Stress et hypertension artérielle

6. Stress et hypertension artérielle



Quelques faits méritent d’être soulignés en préambule :


• la variabilité de la pression artérielle à court et à long terme et la prévalence de l’hypertension augmentent avec l’âge, particulièrement dans le sexe masculin;



• chez les individus particulièrement sensibles et réactifs, le stress cause une élévation transitoire de la pression artérielle, liée à la stimulation sympathique. Le rôle du stress aigu dans la pathogénie de l’hypertension permanente essentielle demeure le thème d’un débat. Cette hypothèse est plausible pour certains, reposant sur le fait qu’une stimulation sympathique prolongée ou répétée due à une hyperréactivité vasculaire est génératrice de lésions vasculaires, avec augmentation des résistances artérielles;


• au plan du pronostic, le risque lié à la pression artérielle est un risque continu : toute augmentation de la pression artérielle est associée à une augmentation du risque de cardiopathie ischémique, d’accident vasculaire cérébral et d’insuffisance cardiaque.

L’hypertension artérielle essentielle a été longtemps considérée comme une maladie psychosomatique pour laquelle les contraintes psychologiques, les émotions de la vie quotidienne, une personnalité anxieuse et un environnement hostile jouent un rôle déterminant dans sa survenue et son évolution. Le stress sous ses différentes formes a été depuis longtemps reconnu comme une cause potentielle d’hypertension. Les résultats de l’étude INTERHEART, qui ont montré que le stress est un facteur étiologique indépendant de l’infarctus du myocarde, ont renouvelé l’intérêt accordé à son rôle [2]. Alors que des travaux anciens laissaient planer des doutes, des études récentes, basées sur les enregistrements ambulatoires répétés de la pression artérielle, comportant un suivi prolongé et des dosages hormonaux, tels les dosages salivaires répétés du cortisol, permettent de penser que le stress psychosocial représente un risque majeur de survenue d’une hypertension permanente.


Effets du stress


Les agents stresseurs psychosociaux et les réponses adaptatives qui surviennent à titre individuel (une transaction entre le stresseur et la réponse) ont été étudiés au cours de divers travaux expérimentaux chez l’animal et d’enquêtes épidémiologiques prenant en compte les types de stress et les réponses tensionnelles chez l’homme. Des événements, les contraintes de la vie quotidienne (craintes à l’égard de la santé des proches, santé et éducation des enfants, conflits dans le couple), les conditions de la vie professionnelle (surmenage, promotions et échecs, chômage, difficultés relationnnelles), les soucis liés à l’environnement (habitat, transport, insécurité, précarité) représentent des facteurs de stress répétés, devenus permanents, participant par leur retentissement psychologique et émotif à la pathogénie de l’hypertension artérielle essentielle [3] and [5]. Alors que la réaction au stress était un processus de défense à l’égard des agressions et des dangers vitaux, la répétition des émotions et des conditions stressantes dans la vie quotidienne, déviation de la vie moderne, exerce des effets neuro-endocriniens et cardiovasculaires délétères. Les fluctuations de la tension artérielle, en raison du comportement, des émotions, de l’activité physique et intellectuelle, ont été bien démontrées par les enregistrements artériels ambulatoires, prolongés pendant 24 ou 48 heures et confirment l’extrême variabilité de ce paramètre hémodynamique. Quoique ancienne, la théorie de la pathogénie de l’hypertension essentielle en mosaïque de Page souligne bien les inter-relations entre les liens socio-économiques, l’environnement, les facteurs individuels (liés à la personnalité de l’individu, à son mode de vie, à sa réactivité vasculaire) et les facteurs nutritionnels.


Rôle des facteurs psychosociaux et de l’environnement

L’impact des événements stressants est modulé par des facteurs individuels liés à la personnalité de l’individu, à sa réactivité vasculaire. Le mode de vie, les conditions de l’environnement, favorables ou hostiles, les contraintes physiques et psychosensorielles de la vie domestique et professionnelle, le support social et la précarité jouent un rôle anxiogène chez tout être vivant : ils modifient à court et long terme l’état neuro-endocrinien et l’équilibre cardiovasculaire de manière variable, d’un sujet à l’autre [6].

En effet, les individus exposés à des situations stressantes n’ont pas des réponses uniformes et stéréotypées. Les effets du stress psychosocial varient en fonction de la susceptibilité génétique, de la personnalité et du caractère de l’individu, du retentissement émotionnel du stress, des capacités d’adaptation personnelles pour le maîtriser, y faire face (coping des auteurs anglo-saxons). Certains sujets ont une hypersensibilité au stress, réagissent exagérément du fait d’une hyperactivité sympathique et d’une augmentation de la réactivité vasculaire. Celle-ci est définie comme l’ampleur de l’élévation tensionnelle et de l’accélération de la fréquence cardiaque survenue en réponse à un agent stresseur au cours d’une épreuve de stimulation psychique pratiquée au laboratoire.

Les tests qui induisent la plus grande réactivité sont ceux qui demandent une participation active des patients : calcul mental, allocution non préparée devant témoins. Il faut tenir compte aussi de la récupération qui correspond au temps mis par les paramètres hémodynamiques pour revenir au niveau qu’ils avaient avant le stress. L’allongement de cette période peut être considéré comme le témoin d’une sensibilité accrue à la stimulation intellectuelle et d’une élévation des résistances vasculaires.

Après une revue de la littérature, Treiber a conclu qu’une augmentation de la réactivité et l’allongement de la récupération sont les marqueurs d’un risque augmenté d’hypertension permanente. Une méta-analyse constate que cette hyper-réactivité à des stress mentaux, émotionnels, et après des tests psychologiques positifs au laboratoire, est corrélée à la survenue de l’hypertension dans des études longitudinales comportant des suivis de plus de 40 ans [7].

Dans la vie réelle, tous les facteurs psychososciaux liés au comportement, à l’activité physique, aux émotions, au mode de vie et au niveau socio-économique interviennent sur le niveau tensionnel (figure 6.1). Il est bien démontré que l’hypertension artérielle est fréquente dans les sociétés où les conditions de vie sont difficiles, les ressources précaires, la criminalité élevée et où des conflits, des agressions surviennent. Le substratum physiopathologique commun est une hyper-réactivité vasculaire immédiate, déterminée par de facteurs génétiques, impliquant l’évaluation émotionnelle du stress, dépendant de formations nerveuses : l’amygdale, le système limbique.








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Figure 6.1
Variations de la pression artérielle en fonction de l’activité au réveil.a. Données de pression artérielle ambulatoire.b. Moyenne horaire de pression artérielle.

Tracés dus à l’obligeance du professeur J.-M. Maillon

L’amygdale orchestre les réactions émotionnelles et son activation met en jeu des réactions par l’intermédiaire de circuits régulateurs corticolimbiques. L’imagerie fonctionnelle basée sur l’IRM pendant un stress psychologique intense, associée à l’enregistrement tensionnel en continu, a été utilisée par Gianeros et al.[8]. Les individus présentant une réponse tensionnelle importante ont une activation prononcée de l’amygdale, des modifications du contraste, une réduction de la substance grise de cet organite, une forte connectivité fonctionnelle entre l’amygdale et les structures du diencéphale. Aux stades initiaux d’une hypertension, chez certains sujets, une stimulation neuro-hormonale plus ou moins importante, réactionnelle, met en jeu l’axe diencéphalo-hypophyso-surrénalien, le système sympathique et, à plus long terme, le système rénine–angiotensine. L’activation répétée et prolongée des systèmes de régulation entraîne à longue échéance des changements structuraux des vaisseaux de résistance artériels, un remodelage vasculaire, contribuant à pérenniser l’élévation tensionnelle. Des stimulations utilisant des stress intellectuels ont permis de mettre en évidence le rôle de la dysfonction endothéliale avec activation des récepteurs A de l’endothéline. Dans la réponse tensionnelle au stress, les facteurs individuels prédominent et aucune personne exposée à une émotion forte ou à une situation stressante soudaine ne réagit de manière absolument identique. L’augmentation de la réactivité vasculaire serait fréquente chez les sujets jeunes, tachycardes, ayant une hypertension débutante où une importante stimulation sympathique et une augmentation des taux de rénine interviennent. Par la suite, on assiste à une normalisation du débit cardiaque, un ralentissement de la fréquence cardiaque, une augmentation des résistances artérielles.


Études expérimentales chez l’animal

Chez l’animal, de nombreux travaux expérimentaux ont démontré que la répétition de stress émotionnels induit des changements dans l’homéostasie cardiovasculaire, facilitant l’hypertension permanente quand il y a un cumul de facteurs favorisants. Les stimuli chez l’animal, perturbant le mode de vie, leur comportement, les relations à l’intérieur d’un groupe, déclenchent comme chez l’homme, deux réponses neuro-endocrines distinctes :


• l’activation du système pituitaire adrénocortical;


• l’activation du système sympathique adrénomédullaire.

Le système sympathique entre particulièrement en jeu quand une situation conflictuelle implique une confrontation et, chez l’animal, provoque une attitude agressive, compétitive pour maintenir son rang, sa position lors d’un danger. Ces stimulations se produisent lors de conflits entre plusieurs membres d’un groupe, dans la lutte motivée par la recherche de nourriture, d’un partenaire, la défense d’une dominance ou d’un territoire.

Henry a constaté que des bouleversements dans le mode de vie de rats génétiquement prédisposés à l’hypertension favorisent l’apparition de ce trouble hémodynamique : des rats isolés depuis leur naissance, ne vivant pas en groupe, privés d’ordre social, introduits dans une colonie établie avec une hiérarchie déja organisée, développent une hypertension avec augmentation des résistances vasculaires [9]. Les mâles non dominants sont agressifs, combatifs, présentent une activation neuro-hormonale avec une augmentation des taux d’adrénaline, une rénine élevée. Le rôle du stress dû en particulier à la lutte pour la recherche de la nourriture paraît déterminant. Si cette situation est prolongée pendant 6 mois, l’élévation tensionnelle perdure et est retrouvée encore 2 mois après un nouvel isolement du rat. Un régime pauvre en sodium retarde l’apparition de l’hypertension. Placés dans la même situation, certains animaux demeurent apathiques, soumis, restent blottis les uns contre les autres : les dosages biologiques montrent une rénine basse et des taux de corticostérone élevés. Une stimulation prolongée ou de stimulations répétées influençant le mode de vie, une menace entraînant un comportement agressif, entraînent une excrétion accrue de catécholamines et augmentent la sécrétion de rénine.


Chez le rat SHR, génétiquement prédisposé à l’hypertension, Folkow constate que des stimulations répétées perturbant la quête de leur nourriture, associées à un régime riche en sel, facilitent l’apparition de l’HTA [11]. Ce trouble hémodynamique devient permanent et sévère en fonction de la prolongation du stress, de son intensité et de facteurs génétiques. Chez le rat normotendu, le stress n’entraîne pas de modification de la fonction rénale et de l’excrétion sodée, alors que chez le rat SHR, il diminue l’excrétion sodée sans modifier le flux plasmatique rénal et la filtration glomérulaire. L’hypertension artérielle rénale expérimentale est rapidement létale, quand ces animaux prédisposés à l’hypertension sont soumis de surcroît à des stimulations électriques répétées. Des expériences chez le babouin démontrent qu’un choc émotionnel (séparation du mâle et de la femelle, avec introduction dans le groupe d’un nouveau mâle) entraîne une agitation aiguë puis chronique avec hypertension permanente et constitution de lésions artérielles coronaires.

L’expérimentation animale démontre donc qu’une modification brutale de l’environnement, une situation d’adversité et de conflits génèrent des modifications délétères des paramètres hémodynamiques et de l’équilibre cardiovasculaire. Toutefois, la même expérience peut produire dans une population des effets différents indiquant que l’impact d’un stress mental et psychosocial varie en fonction de facteurs individuels. Pour qu’un événement devienne cause de stress et facilite une hypertension permanente, il faut tout l’amalgame de plusieurs variables, comprenant des facteurs génétiques, des facteurs liés à la réactivité vasculaire, au mode de vie habituel et à l’environnement.



Il est difficile d’établir des relations entre les résultats d’études expérimentales animales – même si elles sont de méthodologie remarquable – et les faits observés chez l’homme. Nous vivons dans une société qui expose à une stimulation nerveuse exagérée, à des stress récurrents liés à notre mode de vie, à l’accumulation de problèmes professionnels et relationnels. Une grande variabilité tensionnelle, induite par les circonstances éprouvantes et la réactivité personnelle de l’individu, est-elle capable d’induire une hypertension permanente ? C’est une hypothèse encore controversée.

De nombreuses études ont tenté de cerner la responsabilité du stress psychosocial, professionnel et environnemental dans la survenue d’une hypertension permanente. Le stress mental chronique fait intervenir des situations très diverses impliquant la durée, l’intensité, la soudaineté des événements stressants, le contrôle exercé par le sujet.

Steptoe a proposé un modèle général de la réaction en tenant compte des caractéristiques du stress, des capacités de contrôle de l’individu, de sa personnalité, des traits de son caractère et du soutien social [12]. Divers mécanismes, impliquant l’autorégulation de la vascularisation périphérique et l’action des barorécepteurs, interviennent dans la réponse pressive due à un stress aigu et sa correction plus ou moins rapide. Un environnement permanent hostile influence l’état psychologique, favorise l’anxiété permanente, contribue à faciliter le refuge dans des conduites addictives (alcoolisme, tabagisme, drogues, etc.).

Marmot a montré que la pression artérielle s’élève avec l’âge dans les pays industrialisés mais non dans les pays émergeants et que pour un petit nombre de sociétés primitives, à faible prévalence d’HTA, son augmentation avec l’acculturation [13]. L’adhésion au mode de vie trépidant de la société occidentale s’accompagne d’une élévation de la tension artérielle basale. Les immigrants, en Europe ou aux États-Unis, issus de contrées comme l’Afrique centrale, l’Asie, les îles du Pacifique ont une élévation rapide de leurs chiffres tensionnels quand ils adoptent le mode de vie occidental [14]. Les causes sont diverses et intriquées :


• faible niveau social comportant une vie non hygiénique;


• modification totale de l’alimentation;


• réduction de l’activité physique;


• recherche angoissante d’un travail et s’il est trouvé, adaptation difficile à des exigences professionnelles qu’ils méconnaissaient [15].

La dangerosité des conditions de vie intervient aussi. Une relation entre les risques vitaux et la tension artérielle a été mise en évidence chez les femmes israéliennes : la tension s’élève en fonction des risques de guerre et d’attentat dans les zones de conflits et s’abaisse quand la paix est rétablie. Chez des détenus, les conflits liés à la promiscuité lorsqu’ils séjournent à plusieurs dans des cellules entraînent plus fréquemment une hypertension systolique que chez les détenus isolés. Harburg et al. ont montré que les Afro-américains vivant dans des quartiers difficiles, à risque, avec une criminalité élevée et une forte densité population, ont des incidences d’HTA bien supérieures aux Afro-américains vivant dans des quartiers plus favorisés [16]. Gampel et al. ont constaté qu’il y a moins d’HTA dans les zones rurales zoulous que dans les zones urbaines, et que parmi les habitants de celles-ci, les sujets les plus difficilement intégrés sont le plus hypertendus [17]. Mais il est logique de penser qu’outre le stress mental permanent, des facteurs confondants interviennent dans l’élévation tensionnelle liée à l’acculturation, tels que les modifications du régime alimentaire, l’apport sodé, la disparition d’une activité physique importante [18]. Les populations soumises aux risques des bombardements, des attaques terroristes, vivant dans un milieu carcéral surpeuplé ont des niveaux tensionnels élevés, mais les études d’observation sont biaisées car elle ne tiennent pas compte du rôle possible de facteurs confondants. Au cours du siège de Leningrad, lors de la Seconde Guerre mondiale, les médecins ont constaté une augmentation des chiffres tensionnels qui s’est prolongée après la fin de la guerre entraînant une forte morbidité et mortalité cardiovasculaires, supérieure aux moyennes constatées dans des populations n’ayant pas été soumises à un siège.

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Jun 17, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on Stress et hypertension artérielle

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