuant les taux d’angiotensine et d’aldostérone, ils freinent l’athérogenèse, réduisent le tonus sympathique et restaurent la fonction endothéliale en augmentant la disponibilité du NO. Ils possèdent des propriétés anti-oxydantes. Ils sont fortement indiqués pour diminuer les risques vasculaires des sujets hypertendus ou coronariens, soumis à un stress permanent. Chez le vasculaire ou coronarien à risque, sans insuffisance cardiaque, leur prescription est associée à une réduction de la mortalité, du nombre d’infarctus du myocarde, d’accidents vasculaires cérébraux et d’insuffisances cardiaques.
Pour prévenir ou traiter les complications cardiovasculaires du stress aigu ou chronique, ils sont indiqués après un infarctus du myocarde : ils réduisent le remodelage ventriculaire gauche, le risque d’insuffisance cardiaque symptomatique, le nombre de récidives coronariennes et ischémiques. Prescrits en plus du traitement conventionnel, les IEC diminuent significativement la mortalité. L’effet bénéfique est particulièrement important quand l’infarctus est compliqué d’insuffisance ventriculaire gauche ou de dysfonction ventriculaire latente. Les risques de décès ont été diminués de 20 % avec le captopril, de 22 % avec le trandolapril et de 27 % avec le ramipril au cours d’essais contrôlés.
Dans le traitement de l’hypertension artérielle, ils abaissent les résistances artérielles systémiques et la pression artérielle, en s’opposant aux effets vasoconstricteurs de l’angiotensine II, et ils entraînent une chute particulièrement prononcée si l’activité rénine plasmatique est élevée. Ils inhibent l’activité du système rénine–angiotensine tissulaire, ce qui explique un effet anti-athéromateux. Leur prescription prolongée diminue l’hypertrophie myocardique, le remodelage vasculaire et augmente la distensibilitéartérielle. L’augmentation des taux de bradykinine joue un rôle important dans les effets hypotenseurs. Les IEC améliorent le pronostic de l’hypertension artérielle en diminuant son retentissement vasculaire, myocardique, coronaire et cérébral, en réduisant le nombre d’insuffisances cardiaques et en assurant une néphroprotection.
Par leurs effets hémodynamiques et neuro-hormonaux, les IEC sont la pierre angulaire du traitement de l’insuffisance cardiaque : ils améliorent le pronostic de cette affection à tous les stades de son évolution. Plusieurs études à large échelle avec l’énalapril ont prouvé leur bénéfice sur la qualité de vie et la survie des insuffisants cardiaques symptomatiques. Ils doivent être prescrits à doses régulièrement croissantes dès les premiers stades pour atteindre les posologies préconisées dans les grands essais cliniques :
• énalapril, 10 mg, 2 fois/j;