3. Stress, arythmies et mort subite
Le rôle des stress émotionnels dans l’apparition des arythmies est connu depuis des décennies. En 1942, le physiologiste Cannon a soulevé le rôle du psychisme et des émotions en décrivant la mort due à la peur, en moins de 24 heures, des hommes condamnés par un sorcier. Pour Coumel, le système nerveux détermine « le moment de la catastrophe » sur un cœur lésé ou non. L’intervention sur le cœur du système nerveux est le fait du système nerveux autonome, ortho- et parasympathique, dont la mise en jeu peut provenir du système nerveux central. L’activation du système adrénergique au cours des stress, physiques ou psychologiques, exerce des effets délétères, en facilitant le déclenchement et l’entretien des arythmies. Les catécholamines augmentent l’excitabilité myocardique, favorisent l’émergence de foyers ectopiques, d’automatismes anormaux et réduisent le seuil pour induire une fibrillation auriculaire ou ventriculaire. La « gâchette catécholergique » crée les conditions propices aux ré-entrées. Cet effet s’exerce particulièrement sur les myocardes antérieurement lésés avec des cicatrices de nécrose, des zones ischémiques résiduelles ou sur les fibres hypertrophiées. Le stress augmente l’instabilité électrique du cœur, même du cœur normal. Les émotions intenses peuvent entraîner particulièrement des arythmies ventriculaires létales. La contribution de facteurs nerveux d’origine centrale a été mise en évidence par des études montrant la relation entre la stimulation de certaines zones cérébrales et des altérations électrocardiographiques [1]. Des travaux récents ont montré que l’activation asymétrique du tronc cérébral peut produire des aires de dépolarisation et de repolarisation myocardique inhomogènes qui créent l’instabilité électrique du cœur.
Stress et arythmies ventriculaires
De nombreux faits suggèrent que les arythmies sévères, tachycardies ou fibrillations ventriculaires causes de mort subite, sont souvent précédées par des stress psychologiques intenses et brutaux. Tous les médecins ont le souvenir du décès brutal d’un de leurs patients à l’occasion d’une mauvaise nouvelle. Pendant des décennies, ces observations n’ont concerné que des données anecdotiques, mais actuellement ces hypothèses sont étayées par des études épidémiologiques et des études expérimentales menées chez l’animal et chez l’homme.
En 1971, Engel recense plus de 170 cas de morts subites en rapport avec des chocs psychologiques et des événements dramatiques [2]. Lown et son équipe ont montré que les stress psychologiques sont des facteurs favorisant les fibrillations ventriculaires non seulement chez les patients atteints de cardiopathies ischémiques mais aussi chez les sujets ayant un cœur normal [3]. De même, en 1981, Reich et al. ont rapporté plusieurs observations d’arythmies ventriculaires malignes survenues à l’occasion de chocs émotionnels majeurs en l’absence d’atteinte structurale cardiaque caractérisée [4]. L’enquête de Mittelman a souligné le rôle néfaste des violents accès de colère dans la survenue des événements coronariens aigus et des arythmies [5].
Au cours des vingt dernières années, plusieurs auteurs ont montré que le nombre de morts subites est élevé dans les populations exposées à des catastrophes naturelles, des séismes, des conflits, des attentats terroristes [6] and [7]. Confirmant le rôle des émotions dans la genèse des arythmies, les enregistrements électrocardiographiques par système Holter, pratiqués chez des internes de garde, ont montré la fréquence des extrasystoles ventriculaires et des tachycardies ventriculaires non soutenues chez ces jeunes adultes à cœur apparemment normal [8].
Les travaux évaluant l’influence des traumatismes psychologiques majeurs dans la genèse des arythmies ont bénéficié des progrès technologiques actuels : les enregistrements électrocardiographiques au long cours, pendant 24 heures, permettent d’analyser les circonstances précédant l’apparition des arythmies, les variations de la fréquence cardiaque en fonction des émotions de la vie quotidienne et les modalités d’installation du trouble du rythme [9]. La fonction mémoire des défibrillateurs automatiques implantables permet aujourd’hui l’analyse précise du rythme cardiaque au cours des instants qui ont précédé la délivrance d’un choc électrique (tableau 3.1). De nombreuses équipes ont étudié l’impact de tests ou d’épreuves psychologiques stressantes sur l’électrocardiogramme, l’espace QT, la morphologie et l’amplitude de l’onde T démontrant leur capacité à induire une instabilité électrique [10] and [11].
*Adapté de Lampert R, Joska T, Burg M et al. Emotional and physical precipitants of ventricular arrythmias. Circulation 2002; 106 : 1800-5 | ||||
Type de stress | Défibrillation | Contrôle | Odd ratio ajusté | p |
---|---|---|---|---|
Colère | 15 % | 3 % | 1,83 | 0,04 |
Anxiété | 19 % | 7 % | 1,51 | 0,09 |
Surmenage | 13 % | 8 % | 1,16 | 0,54 |
Tristesse | 8 % | 4 % | 1, 22 | 0, 52 |
Joie | 11 % | 19 % | 0,87 | 0,44 |
Épreuve importante | 20 % | 9 % | 1, 24 | 0, 25 |
Études expérimentales
Un très grand nombre d’études expérimentales sur divers modèles animaux ont fortement mis en cause le stress psychologique ou nerveux pour générer des arytmies ventriculaires. Le stress lorsqu’il est isolé ne produit pas toujours chez l’animal d’arythmie létale, mais il peut créer des lésions cardiaques arythmogènes. L’action conjuguée d’une ischémie et du stress est plus arythmogène qu’un stimulus sympathique ou qu’une ischémie provoquée séparément. Chez des chiens ayant les séquelles d’infarctus du myocarde expérimental, des stress douloureux causent la réapparition d’arythmies constatées à la phase aiguë de l’infarctus. Divers travaux expérimentaux ont mis en évidence les effets arythmogènes de différentes techniques créant un stress chez plusieurs modèles animaux après la création d’un infarctus du myocarde expérimental.
Lown et al. ont montré que le seuil d’induction des activités ventriculaires répétitives est diminué chez les chiens soumis à des stress nerveux intenses et répétés pendant les trois jours qui précèdent une stimulation ventriculaire programmée. Le déclenchement d’une arythmie ventriculaire est facilité chez ces animaux par rapport à des témoins qui n’ont pas été soumis à des stress douloureux [3]. Un travail plus récent de cette équipe confirme que le déclenchement des arythmies ventriculaires est facilité par l’action du système sympathique sur le myocarde ventriculaire. Montrant la latéralité de l’action du système nerveux autonome, la stimulation du ganglion stellaire gauche abaisse le seuil de fibrillation ventriculaire, alors que celle du ganglion droit l’augmente. La stimulation électrique de la zone postérieure de l’hypothalamus, qui augmente l’influx sympathique cardiaque, réduit de 40 % le seuil d’induction de tachycardie ventriculaire chez le chien. Cet effet est aboli par le blocage bêta-adrénergique. Les stimulations nerveuses douloureuses répétées chez le cobaye ou le rat abaissent le seuil de la période vunérable pour déclencher des arythmies ventriculaires, extrasystoles polymorphes ou tachycardies ventriculaires. Chez l’animal, la perfusion de catécholamines facilite tous les mécanismes d’induction de la fibrillation ventriculaire.
Chez l’homme
Au mois de juin 1998, il assiste à la chute impressionnante de son épouse dans un escalier avec fracture du fémur et traumatisme crânien. Il appelle le SAMU, très impressionné par l’état de son épouse, qui demeure confuse avec un traumatisme important et impressionnant du visage. Au cours de la prise en charge de la blessée, devant les infirmiers du SAMU, il ressent un malaise, s’effondre et perd connaissance. Le médecin du SAMU fait immédiatement un ECG qui constate, chez M. R., une TV rapide à 180, dégénérant en quelques secondes en fibrillation ventriculaire (tracé de fibrillation ventriculaire). En arrêt circulatoire, le patient est massé, choqué deux fois et reprend difficilement connaissance. Le rythme sinusal étant rétabli, M. R. est transporté conscient au service de cardiologie où le bilan ne montre pas de fait nouveau : on constate sur le tracé électrique la cicatrice d’un infarctus inférieur, sans ischémie dans un nouveau territoire. Le patient est en rythme sinusal avec de nombreuses extrasystoles ventriculaires. La coronarographie ne montre aucune nouvelle lésion, pas de resténose sur la coronaire droite. Le patient est traité par aténolol et suit le même traitement qu’avant cette complication rythmique, aspirine, clopidogrel, statines. Il sort du service en bon état, mais il lui est conseillé de poursuivre les bêtabloquants et son traitement habituel : une épreuve d’effort et un enregistrement électrocardiographique par système Holter programmés dans les semaines suivantes ne montrent aucun fait pathologique nouveau.
Monsieur DE., âgé de 62 ans, est un ancien rugbyman dynamique, directeur d’une petite entreprise. Cet ancien sportif a pris du poids à l’arrêt du sport, il pèse 102 kg pour 1,80 m. C’est un fumeur (un paquet par jour) et un gros mangeur, mais il conserve une petite activité sportive, fait du golf et pratique la chasse. Il est régulièrement suivi par un médecin généraliste et un cardiologue. Il présente une hypertension modérée, n’a pas de diabète, mais un taux de cholestérol LDL à 2 g/L. Il a une personnalité de type A. C’est un homme toujours pressé, impatient, ambitieux, un peu agressif à l’égard de ses subordonnés.
À son dernier examen cardiologique, son cardiologue a souhaité faire une épreuve d’effort, le tracé ECG montrant une hypertrophie ventriculaire gauche. L’épreuve d’effort est positive avec une ischémie silencieuse pour une fréquence cardiaque de 140/min et une HTA à 185/95. Le patient a de nombreuses extrasystoles ventriculaires au cours de l’épreuve. M. DE. est placé sous le traitement suivant : statine 80 mg/ j ; amlodipine 1 c/j et losartan 50 mg/j.
M. DE. se plie difficilement à ce traitement se trouvant asymptomatique dans la vie courante. Il va assister à un match de rugby international, c’est un supporter passionné. À l’occasion d’une phase émotionnante, alors que la France perd, il ressent un malaise et des palpitations. En quelques minutes, il se couvre de sueurs, a des lipothymies, de faux vertiges, une opression thoracique croissante. L’équipe de secours intervient, les médecins du SAMU le prenent en charge. Le médecin constate une tachycardie à 180/min une TA à 120–80 mmHg, le cœur est assourdi, rapide, sans souffle audible. Sur le tracé ECG, une TV monomorphe s’inscrit à 180 min (tracé de tachycardie ventriculaire) (figure 3.1). L’état du patient s’aggravant, il est mis sous oxygène et un choc électrique permet de réduire la tachycardie. M. DE. est évacué vers un service de cardiologie. On constate une troponine I élevée à 2, 8 ng/mL et sur l’ECG une ischémie sous-épicardique antérieure, avec un rythme sinusal entrecoupé de très nombreuses extrasystoles ventriculaires. Le patient est placé sous héparine, aténolol, aspirine, clopidogrel et il est envoyé au service de coronarographie. L’examen montre une sténose de 90 % au niveau du 1/3 supérieur de l’IVA avec des sténoses modérées de la coronaire droite. La FE ventriculaire est 0,48 %. Le patient est traité par angioplastie et stent actif, l’intervention se déroulant avec succès sans complication. M. DE. a des suites normales, mais il conserve des extrasystoles ventriculaires fréquentes. Le traitement conseillé est, sur le plan médical, de l’aspirone 75 mg/j, du clopidogrel, pendant un an. Il doit prendre de l’aténolol 100 mg/j, de l’atorvastatine 80 mg/j et du losartan 50 mg/j. Il est adressé à une clinique de réadaptation, où il subit un programme de ré-entraînement à l’effort. Il est placé entre les mains d’un psychologue qui lui fait faire des séances de biofeedback et de décontraction. Un an après M. DE. a perdu 5 kg, est asymptomatique et pratique le cyclisme régulièrement
Figure 3.1 |
Les stress aigus contribuent par leurs effets biologiques et leur impact sur l’activité sympathique à créer une inhomogénéité de la repolarisation ventriculaire, une instabilité électrique, facteurs de l’apparition de foyers ectopiques et de ré-entrées, d’accès de tachycardies ventriculaires, de fibrillations et de mort subite. Les conditions concourant à la survenue d’une arythmie ventriculaire mortelle impliquent la présence d’un substrat électrophysiologique anormal, avec coexistence de fibres saines et de fibres altérées, des extrasystoles pour lancer la tachycardie, créer des sites de ré-entrée et l’élévation du tonus sympathique. L’ampleur de l’activation sympathique est bien corrélée à l’inhomogénéité de la repolarisation du myocarde ventriculaire.
On a constaté que les tachycardies et la fibrillation ventriculaire surviennent plus fréquemment le lundi matin à la reprise du travail, chez les patients conservant une activité professionnelle et portant un défibrillateur automatique implanté (DAI). Chez un sujet portant ce dispositif, il est possible d’analyser les anomalies rythmiques précédant immédiatement le déclenchement du choc électrique, de déterminer l’horaire précis de l’arythmie et du choc, et de rechercher comme facteur déclenchant l’impact d’une émotion forte, d’un accès de colère ou d’une peine, ou de tout traumatisme psychique. Ces circonstances quasiment expérimentales pour étudier l’horaire et le déclenchement des arythmies ont permis de constater que les arythmies ventriculaires graves surviennent électivement le matin, lors de l’accélération du rythme cardiaque, quand les taux plasmatiques de catécholamines sont élevés et quand le tonus vagal est au plus bas, démontrant bien le rôle délétère de la stimulation sympathique. Plusieurs facteurs interviennent :
• l’inhomogénéité de la repolarisation;
• la réduction du tonus vagal;
• la présence d’une activité prédominante du système sympathique.
Si une thrombose coronaire est en cause, elle a pu être facilitée par l’activation des facteurs thrombogènes en particulier, l’augmentation transitoire de l’adhésivité et de l’agrégabilité plaquettaire sous l’effet des catécholamines. Dans ce contexte, de nombreux facteurs psychologiques (agressivité, colères, peur à l’égard d’une menace soudaine) facilitent l’apparition d’arythmies [12] and [13] (figure 3.2).
Figure 3.2 |
Chez des patients porteurs de défibrillateurs, l’examen des bandes d’enregistrement a confirmé le rôle déclenchant des frayeurs soudaines, de l’anxiété, des accès de colère et des émotions fortes. Un fait historique démontre le rôle pernicieux de la peur et des événements tragiques. Steinberg et al. ont évalué les conséquences de l’attaque du World Trade Center, le 11 septembre 2001, chez les patients ayant subit une implantation de DAI. Plus de 30 % des patients ainsi appareillés et témoins de l’attentat ont réagi par une tachycardie ou une fibrillation ventriculaire, nécessitant un choc électrique. La fréquence des arythmies ventriculaires très graves, dans ces circonstances tragiques, a été multipliée par un facteur supérieur à 2,5 au moment de cet événement et dans les heures qui ont suivi l’attaque terroriste [14].
Une étude réalisée par Lampert chez des patients coronariens porteurs de cet appareil est très instructive : l’auteur a pu déterminer les circonstances et les facteurs déclenchants de l’arythmie, et l’état psychologique des patients dans les minutes précédant la réduction de l’arythmie par un choc [15]. Rétrospectivement, il a été possible de faire préciser au patient toutes les émotions violentes, les chocs affectifs et les accès de colère survenus au cours de deux périodes différentes : celles concernant les quinze dernières minutes et l’heure précédant la défibrillation. L’enquête couplée à l’analyse des tracés enregistrés par le DAI a permis d’analyser les circonstances de déclenchement de 107 crises de tachycardies ventriculaires confirmées, réduites par le choc électrique survenues chez 42 patients adultes, âgés en moyenne de 65 ans, 78 % d’entre eux ayant dans leurs antécédents un infarctus. Les auteurs ont mis en évidence, dans 30 % des cas, un accès de colère intense de degré 3 sur une échelle d’évaluation comportant cinq degrés. Toutefois, une activité physique modérée a été associée au stimulus psychologique, pouvant faire suspecter le rôle facilitant d’une ischémie transitoire. Les auteurs précisent que lorsqu’une TV est induite par un stress émotionnel, le rythme ventriculaire est toujours très rapide, proche de 200 battements/minute, la réduction de l’arythmie s’avère difficile, nécessitant plusieurs chocs électriques.
Le rôle délétère des stress psychologiques et affectifs a été étudié par Lane et al.[16]. Chez 25 patients ayant survécu à un arrêt circulatoire dû à une fibrillation ventriculaire considérée comme idiopathique, l’auteur a recherché et évalué la présence des stress psychologiques ou affectifs, classés par une équipe de psychologues en intenses, moyens ou faibles. Il a comparé les données recueillies chez ces malades à celles observées dans un groupe témoin de patients coronariens avérés mais n’ayant pas présenté d’arrêt circulatoire. Au cours des 6 mois précédant leur événement cardiaque, 20 patients du premier groupe ont eu un stress psychologique majeur et au cours des 24 heures précédant l’événement, neuf épisodes stressants d’intensité moyenne ont été détectés avant l’arythmie ventriculaire. Ces chiffres sont statistiquement supérieurs à ceux, très inférieurs, constatés dans le groupe témoin. Les publications actuelles démontrent que chez des individus vulnérables, les stress émotifs représentent des facteurs arythmogènes fréquents, pouvant déclencher des arythmies et causer des morts subites [17] and [18]. Des travaux récents fondés sur les données de l’imagerie cérébrale chez des sujets à risque arythmique, avec des antécédents coronariens et soumis à un stress psychologique, ont permis de constater que la latéralisation de l’activité cérébrale pendant un stress émotionnel stimule le cœur asymétriquement, créant des aires d’inhomogénéité de la repolarisation ventriculaire à l’origine d’une instabilité électrique [19] and [20].
Bref rappel sur les mécanismes des tachycardies ventriculaires
Une tachycardie ventriculaire (TV) est définie comme une arythmie cardiaque régulière, générée par un processus électrophysiologique anormal, prenant son origine dans une région myocardique située en dessous de la bifurcation du faisceau de His. Elle est constituée d’au moins trois battements, à une fréquence supérieure à 100 battements/min. Elle est dite soutenue si elle dure plus de 30 secondes ou si elle requiert un moyen pour l’arrêter du fait de sa mauvaise tolérance. Les TV peuvent relever classiquement de trois mécanismes :
• un phénomène de ré-entrée qui est le plus courant;
• un automatisme anormal;
• une activité déclenchée.
Dans toutes les TV, y compris celles de stress, il y a toujours un substrat anatomique, composant un circuit de ré-entrée avec hétérogénéité des vitesses de conduction et des périodes réfractaires. À l’origine de ce phénomène de ré-entrée, on retrouve un circuit composé d’un substrat, une zone ischémique active ou une aire de myocarde ventriculaire fibrosé, zone séquellaire à côté d’une zone saine. Le circuit comporte deux voies ayant des vitesses de conduction et des périodes réfractaires différentes, la voie pathologique qui a une vitesse de conduction ralentie et une période réfractaire allongée. Une extrasystole ventriculaire initie la ré-entrée qui peut se pérenniser et provoquer la tachycardie. Le facteur déclenchant est une gâchette catécholergique, une soudaine libération de catécholamines, qui facilite l’apparition d’une extrasystole ventriculaire et qui crée des conditions propices à la ré-entrée en raccourcissant les périodes réfractaires (Figure 3.3 and Figure 3.4). Les automatismes anormaux sont dus à une modification du potentiel d’action des fibres de Purkinje sous l’influence des catécholamines. Ce mécanisme est en cause dans les tachycardies ventriculaires sur cœur sain. En pratique, la majorité des tachycardies ventriculaires surviennent au cours des cardiopathies ischémiques soit à la phase aiguë de l’infarctus, soit plus tardivement au cours d’une dysfonction ventriculaire ischémique. L’expression clinique des TV est extrêmement variable : chez un patient sans cardiopathie décelable une TV peut donner seulement des sensations de palpitations sans signe alarmant et sans manifestation d’insuffisance cardiaque. Par contre, cette arythmie peut être à l’origine de syncopes, signe inquiétant de pronostic très défavorable. Cet accident survient au cours des TV monomorphes très rapides, au cours des TV polymorphes ou des torsades de pointe. La tachycardie survenant sur un cœur lésé peut être rapidement mal tolérée et dégénérer en fibrillation ventriculaire, cause d’un arrêt circulatoire. Le tracé électrique est le moyen essentiel pour faire le diagnostic. C’est une tachycardie à complexes larges avec un QRS de durée supérieure à 0,12 seconde. L’activité auriculaire est dissociée et plus ou moins visible entre les complexes QRS élargis. Quelquefois une activité auriculaire rétrograde est présente suivant la voie normale et il n’y a pas de dissociation auriculoventriculaire. Quand la TV est lente, l’activité auriculaire dissociée peut entraîner le ventricule, réalisant un phénomène de capture qui est un des critères du diagnostic. Le pronostic des TV est lié à la présence ou non d’une cardiopathie. Si elle n’est pas rapidement traitée, une TV survenant sur un cœur pathologique peut être la cause d’un collapsus, d’une insuffisance cardiaque grave, d’une fibrillation ventriculaire et d’une mort subite. La réanimation cardiaque actuelle, la prise en charge rapide, le traitement par choc électrique et les pacemakers antitachycardiques avec fonction défibrillatoire ont transformé le pronostic.
Figure 3.3 |
Figure 3.4 |
Le cœur est très dépendant de l’innervation sympathique. L’innervation cardiaque est complexe, comprenant des rameaux issus du pneumogastrique et surtout du sympathique. Des branches efférentes du X innervent le nœud sinusal et le nœud auriculoventriculaire. Le myocarde auriculaire est richement innervé par des branches collatérales du pneumogastrique, alors que les ramifications nerveuses sont moins nombreuses au niveau du myocarde ventriculaire. En contraste, la stimulation sympathique est largement dominante au niveau du cœur. Les nerfs efférents sympathiques sont présents au niveau des oreillettes, du nœud sinusal, du tissu conductif et surtout du myocarde ventriculaire. Il est bien connu que la stimulation sympathique cardiaque chez des modèles animaux est un facteur arythmogène majeur facilitant la fibrillation ventriculaire. Il n’est pas surprenant que les premières recherches sur les relations entre les chocs émotifs et les arythmies ventriculaires aient été centrées sur les mécanismes par lesquels la stimulation sympathique affecte la vulnérabilité ventriculaire. Les travaux de Lown [3] confirment que la facilitation du déclenchement des arythmies ventriculaires dépend de l’action myocardique du système nerveux sympathique. La stimulation de la zone postérieure de l’hypothalamus, qui augmente l’activité du sympathique cardiaque, réduit de 40 % le seuil d’induction de fibrillation ventriculaire chez le chien. La stimulation du ganglion stellaire gauche diminue la période réfractaire et le seuil de fibrillation et, particulièrement sur le myocarde ischémié, déclenche une arythmie ventriculaire.
L’utilisation de l’imagerie cérébrale indique qu’une activité cérébrale asymétrique rend le cœur plus vulnérable au déclenchement des arythmies ventriculaires. La latéralisation de l’activité cérébrale, durant un stress émotionnel, peut stimuler le cœur de manière asymétrique et produire des « aires de repolarisation inhomogène » qui créent une désynchronisation de la repolarisation, une instabilité électrique facilitant l’apparition des zones de ré-entrée et les arythmies ventriculaires. On pense que cette situation se réalise lors des stress émotionnnels intenses chez l’homme, mais elle a été confirmée chez l’animal lors de la stimulation unilatérale des nerfs sympathiques cardiaques, processus qui augmente la vulnérabilité aux arythmies. Ainsi, les arythmies ventriculaires se reproduisent électivement chez le chat après une occlusion de 2 minutes de l’artère coronaire interventriculaire antérieure et une stimulation de 30 secondes du ganglion stellaire gauche.
Critchley et al. ont réalisé, en collaboration avec des équipes de cardiologues et de neuroradiologues, une tomographie à émission de positrons cérébrale tout en mesurant la variabilité du rythme sinusal chez des patients soumis à un stress mental, arithmétique (série de sept soustractions rapides avec des chiffres variables à effectuer en moins de 3 minutes) [20]. Ce stress entraîne au cours d’une étude informatisée de la variabilité sinusale une augmentation prononcée du rapport pics basse/haute fréquence. On observe la fixation accrue du traceur dans la partie droite du tronc cérébral. La latéralisation constatée sur les images de la tomographie à émission de positrons est hautement corrélée avec plusieurs marqueurs électrocardiographiques de désynchronisation de la repolarisation :
• le cosinus de l’angle des vecteurs spaciaux de QRS et de T qui caractérisent l’hétérogénéité de la repolarisation;