Tests psychologiques et facteurs culturels
Catherine Le Du
En 2009, fut organisée pour la première fois en France une Conférence de consensus pour laquelle un groupe d’experts eut à traiter plus spécifiquement des aspects interculturels de l’évaluation psychologique de l’enfant. Les recommandations issues de cette recherche firent l’objet d’un colloque en juin 2010, puis d’un ouvrage. L’expertise porta sur divers aspects : la définition même de la rencontre transculturelle, le contexte de passation d’un test, la congruence du matériel utilisé, la question de l’acculturation, de la langue dans laquelle s’opère l’échange, et plus globalement celle de l’universalisme. Tout sujet, quelles que soit sa langue et sa culture, peut-il dans n’importe quel contexte, faire l’objet d’un examen psychologique mené par n’importe quel psychologue, quelle que soit la langue et la culture de ce dernier au moyen d’un test adapté pour un étalonnage restreint de la population française ? Ces interrogations sont celles de tout clinicien travaillant aujourd’hui auprès d’une population métissée, qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes, et nous devons veiller à ce que les recommandations de cette Conférence de consensus soient intégrées dans la pratique quotidienne des professionnels de notre pays. La France accuse un retard considérable en la matière, si on la compare aux États-Unis, au Canada, ou d’autres pays européens tels les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne où sont publiées de nombreuses recherches portant sur la validation des tests en situation transculturelle. L’International Test Commission (ITC) se préoccupe depuis de longues années de l’adaptation des tests les plus courants, travaillant à la conception d’instruments transculturels dits « équitables » tandis que La France, en raison d’une historicité autre, n’a pas connu de phénomène de telle ampleur.
Historique
Rappelons que c’est en France qu’Alfred Binet élabora avec Simon son Échelle Métrique, premier test psychométrique qui vit le jour en 1905. Le propos de Binet n’était pas d’exclure mais de dépister les enfants ayant de grandes difficultés cognitives afin qu’ils puissent bénéficier d’une éducation spécialisée. Ce test connut un vif succès outre-Atlantique et une fois sa traduction opérée, Terman le publia en 1916 sous l’appellation « Stanford Binet », épreuve qui devint le test le plus utilisé au monde durant des décennies. Employé à grande échelle lors de passations collectives auprès de tous les conscrits du pays, le test Binet-Simon perdit toute dimension clinique et devint un instrument de sélection, ce qui fut officialisé par l’Immigration Act de 1924 qui l’instituait comme pratique à utiliser auprès des candidats à l’entrée sur le territoire américain. Soulignons que Terman n’avait pas de théorie de l’intelligence, mais une idéologie eugéniste revendiquée. La psychométrie fut dès lors l’objet d’une véritable dérive aux États-Unis. En 1939, Wechsler, clinicien et psychopathologiste, mit fin à l’hégémonie du Stanford Binet en créant sa propre échelle, de conception fort différente tant sur le plan de la démarche psychométrique que sur celui de l’idéologie. Cependant, les pays anglo-saxons conserveront certaines traces de ce passé et les tests d’intelligence, très banalisés, utilisés pour juger du niveau scolaire des enfants, y demeurent marqués du sceau de la démarche statistique, souvent au détriment de l’intérêt clinique. Terre de conquêtes violentes et d’immigration choisie aussi bien que subie, les États-Unis ont multiplié les recherches relatives à l’intégration des minorités ainsi que les statistiques différenciant natives de race indienne, citoyens noirs descendants de l’esclavage ou migrants hispano-américains. Les enjeux politiques et idéologiques sont toujours sensibles dans ce pays et s’y opposent à nouveau les défenseurs d’une intelligence qui se construit et se développe grâce à l’environnement et les « innéistes », toujours plus nombreux, pour qui elle est donnée à la naissance, quel que soit l’emplacement géographique ou la classe sociale dans laquelle a pu évoluer le sujet testé. Dans la droite ligne du darwinisme social, certains travaux (Herrnstein et Murray, 1994), portant sur l’analyse comparative des performances cognitives de sujets d’origine ethnique différente ont repris la thèse de Terman selon laquelle les différences d’intelligence expliquent les hiérarchies sociales. Loin de connaître l’engouement américain, les tests d’efficience intellectuelle furent longtemps considérés avec beaucoup de circonspection en France où leurs détracteurs soulignaient qu’ils ne mesuraient pas tant l’intelligence que les acquisitions scolaires. Un tel questionnement n’avait d’ailleurs pas échappé à Binet, dont Zazzo (1985) nous révèle les difficultés, nous apprenant comment il imagina des épreuves, en éliminant certaines et en inventant d’autres pour que le test qu’il construisait s’adapte à la notion qu’il avait de l’intelligence. Zazzo nous rapporte que Binet fit le constat que les résultats différaient d’un milieu social aussi bien que d’un lieu à l’autre, que les enfants de Bruxelles ne donnaient pas les mêmes réponses que les enfants parisiens. Binet chercha donc à éliminer de ses épreuves ce qui faisait encore trop intervenir le niveau d’instruction ou le milieu social mais après cette épuration, l’influence des expériences extrascolaires subsistait. Il fit alors le constat capital que « les résultats du test dépendent à la fois : de l’intelligence pure et simple, d’acquisitions extrascolaires pouvant se faire bien avant l’heure, d’acquisitions scolaires qui se font à date fixe, d’acquisitions relatives au langage et au vocabulaire qui sont à la fois scolaires et extrascolaires pouvant dépendre en partie de l’école et en partie du milieu familial. » (Binet, in Zazzo, op. cit. p. 28). Au sortir de mai 1968, toutes ces observations serviront de fer de lance aux détracteurs des tests psychométriques, qui connaîtront alors un véritable déclin, tandis que se poursuivaient les recherches sur les méthodes projectives. Nous assistons aujourd’hui à un très net regain d’intérêt pour la pratique du bilan psychologique. Soulignons d’emblée qu’il est très rare que le sujet testé soit le demandeur direct d’une telle évaluation et qu’il est plus souvent fait recours à cet outil dans un but d’orientation scolaire ou de confirmation de diagnostic. La préoccupation du clinicien sera ici de privilégier une appréhension globale du sujet testé en tentant d’approcher tant sa dynamique psychique au moyen des méthodes projectives que ses ressources cognitives objectivées par les tests d’efficience intellectuelle. Posons d’emblée que faire passer des tests dans le seul but d’attribuer une note de QI n’a guère de sens et que ce qui importe bien davantage est de s’étayer sur les épreuves projectives pour appréhender les difficultés éventuelles liées à l’inhibition, au clivage, à la mauvaise estime de soi, autant de facteurs propres à entraver les capacités d’apprentissage et les performances intellectuelles. Il est donc capital qu’un seul et même clinicien, sachant ce que dynamique psychique et relation transférentielle signifient, fasse passer le bilan dans son ensemble.
Les tests disponibles
Il nous faut questionner la pertinence des tests dans notre société métissée, ce qui nous amène à intégrer la variabilité culturelle dans l’actuelle modélisation de la psychologie cognitive fondée sur l’existence d’universaux. Tests d’efficience intellectuelle et épreuves projectives doivent être rigoureusement définis et répondre à des critères de sensibilité, de fidélité et de validité. L’étalonnage d’un test, échelle de référence construite à partir d’un échantillon représentatif d’une population, permettra la comparaison des données objectives obtenues lors de la passation d’un sujet donné avec les résultats d’autres personnes appartenant au groupe de référence. En situation transculturelle, ce rapport à la norme, cette comparaison interindividuelle établie en fonction d’une population de référence vont poser question sur un plan méthodologique aussi bien qu’éthique puisque, par hypothèse, le sujet testé se situe hors de cette norme référentielle. Confrontons-nous à ces difficultés et afin de ne pas nous laisser cantonner à la seule polémique à laquelle la dichotomie culture et nature nous renvoie immanquablement, appuyons-nous sur les dernières recherches en psychiatrie transculturelle, linguistique ou psychologie interculturelle du développement. L’inventaire des outils utilisés aujourd’hui en France (Castro et coll., 1996) établit que les tests d’intelligence les plus utilisés par les psychologues sont les WISC, Wais , Wppsi , Brunet-Lézine et K-ABC. Une situation analogue fut constatée en 1992 aux États-Unis, où l’on note toutefois une plus grande utilisation des Matrices Progressives de Raven et du Stanford-Binet. La caractéristique de tous ces tests, à l’exception du K-ABC , est d’avoir été conçus il y a plus d’un demi-siècle et d’être tous, sans exception, fruit de recherches européennes ou nord-américaine, standardisés et étalonnés pour des populations d’origine culturelle occidentale.
Ce qu’évaluent les tests : problèmes méthodologiques
Le constat que les tests cognitifs étaient saturés en données et représentations culturelles fut fait dès les années 1940 et l’on entreprit alors divers travaux pour y remédier. Cattell , puis David et Eells envisagèrent la construction d’instruments de mesure dits Culture free, c’est-à-dire indépendants des facteurs culturels. Selon eux, une telle démarche nécessitait la suppression des items verbaux, de l’exigence de rapidité et de savoir-faire qui ne peuvent être acquis que dans certains groupes sociaux. Seul le test de Cattell se trouve aujourd’hui encore utilisé : dit aculturel, c’est un test de raisonnement non verbal fortement corrélé au facteur g. Cependant, la suppression des références linguistiques ne suffit pas à effacer les références culturelles et nous le verrons, la perception est, elle aussi, le fruit d’une culture. On peut de surcroît observer que des tests Culture free ne peuvent exister par définition, puisque, comme nous l’avons vu, les tests sont étalonnés d’après un échantillon représentatif d’une population, donc d’une culture. Inversement, en collaboration avec des anthropologues, certains chercheurs entreprirent la conception de tests Culture Fair, spécifiques à un groupe culturel déterminé. C’est ainsi par exemple, que furent créés un Binet-Simon libérien pour la société Kpelle ou le « 10 items Original Australian Intelligence Test », questionnaire basé sur la culture de la communauté aborigène qui recèle des items relatifs aux mois lunaires ainsi qu’aux théories étiologiques relatives à la mort. De tels tests ont le mérite de souligner combien les épreuves occidentales font peu de cas de l’univers logique propre à d’autres cultures mais, en dehors de la question de leur validation, se pose celle de la pertinence de tests spécifiquement conçus de manière à être saturés en facteurs culturels non occidentaux. De plus, une telle démarche interdit toute comparaison interculturelle, c’est ainsi que le Binet libérien précité ne permet d’évaluer que le groupe Kpelle. Si nos outils d’évaluation usuels semblent de prime abord appropriés à notre seule culture occidentale, il nous faut étudier plus précisément leur pertinence transculturelle et en définir les biais culturels afin d’atténuer leur portée auprès des migrants et enfants de migrants. L’inadaptation de nos tests à des sujets non occidentaux, le poids actuel de nos sciences de l’éducation, elles-mêmes majoritairement occidentales, ne doivent pas nous faire oublier que diverses recherches (Moro, 1994) ont défini une vulnérabilité spécifique chez certains de ces patients, fruit de leur histoire et de leur parcours migratoire. Les difficultés rencontrées par certains enfants de migrants dans le domaine de leur structuration psychique ou perception temporospatiale, peuvent conduire à des troubles du développement cognitif, à une adaptation malaisée à notre univers social et pédagogique, autant d’écueils qu’il est impératif de prendre en compte dans la démarche de soins qui est la nôtre.
Approche psychométrique : le concept d’intelligence
Dans les pays occidentaux, le concept même d’intelligence, dont les tests que nous détaillerons ultérieurement, s’attachent à déterminer la variabilité interindividuelle, a toujours fait débat. Historiquement, se sont opposés les tenants d’une intelligence unidimensionnelle et ceux pour qui elle est multifactorielle. Les subtests composites s’attachant à évaluer des domaines cognitifs aussi divers que le langage, la mémoire ou le raisonnement renverraient à une capacité, un facteur général, dit facteur « g » découvert par Spearman, une dimension unique mesurée par le Quotient Intellectuel (QI) . De son côté, Thurstone considérait l’intelligence comme multifactorielle car reposant sur de multiples aptitudes indépendantes que l’on devrait donc apprécier par une batterie de tests. Cette dichotomie a laissé place à un modèle hiérarchique de la structure factorielle de l’intelligence, dont Cattell et Horn ont distingué le caractère « fluide », faisant peu appel aux connaissances acquises, de la forme « cristallisée » liée à l’éducation, à la structuration de la mémoire et saturant principalement les tests verbaux. De même, fut mis en évidence le facteur d’intelligence visuospatiale, les performances aux tests spatiaux semblant liées à la qualité des représentations spatiales plus qu’à la vitesse d’exécution des processus. Cette modélisation factorielle est aujourd’hui elle aussi questionnée : le facteur « g » est-il général à toutes les formes d’intelligence et qu’advient-il de lui lorsqu’il est confronté à la théorie des intelligences multiples ?
Les définitions de l’intelligence : des intelligences multiples
Binet et Wechsler stipulaient tous deux que l’intelligence était indéfinissable en elle-même. Selon le premier, l’intelligence ne pouvait se constater que par sa genèse chez l’enfant, ses degrés étant les âges successifs du développement mental. Wechsler ne se situait plus dans cette perspective développementale et ses échelles permettent de comparer les résultats d’un sujet à ceux obtenus par d’autres sujets de sa classe d’âge, ce qui revient non pas à opérer le calcul de l’intelligence, mais à donner un classement en indiquant le rang occupé par le sujet dans une population.
Reprenant en 1966 l’approche de Binet, Zazzo développa le principe d’une amélioration des performances avec l’âge et la NEMI permet de calculer le QI obtenu par le rapport entre âge mental et âge réel. La théorie de Zazzo présupposerait l’indépendance réciproque entre les processus de développement, la maturation fonctionnelle, et ceux d’apprentissage. Ces notions d’âge et de stades de développement apparaissent centrales et seront questionnées, nous le verrons, par les chercheurs en psychologie interculturelle, dont au premier chef Dasen, qui fut un des proches collaborateurs de Piaget. Confrontés à la difficulté épistémologique de définir le concept d’intelligence, certains choisissent d’éluder ce terme, préférant ceux d’« activités mentales » et de « cognition », tandis que d’autres évoqueront le concept général de « compétence ». Dans son ouvrage de référence, Huteau (2001, p. 11) nous précise qu’en 1997, 52 psychologues « spécialistes de l’intelligence », dont quatre seulement n’étaient pas américains, mais de nationalité canadienne, anglaise et irlandaise, en formulèrent cependant une définition : l’intelligence serait selon eux « une capacité mentale très générale qui implique l’habileté à raisonner, planifier, résoudre des problèmes, penser abstraitement, comprendre des idées complexes, apprendre rapidement et à partir de l’expérience » (Gottfredson et al., 1997, p. 13). Gibello (1984), quant à lui, ne pense pas l’intelligence en termes de performance et son concept de « contenants culturels », partagés par tous les membres d’un groupe culturel et sur lesquels viennent s’étayer les processus de pensée, pourrait aider à la compréhension des anomalies du développement cognitif chez les enfants en situation migratoire.
Cette référence à la notion de culture, éludée dans la notion classique d’intelligence est actuellement prise en compte dans les concepts nouveaux d’intelligence sociale, émotionnelle ou pratique. Binet lui-même prenait en compte l’intelligence émotionnelle avec le test « Description de gravures » utilisé dès 1893 dans une perspective de psychologie différentielle. S’appuyant sur les descriptions fournies, il distinguera ainsi les sujets « observateurs », les « émotionnels » et les « érudits ». Binet préférait ce subtest à tous les autres, le jugeant susceptible de donner des indications psychologiques précieuses sur la manière de percevoir et d’interpréter. Zazzo intégrera lui aussi le subtest « Gravures » dans la NEMI : trois images sont proposées aux enfants, dont la première figurant un homme et un petit garçon tirant une charrette, et sont considérées de niveau supérieur les réponses non pas de simple description mais d’interprétation telles que « Des gens qui quittent leur pays » ou « C’est la guerre, ils s’enfuient », « Des réfugiés »… Gardner (1983) identifiera de son côté sept formes d’intelligence considérées comme indépendantes : logicomathématique, langagière, spatiale, musicale, kinesthésique, interpersonnelle et intrapersonnelle. En situation transculturelle, le cadre théorique des représentations sociales (Jodelet, 1989) permet l’étude de ces dernières formes d’intelligence, que n’explorent plus désormais les tests classiquement utilisés. Mundy-Castle (1974) a introduit la distinction conceptuelle existant dans certaines populations africaines entre composante technologique et composante sociale de l’intelligence, la première valorisant les capacités cognitives telles que raisonnement et mémoire et la seconde privilégiant les rapports interpersonnels. Comme le réaffirme Bame Nsamenag (2006), la conception africaine de l’intelligence ferait une large place à des programmes participatifs incluant vie culturelle et économique de la famille, programmes assignant des tâches appropriées à des stades de développement et dans lesquels la connaissance n’est pas séparée en disciplines distinctes. Chez les Tetela, population bantoue, les représentations sociales de l’intelligence s’organisent ainsi autour de deux termes différenciés : lomba, correspondant aux aspects sociorelationnels et impliquant l’aptitude à mener une vie familiale stable ainsi que le sens des responsabilités, de l’harmonie dans les relations interpersonnelles, la sagesse et le discernement tandis que yimba correspondrait à l’aspect cognitif (Wendenda Ahondju, 1999). À l’inverse, Dasen (1984) observe que chez les Baoulé, c’est un concept unique d’intelligence, n’glouèlé, qui regroupe non seulement les notions de capacité d’attention à l’école, de rapidité d’apprentissage et de faculté de mémorisation, mais aussi celles de respect et d’obéissance. L’intelligence serait ici composée d’éléments collectivistes et individualistes, les aspects cognitifs et scolaires, plus technologiques, n’étant qualifiés de n’glouèlé qu’à la condition d’être mis au service du groupe social.
L’un des cadres théoriques utilisés en psychologie interculturelle du développement est celui de « niche développementale » développé par Super et Harkness (1997), qui identifient trois composantes interagissant entre elles et avec l’enfant en développement : les contextes physiques et sociaux dans lesquels se trouve l’enfant, les pratiques éducatives et les ethnothéories parentales. Ces dernières sont les représentations de sens commun qu’ont les adultes à propos de l’enfant, la chronologie des étapes attendues de son développement, les aptitudes et le comportement qui seront exigés de lui, l’ensemble de ce qui est considéré comme important dans une société donnée. Au rang de ces ethnothéories, l’on trouve au Maroc la notion centrale de « sagesse sociale », laquelle fait référence à la capacité individuelle à maîtriser ses passions et à se conformer à l’ordre social et moral du groupe. Les comportements éducatifs découlent de ces théories parentales, verbalisées ou implicites, et influencent eux-mêmes la réussite de l’enfant. Dans un contexte migratoire et afin qu’ils connaissent la réussite scolaire, les parents vont bien souvent attendre de leurs enfants qu’ils se conforment aux idéaux éducatifs de l’enseignement occidental, lequel favorise préférentiellement autonomie et indépendance. Dans un double mouvement, ils leur demanderont également de respecter les règles d’éducation en vigueur au pays où eux-mêmes ont grandi. Or, les ethnothéories de l’intelligence peuvent ne pas concorder avec les études occidentales portant sur le développement cognitif de l’enfant. Dasen (op. cit) précise ainsi que lorsque son équipe demanda à des adultes Baoulé d’évaluer un groupe d’enfants selon leur n’glouèlé, les corrélations avec les performances à des épreuves piagétiennes étaient dans l’ensemble proches de zéro et même significativement négatives en ce qui concerne les épreuves spatiales, ce qui, selon l’auteur, illustre bien la valorisation culturelle différente de ces domaines.
Comparaisons interculturelles du fonctionnement cognitif
Compétence et performance
L’interrogation qui est la nôtre est celle de savoir si des différences dans le fonctionnement cognitif peuvent être mises en relation avec des différences interculturelles. La comparaison interindividuelle que réalise l’actuelle modélisation de la psychométrie repose sur le postulat qu’existent des universaux et des invariants dans le développement et le fonctionnement cognitif. La psychologie interculturelle s’est particulièrement attachée aux études comparatives du développement de l’enfant et aux stades décrits par Piaget . Ces recherches (Dasen, 1998), concluent que les processus cognitifs de base sont universels mais s’appliquent selon les contextes à des contenus différents selon ce qui est valorisé et ce qui est adaptatif dans chaque culture. Une distinction primordiale serait la différence entre le niveau structurel, celui des compétences, et le niveau du comportement observable, celui de la performance. Il y aurait des différences interculturelles dans le domaine des compétences cognitives, différences qui ne porteraient que sur le rythme, et donc l’âge d’acquisition, un enfant développant principalement et en premier lieu les aptitudes cognitives qui lui sont utiles. De même, le développement perceptif serait étroitement lié à l’environnement. L’influence du milieu culturel se marquerait donc à la fois dans le rythme de développement au niveau de la compétence et sur l’actualisation de celle-ci en performance. Ainsi, le constat fut fait par Berry (1971) d’une plus grande capacité de discrimination des enfants inuits comparés à une population enfantine de Sierra Leone dans l’épreuve des cubes de Kohs , variabilité qui serait due à l’uniformité de l’environnement géographique des Esquimaux, les contraignant à développer finement leurs perceptions visuospatiales. La conséquence au niveau des performances est qu’un processus cognitif peut sembler absent à une étape de la vie d’un enfant d’une culture donnée alors qu’il est simplement « en attente » de développement. L’on comprend les implications que ces variations peuvent avoir en situation d’investigation psychométrique puisque les tests d’intelligence évaluent les performances d’un sujet par rapport à son groupe d’âge.
Les langages de l’espace
Plusieurs études (Wassmann et Dasen, 1996) ont porté sur la relation entre développement du langage et orientation spatiale, ce qui nous importe spécifiquement car les tests d’intelligence occidentaux comportent tous des épreuves d’encodage spatial. L’une de ces recherches met en évidence que la langue balinaise permet l’utilisation de trois cadres de référence spatiaux : les descripteurs peuvent être égocentrés (relatifs au corps du locuteur, ex. : droite/gauche), exocentrés (relatifs, se référant à la position d’un objet par rapport à l’autre, ex. : l’un à côté de l’autre) ou bien géocentrés (indépendants du locuteur ou de la position d’un autre objet et contingents à un élément lointain du milieu environnant). Les langues indo-européennes utilisent les deux premiers, l’encodage relatif étant considéré en occident comme le système naturel et universel alors que le balinais privilégie très nettement le troisième référent qui consiste en un axe principal « vers la montagne/vers la mer » et un axe orthogonal à celui-ci. Ce système d’orientation spatiale absolu, qui consiste à ne pas se situer à partir des repères fondamentaux que sont les axes du corps humain ni relativement à la position d’un objet précis, nous apparaît d’une grande complexité car il n’est pas uniforme ni immuable et peut s’inverser complètement selon la topographie de l’île. Cependant, la passation d’épreuves spatiales de type piagétien montre que les enfants balinais de 4 à 9 ans utilisent systématiquement un langage et un encodage géocentrés. Les résultats de cette recherche, confirmés par les études ultérieures, ne concordent pas avec les théories occidentales du développement cognitif, celles de Piaget et Inhelder (1948) ou de Taylor et Tversky (1996), selon lesquelles l’espace se construit d’abord à partir du corps propre pour passer dans un second temps vers un système décentré. Une autre étude (Cotterau-Reiss, 2001) portant sur un échantillon d’enfants kanaks rend compte de l’influence des systèmes culturels de représentation de l’espace sur le processus de décentration impliqué dans la structuration spatiale. L’hypothèse de son auteur est que « les associations sémiotiques déterminent les organisations locales et que la structuration de l’espace doit être envisagée à partir des connaissances fonctionnelles qui se construisent dans des domaines d’exercice familiers » (ibid., p. 160), Dasen (2006) évoque également l’influence des pratiques religieuses sur le système d’orientation spatiale d’enfants indiens. Les pratiques apprises dans les écoles sanskrites mettent l’accent sur les points cardinaux et l’importance sacrée de la direction de l’Est. A été fait le constat que les enfants fréquentant ces écoles sanskrites n’utilisent jamais d’encodage égocentré, contrairement à des enfants suivant l’enseignement en hindi. L’auteur précise (op. cit., p. 156) que les enfants qui grandissent dans un milieu où le système géocentré est la norme adulte y sont exposés très tôt et l’acquièrent au niveau conceptuel avant de pouvoir l’exprimer verbalement, qu’il s’agit là non pas d’un renversement des stades de développement décrits par Piaget, mais « d’un chemin de développement différent, ne dépendant pas seulement du langage, mais de facteurs, écologiques, culturels, religieux, sociaux et linguistiques qui forment ensemble le macrosystème entourant une niche de développement particulière ».
Par ailleurs, lorsqu’il s’agit d’étudier une variabilité intergroupes, nous devons nous demander si la norme qui servira de référence pour le groupe étudié est de caractère externe ou interne, deux conceptions qui opposèrent les anthropologues Radcliffe-Brown et Evans-Pritchard . Se placer en observateur extérieur, utiliser des tests élaborés dans une société occidentale, en appliquer les normes et les critères de cotation à une société culturellement différente est un mode d’approche externe qualifiée d’étique (en référence au terme phonétique) par le linguiste Pike (1954). Cette position pose la société occidentale comme référent unique et absolu. À l’inverse, l’approche interne dite émique (en référence au terme phonémique), construit son instrument d’observation à partir du groupe culturel étudié. Faire passer des tests en situation transculturelle nous confronte à l’impossibilité d’opter pour la première approche, dite de l’« absolutisme intégral » ou pour la seconde, celle du « relativisme culturel radical » : s’il nous faut nous référer à la norme culturelle des sujets migrants, à partir de nos instruments d’évaluation, ce ne pourra être que dans une démarche émique modérée et nuancée car ils vivent désormais dans notre société, à laquelle ils doivent s’adapter et qui infiltre et influence déjà leurs processus de pensée. Les tests utilisés en France sont très majoritairement de conception nord-américaine et qu’il s’agisse ou non de tests verbaux, bien au-delà de leur traduction en français, se pose, dans une perspective transculturelle, la question fondamentale de leur équivalence, la question de la variabilité interlangues.
Du relativisme linguistique au paradigme universaliste
L’adaptation d’un test en plusieurs versions linguistiques, sa validation transculturelle repose sur l’idée que ledit test fait appel aux mêmes opérations mentales, quelle que soit la langue qui le véhicule, qu’il présente le même niveau de difficulté et requiert les mêmes stratégies cognitives. La variabilité interlinguistique ne jouerait donc pas sur le système cognitif, position théorique majoritairement partagée aujourd’hui, mais contraire au principe de l’anthropologue Sapir et du linguiste Whorf , selon lesquels les propriétés de la langue reflètent directement les processus cognitifs – Sapir considérant le langage comme classificateur et organisateur de l’expérience sensible. Selon cette hypothèse, les langues sont des systèmes formels complets et créatifs qui structurent le réel et le monde ne serait perçu individuellement que par le filtre de la langue (Sapir 1985). Les langues détermineraient notre manière de voir le monde et nous enfermeraient dans des systèmes conceptuels incommensurables. Devant une même situation, les locuteurs de langues différentes pourraient avoir une interprétation divergente des faits observables car, selon cette construction théorique, la réalité est conceptualisée à travers les catégories linguistiques. Ce sont les études sémantiques relatives à la désignation des couleurs qui se trouvent à l’origine de cette hypothèse dite du « relativisme linguistique ». Whorf (1956) affirma quant à lui que les Indiens Hopi parlent une langue ne contenant aucun mot, aucune forme grammaticale relatifs aux passé, présent ou futur ou à la notion de durée et de permanence et se référant donc à notre conception du temps. Whorf en conclut que les concepts considérés comme fondamentaux, tels que le temps et l’espace, ne sont ni innés ni universels. Un autre chercheur (Malotki et coll., 1983) est venu battre en brèche l’affirmation de Whorf en mettant en évidence que la langue Hopi utilise des métaphores temporelles, dont un verbe incluant la notion de temps que le français peut traduire par « en venir à », tandis que Rosch (1978) reprit les travaux sur la couleur pour conclure que c’est l’environnement qui guide la cognition et non le langage… Chomsky (1971) postula quant à lui une grammaire générative universelle et l’existence d’invariants dans l’ensemble des langues. Il conviendrait de distinguer le langage en tant que fonction, pour lequel le système cognitif serait équipé de manière innée et la langue elle-même que l’enfant acquiert par apprentissage suivant un système de contraintes. L’hypothèse de la modularité de Fodor (1986) repose également sur l’idée que les concepts eux-mêmes sont des invariants. Selon cet auteur, le mentalais serait un langage propre au système cognitif, quelles que puissent être les diversités linguistiques et culturelles. Cette conception de la variabilité interlinguistique comme indépendante de la cognition est aujourd’hui la plus largement partagée et l’hypothèse de Sapir et Whorf, très attaquée par les cognitivistes pour lesquels le langage est une fonction biologique universelle, trouve aujourd’hui peu de partisans. À l’inverse, la variabilité linguistique se trouve, pour d’autres chercheurs, liée au traitement langagier. C’est ainsi que le modèle fonctionnaliste représenté par Hickmann (2000) souligne que l’ordre d’acquisition des fonctions langagières est influencé par la variabilité linguistique : l’acquisition plus ou moins précoce de concepts fondamentaux tels que le temps et l’espace varierait avec la structuration de ces concepts dans différentes langues. Une étude récente va à l’encontre à la fois de la conception innéiste et de l’hypothèse de Sapir et Whorf. Réalisée à Katmandou et portant sur le bilinguisme, cette recherche (Niraula et coll., 2004) compare des enfants népalais scolarisés en anglais et d’autres scolarisés en népali. Selon la théorie du relativisme linguistique, les auteurs escomptaient que les enfants anglophones utilisent un langage et un encodage spatial égocentrés. Or, les résultats furent à l’opposé : l’utilisation du langage égocentré est minime alors que le langage et l’encodage géocentrés prédominent dans les deux groupes. L’auteur conclut que la socialisation dans le système d’orientation spatiale géocentré persiste malgré une scolarisation en langue anglaise, ce qui souligne selon lui le rôle joué par le macrosystème développemental.
La situation projective
Les épreuves projectives ont pour objet de déterminer et d’évaluer les caractéristiques du fonctionnement psychique, les aménagements défensifs, l’expression des conflits inter- ou intrapersonnels d’un sujet donné. Sont traditionnellement distingués les tests projectifs thématiques, tels le TAT et les tests dits structuraux comme le Rorschach , qui s’attachent à l’aspect économique du fonctionnement psychique plutôt qu’à sa dynamique. La démarche diffère sur le plan linguistique : elle est syntagmatique pour les tests thématiques car il est demandé au sujet de composer un récit, alors que le décodage du matériel astructuré des tests structuraux est d’ordre paradigmatique. L’on s’aperçut très vite que les méthodes projectives étaient saturées en références culturelles tout autant que les tests d’intelligence. Madeleine Backès-Thomas (1982, p. 627) soulignera l’existence d’un mécanisme projectif d’ordre culturel : « En deçà du monde privé que l’on avait capté jusque-là existait donc un monde culturel commun qui nous permettait de nous orienter inconsciemment. S’il fallait d’abord nous « reconnaître » culturellement pour pouvoir nous projeter subjectivement, c’était que des projections culturelles devaient obligatoirement donner un sens global aux situations perçues pour que puissent se déclencher les projections individuelles… Tout se passait comme si le matériel considéré ne devenait significatif qu’en deux temps ; signification globale culturelle, signification particulière individuelle ». Ainsi se posa en situation transculturelle la question de la sélection du matériel stimulus. Non figuratif, le Rorschach sembla d’emblée plus aisément transférable culturellement et la passation de ce test fut effectuée dès 1938 auprès d’Indiens Saulteaux. Kardiner (1951) étaya plus tard sa théorie de la « personnalité de base » sur les recherches en anthropologie culturelle, dont spécifiquement celle effectuée sur des populations océaniennes par Cora du Bois. C’est Henry (1951) qui inaugura l’usage anthropologique du TAT en cherchant à construire des planches conformes au symbole culturel de la culture étudiée : ainsi eut-il recours à un dessinateur indien pour les planches destinées aux natives nord-américains. De son côté, Ombredane porta ses recherches sur les populations africaines en constatant l’inadaptation du TAT occidental : « Pour que de telles images soient propices à l’effet projectif, les personnages qu’elles représentent en situation doivent être facilement assimilables au sujet qui seront soumis à l’épreuve, aux êtres familiers de leur entourage et aux êtres fantastiques qui peuvent occuper leur imagination » (Ombredane, 1969). Fut ainsi conçu spécifiquement un TAT de 16 planches pour la population de l’ancien Congo belge, contenant de nombreuses références au maraboutisme. Du test initial, Ombredane ne conserva que trois planches, en créant d’autres adaptées à une culture privilégiant non pas la différenciation individuelle mais plutôt l’appartenance au groupe social. Sont explorés dans ce test les interdits sociaux, l’autorité des parents, des chefs, de l’oncle maternel, la maladie et la mort ainsi que l’attitude envers les ancêtres décédés. En outre y sont mises en scène des situations relationnelles entre Africains et Européens, lesquels ne pouvaient à l’époque n’être identifiés qu’aux colonisateurs, ce qui était de nature à biaiser fortement les fantaisies du sujet testé. Couchard (1999, p. 99) note que les thèmes y sont « assénés de manière caricaturale » et que « les personnages provoquent des identifications et contre-identifications à l’emporte-pièce ». Ces tests projectifs, spécifiquement adaptés à une population déterminée, sursaturés en représentations culturelles dépourvues d’ambiguïté, se révèlent souvent caricaturaux et laissent peu de place à la liberté projective. L’enjeu méthodologique se définit nettement : peut-on sélectionner une méthode projective, en modifier le protocole original afin de l’adapter à une population d’une tout autre culture tout en conservant le même système d’interprétation ?
Les biais en situation transculturelle
Nous l’avons vu, une évaluation par tests consiste à comparer la production d’un sujet testé à celle de la population d’étalonnage, c’est-à-dire les résultats de populations diverses sur une même échelle. Encore faut-il qu’il y ait équivalence des épreuves sur le plan linguistique et culturel. La conférence de consensus recommande ainsi d’évaluer la qualité du bilinguisme en langue maternelle et en langue française et de faire si besoin appel à un interprète. La prise en compte de l’appartenance culturelle tant du sujet examiné que de son interlocuteur apparaît fondamentale.
Acculturation et phénomène de prophétie autoréalisatrice
Les migrants présentent un degré d’acculturation à la société française variant en fonction de leur âge, du temps passé depuis leur arrivée en France, de leur histoire familiale et personnelle ainsi que de leur dynamique psychique et l’une des recommandations de la Conférence de consensus est d’évaluer ce degré d’acculturation avant la passation d’un test. Les experts préconisent la création d’une échelle spécifiquement française qui traiterait du modèle d’acculturation interactif, tel qu’il en existe au Québec (Bourhis et Bougie, 1998) prenant en compte les orientations d’acculturation des migrants, mais aussi celles des groupes de la société d’accueil à leur égard. Ainsi, l’anthropologie de l’éducation (Ogay et coll., 2002) démontre que parallèlement aux théories parentales se développe la culture scolaire. L’école véhicule en effet sa propre culture composée d’éléments explicites, comme le programme officiel, aussi bien qu’implicites, au premier rang desquels l’on trouve en France la référence constante faite par les enseignants à la valeur accordée au temps, à la vitesse d’exécution des exercices ainsi qu’au respect des horaires, autant de signes d’efficience allant de soi dans nos sociétés postindustrielles. L’école est également un champ privilégié pour l’observation des biais dans les attributions sociales, influencées par les identifications et le besoin inconscient de valoriser son propre groupe d’appartenance. C’est ainsi que les enfants perçus par l’enseignant comme ne faisant pas partie de son groupe donneront lieu à une attribution externe : si leurs résultats sont positifs, le comportement est expliqué par des causes externes, chance ou hasard (« Cette fois, il a eu de la chance ! »). À l’inverse, s’ils sont négatifs, il y aura attribution interne : le comportement est expliqué par les caractéristiques propres supposées de l’enfant (« Il ne s’intéresse pas aux études »). Nous pouvons également nous attarder sur la capacité qu’ont les attentes interpersonnelles à créer la réalité, laquelle se verra concrétisée par la performance ou l’échec. À la suite de Merton, Jussim (1986) a décrit comment les attentes d’un enseignant pouvaient influencer la réussite de l’élève par l’intermédiaire de prophéties autoréalisatrices, phénomène qui s’explique par le fait que les attentes de l’éducateur affectent le comportement de l’élève ainsi que le traitement de ce comportement de manière si prégnante qu’au bout du compte, le sujet obtient précisément les résultats initialement prédits par l’enseignant. Les enseignants étayent leurs attentes sur des indicateurs objectifs tels que la réputation faite à l’élève ou ses résultats antérieurs. Il est à noter que dans ce modèle de prophétie autoréalisatrice, ce ne serait pas tant les attentes elles-mêmes qui influenceraient l’élève mais plutôt le comportement de l’enseignant engendré par ces attentes. Spécifiquement, les enseignants créeraient un climat d’apprentissage en se montrant rassurants envers un élève et agiraient sur son niveau de motivation autodéterminé selon que leurs attentes sont élevées ou faibles. Nous pensons que ce modèle théorique des attentes est en partie transposable à la situation de test. Qu’il en soit conscient ou non, un clinicien escompte, lui aussi, un certain résultat. Il connaît le motif de la venue du sujet ainsi que son origine socioculturelle et son attitude dépendra en partie de l’idée qu’il se fait a priori des ressources de ce dernier. Dans les tests Wechsler, la cotation de certains subtests fait appel à l’interprétation et certaines réponses « limites » seront cotées 0, 1 ou 2 points. Il appartient au clinicien de poser les questions supplémentaires pour comprendre le niveau de compréhension du sujet, tout comme il peut revenir sur un item auparavant échoué si le sujet réussit un item suivant. Les rappels de consigne, les encouragements dépendront également des attentes qui sont les siennes. Paradoxalement, une attitude vivement soutenante et fortement sollicitante peut, elle aussi, provoquer le repli ou le découragement chez un sujet qui constate alors que ce psychologue inconnu attend « trop » de lui et qu’il ne pourra se montrer à la hauteur de ses espérances. Le psychologue devra donc veiller à ses contre-attitudes et à leur manifestation, lesquelles peuvent constituer un véritable biais perceptif et fausser son évaluation.
Biais à considérer en contexte transculturel
Sur le plan transculturel, trois formes de biais culturels sont à prendre en considération : les biais de construit, de méthode, et d’items.
Biais de construit
Lorsque le concept à mesurer n’existe pas à l’identique dans les groupes culturels, on parle alors de biais de construit (construct). Ainsi, les épreuves projectives occidentales s’attachent à mettre en relief l’expression du conflit interpersonnel alors que les études récentes portant sur des sujets chinois (Kuo-Shu Yang, 2006) soulignent la réalité très actuelle de dévotion et sacrifice parentaux dans l’éducation de leurs enfants, conduisant à un sentiment de dette de la part de ces derniers, tout comme demeure prégnante l’empreinte confucéenne relative à l’ordre et au respect des ancêtres, l’ensemble de ces facteurs rendant la libre expression des conflits intrafamiliaux très difficile à ces enfants. De même, le concept asiatique fondamental de « perdre la face » n’est par exemple jamais exploré par les tests de personnalité occidentaux.
Biais de méthode
Les biais de méthode ont trait aux relations entre psychologue et sujet testé et se retrouve ici la nécessité de l’évaluation du niveau d’acculturation. Un biais de méthode fondamental, nous semble-t-il, résulte de l’implicite occidental selon lequel il va de l’intérêt de chacun de se montrer en toutes circonstances performant au plan cognitif. D’autres cultures considèrent l’intelligence comme l’un des moyens à utiliser pour jouer un rôle social déterminé. Une étude (Yang et Sternberg, 1997) souligne ainsi que les Chinois de Taïwan prennent en compte l’intérêt stratégique – considéré alors comme signe de sagesse – qu’il y a à montrer, ou non, son intelligence, selon le contexte et la fin poursuivie. Choisir de paraître ignorant en certaines circonstances se révélant alors signe de ruse et d’intelligence. Un autre biais de méthode, qui se retrouve avec constance, résulte de l’appréhension occidentale de la situation duelle considérée comme un moyen privilégié de communication interpersonnelle, propice à instaurer proximité respectueuse, climat de confiance et confidentialité. À l’inverse, de nombreuses cultures privilégient le groupe et le sujet testé peut se sentir en danger dans un tel dispositif. Wechsler a ainsi envisagé la possibilité d’accepter, « en de rares occasions », non détaillées (Wechsler, p. 23), la présence d’un adulte accompagnant l’enfant pour faciliter la passation. Les divers modes d’interaction entre clinicien et sujet testé peuvent être sources d’incompréhension et contresens : se conformer aux normes de politesse régissant les relations entre enfant et adulte dans la culture du pays dont on est issu, comme ne pas regarder le psychologue en face ou recourir à des réponses très brèves, signe d’intériorisation des règles en vigueur au pays, peut en situation transculturelle être interprété de manière préjudiciable comme signant l’inhibition, la restriction ou une conduite d’évitement phobique. De même, les signes de déférence du testé à l’égard du testeur, souvent supposé être d’une classe sociale supérieure, la « désidérabilité sociale », peuvent être compris comme autant de manifestations de conformisme et autres réponses plaquées. Nous pouvons également observer des biais de méthode dans les modes de passation des tests. L’accent y est systématiquement mis sur la rapidité d’exécution d’une tâche et le chronométrage est là pour en attester alors que la performance temporelle reste beaucoup moins valorisée dans d’autres cultures où la notion même de « temps » peut avoir une tout autre importance ou signification. Chez les enfants occidentaux, l’usage intensif des jeux vidéo constitue en la matière un incontestable mode d’apprentissage. Les défauts dus à la conception même du stimulus sont autant de biais de méthode. Ainsi, les Matrices Progressives de Raven sont toujours présentées comme Culture Fair ; cependant, une étude transculturelle (Van de Vijver et coll., 1997) a mis en évidence une confusion dans la compréhension de la consigne et dans son exécution lors de la passation d’un test cognitif autrichien, assez semblable aux RPM. Alors que les élèves autrichiens exécutaient la tâche de gauche à droite, ce qui était la démarche escomptée par les concepteurs du test, les lycéens de culture arabe tentaient d’assembler et compléter les figures géométriques de droite à gauche en raison du sens habituel de leur écriture.

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