4. Stress et maladie coronaire
Athérosclérose coronaire et stress permanent
Le stress est une maladie de la civilisation qui joue un rôle important dans la société post-industrielle où nous vivons et dans la pathogénie de la maladie coronaire. Actuellement, il apparaît que dans les pays industrialisés, l’athérosclérose coronaire est particulièrement fréquente dans les groupes les plus défavorisés à bas niveau socio-économique. Ce fait est nouveau, car en 1910, Osler notait, au contraire, que cette pathologie était plus fréquente dans les couches de population les plus favorisées, frappait les managers, ceux qui avaient « le moteur tournant avec le régime le plus élevé ». La position sociale qu’un individu occupe dans la société influence sa vulnérabilité au stress. La constatation d’Osler n’a pas perdu sa valeur. Une recherche de Stora sur les dirigeants d’entreprise montre qu’ils paient un lourd tribut aux maladies cardiovasculaires, à l’hypertension, la situation de célibataire étant un facteur aggravant [1]. En fait, outre le niveau social et professionnel, il faut faire intervenir le rôle du cumul des facteurs de risque (précarité facilitant une mauvaise hygiène de vie, alimentation déséquilibrée et défectueuse, sédentarité, tabagisme, alcoolisme). Les pourcentages de patients tabagiques et/ou obèses et les taux de cholestérol comme les niveaux de pression artérielle sont plus élevés dans les couches de population à faible revenu. L’étude MIRFIT, ancienne, avec un suivi remarquable de 16 ans, a mis en évidence une relation inverse entre le niveau des revenus, le lieu de résidence et les risques de décès par accident coronarien ou accident cérébral. Toutefois après correction faisant intervenir l’ensemble des facteurs de risque, cette relation est atténuée sans être annulée. Une étude finlandaise prospective avec un suivi important montre des différences de mortalité avec une multiplication du risque par cinq ou deux. Après prise en compte de 22 facteurs confondants, l’association entre la position sociale et l’incidence des événements coronariens persiste. L’importance des facteurs psychosociaux et professionnels a été précédemment soulignée.
L’étude épidémiologique britannique, la Whitehall study II, a eu pour objectif d’explorer les influences de la profession et d’autres facteurs sociaux sur la santé d’employés de bureau, non manuels « à cols blancs ». L’étude a analysé les caractéristiques du rapport degré de contrôle, de maîtrise et des demandes psychologiques liées à la situation professionnelle. L’hypothèse était de rechercher si les taux les plus élevés d’affections cardiovasculaires survenaient dans les couches inférieures de la hiérarchie sociale. On a pris en compte les arrêts maladies, l’absentéisme, les facteurs psychologiques, les problèmes psychiatriques et la maladie coronaire. Après un suivi de 5 ans, les hommes et les femmes avec le plus faible pouvoir décisionnel pour des contraintes et des charges de travail importantes, ont le taux le plus élevé de maladie coronaire. L’inadéquation entre les efforts demandés et l’estime accordée, les récompenses en quelque sorte, les avantages reçus en retour, est bien corrélée au risque coronarien. Les traits de caractère jouent aussi un rôle prépondérant. La méta-analyse de Miller souligne le rôle de l’hostilité, de la défiance, de la tendance aux colères et de l’agressivité dans l’apparition de l’athérosclérose coronaire [2].
L’importance accordée aux personnalités de type A et D (cf. p. 10) dans la genèse des accidents coronariens est à noter. Après être tombé en désuétude, le rôle des personnalités semble actuellement revalorisé. Enfin, plusieurs études permettent de penser que la dépression dans toutes les couches de population est un facteur favorisant de l’athérosclérose coronaire et un signe de mauvais pronostic après un infarctus.
Actuellement, les femmes ont très souvent une vie professionnelle et elles sont soumises à deux grandes catégories de stress, celui lié aux contraintes et soucis de la vie familiale et celui lié à leur exercice professionnel. Quel que soit leur niveau hiérarchique dans une entreprise privée ou un emploi public, elles sont soumises à des tensions psychologiques très élevées [1]. Le monde du travail est dominé par les hommes, il y a une discrimination sexuelle limitant leur élévation hiérarchique dans l’entreprise, qui tend tout de même à diminuer. Les conflits à l’intérieur du couple (carrière/vie familiale), sur leur lieu de travail, les difficultés relationnelles, quelquefois le harcèlement sexuel, la notion d’une injustice, une plus faible rémunération que celle des hommes sont des facteurs stressants. Il y a une forte tendance au tabagisme, aux compensations alimentaires, quelquefois aux boissons alcoolisées pour réduire les tensions du stress. Les accidents coronariens chez la femme jeune ne sont plus exceptionnels et leur incidence est croissante.
Stress et pathologie coronaire aiguë
Monsieur RO., 62 ans, sans antécédent pathologique majeur, entre au service d’urgences pour un syndrome douloureux thoracique intense, accompagné de sueurs profuses, de lipothymies et de vomissements. Ce syndrome survient 12 heures après le décès de son épouse, alors qu’il accomplissait les démarches pour son inhumation. L’examen clinique constate une tachycardie sinusale, une TA à 100–70mmHg. L’auscultation cardiaque est normale, le tracé électrique montre une nécrose myocardique en voie de constitution avec un sus-décalage du segment ST de V1 à V3 (figure 4.1). Le taux de troponine I est élevé à 3,3 ng/mL. Le patient a plusieurs facteurs de risque coronarien, il a une consommation tabagique de 15-paquets années, une hypertension artérielle modérée, une dyslipidémie avec une hypercholestérolémie traitée par statines. Sédentaire, il n’a jamais eu de crise d’angor et un bilan cardiologique datant de 6 mois était normal. Ce patient est très affligé et profondément choqué par la disparition brutale de son épouse rapidement décédée d’un accident vasculaire cérébral.
Figure 4.1 |
Un traitement par dérivés nitrés, aspirine, clopidogrel, héparine à doses efficaces est institué et le patient est dirigé vers la salle d’angiographie. La coronarographie de M. RO. met en évidence une thrombose de la coronaire droite au niveau d’une plaque athéroscléreuse, sans autre lésion sur le réseau gauche. Le patient est traité par angioplastie et implantation de stent. Les suites de l’intervention sont satisfaisantes et M. RO. quitte le service sous traitement médical 3 jours après l’angioplastie.
Il est adressé à un service de réadaptation cardiaque où les cardiologues travaillent en coopération avec des psychiatres pour prendre en charge la dépression et lui assurer une psychothérapie de soutien dans ce contexte d’isolement familial et de deuil.
Revu, 3 mois après, M. RO. demeure légèrement déprimé, mais se porte parfaitement bien sur le plan cardiologique. Il lui est conseillé de poursuivre son traitement médical cardiologique, son traitement antidépresseur, un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine et de demeurer sous la surveillance de son psychiatre.
Le rôle du stress et des facteurs psychologiques, émotionnels et sociaux, dans l’évolution des cardiopathies et la survenue des événements coronariens aigus, n’est plus discuté. Les syndromes coronariens aigus, les épisodes d’ischémie myocardique sont souvent précédés de stress psychologiques intenses et d’émotions négatives liés aux désastres naturels, aux agressions, aux deuils, aux troubles anxieux. Mais les patients coronariens sont aussi soumis à des stress mineurs, répétés, sources d’une tension psychique délétère, facteurs d’aggravation de l’athérosclérose et d’épisodes ischémiques silencieux ou douloureux. Les traits de caractère, la personnalité, le comportement, les conditions de vie et de travail des individus, leur niveau social et leur environnement participent à l’apparition et l’évolution de l’athérosclérose coronaire [3] and [4]. L’anxiété, les soucis quotidiens de la vie professionnelle, l’isolement social, la dépression sont des facteurs, souvent intriqués, qui facilitent l’athérogenèse, son aggravation et in fine la déstabilisation des plaques d’athérome quiescentes [1] and [2].
Plusieurs travaux ont confirmé que des relations médiocres avec l’entourage dans la vie professionnelle, la combinaison d’un faible pouvoir décisionnel à de fortes contraintes et exigences du travail quotidien, l’inquiétude, (due par exemple à la menace de licenciement et du chômage) ont un retentissement neuro-hormonal et biologique délétère et représentent des facteurs de risque cardiovasculaire. Des études psychologiques ont montré que l’hostilité et l’agressivité non exprimée, causes d’un stress chronique, sont des traits significatifs des patients atteints d’insuffisance coronarienne. L’anxiété permanente, inquiétude injustifiée à l’égard des événements et des situations critiques de la vie quotidienne, la répétition d’accès de panique sans raison évidente, contribuent aussi à l’évolution rapide cette pathologie. Les composantes physiologiques d’une excitation émotionnelle sont des facteurs d’ischémie et de thrombose coronaire. Elles ont pour conséquence la stimulation sympathique et comprennent :
• une accélération de la fréquence cardiaque basale;
• des résistances vasculaires augmentées;
• une accélération de la vitesse de raccourcissement des fibres myocardiques;
• une augmentation de la consommation en oxygène du myocarde
• une activation plaquettaire.
Études expérimentales
Des études expérimentales ont mis en évidence les effets pernicieux des stress douloureux et émotionnels sur différents modèles animaux. Raab et al. ont observé des ischémies et des nécroses myocardiques chez des rats soumis à des stress émotionnels modifiant leurs conditions de vie et à des stimulations nerveuses répétées, perturbant leur sommeil [10]. On a constaté des thromboses coronaires sur des plaques athéroscléreuses rompues, provoquées par la peur chez des babouins soumis à une traque prolongée, une poursuite acharnée et finalement leur mise en cage. Des agrégations plaquettaires microvasculaires surviennent sur des cœurs d’animaux recevant des perfusions prolongées d’adrénaline. Les principaux mécanismes d’atteinte myocardique et coronaire après des stress douloureux et des stimulations répétées chez le rat et le cobaye, altérant leur mode de vie et leur comportement, résultent d’une augmentation très importante de l’activité sympathique, des taux de catécholamines, et d’une réduction du tonus vagal associée à des effets pro-agrégants plaquettaires et thrombogènes. Les changements soudains de l’environnement, la pratique des stimuli émotionnels et douloureux chez les animaux, contribuent à faire apparaître une dysfonction endothéliale facteur d’une athérogenèse accélérée, de troubles vasomoteurs à type de vasoconstriction paradoxale. Des rats hypertendus, exposés à la projection d’air à une forte pression ont une altération de la vasodilatation artérielle après injection d’acétylcholine et une diminution de la réponse à l’oxyde nitrique.
L’ensemble des réactions au stress, neuro-hormonales et biologiques, sont en rapport avec la mise en jeu du système limbique par l’intermédiaire de la sensibilité perceptive émotionnelle et de l’activation des systèmes adrénergique et hypothalamo-hypophyso-surrénalien.
Épreuves provocatrices
L’enregistrement continu de l’électrocardiogramme et les progrès de l’imagerie cardiaque confirment chez l’homme des hypothèses physiopathologiques émises depuis de nombreuses années : les émotions, les conflits et l’anxiété contribuent à faciliter l’apparition d’ischémie myocardique et d’événements coronariens.
Pour confirmer le risque des stress psychologiques et émotionnels et l’impact des conditions difficiles de la vie quotidienne sur la fonction cardiaque et la perfusion myocardique, on dispose aujourd’hui de techniques fiables chez l’homme, comme l’enregistrement électrocardiographique prolongé pendant 24 heures permettant d’explorer la perfusion myocardique. La pratique des enregistrements ambulatoires de l’ECG a permis de constater, en particulier, l’incidence matinale des événements ischémiques myocardiques. En l’absence de traitement approprié, la plupart des angineux stables ont des épisodes transitoires d’ischémie au cours des activités banales de la vie quotidienne, 70 à 80 % d’entre eux étant silencieux. Ces altérations électrocardiographiques surviennent pendant des activités courantes, en l’absence d’effort physique conséquent, à l’occasion de l’anxiété, des préoccupations, des phases d’emportement, des discussions. Krantz et al. ont montré que les activités intellectuelles, autant que des activités physiques, sont à l’origine de ces phases d’ischémie. Ces épisodes surviennent particulièrement dans les premières heures de la matinée, alors que le tonus sympathique augmente [11]. Des phénomènes vasomoteurs spastiques, liés aux concentrations plasmatiques augmentées de catécholamines, d’histamine et de sérotonine, semblent en cause.
La capacité des tests psycho-émotifs à induire dans des conditions expérimentales une ischémie myocardique, a été évaluée par de nombreux travaux, en modélisant divers types de stress : épreuves arithmétiques complexes et rapides, tests du labyrinthe à effectuer en temps limité ou causeries improvisées en public ou devant un médecin (figure 4.2).
Figure 4.2 |
Des épreuves spécifiques, validées, effectuées sous contrôle médical, permettent d’explorer la réactivité cardiovasculaire (pression artérielle et fréquence cardiaque enregistrées de manière continue), la perfusion myocardique ou la fonction ventriculaire gauche. Quand ils sont positifs, ces tests mettent en évidence des épisodes d’ischémie myocardique avec un sous-décalage typique à l’ECG du segment ST, des troubles de la cinétique ventriculaire ou des défauts de perfusion à l’exploration isotopique ou au scanner. Pratiquées dans des populations de patients suspects d’athérosclérose coronaire, ces épreuves provocatrices se sont avérées positives dans plus de 40 % des cas [12]. Les manifestations cliniques de ces stress émotionnels chez des sujets atteints d’athérosclérose coronaire sont polymorphes, allant de l’ischémie silencieuse à l’angor classique, aux divers types de syndrome coronarien aigu et jusqu’à la dysfonction ventriculaire gauche. Les études pharmacologiques et physiologiques ont montré que l’impact de ces épreuves se caractérise, comme chez l’animal, par une augmentation de l’activité sympathique, une diminution du tonus vagal et, au niveau vasculaire, cutané et splanchnique, une augmentation de l’activité nor-adrénergique [13].
Aujourd’hui, les épreuves provocatrices, pour être encore plus performantes, sont couplées à des techniques d’imagerie cardiaque afin de détecter l’ischémie par l’analyse de la perfusion myocardique, soit par tomographie de perfusion au technétium, soit par tomographie à émission de positrons. Les explorations de la fonction et de la cinétique pariétale ventriculaire, actuellement très fiables, réalisées simultanément, permettent de détecter une dysfonction ventriculaire ischémique aiguë. Comme dans les épreuves d’effort classiques, l’ischémie démasquée par ces techniques provocatrices, émotionnelles ou mentales, a une expression douloureuse ou silencieuse, en fonction de l’ampleur du retentissement émotionnel et des conséquences circulatoires du type de stress psychologique choisi. Ce sont les tests qui impliquent la plus grande charge émotionnelle qui sont les plus sensibles. Krantz et al., Kop ont constaté que l’ischémie myocardique, symptomatique ou silencieuse, est facilement induite par des stress psycho-émotionnels chez 50 à 70 % des patients ayant une athérosclérose coronaire diagnostiquée et un angor stable [11] and [14]. Ces épreuves confirment la fréquence de l’ischémie totalement asymptomatique dans la vie des athéroscléreux, ses conséquences sur la fonction ventriculaire gauche et les risques d’arythmie sévère. Plus de 75 % des épisodes ischémiques, détectés par une surveillance électrocardiographique continue pendant 24 heures, surviennent pendant des activités quotidiennes courantes, banales, au premier abord anodines, demandant une faible consommation d’oxygène myocardique. Sur le plan physiopathologique, les réponses physiologiques et hémodynamiques à un test psycho-émotionnel et à une épreuve d’effort classique, sur bicyclette ergométrique ou sur tapis roulant, sont en effet différentes. Une des caractéristiques des effets hémodynamiques et circulatoires d’un stress mental, intense et émotionnant, est la soudaineté de son effet, puisqu’il ne comporte ni période d’échauffement ni adaptation cardiocirculatoire contrairement à ce qui survient lors d’un test d’effort à charge croissante. Un exercice physique d’intensité croissante entraîne une élévation tensionnelle régulièrement progressive et surtout une accélération prédominante de la fréquence cardiaque, supérieure à celle induite par le stress mental, vu l’augmentation des besoins métaboliques dus au travail musculaire. Par contre, ce sont la pression artérielle diastolique et les résistances vasculaires qui s’élèvent au cours du stress mental, alors qu’elles diminuent ou varient peu au cours des épreuves d’effort. Merz a observé une augmentation de la réactivité vasculaire évaluée par l’amplitude de l’élévation tensionnelle par rapport à l’état basal, chez les patients coronariens qui ont des épreuves positives [13]. De plus, les altérations ischémiques de la cinétique ventriculaire, akinésie ou dyskinésie pariétale des segments ischémiés, sont, de manière surprenante, plus prononcées après un test psycho-émotionnel qu’au cours d’un effort physique. En particulier, le stress émotif au cours d’une causerie improvisée en public ou le rappel par le patient des circonstances qui ont été à l’origine d’une violente colère ont un effet immédiat, la fréquence cardiaque s’élève rapidement de 15 à 20 battements/minute. Dans la pratique quotidienne, il est courant d’observer la survenue de crises d’angor à l’occasion d’altercations, de discussions entraînant une certaine tension psychologique, une agressivité extériorisée ou contenue chez les coronariens.
Pour déterminer le risque relatif d’ischémie dans les circonstances de la vie quotidienne et le retentissement sur le flux coronarien des diverses émotions, Gullette et al. ont effectué 48 heures de monitoring électrocardiographique par système Holter chez 132 coronariens, non hospitalisés, en demandant au patient de préciser le type d’émotions négatives survenues au cours de la période de surveillance [15]. Cinquante-huit patients ont présenté des épisodes ischémiques au cours de colères, d’émotions, de tensions psychologiques à la suite des tracas de la vie quotidienne. Ces anomalies ne sont pas fugaces et persistent dans l’heure qui suit l’épisode émotionnel, traduisant une ischémie prolongée. Par contre, Deanfield a comparé les effets des deux types d’exploration coronaire par la tomographie à émission de positrons et le rubidium 82 chez 16 patients angineux connus. Après un test mental arithmétique, impliquant une réponse rapide, 12 patients ont eu des altérations ischémiques de la perfusion myocardique, associées seulement chez six d’entre eux à des anomalies du tracé électrique portant sur le segment ST/T; quatre patients seulement ont ressenti une douleur angineuse [16]. La PIMI study (Psychopathologic Investigations of Myocardial Ischemia) a été conçue pour comparer l’ischémie induite par les deux types de stress – psychologique et effort physique sur bicyclette ergométrique – chez des coronariens connus, pour évaluer leur retentissement hémodynamique et biologique et définir les caractéristiques des patients sensibles aux événements de la vie quotidienne [17]: 196 patients, coronariens connus, stables ont subi les deux types de stress, couplés à une ventriculographie isotopique. Le stress psychologique comportait une allocution de 5 minutes après une préparation d’une minute devant le staff médical du laboratoire. Cette épreuve, émotionnante, a mis en évidence chez 108 patients (58 %) une ischémie myocardique au cours de l’épreuve, objectivée soit par des altérations électriques, soit par une dysfonction ventriculaire gauche réversible. Les sujets ayant une épreuve positive ont présenté aussi de fréquents épisodes ischémiques à l’enregistrement électrique Holter dans la vie quotidienne, bien corrélés aux résultats de l’épreuve d’effort classique. La pression artérielle, les facteurs de risque, les tracés électriques à l’état basal et les taux de catécholamines sont identiques pour les deux groupes de patients ayant ou n’ayant pas de l’ischémie à l’enregistrement ambulatoire de l’ECG au cours des activités courantes. L’ampleur de la dépression du segment ST est identique au cours des deux types de tests, stress mentaux ou test d’effort. Pour ces auteurs, l’ischémie après un stress mental serait due soit à une variation du débit dans les vaisseaux épicardiques, soit à une altération de la microcirculation.
Cette altération de la perfusion myocardique microcirculatoire a été confirmée par Legault et al. Ces auteurs ont étudié, chez 20 sujets normaux témoins et 47 patients souffrant d’insuffisance coronaire, les effets des épreuves psycho-émotionnelles sur la fonction ventriculaire gauche et la perfusion myocardiaque : 50 % des malades atteints d’une athérosclérose coronaire ont eu des épreuves rapidement positives se traduisant par une réduction aiguë de la fraction d’éjection ventriculaire gauche et une altération précoce et significative de la perfusion myocardique. Cette réponse positive correspond à des lésions artérielles étendues et à une diminution du flux coronaire, évoquant des spasmes artériels ou une vasoconstriction à l’échelon de la microcirculation [18].
Rôle de la dysfonction endothéliale
C’est la réduction aiguë du flux coronaire à l’échelon de la microcirculation qui semble joue un rôle déterminant dans l’ischémie myocardique induite par des stress psychologiques. Yeung et al. ont observé des spasmes au cours de stress émotionnels intenses ou une vasoconstriction aiguë, avec une réduction en moyenne de 24 % du calibre des artères coronaires au niveau des plaques athéroscléreuses [19]. Ce phénomène confirme le rôle de la dysfonction endothéliale objectivée par une vasoconstriction paradoxale après une perfusion d’acétylcholine. Sur des modèles animaux, les stress aigus intenses perturbant leur comportement, créent des altérations de l’endothélium vasculaire pouvant aller jusqu’à des lésions de ce tissu et des nécroses vasculaires [20]. Chez les patients coronariens répondant positivement aux tests provocateurs psychologiques, une sensibilité accrue aux effets vasoconstricteurs de l’alpha-agoniste, la phényléphrine, a été mise en évidence.
Actuellement, dans la pathogénie de ces phénomènes, on invoque donc le rôle majeur d’une dysfonction endothéliale qui peut entraîner une vasoconstriction paradoxale génératrice d’ischémie en réponse à des stimuli vasodilatateurs ches les sujets normaux. Plusieurs études coronarographiques ont montré que les vaisseaux sténosés présentent une vasoconstriction aiguë après injection d’acétylcholine ou au cours d’un cold-test. Ainsi, les progrès survenus dans l’étude de la perfusion myocardique, confirment le rôle essentiel de la dysfonction endothéliale et celui de l’augmentation délétère de la sensibilité aux catécholamines, causes de spasmes artériels et de vasoconstriction, dans la pathogénie de l’ischémie chez des patients atteints d’athérosclérose coronaire latente. On ne dispose pas d’études démontrant de tels phénomènes chez des patients indemnes de lésions coronaires.
Pour conclure, chez tout coronarien, l’ischémie résulte d’un déséquilibre entre l’apport et la demande en oxygène. L’ischémie, en dehors de l’effort physique, induite par les stress émotionnels, résulte de la combinaison de facteurs : accélération cardiaque, élévation tensionnelle d’une part, vasoconstriction aiguë transitoire au niveau de la microcirculation d’autre part. Le stress psychologique altère les deux processus : la consommation d’oxygène et le flux coronaire; si la fréquence cardiaque se modifie de manière variable, en fonction du type d’épreuve, l’élévation tensionnelle, surtout diastolique, se fait soudainement et non progressivement comme dans l’effort physique. Elle augmente la demande en oxygène. Par contre, le double-produit s’élève moins qu’au cours d’une épreuve d’effort sur bicyclette ergométrique ou tapis roulant. Deedwania, contrôlant simultanément les chiffres tensionnels ambulatoires et l’électrocardiogramme, a constaté que les variations tensionnelles sans accélération cardiaque déterminent plus d’ischémie myocardique que les seules accélérations du rythme [21]. Une élévation tensionnelle, rapide et particulièrement prononcée, survient chez les patients ayant une personnalité de type A ou D avec une forte agressivité. Les facteurs personnels, les caractéristiques individuelles et la structure de la personnalité interviennent dans l’adaptation aux stress quotidiens. Les facteurs émotionnels influencent toutes les modalités de réaction au stress par l’intermédiaire des voies nerveuses et humorales.
Le rôle du système nerveux autonome est fortement impliqué dans la genèse des accidents coronariens et de l’ischémie liée aux événements stressants, aux aléas de la vie courante et aux tracas de la vie professionnelle. Ce fait est confirmé par la nette prépondérance matinale des accidents vasculaires coronariens et cérébraux, période où l’activation sympathique est prédominante et où le tonus vagal est bas. Krantz et al., soumettant un groupe de 63 coronariens à des enregistrements ambulatoires continus de l’électrocardiogramme, ont constaté la grande fréquence des épisodes ischémiques au réveil, entre 6 et 9 heures, avant le lever et immédiatement après celui-ci [11].
L’ischémie liée aux stress répétés de la vie quotidienne chez les sujets dotés d’une personnalité agressive et coléreuse est associée à l’augmentation des taux des marqueurs de l’inflammation. Les organes lymphoïdes comme les vaisseaux sanguins reçoivent une innervation à prédominance sympathique. Il existe des neurones innervant ces organes lymphoïdes qui sont de type adrénergique et peptidique, le neuropeptide impliqué étant le neuropeptide Y. Le système hypo-physothalamique par le biais de la sécrétion de corticoïdes diminue le potentiel de réponse immunitaire dans un environnement psychosocial stressant.
Épuisement professionnel et événements coronariens
Dans la description du syndrome général d’adaptation, Selye a décrit les effets délétères des stress prolongés non contrôlés, qui aboutissent à une phase « d’épuisement physique et psychologique »[20]. Des sensations de fatigue intense et profonde, et un manque total d’énergie sont connus comme des signes prémonitoires d’infarctus du myocarde. L’épuisement se traduit par une exténuation, une irritabilité augmentée, un découragement permanent à l’égard des épreuves courantes de la vie quotidienne. Au plan professionnel, la surcharge de travail, le manque de soutien, les difficultés relationnelles sont des causes du syndrome du burn out. Une asthénie profonde, durable et non motivée, est souvent signalée par les patients hospitalisés à l’occasion d’un syndrome coronarien aigu. La valeur prédictive de ces symtômes, d’un épuisement injustifié, a été démontrée dans une étude hollandaise (Rotterdam Civil Servants study) au cours de laquelle 3877 employés en bonne santé ont été suivis pendant 4 ans. Chez les patients se plaignant d’une profonde asthénie injustifiée et durable, le taux d’infarctus du myocarde a été multiplié par deux par rapport aux sujets non épuisés. La valeur prédictive de ce symptôme est plus nette au cours des premiers mois de la surveillance [22]. Le contrôle clinique et cardiologique d’une cohorte de 127 coronariens, traités par angioplastie, a permis de constater au cours du suivi la valeur prédictive d’un mauvais pronostic de l’état thymique et psychologique : 23 % des patients « épuisés » ou dépressifs ont eu des complications et de nouveaux événements coronariens. Ce signe conserve sa valeur prédictive même après correction statistique prenant en compte les autres facteurs de risque.
À la lecture de ces divers travaux, il apparaît que les stress émotionnels et psychologiques, comme les efforts physiques, sont capables de provoquer une ischémie myocardique fréquemment asymptomatique dans la vie quotidienne, chez des individus atteints d’athérosclérose coronaire latente. Ce fait est un facteur de pronostic défavorable, dont la répétition, en l’absence de traitement, altère la performance myocardique. C’est un signe précurseur de rechutes et de complications : les patients, ayant une dysfonction ventriculaire latente ou des anomalies prononcées et répétées de la perfusion myocardique, sont des sujets à haut risque d’événements coronariens avec une surmortalité à 5 ans par rapport aux patients ayant des tests psychologiques négatifs [23]. L’ischémie provoquée par ce type de stress correspond dans diverses études à des lésions coronaires étendues. La physiopathologie de ces épisodes ischémiques induits par des stress mentaux est discutée, mais des travaux récents utilisant les progrès actuels de l’imagerie fonctionnelle cérébrale apportent des informations intéressantes. Les patients coronariens avérés, en réponse à un stress mental, ont une activation cérébrale particulière, distincte de celle impliquée dans les autres types d’ischémie, prédominant électivement, dans les régions sites de la mémoire, des émotions et de l’activation sympathique : stimulation dans le cortex préfrontal médian, de l’hippocampe et de l’ensemble du système limbique. Celui-ci a des interconnexions avec l’hypothalamus et l’hypophyse initiant la sécrétion d’adrénaline et de nor-adrénaline [24].
Stress et incidence des infarctus
La prise en charge actuelle, diagnostique et thérapeutique, des accidents coronariens aigus et l’acquisition de marqueurs sensibles et spécifiques de la souffrance myocardique ont conduit à reconsidérer la définition ancienne de l’infarctus du myocarde. La nouvelle définition introduit la notion de syndrome coronarien aigu (SCA) qui faute de soins urgents peut évoluer vers la constitution d’une nécrose myocardique avec ses conséquences potentielles, hémodynamiques et rythmiques.
On distingue donc les SCA avec sus-décalage persistant du segment ST, (SCA ST+) et les SCA sans sus-décalage de ST (SCA ST−). Le SCA ST+ est un infarctus en voie de constitution imposant une revascularisation myocardique précoce. Le SCA ST− regroupe un ensemble de scènes douloureuses et cliniques très hétérogènes, incluant les tableaux anciennement dénommés : angor instable, syndrome de menace, infarctus sans onde Q. Les deux types de SCA résultent de deux processus intriqués : l’évolution de l’athérosclérose et l’apparition d’une thrombose artérielle. L’érosion, la fissuration et la rupture des plaques, et les phénomènes thrombotiques qui surviennent rendent compte des complications aiguës de la maladie coronaire et sont à l’origine d’ischémie myocardique sévère et de nécroses (figure 4.3). Plus de 80 % des thromboses coronaires résultent de la rupture ou de la fissuration de la chape fibreuse des plaques d’athérome vulnérables, conséquence de la fragilisation du capuchon fibreux et des forces exercées sur celui-ci. Les occlusions et la thrombose des artères coronaires ne surviennent pas, contrairement à une idée très répandue, sur les artères les plus sténosées. Une relation inverse existe probablement entre le degré de vulnérabilité de la plaque et l’intensité du facteur déclenchant requis pour fissurer ou rompre la plaque et entraîner une thrombose (figure 4.4). Un état inflammatoire aigu et une atteinte infectieuse saisonnière avec un taux élevé de CRP peuvent faciliter la rupture au cours de l’expression d’enzymes protéolytiques. Un stress psycho-émotionnel important peut avoir les mêmes conséquences.
Figure 4.3 |
Figure 4.4 Adapté de A. Rozanski et al. Circulation 1999; 99 : 2192-7. |